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Le vicomte de Bragelonne, Tome II.

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Chapitre LXXXVIII – Ce que le Chevalier de Lorraine pensait de Madame

Rien ne troubla plus la sécurité de la route. Sous un prétexte qui ne fit pas grand bruit, M. de Wardes s'échappa pour prendre les devants.

Il emmena Manicamp, dont l'humeur égale et rêveuse lui servait de balance.

Il est à remarquer que les esprits querelleurs et inquiets trouvent toujours une association à faire avec des caractères doux et timides, comme si les uns cherchaient dans le contraste un repos à leur humeur, les autres une défense pour leur propre faiblesse.

Buckingham et Bragelonne, initiant de Guiche à leur amitié, formaient tout le long de la route un concert de louanges en l'honneur de la princesse.

Seulement Bragelonne avait obtenu que ce concert fût donné par trios au lieu de procéder par solos comme de Guiche et son rival semblaient en avoir la dangereuse habitude.

Cette méthode d'harmonie plut beaucoup à Madame Henriette, la reine mère; elle ne fut peut-être pas autant du goût de la jeune princesse, qui était coquette comme un démon, et qui, sans crainte pour sa voix, cherchait les occasions du péril. Elle avait, en effet, un de ces coeurs vaillants et téméraires qui se plaisent dans les extrêmes de la délicatesse et cherchent le fer avec un certain appétit de la blessure. Aussi ses regards, ses sourires, ses toilettes, projectiles inépuisables, pleuvaient-ils sur les trois jeunes gens, les criblaient-ils, et de cet arsenal sans fond sortaient encore des oeillades, des baisemains et mille autres délices qui allaient férir à distance les gentilshommes de l'escorte, les bourgeois, les officiers des villes que l'on traversait, les pages, le peuple, les laquais: c'était un ravage général, une dévastation universelle.

Lorsque Madame arriva à Paris, elle avait fait en chemin cent mille amoureux, et ramenait à Paris une demi-douzaine de fous et deux aliénés.

Raoul seul, devinant toute la séduction de cette femme, et parce qu'il avait le coeur rempli, n'offrant aucun vide où pût se placer une flèche, Raoul arriva froid et défiant dans la capitale du royaume. Parfois, en route, il causait avec la reine d'Angleterre de ce charme enivrant que laissait Madame autour d'elle, et la mère, que tant de malheurs et de déceptions laissaient expérimentée, lui répondait:

– Henriette devait être une femme illustre, soit qu'elle fût née sur le trône, soit qu'elle fût née dans l'obscurité; car elle est femme d'imagination, de caprice et de volonté.

De Wardes et Manicamp, éclaireurs et courriers, avaient annoncé l'arrivée de la princesse. Le cortège vit, à Nanterre, apparaître une brillante escorte de cavaliers et de carrosses.

C'était Monsieur qui, suivi du chevalier de Lorraine et de ses favoris, suivis eux-mêmes d'une partie de la maison militaire du roi, venait saluer sa royale fiancée.

Dès Saint-Germain, la princesse et sa mère avaient changé le coche de voyage, un peu lourd, un peu fatigué par la route, contre un élégant et riche coupé traîné par six chevaux, harnachés de blanc et d'or. Dans cette sorte de calèche apparaissait, comme sur un trône sous le parasol de soie brodée à longues franges de plumes, la jeune et belle princesse, dont le visage radieux recevait les reflets rosés si doux à sa peau de nacre.

Monsieur, en arrivant près du carrosse, fut frappé de cet éclat; il témoigna son admiration en termes assez explicites pour que le chevalier de Lorraine haussât les épaules dans le groupe des courtisans, et pour que le comte de Guiche et Buckingham fussent frappés au coeur. Après les civilités faites et le cérémonial accompli, tout le cortège reprit plus lentement la route de Paris. Les présentations avaient eu lieu légèrement. M. de Buckingham avait été désigné à Monsieur avec les autres gentilshommes anglais. Monsieur n'avait donné à tous qu'une attention assez légère. Mais en chemin, comme il vit le duc s'empresser avec la même ardeur que d'habitude aux portières de la calèche:

– Quel est ce cavalier? demanda-t-il au chevalier de Lorraine, son inséparable.

– On l'a présenté tout à l'heure à Votre Altesse, répliqua le chevalier de Lorraine; c'est le beau duc de Buckingham.

– Ah! c'est vrai.

– Le chevalier de Madame, ajouta le favori avec un tour et un ton que les seuls envieux peuvent donner aux phrases les plus simples.

– Comment! que veux-tu dire? répliqua le prince toujours chevauchant.

– J'ai dit le chevalier.

– Madame a-t-elle donc un chevalier attitré?

– Dame! il me semble que vous le voyez comme moi; regardez-les seulement rire, et folâtrer, et faire du Cyrus tous les deux.

– Tous les trois.

– Comment, tous les trois?

– Sans doute; tu vois bien que de Guiche en est.

– Certes!.. Oui, je le vois bien… Mais qu'est-ce que cela prouve?.. Que Madame a deux chevaliers au lieu d'un.

– Tu envenimes tout, vipère.

– Je n'envenime rien. Ah! monseigneur, que vous avez l'esprit mal fait! Voilà qu'on fait les honneurs du royaume de France à votre femme et vous n'êtes pas content.

Le duc d'Orléans redoutait la verve satirique du chevalier, lorsqu'il la sentait montée à un certain degré de vigueur. Il coupa court.

– La princesse est jolie, dit-il négligemment comme s'il s'agissait d'une étrangère.

– Oui, répliqua sur le même ton le chevalier.

– Tu dis ce oui comme un non. Elle a des yeux noirs fort beaux, ce me semble.

– Petits.

– C'est vrai, mais brillants. Elle est d'une taille avantageuse.

– La taille est un peu gâtée, monseigneur.

– Je ne dis pas non. L'air est noble.

– Mais le visage est maigre.

– Les dents m'ont paru admirables.

– On les voit. La bouche est assez grande. Dieu merci! décidément, monseigneur, j'avais tort; vous êtes plus beau que votre femme.

– Et trouves-tu aussi que je sois plus beau que Buckingham? Dis.

– Oh! oui, et il le sent bien, allez; car, voyez-le, il redouble de soins près de Madame pour que vous ne l'effaciez pas.

Monsieur fit un mouvement d'impatience; mais, comme il vit un sourire de triomphe passer sur les lèvres du chevalier, il remit son cheval au pas.

– Au fait, dit-il, pourquoi m'occuperais-je plus longtemps de ma cousine? Est-ce que je ne la connais pas? est-ce que je n'ai pas été élevé avec elle? est-ce que je ne l'ai pas vue tout enfant au Louvre?

– Ah! pardon, mon prince, il y a un changement d'opéré en elle, fit le chevalier. À cette époque dont vous parlez, elle était un peu moins brillante, et surtout beaucoup moins fière; ce soir surtout, vous en souvient-il, monseigneur, où le roi ne voulait pas danser avec elle, parce qu'il la trouvait laide et mal vêtue?

Ces mots firent froncer le sourcil au duc d'Orléans. Il était, en effet, assez peu flatteur pour lui d'épouser une princesse dont le roi n'avait pas fait grand cas dans sa jeunesse.

Peut-être allait-il répondre, mais en ce moment de Guiche quittait le carrosse pour se rapprocher du prince. De loin, il avait vu le prince et le chevalier, et il semblait, l'oreille inquiète, chercher à deviner les paroles qui venaient d'être échangées entre Monsieur et son favori.

Ce dernier, soit perfidie, soit impudence, ne prit pas la peine de dissimuler.

– Comte, dit-il, vous êtes de bon goût.

– Merci du compliment, répondit de Guiche; mais à quel propos me dites vous cela?

– Dame! j'en appelle à Son Altesse.

– Sans doute, dit Monsieur, et Guiche sait bien que je pense qu'il est parfait cavalier.

– Ceci posé, je reprends, comte; vous êtes auprès de Madame depuis huit jours, n'est-ce pas?

– Sans doute, répondit de Guiche rougissant malgré lui.

– Et bien! dites-nous franchement ce que vous pensez de sa personne.

– De sa personne? reprit de Guiche stupéfait.

– Oui, de sa personne, de son esprit, d'elle, enfin…

Étourdi de cette question, de Guiche hésita à répondre.

– Allons donc! allons donc, de Guiche! reprit le chevalier en riant, dis ce que tu penses, sois franc: Monsieur l'ordonne.

– Oui, oui, sois franc, dit le prince.

De Guiche balbutia quelques mots inintelligibles.

– Je sais bien que c'est délicat, reprit Monsieur; mais, enfin, tu sais qu'on peut tout me dire, à moi. Comment la trouves-tu?

Pour cacher ce qui se passait en lui, de Guiche eut recours à la seule défense qui soit au pouvoir de l'homme surpris: il mentit.

– Je ne trouve Madame, dit-il, ni bien ni mal, mais cependant mieux que mal.

– Eh! cher comte, s'écria le chevalier, vous qui aviez fait tant d'extases et de cris à la vue de son portrait!

De Guiche rougit jusqu'aux oreilles. Heureusement son cheval un peu vif lui servit, par un écart, à dissimuler cette rougeur.

– Le portrait!.. murmura-t-il en se rapprochant, quel portrait?

Le chevalier ne l'avait pas quitté du regard.

– Oui, le portrait. La miniature n'était-elle donc pas ressemblante?

– Je ne sais. J'ai oublié ce portrait; il s'est effacé de mon esprit.

– Il avait fait pourtant sur vous une bien vive impression, dit le chevalier.

– C'est possible.

– A-t-elle de l'esprit, au moins? demanda le duc.

– Je le crois, monseigneur.

– Et M. de Buckingham, en a-t-il? dit le chevalier.

– Je ne sais.

– Moi, je suis d'avis qu'il en a, répliqua le chevalier, car il fait rire Madame, et elle paraît prendre beaucoup de plaisir en sa société, ce qui n'arrive jamais à une femme d'esprit quand elle se trouve dans la compagnie d'un sot.

– Alors c'est qu'il a de l'esprit, dit naïvement de Guiche, au secours duquel Raoul arriva soudain, le voyant aux prises avec ce dangereux interlocuteur, dont il s'empara et qu'il força ainsi de changer d'entretien.

L'entrée se fit brillante et joyeuse. Le roi, pour fêter son frère, avait ordonné que les choses fussent magnifiquement traitées. Madame et sa mère descendirent au Louvre, à ce Louvre où, pendant les temps d'exil, elles avaient supporté si douloureusement l'obscurité, la misère, les privations. Ce palais inhospitalier pour la malheureuse fille de Henri IV, ces murs nus, ces parquets effondrés, ces plafonds tapissés de toiles d'araignées, ces vastes cheminées aux marbres écornés, ces âtres froids que l'aumône du Parlement avait à peine réchauffés pour elles, tout avait changé de face.

 

Tentures splendides, tapis épais, dalles reluisantes, peintures fraîches aux larges bordures d'or; partout des candélabres, des glaces, des meubles somptueux; partout des gardes aux fières tournures, aux panaches flottants, un peuple de valets et de courtisans dans les antichambres et sur les escaliers.

Dans ces cours où naguère l'herbe poussait encore, comme si cet ingrat de Mazarin eût jugé bon de prouver aux Parisiens que la solitude et le désordre devaient être, avec la misère et le désespoir, le cortège des monarchies abattues; dans ces cours immenses, muettes, désolées, paradaient des cavaliers dont les chevaux arrachaient aux pavés brillants des milliers d'étincelles.

Des carrosses étaient peuplés de femmes belles et jeunes, qui attendaient, pour la saluer au passage, la fille de cette fille de France qui, durant son veuvage et son exil, n'avait quelquefois pas trouvé un morceau de bois pour son foyer, et un morceau de pain pour sa table, et que dédaignaient les plus humbles serviteurs du château.

Aussi Madame Henriette rentra-t-elle au Louvre avec le coeur plus gonflé de douleur et d'amers souvenirs que sa fille, nature oublieuse et variable, n'y revint avec triomphe et joie.

Elle savait bien que l'accueil brillant s'adressait à l'heureuse mère d'un roi replacé sur le second trône de l'Europe, tandis que l'accueil mauvais s'adressait à elle, fille de Henri IV, punie d'avoir été malheureuse.

Après que les princesses eurent été installées, après qu'elles eurent pris quelque repos, les hommes, qui s'étaient aussi remis de leurs fatigues, reprirent leurs habitudes et leurs travaux. Bragelonne commença par aller voir son père.

Athos était reparti pour Blois.

Il voulut aller voir M. d'Artagnan.

Mais celui-ci, occupé de l'organisation d'une nouvelle maison militaire du roi, était devenu introuvable.

Bragelonne se rabattit sur de Guiche.

Mais le comte avait avec ses tailleurs et avec Manicamp des conférences qui absorbaient sa journée entière. C'était bien pis avec le duc de Buckingham. Celui-ci achetait chevaux sur chevaux, diamants sur diamants. Tout ce que Paris renferme de brodeuses, de lapidaires, de tailleurs, il l'accaparait.

C'était entre lui et de Guiche un assaut plus ou moins courtois pour le succès duquel le duc voulait dépenser un million, tandis que le maréchal de Grammont avait donné soixante mille livres seulement à de Guiche.

Buckingham riait et dépensait son million. De Guiche soupirait et se fût arraché les cheveux sans les conseils de de Wardes.

– Un million! répétait tous les jours de Guiche; j'y succomberai. Pourquoi M. le maréchal ne veut-il pas m'avancer ma part de succession?

– Parce que tu la dévorerais, disait Raoul.

– Eh! que lui importe! Si j'en dois mourir, j'en mourrai. Alors je n'aurai plus besoin de rien.

– Mais quelle nécessité de mourir? disait Raoul.

– Je ne veux pas être vaincu en élégance par un Anglais.

– Mon cher comte, dit alors Manicamp, l'élégance n'est pas une chose coûteuse, ce n'est qu'une chose difficile.

– Oui, mais les choses difficiles coûtent fort cher, et je n'ai que soixante mille livres.

– Pardieu! dit de Wardes, tu es bien embarrassé; dépense autant que Buckingham; ce n'est que neuf cent quarante mille livres de différence.

– Où les trouver?

– Fais des dettes.

– J'en ai déjà.

– Raison de plus.

Ces avis finirent par exciter tellement de Guiche, qu'il fit des folies quand Buckingham ne faisait que des dépenses.

Le bruit de ces prodigalités épanouissait la mine de tous les marchands de Paris, et de l'hôtel de Buckingham à l'hôtel de Grammont on rêvait des merveilles.

Pendant ce temps, Madame se reposait, et Bragelonne écrivait à

Mlle de La Vallière.

Quatre lettres s'étaient déjà échappées de sa plume, et pas une réponse n'arrivait, lorsque le matin même de la cérémonie du mariage, qui devait avoir lieu au Palais-Royal, dans la chapelle, Raoul, à sa toilette, entendit annoncer par son valet:

– M. de Malicorne.

«Que me veut ce Malicorne?» pensa Raoul.

– Faites attendre, dit-il au laquais.

– C'est un monsieur qui vient de Blois, dit le valet.

– Ah! faites entrer! s'écria Raoul vivement.

Malicorne entra, beau comme un astre et porteur d'une épée superbe.

Après avoir salué gracieusement:

– Monsieur de Bragelonne, fit-il, je vous apporte mille civilités de la part d'une dame.

Raoul rougit.

– D'une dame, dit-il, d'une dame de Blois?

– Oui, monsieur, de Mlle de Montalais.

– Ah! merci, monsieur, je vous reconnais maintenant, dit Raoul.

Et que désire de moi Mlle de Montalais?

Malicorne tira de sa poche quatre lettres qu'il offrit à Raoul.

– Mes lettres! est-il possible! dit celui-ci en pâlissant; mes lettres encore cachetées!

– Monsieur, ces lettres n'ont plus trouvé à Blois les personnes à qui vous les destiniez; on vous les retourne.

– Mademoiselle de La Vallière est partie de Blois? s'écria Raoul.

– Il y a huit jours.

– Et où est-elle?

– Elle doit être à Paris, monsieur.

– Mais comment sait-on que ces lettres venaient de moi?

– Mlle de Montalais a reconnu votre écriture et votre cachet, dit

Malicorne.

Raoul rougit et sourit.

– C'est fort aimable à Mlle Aure, dit-il; elle est toujours bonne et charmante.

– Toujours, monsieur.

– Elle eût bien dû me donner un renseignement précis sur

Mlle de La Vallière. Je ne chercherais pas dans cet immense Paris.

Malicorne tira de sa poche un autre paquet.

– Peut-être, dit-il, trouverez-vous dans cette lettre ce que vous souhaitez de savoir.

Raoul rompit précipitamment le cachet. L'écriture était de Mlle

Aure, et voici ce que renfermait la lettre:

«Paris, Palais-Royal, jour de la bénédiction nuptiale.»

– Que signifie cela? demanda Raoul à Malicorne; vous le savez, vous, monsieur?

– Oui, monsieur le vicomte.

– De grâce, dites-le-moi, alors.

– Impossible, monsieur.

– Pourquoi?

– Parce que Mlle Aure m'a défendu de le dire.

Raoul regarda ce singulier personnage et resta muet.

– Au moins, reprit-il, est-ce heureux ou malheureux pour moi?

– Vous verrez.

– Vous êtes sévère dans vos discrétions.

– Monsieur, une grâce.

– En échange de celle que vous ne me faites pas?

– Précisément.

– Parlez!

– J'ai le plus vif désir de voir la cérémonie et je n'ai pas de billet d'admission, malgré toutes les démarches que j'ai faites pour m'en procurer. Pourriez-vous me faire entrer?

– Certes.

– Faites cela pour moi, monsieur le vicomte, je vous en supplie.

– Je le ferai volontiers, monsieur; accompagnez-moi.

– Monsieur, je suis votre humble serviteur.

– Je vous croyais ami de M. de Manicamp?

– Oui, monsieur. Mais, ce matin, j'ai, en le regardant s'habiller, fait tomber une bouteille de vernis sur son habit neuf, et il m'a chargé l'épée à la main, si bien que j'ai dû m'enfuir. Voilà pourquoi je ne lui ai pas demandé de billet. Il m'eût tué.

– Cela se conçoit, dit Raoul. Je connais Manicamp capable de tuer l'homme assez malheureux pour commettre le crime que vous avez à vous reprocher à ses yeux, mais je réparerai le mal vis-à-vis de vous; j'agrafe mon manteau, et je suis prêt à vous servir de guide et d'introducteur.

Chapitre LXXXIX – La surprise de mademoiselle de Montalais

Madame fut mariée au Palais-Royal, dans la chapelle, devant un monde de courtisans sévèrement choisis.

Cependant, malgré la haute faveur qu'indiquait une invitation, Raoul, fidèle à sa promesse, fit entrer Malicorne, désireux de jouir de ce curieux coup d'oeil.

Lorsqu'il eut acquitté cet engagement, Raoul se rapprocha de de Guiche, qui, pour contraste avec ses habits splendides, montrait un visage tellement bouleversé par la douleur, que le duc de Buckingham seul pouvait lui disputer l'excès de la pâleur et de l'abattement.

– Prends garde, comte, dit Raoul en s'approchant de son ami et en s'apprêtant à le soutenir au moment où l'archevêque bénissait les deux époux.

En effet, on voyait M. le prince de Condé regardant d'un oeil curieux ces deux images de la désolation, debout comme des cariatides aux deux côtés de la nef. Le comte s'observa plus soigneusement. La cérémonie terminée, le roi et la reine passèrent dans le grand salon, où ils se firent présenter Madame et sa suite.

On observa que le roi, qui avait paru très émerveillé à la vue de sa belle soeur, lui fit les compliments les plus sincères. On observa que la reine mère, attachant sur Buckingham un regard long et rêveur, se pencha vers Mme de Motteville pour lui dire:

– Ne trouvez-vous pas qu'il ressemble à son père?

On observa enfin que Monsieur observait tout le monde et paraissait assez mécontent.

Après la réception des princes et des ambassadeurs, Monsieur demanda au roi la permission de lui présenter, ainsi qu'à Madame, les personnes de sa maison nouvelle.

– Savez-vous, vicomte, demanda tout bas M. le prince à Raoul, si la maison a été formée par une personne de goût, et si nous aurons quelques visages assez propres?

– Je l'ignore absolument, monseigneur, répondit Raoul.

– Oh! vous jouez l'ignorance.

– Comment cela, monseigneur?

– Vous êtes l'ami de de Guiche, qui est des amis du prince.

– C'est vrai, monseigneur: mais la chose ne m'intéressant point, je n'ai fait aucune question à de Guiche, et, de son côté, de Guiche, n'étant point interrogé, ne s'est point ouvert à moi.

– Mais Manicamp?

– J'ai vu, il est vrai, M. de Manicamp au Havre et sur la route, mais j'ai eu soin d'être aussi peu questionneur vis-à-vis de lui que je l'avais été vis-à-vis de de Guiche. D'ailleurs, M. de Manicamp sait-il quelque chose de tout cela, lui qui n'est qu'un personnage secondaire?

– Eh! mon cher vicomte, d'où sortez-vous? dit le prince; mais ce sont les personnages secondaires qui, en pareille occasion, ont toute influence, et la preuve, c'est que presque tout s'est fait par la présentation de M. de Manicamp à de Guiche, et de Guiche à Monsieur.

– Eh bien! monseigneur, j'ignorais cela complètement, dit Raoul, et c'est une nouvelle que Votre Altesse me fait l'honneur de m'apprendre.

– Je veux bien vous croire, quoique ce soit incroyable, et d'ailleurs nous n'aurons pas longtemps à attendre: voici l'escadron volant qui s'avance, comme disait la bonne reine Catherine. Tudieu! les jolis visages!

Une troupe de jeunes filles s'avançait en effet dans la salle sous la conduite de Mme de Navailles, et nous devons le dire à l'honneur de Manicamp, si en effet il avait pris à cette élection la part que lui accordait le prince de Condé, c'était un coup d'oeil fait pour enchanter ceux qui, comme M. le prince, étaient appréciateurs de tous les genres de beauté.

Une jeune femme blonde, qui pouvait avoir vingt à vingt et un ans, et dont les grands yeux bleus dégageaient en s'ouvrant des flammes éblouissantes, marchait la première et fut présentée la première.

– Mlle de Tonnay-Charente, dit à Monsieur la vieille

Mme de Navailles.

Et Monsieur répéta en saluant Madame:

– Mlle de Tonnay-Charente.

– Ah! ah! celle-ci me paraît assez agréable, dit M. le prince en se retournant vers Raoul… Et d'une.

– En effet, dit Raoul, elle est jolie, quoiqu'elle ait l'air un peu hautain.

– Bah! nous connaissons ces airs-là, vicomte; dans trois mois elle sera apprivoisée; mais regardez donc, voici encore une beauté.

– Tiens, dit Raoul, et une beauté de ma connaissance même.

– Mlle Aure de Montalais, dit Mme de Navailles.

Nom et prénom furent scrupuleusement répétés par Monsieur.

– Grand Dieu! s'écria Raoul fixant des yeux effarés sur la porte d'entrée.

– Qu'y a-t-il? demanda le prince, et serait-ce Mlle Aure de

Montalais qui vous fait pousser un pareil grand Dieu?

– Non, monseigneur, non, répondit Raoul tout pâle et tout tremblant.

– Alors si ce n'est Mlle Aure de Montalais, c'est cette charmante blonde qui la suit. De jolis yeux, ma foi! un peu maigre, mais beaucoup de charme.

 

– Mlle de La Baume Le Blanc de La Vallière, dit Mme de Navailles.

À ce nom retentissant jusqu'au fond du coeur de Raoul, un nuage monta de sa poitrine à ses yeux.

De sorte qu'il ne vit plus rien et n'entendit plus rien; de sorte que M. le prince, ne trouvant plus en lui qu'un écho muet à ses railleries, s'en alla voir de plus près les belles jeunes filles que son premier coup d'oeil avait déjà détaillées.

– Louise ici! Louise demoiselle d'honneur de Madame! murmurait

Raoul.

Et ses yeux, qui ne suffisaient pas à convaincre sa raison, erraient de Louise à Montalais.

Au reste, cette dernière s'était déjà défaite de sa timidité d'emprunt, timidité qui ne devait lui servir qu'au moment de la présentation et pour les révérences.

Mlle de Montalais, de son petit coin à elle, regardait avec assez d'assurance tous les assistants, et, ayant retrouvé Raoul, elle s'amusait de l'étonnement profond où sa présence et celle de son amie avaient jeté le pauvre amoureux.

Cet oeil mutin, malicieux, railleur, que Raoul voulait éviter, et qu'il revenait interroger sans cesse, mettait Raoul au supplice. Quant à Louise, soit timidité naturelle, soit toute autre raison dont Raoul ne pouvait se rendre compte, elle tenait constamment les yeux baissés, et, intimidée? éblouie, la respiration brève, elle se retirait le plus qu'elle pouvait à l'écart, impassible même aux coups de coude de Montalais.

Tout cela était pour Raoul une véritable énigme dont le pauvre vicomte eût donné bien des choses pour savoir le mot. Mais nul n'était là pour le lui donner, pas même Malicorne, qui, un peu inquiet de se trouver avec tant de gentilshommes, et assez effaré des regards railleurs de Montalais, avait décrit un cercle, et peu à peu s'était allé placer à quelques pas de M. le prince, derrière le groupe des filles d'honneur, presque à la portée de la voix de Mlle Aure, planète autour de laquelle, humble satellite, il semblait graviter forcément. En revenant à lui, Raoul crut reconnaître à sa gauche des voix connues.

C'était, en effet, de Wardes, de Guiche et le chevalier de

Lorraine qui causaient ensemble.

Il est vrai qu'ils causaient si bas, qu'à peine si l'on entendait le souffle de leurs paroles dans la vaste salle.

Parler ainsi de sa place, du haut de sa taille, sans se pencher, sans regarder son interlocuteur, c'était un talent dont les nouveaux venus ne pouvaient atteindre du premier coup la sublimité. Aussi fallait-il une longue étude à ces causeries, qui, sans regards, sans ondulation de tête, semblaient la conversation d'un groupe de statues.

En effet, aux grands cercles du roi et des reines, tandis que Leurs Majestés parlaient et que tous paraissaient les écouter dans un religieux silence, il se tenait bon nombre de ces silencieux colloques dans lesquels l'adulation n'était point la note dominante.

Mais Raoul était un de ces habiles dans cette étude toute d'étiquette, et, au mouvement des lèvres, il eût pu souvent deviner le sens des paroles.

– Qu'est-ce que cette Montalais? demandait de Wardes. Qu'est-ce que cette La Vallière? Qu'est-ce que cette province qui nous arrive?

– La Montalais, dit le chevalier de Lorraine, je la connais: c'est une bonne fille qui amusera la cour. La Vallière, c'est une charmante boiteuse.

– Peuh! dit de Wardes.

– N'en faites pas fi, de Wardes; il y a sur les boiteuses des axiomes latins très ingénieux et surtout fort caractéristiques.

– Messieurs, messieurs, dit de Guiche en regardant Raoul avec inquiétude, un peu de mesure, je vous prie.

Mais l'inquiétude du comte, en apparence du moins, était inopportune.

Raoul avait gardé la contenance la plus ferme et la plus indifférente, quoiqu'il n'eût pas perdu un mot de ce qui venait de se dire. Il semblait tenir registre des insolences et des libertés des deux provocateurs pour régler avec eux son compte à l'occasion.

De Wardes devina sans doute cette pensée et continua:

– Quels sont les amants de ces demoiselles?

– De la Montalais? fit le chevalier.

– Oui, de la Montalais d'abord.

– Eh bien! vous? moi, de Guiche, qui voudra, pardieu!

– Et de l'autre?

– De Mlle de La Vallière?

– Oui.

– Prenez garde, messieurs, s'écria de Guiche pour couper court à la réponse du chevalier; prenez garde, Madame nous écoute.

Raoul enfonçait sa main jusqu'au poignet dans son justaucorps et ravageait sa poitrine et ses dentelles.

Mais justement cet acharnement qu'il voyait se dresser contre de pauvres femmes lui fit prendre une résolution sérieuse.

«Cette pauvre Louise, se dit-il à lui-même, n'est venue ici que dans un but honorable et sous une honorable protection; mais il faut que je connaisse ce but; il faut que je sache qui la protège.»

Et, imitant la manoeuvre de Malicorne, il se dirigea vers le groupe des filles d'honneur.

Bientôt la présentation fut terminée. Le roi, qui n'avait cessé de regarder et d'admirer Madame, sortit alors de la salle de réception avec les deux reines.

Le chevalier de Lorraine reprit sa place à côté de Monsieur, et, tout en l'accompagnant, il lui glissa dans l'oreille quelques gouttes de ce poison qu'il avait amassé depuis une heure, en regardant de nouveaux visages et en soupçonnant quelques coeurs d'être heureux. Le roi, en sortant, avait entraîné derrière lui une partie des assistants; mais ceux qui, parmi les courtisans, faisaient profession d'indépendance ou de galanterie, commencèrent à s'approcher des dames. M. le prince complimenta Mlle de Tonnay- Charente. Buckingham fit la cour à Mme de Chalais et à Mme de La Fayette, que déjà Madame avait distinguées et qu'elle aimait. Quant au comte de Guiche, abandonnant Monsieur depuis qu'il pouvait se rapprocher seul de Madame, il s'entretenait vivement avec Mme de Valentinois, sa soeur, et Mlles de Créquy et de Châtillon.

Au milieu de tous ces intérêts politiques ou amoureux, Malicorne voulait s'emparer de Montalais, mais celle-ci aimait bien mieux causer avec Raoul, ne fût-ce que pour jouir de toutes ses questions et de toutes ses surprises.

Raoul était allé droit à Mlle de La Vallière, et l'avait saluée avec le plus profond respect.

Ce que voyant, Louise rougit et balbutia; mais Montalais s'empressa de venir à son secours.

– Eh bien! dit-elle, nous voilà, monsieur le vicomte.

– Je vous vois bien, dit en souriant Raoul, et c'est justement sur votre présence que je viens vous demander une petite explication.

Malicorne s'approcha avec son plus charmant sourire.

– Éloignez-vous donc, monsieur Malicorne, dit Montalais. En vérité, vous êtes fort indiscret.

Malicorne se pinça les lèvres et fit deux pas en arrière sans dire un seul mot.

Seulement, son sourire changea d'expression, et, d'ouvert qu'il était, devint railleur.

– Vous voulez une explication, monsieur Raoul? demanda Montalais.

– Certainement, la chose en vaut bien la peine, il me semble;

Mlle de la Vallière fille d'honneur de Madame!

– Pourquoi ne serait-elle pas fille d'honneur aussi bien que moi? demanda Montalais.

– Recevez mes compliments, mesdemoiselles, dit Raoul, qui crut s'apercevoir qu'on ne voulait pas lui répondre directement.

– Vous dites cela d'un air fort complimenteur, monsieur le vicomte.

– Moi?

– Dame? j'en appelle à Louise.

– M. de Bragelonne pense peut-être que la place est au-dessus de ma condition, dit Louise en balbutiant.

– Oh! non pas, mademoiselle, répliqua vivement Raoul; vous savez très bien que tel n'est pas mon sentiment; je ne m'étonnerais pas que vous occupassiez la place d'une reine, à plus forte raison celle-ci. La seule chose dont je m'étonne, c'est de l'avoir appris aujourd'hui seulement et par accident.

– Ah! c'est vrai, répondit Montalais avec son étourderie ordinaire. Tu ne comprends rien à cela, et, en effet, tu n'y dois rien comprendre. M. de Bragelonne t'avait écrit quatre lettres, mais ta mère seule était restée à Blois; il fallait éviter que ces lettres ne tombassent entre ses mains; je les ai interceptées et renvoyées à M. Raoul, de sorte qu'il te croyait à Blois quand tu étais à Paris, et ne savait pas surtout que tu fusses montée en dignité.

– Eh quoi! tu n'avais pas fait prévenir M. Raoul comme je t'en avais priée? s'écria Louise.

– Bon! pour qu'il fit de l'austérité, pour qu'il prononçât des maximes, pour qu'il défît ce que nous avions eu tant de peine à faire? Ah! non certes.

– Je suis donc bien sévère? demanda Raoul.

– D'ailleurs, fit Montalais, cela me convenait ainsi. Je partais pour Paris, vous n'étiez pas là, Louise pleurait à chaudes larmes; interprétez cela comme vous voudrez; j'ai prié mon protecteur, celui qui m'avait fait obtenir mon brevet, d'en demander un pour Louise; le brevet est venu. Louise est partie pour commander ses habits; moi, je suis restée en arrière, attendu que j'avais les miens; j'ai reçu vos lettres, je vous les ai renvoyées en y ajoutant un mot qui vous promettait une surprise. Votre surprise, mon cher monsieur, la voilà; elle me paraît bonne, ne demandez pas autre chose.

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