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Leçons d'histoire

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En ouvrant le premier, l'on trouve pour précepte qu'il faut être né historien; l'on est étonné d'une semblable phrase dans le frère de Condillac; mais Condillac, aimable et doux, analysait; Mably, roide et âpre, jugeait et tranchait. Il veut ensuite, avec plus de raison, que ses disciples aient étudié la politique, dont il distingue deux espèces: l'une fondée sur les lois que la nature a établies, pour procurer aux hommes le bonheur, c'est-à-dire celle qui est le véritable droit naturel; l'autre, ouvrage des hommes, droit variable et conventionnel, produit des passions, de l'injustice, de la force, dont il ne résulte que de faux biens et de grands revers. La première donnera à l'historien des idées saines de la justice, des rapports des hommes, des moyens de les rendre heureux; la seconde lui fera connaître la marche habituelle des affaires humaines; il apprendra à calculer leurs mouvements, à prévoir les effets, et à éviter les revers dans ces préceptes et dans quelques autres semblables, Mably est plus développé, plus instructif que Lucien; mais il est fâcheux qu'il n'en ait imité ni l'ordre ni la clarté, ni surtout la gaieté. Tout son ouvrage respire une morosité sombre et mécontente; aucun moderne ne trouve grace devant lui: il n'y a de parfait que les anciens; il se passionne pour eux, et cependant il préfère Grotius, dans son Histoire des Pays-Bas, à Tacite. Tacite, dit-il, n'a tiré aucune leçon du règne de Tibère: son pinceau est fort, son instruction nulle; à sa manière de peindre la conduite des Romains envers les peuples dits barbares, l'on a de justes raisons de douter de sa philosophie. Mably ne voit, ne connaît de beau, d'admirable, que l'Histoire romaine de Tite-Live, qu'une juste critique a droit d'appeler un roman; et comme il en a eu l'aperçu, il voudrait en retrancher une foule de morceaux qui le chagrinent. Il aime les harangues que les acteurs de l'histoire n'ont jamais faites; il vante Bossuet pour avoir présenté un grand tableau dramatique, et il maltraite Voltaire jusqu'à la grossièreté, pour avoir dit que l'histoire n'était qu'un roman probable, bon seulement quand il peut devenir utile. L'on ne peut le dissimuler, l'ouvrage de Mably, diffus et redondant, écrit sans style, sans méthode, n'est point digne de l'auteur des Observations sur l'Histoire de France: il n'a point cette concision didactique qui devait être son principal mérite, et qui, à la vérité, manque aussi à Lucien. Les cent quatre-vingts pages de Mably se réduiraient facilement à vingt bonnes pages de préceptes: l'on gagnerait huit neuvièmes de temps, et l'on s'épargnerait tout le chagrin de sa bilieuse satire. Ne lui en faisons cependant pas un crime, puisqu'elle faisait son tourment. On ne naît pas historien, mais on naît gai ou morose, et malheureusement la culture des lettres, la vie sédentaire, les études opiniâtres, les travaux d'esprit, ne sont propres qu'à épaissir la bile, qu'à obstruer les entrailles, qu'à troubler les fonctions de l'estomac, siéges immuables de toute gaieté et de tout chagrin. On blâme les gens de lettres, on devrait les plaindre: on leur reproche des passions, elles font leur talent, et l'on en recueille les fruits: ils n'ont qu'un tort, celui de s'occuper plus des autres, que d'eux-mêmes; d'avoir jusqu'à ce jour trop négligé la connaissance physique de leur corps, de cette machine animée par laquelle ils vivent; et d'avoir méconnu les lois de la physiologie et de la diététique, sciences fondamentales de nos affections. Cette étude conviendrait surtout aux écrivains d'histoires personnelles, et leur donnerait un genre d'utilité aussi important que nouveau; car, si un observateur, à la fois moraliste et physiologiste, étudiait les rapports qui existent entre les dispositions de son corps et les situations de son esprit; s'il examinait avec soin, à quels jours, à quelles heures il a de l'activité dans la pensée, ou de la langueur, de la chaleur dans le sentiment, ou de la roideur et de la dureté, de la verve ou de l'abattement, il s'apercevrait que ces phases ordinairement périodiques de l'esprit, correspondent à des phases également périodiques du corps, à des digestions lentes ou faciles, bonnes ou mauvaises, à des aliments doux ou âcres, stimulants ou calmants, dont certaines liqueurs en particulier, telles que le vin et le café, offrent des exemples frappants; à des transpirations arrêtées ou précipitées: il se convaincrait, en un mot, que le jeu bien ou mal réglé de la machine corporelle est le puissant régulateur du jeu de l'organe pensant; que, par conséquent, ce qu'on appelle vice d'esprit ou de caractère, n'est bien souvent que vice de tempérament ou de fonctions, qui, pour être corrigé, n'aurait besoin que d'un bon régime; et il résulterait d'un tel travail, bien fait et bien présenté, cette utilité, que, nous montrant dans des habitudes physiques la cause de bien des vices et de bien des vertus, il nous fournirait des règles précieuses de conduite, applicables selon les tempéraments, et qu'il nous porterait à un esprit d'indulgence, qui, dans ces hommes que l'on appelle acariâtres et intolérants, ne nous ferait voir ordinairement que des hommes malades ou mal constitués, qu'il faut envoyer aux eaux minérales.

SIXIÈME SÉANCE

Continuation du même sujet.—Distinction de quatre méthodes de composer l'histoire: 1º par ordre de temps (les annales et chroniques); 2º par ordre dramatique ou systématique; 3º par ordre de matières; 4º par ordre analytique, ou philosophique.—Développement de ces diverses méthodes; supériorité de la dernière: ses rapports avec la politique et la législation.—Elle n'admet que des faits constatés, et ne peut convenir qu'aux temps modernes.—Les temps anciens ne seront jamais que probables: nécessité d'en refaire l'histoire sous ce rapport.—Plan d'une société littéraire pour recueillir dans toute l'Europe les monuments anciens.—Combien de préjugés seraient détruits, si l'on connaissait leur origine—Influence des livres historiques sur la conduite des gouvernements, sur le sort des peuples.—Effet des livres juifs sur l'Europe.—Effet des livres grecs et romains introduits dans l'éducation.—Conclusion.

LUCIEN a traité des qualités nécessaires à l'historien, et du style convenable à l'histoire; Mably a ajouté des observations sur les connaissances accessoires et préparatoires qu'exige ce genre de composition, et il les a presque réduites au droit des gens, soit naturel, soit factice et conventionnel, dont il faisait son étude favorite et spéciale. Le sujet ne me paraissant pas à beaucoup près épuisé, je vais joindre aux préceptes de ces deux auteurs, quelques aperçus sur l'art de recueillir et de présenter les faits de l'histoire.

Je conçois quatre manières différentes de traiter et de composer l'histoire: la première, par ordre de temps, que j'appelle méthode didactique ou annaliste; la seconde par liaison et corrélation de faits, et que j'appelle méthode dramatique ou systématique; la troisième par ordre de matières; et la quatrième par l'exposition analytique de tout le système physique et moral d'un peuple: je l'appelle méthode analytique et philosophique; je m'explique.

La première méthode par ordre de temps, consiste à rassembler et à classer les événements selon leurs dates, en ne mêlant à un narré pur et simple que peu ou point de réflexions. Ceux qui appellent naturel tout ce qui est brut et sans art, pourront donner ce nom à cette méthode; mais ceux qui, dans toute production, voient toujours la main de la nature, avec la seule différence du plus ou du moins de combinaison, ceux-là diront que cette méthode est la plus simple, la moins compliquée, exigeant le moins de soins de composition; aussi paraît-elle être la première usitée chez toutes les nations, sous le nom d'annales et de chroniques: et cependant, sous cette forme modeste, elle s'est quelquefois élevée à un assez haut degré de mérite, lorsque les écrivains on su, comme Tacite dans ses Annales, et comme Thucydides dans sa Guerre du Péloponèse, choisir des faits intéressants, et joindre à la correction du tableau les couleurs brillantes et fermes de l'expression: si, au contraire, les écrivains admettant des faits sans critique, les entassent pêle-mêle et sans goût, s'ils les réduisent à des événements sommaires et stériles, de règnes, de princes, de morts, de guerres, de combats, de pestes, de famines, comme l'ont fait presque tous les historiens de l'Asie ancienne et moderne, et ceux du bas et moyen âge de l'Europe, il faut convenir qu'alors ce genre de composition, privé d'instruction et de vie, a toute la fadeur, et comporte l'idée de mépris qu'on attache vulgairement au nom de chroniques. Ce n'est plus qu'un canevas grossier à qui manque toute sa broderie; et dans tous les cas, même lorsque les matériaux sont bien choisis et complets, ce travail n'est que le premier pas à tous les autres genres d'histoire, dont il est seulement le portefeuille et le magasin.

La seconde méthode, celle que j'appelle dramatique ou systématique, consiste à faire entrer, dans un cours de narration prédominant et fondamental, toutes les narrations accessoires, tous les événements latéraux qui viennent se lier et se confondre au principal événement. Nous avons un exemple caractérisé de cette méthode dans l'Histoire d'Hérodote, qui, ayant pris pour base de son texte la guerre des Perses contre les Grecs, en a tellement compassé les incidents, que, remontant d'abord à l'origine des deux peuples acteurs principaux, il suit la formation graduée de leur puissance dans tous les rameaux qui vinrent s'y confondre, comme un géographe suit et reprend à leur origine tous les cours d'eau qui se rendent dans un torrent principal. Par une série habile d'incidents, Hérodote fait connaître à son lecteur les Lydiens, les Mèdes, les Babyloniens soumis par Cyrus au joug des montagnards perses; puis les Égyptiens conquis par Cambyses, puis les Scythes attaqués par Darius, puis les Indiens; et à l'occasion des Indiens, il jette un coup d'œil général sur les extrémités du monde connu de son temps; enfin il revient à son objet dominant, qu'il termine par l'événement capital, la glorieuse victoire des petits peuples grecs, combattant à Salamine et aux Thermopyles contre l'immense cohue de Xercès. Dans cette méthode de composition, tout est à la disposition de l'auteur; tout dépend de son art et de son talent à lier, à suspendre, à combiner ses sujets, à en faire un tout correspondant en toutes ses parties: c'est ce que je désigne par le terme de systématique; et si l'historien borne sa course à un événement qui est la solution de tout ce qui a précédé et qui en termine la série, l'accroissement graduel d'intérêt que ses épisodes et ses suspensions ont su ménager, donne réellement à son sujet le caractère dramatique. C'est éminemment le genre des histoires de conjurations, où tout aboutit à un nœud final et résolutif. Ces avantages divers et variés de liberté dans la marche, de hardiesse dans l'exécution, d'agrément dans les détails, d'attrait de curiosité dans les résultats, paraissent avoir mérité la préférence à cette méthode auprès de la plupart des écrivains, surtout les modernes; il est fâcheux que par compensation elle ait l'inconvénient d'être sujette à erreur, en laissant trop de carrière aux hypothèses et à l'imagination. Nous en avons des exemples brillants dans les révolutions de Portugal, de Suède et de Rome, par Vertot, et dans un nombre infini d'autres histoires moins bien écrites.

 

La troisième méthode, celle par ordre de matières, consiste à suivre un sujet quelconque d'art, de science, depuis son origine ou depuis une époque donnée, pour le considérer sans distraction dans sa marche et dans ses progrès. Tel a voulu être l'ouvrage de Goguet, intitulé: De l'origine des lois, des arts et des sciences; le choix du sujet ne pouvait pas être plus philosophique; malheureusement la manière de le traiter ne pouvait pas l'être moins. Avant d'établir l'origine des lois, des arts, des sciences et de toute société au déluge de Noé, raconté par la Genèse, il eût fallu bien examiner si, par cette base même, on ne renversait pas tout l'édifice de l'histoire: si, en admettant des faits primitifs, contraires à toute probabilité, à toute physique et à la concordance des meilleurs monuments de l'antiquité, l'on ne s'ôtait pas la faculté d'invoquer ces mêmes règles de physique et de probabilité, qui constituent l'art de la critique et de l'analyse; il eût fallu constater que la Genèse n'est pas une compilation de main inconnue, faite au retour de la captivité, où l'on a mêlé aux chroniques nationales une cosmogonie purement chaldéenne, dont Bérose cite l'équivalent; une véritable mythologie de la nature de celles de toutes les nations, où des faits astronomiques défigurés sont pris pour des faits politiques ou physiques, et où la prétendue histoire de la terre n'est que l'histoire du calendrier. Cela même eût-il été prouvé, il serait encore ridicule de prendre pour texte la période hébraïque depuis le déluge jusqu'à Jacob, et de n'user, pour la remplir, que de faits égyptiens, syriens, chaldéens, grecs, indiens et chinois, qui, s'ils étaient bien analysés et comparés, prouveraient que les bois sacrés, que les hauts lieux plantés de chênes à Mambré, que les sacrifices humains dont Isaac faillit d'être victime, que les petites idoles des femmes de Jacob, étaient autant d'usages du culte druïdique et tartare, dès lors répandu des colonnes d'Hercule jusqu'à la Sérique, culte qui n'est que le système du buddisme, ancien ou moderne lamisme, dont le siége était dès lors au Thibet, chez ces Brachmanes réputés de toute l'antiquité les pères de la théologie asiatique. Avec plus de critique et plus de profondeur, un ouvrage du genre qui nous occupe, a traité de ces antiquités; je parle de l'Astronomie ancienne, par Bailly, dont les talents et la vertu ont reçu de la révolution un salaire qui ne sera pas une des moindres taches de cette sanglante époque. Je citerai encore comme histoires par ordre de matières propres à servir de modèle, l'Histoire d'Angleterre, par le docteur Henry; les Recherches de Robertson sur le commerce de l'Inde; l'Histoire des finances de France, par Forbonnais; l'Histoire du fatalisme, par Pluquet, qui, avec son Dictionnaire des hérésies, a préparé le plus beau sujet d'une autre histoire de même genre, l'Histoire du fanatisme. De tous les sujets que l'on peut traiter, il n'en est point qui réunisse plus éminemment le caractère historique à celui de la philosophie, puisque, dans ses causes et dans ses effets, le fanatisme embrasse d'une part la théorie des sensations, des jugements, de la certitude, de la persuasion commune à l'erreur comme à la vérité; de cette double disposition de l'esprit, qui, tantôt passif et crédule, reçoit le joug en esclave, et tantôt actif et convertisseur, impose le joug en tyran; et que d'autre part il offre à considérer chez toutes les nations les symptômes effrayants d'une maladie de l'esprit, qui, s'appliquant tantôt aux opinions, tantôt aux personnes, et prenant tour à tour des noms religieux, politiques et moraux, est toujours la même dans sa nature comme dans ses résultats, qui sont, la fureur des discordes civiles, le carnage des guerres intestines ou étrangères, la dissolution de l'ordre social par l'esprit de faction, et le renversement des empires par le délire de l'ignorance et de la présomption.

La quatrième méthode que j'appelle analytique ou philosophique, est la même que la précédente, quant à la manière de procéder; mais elle en diffère, en ce qu'au lieu de traiter un sujet d'art, de science ou de passion, etc., elle embrasse un corps politique dans toutes ses parties; c'est-à-dire que, s'attachant à un peuple, à une nation, considérés comme individus identiques, elle les suit pas à pas dans toute la durée de leur existence physique et morale, avec cette circonstance caractéristique, que d'abord elle pose en ordre tous les faits de cette existence, pour chercher ensuite à déduire de leur action réciproque les causes et les effets de l'origine, des progrès et de la décadence de ce genre de combinaison morale, que l'on appelle corps politique et gouvernement: c'est en quelque sorte l'histoire biographique d'un peuple, et l'étude physiologique des lois d'accroissement et de décroissement de son corps social. Je ne puis citer aucun modèle de mon idée, parce que je ne connais aucun ouvrage qui ait été fait et dirigé sur le plan que je conçois: c'est un genre neuf dont moi-même je n'ai acquis l'idée bien complète, que depuis quelques années. Obligé de chercher une méthode pour rédiger mon voyage en Syrie, je fus conduit, comme par instinct, à établir d'abord l'état physique du pays, à faire connaître ces circonstances de sol et de climat si différents du nôtre, sans lesquels l'on ne pouvait bien entendre une foule d'usages, de coutumes et de lois. Sur cette base, comme sur un canevas, vint se ranger la population, dont j'eus à considérer les diverses espèces, à rappeler l'origine, et à suivre la distribution: cette distribution amena l'état politique considéré dans la forme du gouvernement, dans l'ordre d'administration, dans la source des lois, dans leurs instruments et moyens d'exécution. Arrivé aux articles des mœurs, du caractère, des opinions religieuses et civiles, je m'aperçus que sur un même sol, il existait tantôt des contrastes de secte à secte et de race à race, et tantôt des points de ressemblance communs. Le problème se compliquait, et plus je le sondai, plus j'en aperçus l'étendue et la profondeur. L'autorité de Montesquieu vint se montrer pour le résoudre par une règle générale de climat, qui associait constamment la chaleur, la mollesse et la servilité d'une part; et de l'autre, le froid, l'énergie et la liberté; mais l'autorité de Montesquieu fut contrariée par une foule de faits passés, et par des faits existants qui m'offraient sous un même ciel, dans un espace de moins de quatre degrés, trois caractères entièrement opposés. Je résistai donc à l'empire d'un grand nom, et j'y pus résister d'autant mieux, que déja je trouvais Buffon visiblement en erreur sur les prétendus épuisements du sol à qui je voyais toute la fertilité qu'il a jamais pu avoir; à l'égard de Montesquieu, il me devint évident par le vague de ses expressions, qu'il n'avait fait qu'adopter, et même qu'altérer une opinion que des philosophes anciens, et particulièrement Hippocrate, avaient énoncée dans un sens beaucoup plus précis et plus vrai. Je connaissais le célèbre traité de cet observateur sur les airs, les lieux et les eaux. J'avais constaté la justesse de ses assertions à l'égard de l'influence qu'exercent ces trois éléments sur la constitution et le tempérament. Je m'étais aperçu qu'une quantité d'habitudes physiques et morales des peuples que j'étudiais, étaient calquées sur l'état d'un sol aride ou marécageux, plane ou montueux, désert ou fertile; sur la qualité, la quantité de leurs aliments: je conçus que toutes ces circonstances entraient, comme autant de données, dans la solution du problème, et depuis ce temps je n'ai cessé de m'occuper de cette importante question: «Quelle influence exerce sur les mœurs et le caractère d'un peuple, l'état physique de son sol, considéré dans toutes les circonstances de froid ou de chaud, de sec ou d'humide, de plaine ou de montagne, de fertile ou de stérile, et dans la qualité de ses productions.» Si c'est là ce que Montesquieu a entendu par climat, il aurait dû le dire, et alors il n'existerait plus de débats; car chaque jour de nouveaux faits s'accumulent pour démontrer que ce sont ces circonstances qui modifient d'une manière puissante et variée la constitution physique et morale des nations; qui font que sans égard aux zones et aux latitudes, tantôt des peuples éloignés se ressemblent, et tantôt des peuples voisins sont contrastants; que dans leurs migrations, des peuples conservent long-temps des habitudes discordantes avec leur nouveau séjour, parce que ces habitudes agissent d'après un mécanisme d'organisation persistant, qui font enfin que dans un même corps de nation, et sous un même climat, le tempérament et les mœurs se modifient selon le genre des habitudes, des exercices, du régime et des aliments; d'où il suit que la connaissance de ces lois physiques devient un élément nécessaire de la science de gouverner, d'organiser un corps social, de le constituer en rapport avec le mouvement de la nature, c'est-à-dire que la législation politique n'est autre chose que l'application des lois de la nature; que les lois factices et conventionnelles ne doivent être que l'expression des lois physiques et naturelles, et non l'expression d'une volonté capricieuse d'individu, de corps, ou de nation; volonté qui, étendue même à l'universalité du genre humain, peut être en erreur: or, comme dans ce genre de recherches et dans cette science pour ainsi dire naissante, il importe surtout de n'admettre rien de systématique, je vais exposer la marche qui me semble la plus propre à conduire à des résultats de vérité.

Prenant un peuple et un pays déterminés, il faut d'abord décrire son climat, et, par climat, j'entends l'état du ciel sous lequel il vit, sa latitude, sa température, selon les saisons; le système annuel des vents, les qualités humides ou sèches, froides ou chaudes de chaque rumb; la durée et les retours périodiques ou irréguliers; la quantité d'eau qui tombe par an; les météores, les orages, les brouillards et les ouragans; ensuite, passant à la constitution physique du sol, il faut faire connaître l'aspect et la configuration du terrain, le calculer en surfaces planes ou montueuses, boisées ou découvertes, sèches ou aqueuses, soit marais, soit rivières et lacs; déterminer l'élévation générale, et les niveaux partiels au-dessus du niveau de la mer, ainsi que les pentes des grandes masses de terre vers les diverses régions du ciel; puis examiner la nature des diverses bandes et couches du terrain, sa qualité argileuse ou calcaire, sablonneuse, rocailleuse, luteuse ou végétale; ses bancs de pierres schisteuses, ses granits, ses marbres, ses mines, ses salines, ses volcans, ses eaux, ses productions végétales de toute espèce, arbres, plantes, grains, fruits; ses animaux volatiles, quadrupèdes, poissons et reptiles; enfin, tout ce qui compose l'état physique du pays. Ce premier canevas établi, on arrive à considérer l'espèce humaine, le tempérament général des habitants, puis les modifications locales, l'espèce et la quantité des aliments, les qualités physiques et morales les plus saillantes; alors, embrassant la masse de la population sous le rapport politique on considère sa distribution en habitants des campagnes et habitants des villes, en laboureurs, artisans, marchands, militaires et agents du gouvernement: l'on détaille chacune de ces parties sous le double aspect, et de l'art en lui-même, et de la condition des hommes qui l'exercent. Enfin, l'on développe le système général du gouvernement, la nature et la gestion du pouvoir dans les diverses branches de la confection des lois, de leur exécution, d'administration de police, de justice, d'instruction publique, de balance de revenus et de dépenses, de relations extérieures, d'état militaire sur terre et sur mer, de balance de commerce, et tout ce qui s'ensuit.

 

D'un tel tableau de faits bien positifs et bien constatés, résulteraient d'abord toutes les données nécessaires à bien connaître la constitution morale et politique d'une nation. Et alors ce jeu d'action et de réaction de toutes ses parties les unes sur les autres, deviendrait le sujet non équivoque des réflexions et des combinaisons les plus utiles à la théorie de l'art profond de gouverner et de faire des lois.

De tels tableaux seraient surtout instructifs, s'ils étaient dressés sur des peuples et des pays divers et dissemblants, parce que les contrastes même dans les résultats feraient mieux ressortir la puissance des faits physiques agissants comme causes; il ne resterait plus qu'une opération, celle de comparer ces tableaux d'un même peuple, d'une même nation à diverses époques, pour connaître l'action successive, et l'ordre généalogique qu'ont suivi les faits, tant moraux que physiques, pour en déduire les lois de combinaison et les règles de probabilités raisonnables; et, en effet, quand on étudie dans cette intention ce que nous avons déja d'histoires anciennes et modernes, l'on s'aperçoit qu'il existe dans la marche, et, si j'ose dire, dans la vie des corps politiques, un mécanisme qui indique l'existence des lois plus générales et plus constantes qu'on me le croit vulgairement. Ce n'est pas que cette pensée n'ait déjà été exprimée par la comparaison que l'on a faite de cette vie des corps politiques à la vie des individus, en prétendant trouver les phases de la jeunesse, de la maturité et de la vieillesse dans les périodes d'accroissement de splendeur et de décadence des empires; mais cette comparaison, vicieuse à tous égards, a jeté dans une erreur d'autant plus fâcheuse, qu'elle a fait considérer comme une nécessité naturelle, la destruction des corps politiques, de quelque manière qu'ils fussent organisés; tandis que cette destruction n'est que l'effet d'un vice radical des législations, qui, toutes jusqu'à ce jour, n'ont été dressées que dans l'une de ces trois intentions, ou d'accroître, ou de maintenir, ou de renverser, c'est-à-dire qu'elles n'ont embrassé que l'une des trois périodes, dont se compose l'existence de toute chose; et ce serait une science également neuve et importante, que de déterminer les phénomènes concomitants de chacune de ces trois périodes, afin d'en tirer une théorie générale de législation qui embrassât tous les cas d'un corps politique dans ses diverses phases de force et de plénitude, de faiblesse ou de vacuité, et qui traçât tous les genres de régime convenables au regorgement ou au manque de population. Voilà quel doit être le but de l'histoire. Mais il faut avouer que ce but ne se peut bien remplir qu'à l'égard des peuples existants, et des temps modernes, chez qui tous les faits analogues peuvent se recueillir; ceci m'a fait plus d'une fois penser que des voyages entrepris et exécutés sous ce point de vue, seraient les meilleurs matériaux d'histoire que nous puissions désirer, non-seulement pour les temps présents, mais encore pour les temps passés; car ils serviraient à recueillir et à constater une foule de faits épars, qui sont des monuments vivants de l'antiquité: et ces monuments sont beaucoup plus nombreux qu'on ne le pense; car, outre les débris, les ruines, les inscriptions, les médailles, et souvent même les manuscrits que l'on découvre, l'on trouve encore les usages, les mœurs, les rites, les religions, et surtout les langues, dont la construction elle seule est une histoire complète de chaque peuple, et dont la filiation et les analogies sont le fil d'Ariane dans le labyrinthe des origines. L'on s'est trop pressé de faire des histoires universelles; avant de vouloir élever de si vastes édifices, il eût fallu en avoir préparé tous les détails, avoir éclairci chacune des parties dont ils doivent se composer; il eût fallu avoir une bonne histoire complète de chaque peuple, ou du moins avoir rassemblé et mis en ordre tout ce que nous avons de fragments pour en tirer les inductions raisonnables. On ne s'est occupé que des Grecs et des Romains, en suivant servilement une méthode étroite et exclusive, qui rapporte tout au système d'un petit peuple d'Asie, inconnu dans l'antiquité, et au système d'Hérodote, dont les limites sont infiniment resserrées; l'on n'a voulu voir que l'Égypte, la Grèce, l'Italie, comme si l'univers était dans ce petit espace; et comme si l'histoire de ces petits peuples était autre chose qu'un faible et tardif rameau de l'histoire de toute l'espèce. L'on n'a osé sortir de ce sentier que depuis moins de cent ans; et déja l'horizon s'agrandit au point que la borne la plus reculée de nos histoires classiques se trouve n'être que l'entrée d'une carrière de temps antérieurs, où s'exécutent, dans la Haute-Égypte, la chute d'un royaume de Thèbes qui précéda tous ceux de l'Égypte; dans la Haute-Asie, la chute de plusieurs états bactriens, indiens, tibetains, déja vieillis par le laps des siècles; et les migrations immenses de hordes scythes qui, des sources du Gange et du Sanpou, se portent aux îles du Danemarck et de la Grande-Bretagne; et des systèmes religieux du bramisme, du lamisme ou buddisme encore plus antique, et enfin tous les événements d'une période qui nous montre l'ancien continent, depuis les bouts de l'Espagne jusqu'aux confins de la Tartarie, couvert d'une même forêt, et peuplé d'une même espèce de sauvages nomades, sous les noms divers de Celtes, de Germains, de Cimbres, de Scythes et de Massagètes. Lorsque l'on s'enfonce dans ces profondeurs à la suite des écrivains anglais qui nous ont fait connaître les livres sacrés des Indiens, les Védas, les Pourans, les Chastrans; lorsque l'on étudie les antiquités du Thibet et de la Tartarie, avec Géorgi, Pallas, Stralhemberg, et celles de la Germanie et de la Scandinavie, avec Hornius, Elichman, Jablonski, Marcow, Gebhard et Ihre, l'on se convainc que nous ne faisons que d'ouvrir la mine de l'histoire ancienne, et qu'avant un siècle, toutes nos compilations græco-romaines, toutes ces prétendues histoires universelles de Rollin, de Bossuet, de Fleury, etc., seront des livres à refaire, dont il ne restera pas même les réflexions, puisque les faits qui les basent sont faux ou altérés. En prévoyant cette révolution, qui déja s'effectue, j'ai quelquefois pensé aux moyens qui seraient les plus propres à la diriger; et je vais émettre mes idées, à cet égard, avec d'autant plus de confiance, qu'un meilleur tableau de l'antiquité aurait l'utilité morale de désabuser de beaucoup de préjugés civils et religieux, dont la source n'est sacrée que parce qu'elle est inconnue; et cette autre utilité politique de faire regarder les peuples comme réellement frères, en leur produisant des titres de généalogie qui prouvent les époques et le degré de leur parenté.

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