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Le Speronare

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CATANE

L'aspect de Taormine nous plongea en extase. A notre gauche, et ornant l'horizon, s'élevait l'Etna, cette colonne du ciel, comme l'appelle Pindare, découpant sa masse violette dans une atmosphère rougeâtre tout imprégnée des rayons naissants du soleil. Au second plan, en se rapprochant de nous, étaient accroupies aux pieds du géant deux montages fauves, qu'on eût dit recouvertes d'une immense peau de lion, tandis que, devant nous, au fond d'une petite crique, et se dégageant à peine de l'ombre, s'élevaient au bord de la mer, pareilles à un miroir d'acier bruni, quelques chétives maisons dominées à droite par l'ancienne ville naxienne de Tauromenium. La ville est dominée elle-même par une montagne, ou plutôt par un pic au haut duquel se groupe et se dresse le village sarrasin de la Mola, auquel on n'arrive que par une échelle de pierre.

Lorsque nous eûmes bien considéré ce spectacle si grand, si magnifique, si splendide, que Jadin ne pensa pas même à en faire une esquisse, nous nous retournâmes vers l'est. Le soleil se levait lentement et majestueusement derrière la pointe de la Calabre, et enflammait le sommet de ses montagnes, tandis que tout leur versant occidental demeurait dans la demi-teinte, et que, dans cette demi-teinte, on distinguait les crevasses, les vallées et les ravins à leur ombre plus foncée, et les villes et les villages, au contraire, à leur teinte blanche et mate. A mesure qu'il s'élevait dans le ciel, tout changeait de couleur, montagnes et maisons; la mer brune devint éclatante, et lorsque nous nous retournâmes, le premier paysage que nous avions vu avait perdu lui-même sa teinte fantastique pour rentrer dans sa puissante et majestueuse réalité.

Nous mîmes pied à terre, et après une montée d'une demi-heure, assez rapide, et par un chemin étroit et pierreux, nous arrivâmes aux murailles de la ville, composées de laves noires, de pierres jaunâtres et de briques rouges. Quoique au premier aspect la ville semble mauresque, l'ogive de la porte est normande. Nous la franchîmes, et nous nous trouvâmes dans une rue sale et étroite, aboutissant à une place au milieu de laquelle s'élève une fontaine surmontée d'une étrange statue; c'est un buste d'ange du XIVe siècle greffé sur le corps d'un taureau antique. L'ange est de marbre blanc, et le taureau de granit rouge. L'ange tient de la main gauche un globe dans lequel on a planté une croix, et de l'autre un sceptre. Une église placée en face présente deux ornements remarquables; d'abord, les six colonnes en marbre qui la soutiennent, ensuite les deux lions gothiques qui, couchés au pied des fonds baptismaux, supportent les armes de la ville, qui sont une centauresse: cette seconde sculpture donne l'explication de celle de la place.

En sortant de l'église, nous rencontrâmes un malheureux qui, de son état, était tailleur, et que la munificence du roi de Naples avait élevé aux fonctions de cicerone. Aux premiers mots que nous échangeâmes avec lui, nous vîmes à qui nous avions affaire; mais, comme nous avions besoin d'un guide, nous le prîmes à ce titre, afin de ne pas être volés. En effet, il nous conduisit assez directement au théâtre, tout en nous faisant passer devant une maison qu'une ceinture de lettres gothiques faisant corniche désignait comme ayant servi de retraite à Jean d'Aragon après la défaite de son armée par les Français. A quatre-vingts pas de cette maison à peu près, sont les ruines d'un couvent de femmes, dont il ne reste qu'une tour carrée percée de trois fenêtres gothiques et dominée par un mur de rochers, au pied duquel poussent des grenadiers, des orangers et des lauriers roses. Du milieu de ce groupe d'arbres s'élancent deux palmiers qui donnent à toute cette petite fabrique un air africain qui ne manque pas d'une certaine apparence de réalité sous un soleil de trente-cinq degrés.

Nous arrivâmes enfin aux ruines du théâtre; avant qu'on eût découvert ceux de Pompeïa et d'Herculanum, et quand on ne connaisssait pas celui d'Orange, c'était, disait-on, le mieux conservé. Comme à Orange, on a profité de l'accident du terrain en faisant une incision demi-circulaire dans une montagne, pour tailler dans le granit les degrés sur lesquels étaient assis les spectateurs, le théâtre de Tauromenium pouvait en contenir vingt-cinq mille.

Au reste, ce théâtre bâti en briques n'offre que des ruines sans grandeur; le voyageur venu là pour visiter ces ruines, s'assied, et ne voit plus que l'immense horizon qui se déroule devant lui.

En effet, à droite, l'Etna se développe dans toute l'immensité de sa base, qui a soixante-dix lieues de tour, et dans toute la majesté de sa taille, qui a dix mille six cents pieds de hauteur, c'est-à-dire deux mille pieds de moins seulement que le mont Blanc, et six mille deux cents pieds de plus que le Vésuve. A gauche, la chaîne des Apennins va s'abaissant derrière Reggio, et, pareille à un taureau agenouillé, étend sa tête et présente ses cornes à la mer qui se brise au cap dell'Armi. A l'horizon, la mer et le ciel se confondent; puis, en ramenant, par la droite, ses regards de l'horizon le plus éloigné à la base du théâtre, on découvre un rivage échancré de ports, tout parsemé de villes, et de villes qui s'appellent Syracuse, Augusta et Catane.

Quand on a vu ce magnifique spectacle une heure, la curiosité, je l'avoue, manque pour tout le reste; aussi, fut-ce par acquit de conscience que, pendant que Jadin faisait un croquis du théâtre et du paysage, je visitai la naumachie, les piscines, les bains, le temple d'Apollon et le faubourg du Rabato, mot sarrasin qui constate l'occupation arabe en lui survivant.

Après deux heures de course dans les rochers, les vignes et qui pis est dans les rues de Taormine, après avoir compté cinquante-cinq couvents, tant d'hommes que de femmes, ce qui me parut fort raisonnable pour une population de quatre mille cinq cents âmes, je revins à Jadin, tourmenté d'une faim féroce, et le retrouvai dans une disposition qui, malgré sa maladie récente, ne le cédait en rien à la mienne. Comme il ne me restait à visiter, pour compléter mon excursion archéologique, que la voie des tombeaux, et que la voie des tombeaux était juste au-dessous de nous, au lieu de retraverser toute la ville, nous descendîmes moitié glissant, moitié roulant, par une espèce de précipice couvert d'herbes desséchées sur lesquelles il était aussi difficile de se maintenir que sur la glace; contre toute attente, nous arrivâmes au bas sans accident, et nous nous trouvâmes sur la voie sépulcrale.

C'est le même système d'enterrement que dans les catacombes: des sépulcres de six pieds de long et de quatre pieds de profondeur sont creusés horizontalement, et de petits murs en façon de contrefort séparent ces propriétés mortuaires les unes des autres; il y a quatre étages de tombeaux.

On comprend qu'il n'était nullement question de déjeuner dans les infâmes bouges qui s'élèvent, sous le nom de maisons, au bord de la mer. Nous fîmes signe au capitaine, que nous reconnaissions sur le pont, et qui ne nous avait pas perdus de vue, de nous envoyer la chaloupe. Nous soldâmes notre cicerone, et nous retournâmes à bord.

Décidément, Giovanni était un grand homme: il avait deviné qu'après une excursion de cinq heures dans des régions fort apéritives, nous ne pouvions manquer d'avoir faim. En conséquence, il s'était mis à l'oeuvre; et notre déjeuner était prêt.

Voyageurs qui voyagez en Sicile, au nom du ciel prenez un speronare! Avec un speronare, surtout, si cela est possible, celui de mon ami le capitaine Arena, dans lequel on est mieux que dans aucun autre, avec un speronare, vous mangerez toutes les fois que vous n'aurez pas le mal de mer; dans les auberges, vous ne mangerez jamais. Et que l'on prenne ceci à la lettre: en Sicile, on ne mange que ce qu'on y porte; en Sicile, ce ne sont point les aubergistes qui nourrissent les voyageurs, ce sont les voyageurs qui nourrissent les aubergistes.

En attendant, et tandis que le capitaine allait chercher à terre sa patente, nous fîmes un excellent déjeuner. A midi, le capitaine étant de retour, nous levâmes l'ancre. Nous avions un joli vent qui nous permettait de faire deux lieues à l'heure, de sorte qu'au bout de trois heures à peu près, nous nous trouvâmes à la hauteur d'Aci-Reale, où j'avais dit au capitaine que je comptais m'arrêter. En conséquence, il mit le cap sur une espèce de petite crique d'où partait un chemin en zigzag qui conduisait à la ville, laquelle domine la mer d'une hauteur de trois à quatre cents pieds.

Ce fut une nouvelle patente à prendre, et un retard d'une heure à souffrir; après quoi, nous fûmes autorisés à nous rendre à la ville. Jadin me suivit de confiance sans savoir ce que j'allais y faire.

Aci me parut assez belle et assez régulièrement bâtie. Ses murailles lui donnent un petit air formidable dont elle semble toute fière; mais je n'étais pas venu pourvoir des murailles et des maisons, je cherchais quelque chose de mieux, je cherchais le fils de Neptune et de Thoosa. Je pensais bien qu'il ne viendrait pas au-devant de moi, je m'adressai à un monsieur qui suivait la rue dans un sens opposé au mien. J'allai donc à lui: il me reconnut pour étranger, et pensant que j'avais quelques renseignements à lui demander, il s'arrêta.

– Monsieur, lui dis-je, pourrais-je sans indiscrétion vous demander le chemin de la grotte de Polyphème?

– Le chemin de la grotte de Polyphème? Ho, ho! dit le monsieur en me regardant, le chemin de la grotte de Polyphème?

– Oui, monsieur.

– Vous vous êtes trompé, monsieur, de trois quarts de lieue à peu près. C'est au-dessous d'ici en allant à Catane. Vous reconnaîtrez le port aux quatre roches qui s'avancent dans la mer et que Virgile appelle cyclopea saxa et Pline scopuli cydopum. Vous mettrez pied à terre dans le port d'Ulysse, vous marcherez en droite ligne en tournant le dos à la mer, et entre le village d'Aci-San-Filippo et celui de Nizeti, vous trouverez la grotte de Polyphème.

 

Le monsieur me salua et continua son chemin.

– Eh bien! mais voilà un monsieur qui me semble posséder assez bien son cyclope, me dit Jadin, et ses renseignements me paraissent positifs.

– Aussi, à moins que vous n'ayez quelque chose de particulier à faire ici, nous retournerons à bord, si vous le voulez bien.

– Apprenez, mon cher, me dit Jadin, que je n'ai rien à faire là où il y a quarante degrés de chaleur, que je ne suis venu que pour vous suivre, et que désormais, quand vous ne serez pas plus sûr de vos adresses, vous me rendrez service de nous laisser où nous serons, moi et Milord. N'est-ce pas, Milord?

Milord tira d'un demi-pied une langue rouge comme du feu, ce qui, joint à la manière active dont il se mit à souffler, me prouva qu'il était exactement de l'avis de son maître.

Nous redescendîmes vers la mer, et nous nous rembarquâmes. Au bout d'une demi-heure, je reconnus parfaitement, à ses quatre rochers cyclopéens, le lieu indiqué: d'ailleurs je demandai au capitaine si la rade que je voyais était bien le port d'Ulysse, et il me répondit affirmativement. Nous jetâmes l'ancre au même endroit que l'avait fait Énée.

Telle est la puissance du génie, qu'après trois mille ans ce port a conservé le nom que lui a donné Homère, et que là, pour les paysans, l'histoire d'Ulysse et de ses compagnons, perpétuée comme une tradition, non seulement à travers les siècles, mais encore à travers les dominations successives des Sicaniens d'Espagne, des Carthaginois, des Romains, des empereurs grecs, des Goths, des Sarrasins, des Normands, des Angevins, des Aragonais, des Autrichiens, des Bourbons de France et des ducs de Savoie, semble aussi vivante que le sont pour nous les traditions les plus nationales du moyen âge.

Aussi le premier enfant auquel je demandai la grotte de Polyphème se mit à courir devant moi pour me montrer le chemin. Quant à Jadin, au lieu de me suivre, il se jeta galamment à la mer, sous le prétexte d'y chercher Galathée. Au reste, on retrouve tout, avec des proportions moins gigantesques sans doute que dans les poèmes d'Homère, de Virgile et d'Ovide; mais la grotte de Polyphème et de Galathée est encore là après trente siècles; le rocher qui écrasa Acis est là, couvert et protégé par une forteresse normande qui a pris son nom. Acis, il est vrai, fut changé en un fleuve qu'on appelle aujourd'hui le Aquegrandi, et que je cherchai vainement; mais on me montra son lit, ce qui revenait au même. Je supposai qu'il était allé coucher autre part, voilà tout. Quand il fait 35 à 40 degrés de chaleur, il ne faut pas être trop sévère sur la moralité des fleuves.

Je cherchai aussi la forêt dont Énée vit sortir le malheureux Achéménide, oublié par Ulysse, et qu'il recueillit quoique Grec; mais la forêt a disparu ou à peu près.

La nuit commençait à descendre, et le soleil que j'avais vu lever derrière la Calabre disparaissait peu à peu derrière l'Etna. Un coup de fusil tiré à bord du speronare, et qui me parut s'adresser à moi, me rappela que, passé une certaine heure, on ne pouvait plus s'embarquer. Je me souciais peu de coucher dans une grotte, fût-ce dans celle de Galathée; d'ailleurs, je ressemblais trop peu au portrait du beau berger Acis pour qu'elle s'y trompât. Je repris le chemin du speronare.

Je trouvai Jadin furieux. Le dîner était brûlé; il m'assura que, si je continuais à voir aussi mauvaise compagnie que les cyclopes, les néréides et les bergers, il se séparerait de moi et voyagerait de son côté.

Nous étions écrasés de fatigue; entre Taormine, Aci-Reale et le port d'Ulysse, nous avions fait une rude journée; aussi la veillée ne fut pas longue. Le souper fini, nous nous jetâmes sur nos lits et nous endormîmes.

Notre réveil fut moins pittoresque que la veille: je me crus en face d'une église tendue de noir pour un enterrement. Nous étions dans le port de Catane.

Catane se lève comme une île entre deux rivières de lave. La plus ancienne, et qui enveloppe sa droite, est de 1381; la plus moderne, et qui presse sa gauche, est de 1669. Saisie par l'eau, qu'elle a commencé par refouler à la distance d'un quart de lieue, cette lave a enfin fini par se refroidir comme une immense falaise pleine d'excavations bizarres et sombres, qui semblent autant de porches de l'enfer, et qui, par un contraste bizarre, sont toutes peuplées de colombes et d'hirondelles. Quant au fond du port, il a été comblé, et les petits bâtiments seuls peuvent maintenant y entrer.

Pendant que le capitaine allait prendre patente, nous montâmes dans la barque, et nos fusils à la main, nous allâmes faire une excursion sous ces voûtes. Il en résulta la mort de cinq ou six colombes qui furent destinées à servir de rôti à notre dîner.

Le capitaine revint avec notre permission d'aller à terre; nous en profitâmes aussitôt, car je comptais employer la journée du lendemain et du surlendemain à gravir l'Etna, ce qui, au dire des gens du pays même, n'est point une petite affaire; dix minutes après, nous étions à la Corona d'Oro, chez le seigneur Abbate, que je cite par reconnaissance; contre l'habitude, nous trouvâmes quelque chose à manger chez lui.

Catane fut fondée, suivant Thucydide, par les Chalcidiens, et selon quelques autres auteurs, par les Phéniciens, à une époque où les irruptions de l'Etna étaient non seulement rares, mais encore ignorées, puisque Homère, en parlant de cette montagne, ne dit nulle part que ce soit un volcan. Trois ou quatre cents ans après sa fondation, les fondateurs de la ville en furent chassés par Phalaris, celui, on se le rappelle, qui avait eu l'heureuse imagination de mettre ses sujets dans un taureau d'airain, qu'il faisait ensuite rougir à petit feu, et qui, juste une fois dans sa vie, commença l'expérience par celui qui l'avait inventée. Phalaris mort, Gelon se rendit maître de Catane et, mécontent de son nom, qui en supposant qu'il soit tiré du mot phénicien caton, veut dire petite, il lui substitua celui d'Etna, peut-être pour la recommander par cette flatterie à son terrible parrain, qui à cette époque commençait à se réveiller de son long sommeil; mais bientôt les anciens habitants, chassés par Phalaris, étant revenus dans leur patrie, grâce aux victoires de Ducetius, roi des Siciles, la religion du souvenir l'emporta, et ils lui rendirent son premier nom. Ce fut alors que les Athéniens rêvèrent de conquérir cette Sicile qui devait être leur tombeau. Alcibiade les commandait; sa réputation de beauté, de galanterie et d'éloquence, marchait devant lui. Il arriva devant Catane, et demanda à être introduit seul dans la ville, et à parler aux Catanais: peut-être, s'il n'y eût eu que les Catanais, sa demande lui eût-elle été refusée, mais les Catanaises insistèrent. On conduisit Alcibiade au cirque, et tout le monde s'y rendit. Là l'élève de Socrate commença une de ces harangues ioniennes si douces, si flatteuses, si éloquentes, si terribles, si colorées, si menaçantes. Aussi les gardes des portes eux-mêmes abandonnèrent leur poste pour venir l'écouter. C'est ce qu'avait prévu Alcibiade, qui ne péchait point par excès de modestie, et c'est ce dont profita Nicias, son lieutenant: il entra avec la flotte athénienne dans le port, qui, à cette époque, n'était point comblé par la lave, et s'empara de la ville sans que personne s'y opposât. Cinquante ou soixante ans plus tard, Denis l'Ancien, qui venait de traiter avec Carthage et de soumettre Syracuse, atteignit le même but, non point par l'éloquence, mais par la force. Mamercus, mauvais poète tragique et tyran médiocre, lui succéda, fournissant à la postérité des sujets de drame dont Timoléon devait être le héros. Puis vinrent les Romains, ces grands envahisseurs, qui apparurent à leur tour vers l'an 549 de la fondation, et qui commencèrent par piller; Valérius Messala fut sous ce point de vue le prédécesseur de Verrès. Seulement, du temps de Valérius Messala, on pillait pour la république, tandis que, du temps de Verrès, la chose s'était perfectionnée, on pillait pour soi. Le vainqueur envoya donc les dépouilles à Rome; c'était encore la Rome pauvre, la Rome de terre et de chaume; aussi fut-elle on ne peut plus sensible au présent. Il y avait surtout dans le butin une horloge solaire que l'on plaça près de la colonne Rostrale, et à laquelle, pendant un demi-siècle, le peuple roi vint regarder l'heure avec admiration. Chacune de ces heures était alors comptée par des conquêtes. Ces conquêtes enrichissaient Rome, et Rome commençait à devenir généreuse. Marcellus résolut alors de faire oublier aux Siciliens la façon dont les Romains avaient débuté avec eux; Marcellus avait la rage de bâtir: il bâtissait, partout où il se trouvait, des fontaines, des aqueducs, des théâtres. Catane avait déjà deux théâtres; Marcellus y ajouta un gymnase, et probablement des bains. Aussi, Verrès trouva-t-il la ville dans un état assez florissant pour qu'il daignât jeter les yeux sur elle; il s'informa de ce qu'il y avait de mieux dans ce qu'y avait laissé Messala et dans ce qu'y avait ajouté Marcellus. On lui parla d'un temple de Cérès, bâti en lave et élevé hors de la ville, lequel renfermait une magnifique statue, connue seulement des femmes, car il était défendu aux hommes d'entrer dans ce temple. Verrès, qui de sa nature était peu galant, prétendit que les femmes avaient déjà bien assez de privilèges sans qu'on respectât encore celui-là, puis il entra dans le temple et prit la statue. Quelque temps après, Sextus Pompée pilla Catane à son tour, sous prétexte qu'elle avait été fort tiède pour son père dans ses discussions avec César, de sorte qu'il était grand temps que vînt Auguste, lorsque effectivement Auguste vint.

Celui-là, c'était le réédificateur général et le pacificateur universel. Dans sa jeunesse, emporté par l'exemple, il avait bien proscrit quelque peu, pour faire comme Lépide et Antoine; mais il avait pris de l'âge, s'était fait nommer tribun du peuple et non pas imperator, comme le disaient les républicains du temps. Il aimait les bucoliques, les géorgiques et les idylles, les chants des bergers, les combats de flûte et le murmure des ruisseaux. C'était enfin le dieu qui faisait le repos du monde. Catane ressentit les bienfaits de ce doux règne. Auguste releva ses murs et lui envoya une colonie qui, sous Théodose encore, était restée une des plus florissantes de la Sicile; mais, à partir de la mort de ce dernier, les tribulations de Catane recommencèrent: les Grecs, les Sarrasins et les Normands se succédèrent les uns aux autres, et la traitèrent à peu près comme avait fait Messala, Verres et Sextus Pompée. Enfin, pour couronner toutes ces déprédations successives, un tremblement de terre, arrivé en 1169, la renversa sans lui laisser une seule maison; quinze mille habitants y périrent. Le tremblement de terre calmé, ceux qui s'étaient sauvés revinrent à leurs ruines comme des oiseaux à leurs nids, et, avec l'aide de Guillaume le Bon, reconstruisirent une ville nouvelle. Elle était à peine sur pied, que Henri VI, dans un moment de mauvaise humeur, y mit le feu et passa les habitants au fil de l'épée. Heureusement, il s'en sauva quelques-uns. Ceux qui étaient échappés au père conspirèrent contre le fils. Frédéric Barberousse était dans les principes de son digne père; il rebrûla derechef, et repassa de nouveau au fil de l'épée. Après Henri et Frédéric, il n'y avait de pis que la peste: elle vint en 1348, et dépeupla Catane. Cette ville commençait enfin à se remettre de tous les fléaux successifs qui l'avaient dévastée, lorsque en 1669, un fleuve de lave de dix lieues de longueur et d'une lieue de large sortit du Monte-Rosso, descendit jusqu'à elle, couvrant trois villages dans sa course, et, la sapant dans sa base, la poussa dans son port, qu'il combla avec ses ruines.

Voilà l'histoire de Catane pendant vingt-six siècles, et cependant la ville obstinée a constamment repoussé au même endroit, enfonçant chaque fois davantage dans ce sol mouvant et infidèle ses racines de pierre. Il y a plus: Catane est, avec Messine, la ville la plus riche de la Sicile.

Aussitôt le déjeuner terminé, nous nous mîmes en route à travers la ville. Notre cicerone nous mena tout droit à ses deux places; j'ai remarqué que ce sont les places que les cicerone vous font généralement voir tout d'abord. Je leur en sais gré, en ce qu'une fois qu'on les a vues, on en est débarrassé.

Les places de Catane sont, comme toutes les places, de grands espaces vides entourés de maisons; plus l'espace est grand, plus la place est belle: c'est convenu dans tous les pays du monde. Une de ces places est entourée d'insignifiantes constructions. Je ne sais pas comment s'appellent ces sortes de fabriques: ce ne sont point des maisons, ce ne sont point des monuments; on prétend que ce sont des palais; grand bien leur fasse!

 

L'autre place est un peu plus pittoresque, en ce qu'elle est un peu plus irrégulière. Au milieu s'élève une fontaine de marbre, surmontée d'un éléphant de lave, qui porte lui-même sur son dos un obélisque de granit. Cet obélisque est-il ou n'est-il pas égyptien? Telle est la grave question qui partage les archéologues de la Sicile. Tel qu'il est, égyptien ou non, un point sur lequel il n'y a pas de conteste, c'est qu'il servait de spina au cirque découvert en 1820.

Ce fut sur cette place que je demandai à mon guide s'il connaissait monsieur Bellini père. A cette demande, il se retourna vivement, et, me montrant un vieillard qui passait dans une petite voiture attelée d'un cheval:

– Tenez, me dit-il, le voilà qui va à la campagne.

Je courus à la voiture, que j'arrêtai, pensant qu'on n'est jamais indiscret quand on parle à un père de son fils, et d'un fils comme celui-là surtout. En effet, au premier mot que je lui en dis, le vieillard me prit les mains en me demandant s'il était bien vrai que je le connusse. Alors je tirai de mon portefeuille une lettre de recommandation qu'au moment de mon départ de Paris Bellini m'avait donnée pour la duchesse de Noja, et je lui demandai s'il connaissait cette écriture. Le pauvre père ne me répondit qu'en me la prenant des mains et en baisant l'adresse; puis, se retournant de mon côté:

– Oh! c'est que vous ne savez pas, dit-il, comme il est bon pour moi! Nous ne sommes pas riches: eh bien! à chaque succès, je vois arriver un souvenir de lui, et chaque souvenir a pour but de donner un peu d'aisance et de bonheur à ma vieillesse. Si vous veniez chez moi, je vous montrerais une foule de choses que je dois à sa piété. Chacun de ses succès traverse les mers et m'apporte un bien-être nouveau. Cette montre, c'est de Norma; cette petite voiture et ce cheval, c'est une partie du produit des Puritains. Dans chaque lettre qu'il m'écrit, il me dit toujours qu'il viendra; mais il y a si loin de Paris à Catane, que je ne crois pas à cette promesse, et que j'ai bien peur de mourir sans le revoir. Vous le reverrez, vous?

– Mais oui, répondis-je, car je croyais le revoir; et si vous avez quelque commission pour lui…

– Non. Que lui enverrais-je, moi? ma bénédiction? Pauvre enfant! je la lui donne le matin et le soir. Vous lui direz que vous m'avez fait passer un jour heureux en me parlant de lui; puis, que je vous ai embrassé comme un vieil ami. Le vieillard m'embrassa. Mais vous ne lui direz pas que j'ai pleuré. D'ailleurs, ajouta-t-il en riant, c'est de joie que je pleure. Et c'est donc vrai qu'il a de la réputation, mon fils?

– Mais une très grande, je vous assure.

– Quelle étrange chose! Et qui m'aurait dit cela quand je le grondais de ce qu'au lieu de travailler, il était là, battant la mesure avec son pied, et faisant chanter à sa soeur tous nos vieux airs siciliens? Enfin, tout cela est écrit là-haut. C'est égal, je voudrais bien le revoir avant de mourir. Est-ce que votre ami le connaît aussi, mon fils?

– Certainement.

– Personnellement?

– Personnellement. Mon ami est lui-même le fils d'un musicien distingué.

– Appelez-le donc alors; je veux lui serrer la main aussi, à lui.

J'appelai Jadin, qui vint. Ce fut son tour alors d'être choyé et caressé par le pauvre vieillard, qui voulait nous ramener chez lui, et voulait passer la journée avec nous. Mais c'était chose impossible: il allait à la campagne, et l'emploi de notre journée était arrêté. Nous lui promîmes d'aller le voir si nous repassions à Catane; puis il nous serra la main, et partit. A peine eut-il fait quelques pas qu'il me rappela. Je courus à lui.

– Votre nom? me dit-il; j'ai oublié de vous demander votre nom.

Je lui dis, mais ce nom n'éveilla en lui aucun souvenir. Ce qu'il connaissait de son enfant même, ce n'était pas l'artiste, c'était le bon fils.

– Alexandre Dumas, Alexandre Dumas, répéta-t-il deux ou trois fois. Bon, je me rappellerai que celui qui portait ce nom-là m'a donné de bonnes nouvelles de mon… Alexandre Dumas, adieu, adieu! Je me rappellerai votre nom; adieu!

Pauvre vieillard! Je suis sûr qu'il ne l'a pas oublié, car les nouvelles que je lui donnais, c'étaient les dernières qu'il devait recevoir!

En le quittant, notre guide nous conduisit au Musée. Ce Musée, tout composé d'antiquités, est de fondation moderne. Il se trouva pour le bonheur de Catane un grand seigneur riche à ne savoir que faire de sa richesse, et de plus artiste. C'était don Ignazio de Patarno, prince de Biscari. Le premier, il se souvint qu'il marchait sur un autre Herculanum, et des fouilles royales commencèrent, faites par un simple particulier. Ce fut lui qui retrouva un temple de Cérès, qui découvrit les thermes, les aqueducs, la basilique, le forum et les sépultures publiques. Enfin, ce fut lui qui fonda le Musée, et qui recueillit et classa les objets qui en font partie; ces objets se divisent en trois classes: les antiquités, les produits d'histoire naturelle et les curiosités.

Parmi les antiquités, on compte des statues, des bas-reliefs, des mosaïques, des colonnes, des idoles, des pénates et des vases siciliens.

Les statues appartiennent presque toutes à une époque de mauvais goût ou de décadence, et n'offrent de réellement remarquable qu'un torse colossal qui vient, dit-on, d'une statue de Jupiter Éleuthère, une Penthésilée mourante, un buste d'Antinoüs, et une centauresse; encore ce dernier morceau est-il plus précieux comme curiosité que comme art, toutes les statues de centaures que l'on ait trouvées étant des statues mâles, et les centauresses n'existant ordinairement que sur les bas-reliefs et les médailles.

Les vases siciliens composent, sans contredit, la collection la plus intéressante du Musée, en ce qu'ils sont de formes variées à l'infini, et presque tous d'une élégance parfaite.

Quant aux idoles, pénates, lampes, etc., c'est ce qu'on voit partout.

Les produits d'histoire naturelle appartiennent aux trois règnes de la Sicile, et demandent des appréciateurs spéciaux. Ce qui me parut curieux et remarquable pour tout le monde, c'est une collection des laves de L'Etna. Ces laves, beaucoup moins belles et beaucoup moins variées que celles du Vésuve, sont presque toutes rousses ou mouchetées de gris; cela tient à ce que l'Etna renferme le fer et le sel ammoniac en quantité beaucoup plus grande que le soufre, les marbres et les matières vitrifiables, tandis que le Vésuve, au contraire, contient ces derniers objets en grande abondance.

Enfin, la collection des curiosités consiste en armures, cuirasses, épées sarrasines, normandes et espagnoles, dont quelques-unes sont fort riches et d'un très beau travail.

On montrait aussi autrefois un médaillier dans lequel était renfermée une collection complète des médailles de la Sicile; mais à force de le montrer, le gardien s'aperçut un beau jour qu'il en manquait cinq des plus précieuses: depuis ce temps, le médaillier est fermé.

Du Musée, nous allâmes à la cathédrale en traversant la rue Saint-Ferdinand. J'appelai vivement Jadin; il se retourna.

– Retenez Milord, lui dis-je.

– Pourquoi?

– Retenez-le d'abord, je vous dirai pourquoi ensuite. Jadin appela Milord, et lui passa son mouchoir dans son collier.

– Maintenant, lui dis-je, regardez sur la fenêtre de cet opticien.

Sur la fenêtre de l'opticien, il y avait un chat dressé à regarder les passants à travers une paire de lunettes, qu'il portait fort gravement sur son nez.

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