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Le vicomte de Bragelonne, Tome II.

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Chapitre C – Les deux amies

À l'heure où M. de Baisemeaux montrait à Aramis les prisonniers de la Bastille, un carrosse s'arrêtait devant la porte de Mme de Bellière, et à cette heure encore matinale déposait au perron une jeune femme enveloppée de coiffes de soie.



Lorsqu'on annonça Mme Vanel à Mme de Bellière, celle-ci s'occupait ou plutôt s'absorbait à lire une lettre qu'elle cacha précipitamment.



Elle achevait à peine sa toilette du matin, ses femmes étaient encore dans la chambre voisine.



Au nom, au pas de Marguerite Vanel, Mme de Bellière courut à sa rencontre. Elle crut voir dans les yeux de son amie un éclat qui n'était pas celui de la santé ou de la joie.



Marguerite l'embrassa, lui serra les mains, lui laissa à peine le temps de parler.



– Ma chère, dit-elle, tu m'oublies donc? Tu es donc tout entière aux plaisirs de la cour?



– Je n'ai pas vu seulement les fêtes du mariage.



– Que fais-tu alors?



– Je me prépare à aller à Bellière.



– À Bellière!



– Oui.



– Campagnarde alors. J'aime à te voir dans ces dispositions. Mais tu es pâle.



– Non, je me porte à ravir.



– Tant mieux, j'étais inquiète. Tu ne sais pas ce qu'on m'avait dit?



– On dit tant de choses!



– Oh! celle-là est extraordinaire.



– Comme tu sais faire languir ton auditoire, Marguerite.



– M'y voici. C'est que j'ai peur de te fâcher.



– Oh! jamais. Tu admires toi-même mon égalité d'humeur.



– Eh bien! on dit que… Ah! vraiment, je ne pourrai jamais t'avouer cela.



– N'en parlons plus alors, fit Mme de Bellière, qui devinait une méchanceté sous ces préambules, mais qui cependant se sentait dévorée de curiosité.



– Eh bien! ma chère marquise, on dit que depuis quelque temps tu regrettes beaucoup moins M. de Bellière, le pauvre homme!



– C'est un mauvais bruit, Marguerite; je regrette et regretterai toujours mon mari; mais voilà deux ans qu'il est mort; je n'en ai que vingt-huit, et la douleur de sa perte ne doit pas dominer toutes les actions, toutes les pensées de ma vie. Je le dirais, que toi, toi, Marguerite, la femme par excellence, tu ne le croirais pas.



– Pourquoi? Tu as le coeur si tendre! répliqua méchamment



Mme Vanel.



– Tu l'as aussi, Marguerite, et je n'ai pas vu que tu te laissasses abattre par le chagrin quand le coeur était blessé.



Ces mots étaient une allusion directe à la rupture de Marguerite avec le surintendant. Ils étaient aussi un reproche voilé, mais direct, fait au coeur de la jeune femme.



Comme si elle n'eût attendu que ce signal pour décocher sa flèche,



Marguerite s'écria:



– Eh bien! Élise, on dit que tu es amoureuse.



Et elle dévora du regard Mme de Bellière, qui rougit sans pouvoir s'en empêcher.



– On ne se fait jamais faute de calomnier les femmes, répliqua la marquise après un instant de silence.



– Oh! on ne te calomnie pas, Élise



– Comment! on dit que je suis amoureuse, et on ne me calomnie pas?



– D'abord, si c'est vrai, il n'y a pas de calomnie, il n'y a que médisance; ensuite, car tu ne me laisses pas achever, le public ne dit pas que tu t'abandonnes à cet amour. Il te peint, au contraire, comme une vertueuse amante armée de griffes et de dents, te renfermant chez toi comme dans une forteresse, et dans une forteresse autrement impénétrable que celle de Danaé, bien que la tour de Danaé fût faite d'airain.



– Tu as de l'esprit, Marguerite, dit Mme de Bellière, tremblante.



– Tu m'as toujours flattée, Élise… Bref, on te dit incorruptible et inaccessible. Tu vois si l'on te calomnie… Mais à quoi rêves-tu pendant que je te parle?



– Moi?



– Oui, tu es toute rouge et toute muette.



– Je cherche, dit la marquise relevant ses beaux yeux brillant d'un commencement de colère, je cherche à quoi tu as pu faire allusion, toi, si savante dans la mythologie, en me comparant à Danaé.



– Ah! ah! fit Marguerite en riant, tu cherches cela?



– Oui; ne te souvient-il pas qu'au couvent, lorsque nous cherchions des problèmes d'arithmétique… Ah! c'est savant aussi ce que je vais te dire, mais à mon tour… Ne te souviens-tu pas que, si l'un des termes était donné, nous devions trouver l'autre? Cherche, alors, cherche.



– Mais je ne devine pas ce que tu veux dire.



– Rien de plus simple, pourtant. Tu prétends que je suis amoureuse, n'est ce pas?



– On me l'a dit.



– Eh bien! on ne dit pas que je sois amoureuse d'une abstraction.



Il y a un nom dans tout ce bruit?



– Certes, oui, il y a un nom.



– Eh bien! ma chère, il n'est pas étonnant que je doive chercher ce nom, puisque tu ne me le dis pas.



– Ma chère marquise, en te voyant rougir, je croyais que tu ne chercherais pas longtemps.



– C'est ton mot Danaé qui m'a surprise. Qui dit Danaé dit pluie d'or, n'est ce pas?



– C'est-à-dire que le Jupiter de Danaé se changea pour elle en pluie d'or.



– Mon amant alors… celui que tu me donnes…



– Oh! pardon; moi, je suis ton amie et ne te donne personne.



– Soit!.. mais les ennemis.



– Veux-tu que je te dise le nom?



– Il y a une demi-heure que tu me le fais attendre.



– Tu vas l'entendre. Ne t'effarouche pas, c'est un homme puissant.



– Bon!



La marquise s'enfonçait dans les mains ses ongles effilés, comme le patient à l'approche du fer.



– C'est un homme très riche, continua Marguerite, le plus riche peut-être. C'est enfin…



La marquise ferma un instant les yeux.



– C'est le duc de Buckingham, dit Marguerite en riant aux éclats.



La perfidie avait été calculée avec une adresse incroyable. Ce nom, qui tombait à faux à la place du nom que la marquise attendait, faisait bien l'effet sur la pauvre femme de ces haches mal aiguisées qui avaient déchiqueté, sans les tuer, MM. de Chalais et de Thou sur leurs échafauds.



Elle se remit pourtant.



– J'avais bien raison, dit-elle, de t'appeler une femme d'esprit; tu me fais passer un agréable moment. La plaisanterie est charmante… Je n'ai jamais vu M. de Buckingham.



– Jamais? fit Marguerite en contenant ses éclats.



– Je n'ai pas mis le pied hors de chez moi depuis que le duc est à Paris.



– Oh! reprit Mme Vanel en allongeant son pied mutin vers un papier qui frissonnait près de la fenêtre sur un tapis. On peut ne pas se voir, mais on s'écrit.



La marquise frémit. Ce papier était l'enveloppe de la lettre qu'elle lisait à l'entrée de son amie. Cette enveloppe était cachetée aux armes du surintendant.



En se reculant sur son sofa, Mme de Bellière fit rouler sur ce papier les plis épais de sa large robe de soie, et l'ensevelit ainsi.



– Voyons, dit-elle alors, voyons, Marguerite, est-ce pour me dire toutes ces folies que tu es venue de si bon matin?



– Non, je suis venue pour te voir d'abord et pour te rappeler nos anciennes habitudes si douces et si bonnes, tu sais, lorsque nous allions nous promener à Vincennes, et que, sous un chêne, dans un taillis, nous causions de ceux que nous aimions et qui nous aimaient.



– Tu me proposes une promenade.



– J'ai mon carrosse et trois heures de liberté.



– Je ne suis pas vêtue, Marguerite… et… si tu veux que nous causions, sans aller au bois de Vincennes, nous trouverions dans le jardin de l'hôtel un bel arbre, des charmilles touffues, un gazon semé de pâquerettes, et toute cette violette que l'on sent d'ici.



– Ma chère marquise, je regrette que tu me refuses… J'avais besoin d'épancher mon coeur dans le tien.



– Je te le répète, Marguerite, mon coeur est à toi, aussi bien dans cette chambre, aussi bien ici près, sous ce tilleul de mon jardin, que là-bas, sous un chêne dans le bois.



– Pour moi, ce n'est pas la même chose… En me rapprochant de Vincennes, marquise, je rapprochais mes soupirs du but vers lequel ils tendent depuis quelques jours.



La marquise leva tout à coup la tête.



– Cela t'étonne, n'est-ce pas… que je pense encore à Saint-



Mandé?



– À Saint-Mandé! s'écria Mme de Bellière.



Et les regards des deux femmes se croisèrent comme deux épées inquiètes au premier engagement du combat.



– Toi, si fière?.. dit avec dédain la marquise.



– Moi… si fière!.. répliqua Mme Vanel. Je suis ainsi faite… Je ne pardonne pas l'oubli, je ne supporte pas l'infidélité. Quand je quitte et qu'on pleure, je suis tentée d'aimer encore; mais, quand on me quitte et qu'on rit, j'aime éperdument.



Mme de Bellière fit un mouvement involontaire.



«Elle est jalouse», se dit Marguerite.



– Alors, continua la marquise, tu es éperdument éprise… de



M. de Buckingham… non, je me trompe… de M. Fouquet?



Elle sentit le coup, et tout son sang afflua sur son coeur.



– Et tu voulais aller à Vincennes… à Saint-Mandé même!



– Je ne sais ce que je voulais, tu m'eusses conseillée peut-être.



– En quoi?



– Tu l'as fait souvent.



– Certes, ce n'eût point été en cette occasion; car, moi, je ne pardonne pas comme toi. J'aime moins peut-être; mais quand mon coeur a été froissé, c'est pour toujours.



– Mais M. Fouquet ne t'a pas froissée, dit avec une naïveté de vierge Marguerite Vanel.



– Tu comprends parfaitement ce que je veux te dire. M. Fouquet ne m'a pas froissée; il ne m'est connu ni par faveur, ni par injure, mais tu as à te plaindre de lui. Tu es mon amie, je ne te conseillerais donc pas comme tu voudrais.



– Ah! tu préjuges?



– Les soupirs dont tu parlais sont plus que des indices.



– Ah! mais tu m'accables, fit tout à coup la jeune femme en rassemblant toutes ses forces comme le lutteur qui s'apprête à porter le dernier coup; tu ne comptes qu'avec mes mauvaises passions et mes faiblesses. Quant à ce que j'ai de sentiments purs et généreux, tu n'en parles point. Si je me sens entraînée en ce moment vers M. le surintendant, si je fais même un pas vers lui, ce qui est probable, je te le confesse, c'est que le sort de M. Fouquet me touche profondément, c'est qu'il est, selon moi, un des hommes les plus malheureux qui soient.

 



– Ah! fit la marquise en appuyant une main sur son coeur, il y a donc quelque chose de nouveau?



– Tu ne sais donc pas?



– Je ne sais rien, dit Mme de Bellière avec cette palpitation de l'angoisse qui suspend la pensée et la parole, qui suspend jusqu'à la vie.



– Ma chère, il y a d'abord que toute la faveur du roi s'est retirée de M. Fouquet pour passer à M. Colbert.



– Oui, on le dit.



– C'est tout simple, depuis la découverte du complot de Belle-Île



– On m'avait assuré que cette découverte de fortifications avait tourné à l'honneur de M. Fouquet.



Marguerite se mit à rire d'une façon si cruelle, que Mme de Bellière lui eût en ce moment plongé avec joie un poignard dans le coeur.



– Ma chère, continua Marguerite, il ne s'agit plus même de l'honneur de M. Fouquet; il s'agit de son salut. Avant trois jours, la ruine du surintendant est consommée.



– Oh! fit la marquise en souriant à son tour, c'est aller un peu vite.



– J'ai dit trois jours, parce que j'aime à me leurrer d'une espérance. Mais très certainement la catastrophe ne passera pas vingt-quatre heures.



– Et pourquoi?



– Par la plus humble de toutes les raisons: M. Fouquet n'a plus d'argent.



– Dans la finance, ma chère Marguerite, tel n'a pas d'argent aujourd'hui, qui demain fait rentrer des millions.



– Cela pouvait être pour M. Fouquet alors qu'il avait deux amis riches et habiles qui amassaient pour lui et faisaient sortir l'argent de tous les coffres; mais ces amis sont morts.



– Les écus ne meurent pas, Marguerite; ils sont cachés, on les cherche, on les achète et on les trouve.



– Tu vois en blanc et en rose, tant mieux pour toi. Il est bien fâcheux que tu ne sois pas l'égérie de M. Fouquet, tu lui indiquerais la source où il pourra puiser les millions que le roi lui a demandés hier.



– Des millions? fit la marquise avec effroi.



– Quatre… c'est un nombre pair.



– Infâme! murmura Mme de Bellière torturée par cette féroce joie…



– M. Fouquet a bien quatre millions, je pense, répliqua-t-elle courageusement.



– S'il a ceux que le roi lui demande aujourd'hui, dit Marguerite, peut-être n'aura-t-il pas ceux que le roi lui demandera dans un mois.



– Le roi lui redemandera de l'argent?



– Sans doute, et voilà pourquoi je te dis que la ruine de ce pauvre M, Fouquet devient infaillible. Par orgueil, il fournira de l'argent, et, quand il n'en aura plus, il tombera.



– C'est vrai, dit la marquise en frissonnant; le plan est fort…



Dis-moi, M. Colbert hait donc bien M. Fouquet?



– Je crois qu'il ne l'aime pas… Or, c'est un homme puissant que M. Colbert; il gagne à être vu de près; des conceptions gigantesques, de la volonté, de la discrétion; il ira loin.



– Il sera surintendant?



– C'est probable… Voilà pourquoi, ma bonne marquise, je me sentais émue en faveur de ce pauvre homme qui m'a aimée, adorée même; voilà pourquoi, le voyant si malheureux, je lui pardonnais son infidélité… dont il se repent, j'ai lieu de le croire; voilà pourquoi je n'eusse pas été éloignée de lui porter une consolation, un bon conseil; il aurait compris ma démarche et m'en aurait su gré. C'est doux d'être aimée, vois-tu. Les hommes apprécient fort l'amour quand ils ne sont pas aveuglés par la puissance.



La marquise, étourdie, écrasée par ces atroces attaques, calculées avec la justesse et la précision d'un tir d'artillerie, ne savait plus comment répondre; elle ne savait plus comment penser.



La voix de la perfide avait pris les intonations les plus affectueuses; elle parlait comme une femme et cachait les instincts d'une panthère.



– Eh bien! dit Mme de Bellière, qui espéra vaguement que Marguerite cessait d'accabler l'ennemi vaincu; eh bien! que n'allez-vous trouver M. Fouquet?



– Décidément, marquise, tu m'as fait réfléchir. Non, il serait inconvenant que je fisse la première démarche. M. Fouquet m'aime sans doute, mais il est trop fier. Je ne puis m'exposer à un affront… J'ai mon mari, d'ailleurs, à ménager. Tu ne me dis rien. Allons! je consulterai là-dessus M. Colbert.



Elle se leva en souriant comme pour prendre congé. La marquise n'eut pas la force de l'imiter.



Marguerite fit quelques pas pour continuer à jouir de l'humiliante douleur où sa rivale était plongée; puis soudain:



– Tu ne me reconduis pas? dit-elle.



La marquise se leva, pâle et froide, sans s'inquiéter davantage de cette enveloppe qui l'avait si fort préoccupée au commencement de la conversation et que son premier pas laissa à découvert.



Puis elle ouvrit la porte de son oratoire, et, sans même retourner la tête du côté de Marguerite Vanel, elle s'y enferma.



Marguerite prononça ou plutôt balbutia trois ou quatre paroles que



Mme de Bellière n'entendit même pas.



Mais, aussitôt que la marquise eut disparu, son envieuse ennemie ne put résister au désir de s'assurer que ses soupçons étaient fondés; elle s'allongea comme une panthère et saisit l'enveloppe.



– Ah! dit-elle en grinçant des dents, c'était bien une lettre de



M. Fouquet qu'elle lisait quand je suis arrivée!



Et elle s'élança, à son tour, hors de la chambre.



Pendant ce temps, la marquise, arrivée derrière le rempart de sa porte, sentait qu'elle était au bout de ses forces; un instant elle resta roide, pâle et immobile comme une statue; puis, comme une statue qu'un vent d'orage ébranle sur sa base, elle chancela et tomba inanimée sur le tapis.



Le bruit de sa chute retentit en même temps que retentissait le roulement de la voiture de Marguerite sortant de l'hôtel.



Chapitre CI – L'argenterie de Mme de Bellière

Le coup avait été d'autant plus douloureux qu'il était inattendu; la marquise fut donc quelque temps à se remettre; mais, une fois remise, elle se prit aussitôt à réfléchir sur les événements tels qu'ils s'annonçaient.



Alors elle reprit, dût sa vue se briser encore en chemin, cette ligne d'idées que lui avait fait suivre son implacable amie.



Trahison, puis noires menaces voilées sous un semblant d'intérêt public, voilà pour les manoeuvres de Colbert.



Joie odieuse d'une chute prochaine, efforts incessants pour arriver à ce but, séductions non moins coupables que le crime lui- même: voilà ce que Marguerite mettait en oeuvre.



Les atomes crochus de Descartes triomphaient; à l'homme sans entrailles s'était unie la femme sans coeur.



La marquise vit avec tristesse, encore plus qu'avec indignation, que le roi trempât dans un complot qui décelait la duplicité de Louis XIII déjà vieux, et l'avarice de Mazarin lorsqu'il n'avait pas encore eu le temps de se gorger de l'or français. Mais bientôt l'esprit de cette courageuse femme reprit toute son énergie et cessa de s'arrêter aux spéculations rétrogrades de la compassion.



La marquise n'était point de ceux qui pleurent quand il faut agir et qui s'amusent à plaindre un malheur qu'ils ont moyen de soulager.



Elle appuya, pendant dix minutes à peu près, son front dans ses mains glacées; puis, relevant le front, elle sonna ses femmes d'une main ferme et avec un geste plein d'énergie.



Sa résolution était prise.



– A-t-on tout préparé pour mon départ? demanda-t-elle à une de ses femmes qui entrait.



– Oui, madame; mais on ne comptait pas que Madame la marquise dût partir pour Bellière avant trois jours.



– Cependant tout ce qui est parures et valeurs est en caisse?



– Oui, madame; mais nous avons l'habitude de laisser tout cela à Paris; Madame, ordinairement, n'emporte pas ses pierreries à la campagne.



– Et tout cela est rangé, dites-vous?



– Dans le cabinet de Madame.



– Et l'orfèvrerie?



– Dans les coffres.



– Et l'argenterie?



– Dans la grande armoire de chêne.



La marquise se tut; puis, d'une voix tranquille:



– Que l'on fasse venir mon orfèvre, dit-elle.



Les femmes disparurent pour exécuter l'ordre.



Cependant la marquise était entrée dans son cabinet, et, avec le plus grand soin, considérait ses écrins.



Jamais elle n'avait donné pareille attention à ces richesses qui font l'orgueil d'une femme; jamais elle n'avait regardé ces parures que pour les choisir selon leurs montures ou leurs couleurs. Aujourd'hui elle admirait la grosseur des rubis et la limpidité des diamants; elle se désolait d'une tache, d'un défaut; elle trouvait l'or trop faible et les pierres misérables.



L'orfèvre la surprit dans cette occupation lorsqu'il arriva.



– Monsieur Faucheux, dit-elle, vous m'avez fourni mon orfèvrerie, je crois?



– Oui, madame la marquise.



– Je ne me souviens plus à combien se montait la note.



– De la nouvelle, madame, ou de celle que M. de Bellière vous donna en vous épousant? Car j'ai fourni les deux.



– Eh bien! de la nouvelle, d'abord.



– Madame, les aiguières, les gobelets et les plats avec leurs étuis, le surtout et les mortiers à glace, les bassins à confitures et les fontaines ont coûté à Madame la marquise soixante mille livres.



– Rien que cela, mon Dieu?



– Madame trouva ma note bien chère…



– C'est vrai! c'est vrai! Je me souviens qu'en effet c'était cher; le travail, n'est-ce pas?



– Oui, madame: gravures, ciselures, formes nouvelles.



– Le travail entre pour combien dans le prix? N'hésitez pas.



– Un tiers de la valeur, madame. Mais…



– Nous avons encore l'autre service, le vieux, celui de mon mari?



– Oh! madame, il est moins ouvré que celui dont je vous parle. Il ne vaut que trente mille livres, valeur intrinsèque.



– Soixante-dix! murmura la marquise. Mais, monsieur Faucheux, il y a encore l'argenterie de ma mère; vous savez, tout ce massif dont je n'ai pas voulu me défaire à cause du souvenir?



– Ah! madame, par exemple, c'est là une fameuse ressource pour des gens qui, comme Madame la marquise, ne seraient pas libres de garder leur vaisselle. En ce temps, madame, on ne travaillait pas léger comme aujourd'hui. On travaillait dans des lingots. Mais cette vaisselle n'est plus présentable; seulement, elle pèse.



– Voilà tout, voilà tout ce qu'il faut. Combien pèse-t-elle?



– Cinquante mille livres, au moins. Je ne parle pas des énormes vases de buffet qui, seuls, pèsent cinq mille livres d'argent: soit dix mille livres les deux.



– Cent trente! murmura la marquise. Vous êtes sûr de ces chiffres, monsieur Faucheux?



– Sûr, madame. D'ailleurs, ce n'est pas difficile à peser.



– Les quantités sont écrites sur mes livres.



– Oh! vous êtes une femme d'ordre, madame la marquise.



– Passons à autre chose, dit Mme de Bellière.



Et elle ouvrit un écrin.



– Je reconnais ces émeraudes, dit le marchand, c'est moi qui les ai fait monter; ce sont les plus belles de la cour; c'est-à-dire, non: les plus belles sont à Mme de Châtillon; elles lui viennent de MM. de Guise; mais les vôtres, madame, sont les secondes.



– Elles valent?



– Montées?



– Non; supposez qu'on voulût les vendre.



– Je sais bien qui les achèterait! s'écria M. Faucheux.



– Voilà précisément ce que je vous demande. On les achèterait donc?



– On achèterait toutes vos pierreries, madame; on sait que vous avez le plus bel écrin de Paris. Vous n'êtes pas de ces femmes qui changent; quand vous achetez, c'est du beau; lorsque vous possédez, vous gardez.



– Donc, on paierait ces émeraudes?



– Cent trente mille livres.



La marquise écrivit sur des tablettes, avec un crayon, le chiffre cité par l'orfèvre.



– Ce collier de rubis? dit-elle.



– Des rubis balais?



– Les voici.



– Ils sont beaux, ils sont superbes. Je ne vous connaissais pas ces pierres, madame.



– Estimez.



– Deux cent mille livres. Celui du milieu en vaut cent à lui seul.



– Oui, oui, c'est ce que je pensais, dit la marquise. Les diamants, les diamants! oh! j'en ai beaucoup: bagues, chaînes, pendants et girandoles, agrafes, ferrets! Estimez, monsieur Faucheux, estimez.



L'orfèvre prit sa loupe, ses balances, pesa, lorgna, et tout bas, faisant son addition:



– Voilà des pierres, dit-il, qui coûtent à Madame la marquise quarante mille livres de rente.



– Vous estimez huit cent mille livres?..



– À peu près.



– C'est bien ce que je pensais. Mais les montures sont à part.



– Comme toujours, madame, si j'étais appelé à vendre ou à acheter, je me contenterais, pour bénéfice, de l'or seul de ces montures; j'aurais encore vingt-cinq bonnes mille livres.

 



– C'est joli!



– Oui, madame, très joli.



– Acceptez-vous le bénéfice à la condition de faire argent comptant des pierreries?



– Mais, madame! s'écria l'orfèvre effaré, vous ne vendez pas vos diamants, je suppose?



– Silence, monsieur Faucheux, ne vous inquiétez pas de cela, rendez-moi seulement réponse. Vous êtes honnête homme, fournisseur de ma maison depuis trente ans, vous avez connu mon père et ma mère, que servaient votre père et votre mère. Je vous parle comme à un ami; acceptez-vous l'or des montures contre une somme comptant que vous verserez entre mes mains?



– Huit cent mille livres! mais c'est énorme!



– Je le sais.



– Impossible à trouver!



– Oh! que non.



– Mais madame, songez à l'effet que ferait, dans le monde, le bruit d'une vente de vos pierreries!



– Nul ne le saurait… Vous me ferez fabriquer autant de parures fausses semblables aux fines. Ne répondez rien je le veux. Vendez en détail, vendez seulement les pierres.



– Comme cela, c'est facile… Monsieur cherche des écrins, des pierres nues pour la toilette de Madame. Il y a concours. Je placerai facilement chez Monsieur pour six cent mille livres. Je suis sûr que les vôtres sont les plus belles.



– Quand cela?



– Sous trois jours.



– Eh bien! le reste, vous le placerez à des particuliers; pour le présent, faites-moi un contrat de vente garanti… paiement sous quatre jours.



– Madame, madame, réfléchissez, je vous en conjure… Vous perdrez là cent mille livres, si vous vous hâtez.



– J'en perdrai deux cent mille s'il le faut. Je veux que tout soit fait ce soir. Acceptez-vous?



– J'accepte, madame la marquise… Je ne dissimule pas que je gagnerai à cela cinq mille pistoles.



– Tant mieux! comment aurai-je l'argent?



– En or ou en billets de la Banque de Lyon, payables chez



M. Colbert.



– J'accepte, dit vivement la marquise; retournez chez vous et apportez vite la somme en billets, entendez-vous?



– Oui, madame; mais, de grâce…



– Plus un mot, monsieur Faucheux. À propos, l'argenterie, que j'oubliais… Pour combien en ai-je?



– Cinquante mille livres, madame.



– C'est un million, se dit tout bas la marquise. Monsieur Faucheux, vous ferez prendre aussi l'orfèvrerie et l'argenterie avec toute la vaisselle. Je prétexte une refonte pour des modèles plus à mon goût… Fondez, dis-je, et rendez-moi la valeur en or… sur-le-champ.



– Bien, madame la marquise.



– Vous mettrez cet or dans un coffre; vous ferez accompagner cet or d'un de vos commis et sans que mes gens le voient; ce commis m'attendra dans un carrosse.



– Celui de Mme Faucheux? dit l'orfèvre.



– Si vous le voulez, je le prendrai chez vous.



– Oui, madame la marquise.



– Prenez trois de mes gens pour porter chez vous l'argenterie.



– Oui, madame.



La marquise sonna.



– Le fourgon, dit-elle, à la disposition de M. Faucheux.



L'orfèvre salua et sortit en commandant que le fourgon le suivit de près et en annonçant, lui-même, que la marquise faisait fondre sa vaisselle pour en avoir de plus nouvelle.



Trois heures après, elle se rendait chez M. Faucheux et recevait de lui huit cent mille livres en billets de la Banque de Lyon, deux cent cinquante mille livres en or, enfermées dans un coffre que portait péniblement un commis jusqu'à la voiture de Mme Faucheux.



Car Mme Faucheux avait un coche. Fille d'un président des comptes, elle avait apporté trente mille écus à son mari, syndic des orfèvres. Les trente mille écus avaient fructifié depuis vingt ans. L'orfèvre était millionnaire et modeste. Pour lui, il avait fait l'emplette d'un vénérable carrosse, fabriqué en 1648, dix années après la naissance du roi. Ce carrosse, ou plutôt cette maison roulante, faisait l'admiration du quartier; elle était couverte de peintures allégoriques et de nuages semés d'étoiles d'or et d'argent doré.



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