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Читать книгу: «Christine», страница 9

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XIV

A mesure que Georges s'était éloigné de Mme de Rudden, le major s'était rapproché d'elle: uniquement par bonté, tout d'abord, et pour ne la point laisser à son isolement et à sa douleur; puis bientôt avec la secrète espérance de la consoler pour son propre compte. Avec un sourire, Christine le rendait heureux pour huit jours; elle lui sourit plusieurs fois dans la même semaine. Le malheur l'attendrissait au lieu de l'aigrir, elle y compatissait davantage chez les autres depuis qu'elle le comprenait mieux en l'éprouvant davantage.

Le baron rappela d'anciennes promesses.

«Je n'ai rien promis, répondit Christine.

– Vous ne m'avez pas défendu d'espérer.

– Le moyen de vous en empêcher?»

M. de Vendel crut voir dans les paroles de Christine un acquiescement à ses vœux: il crut, à force de désirer, et il entoura Christine de soins plus empressés. C'était l'homme le plus incapable d'une indiscrétion; mais, si sa bouche était muette, ses yeux étaient éloquents: ils parlaient de bonheur. Le monde traduisit, et, comme toujours, il fit un contre-sens; le chevalier de Valborg eut soin de le publier avec commentaires.

Il en revint quelque chose aux oreilles de la comtesse. Elle ne fit rien pour accréditer ces bruits; rien non plus pour les démentir. Elle ne se préoccupait que de l'effet qu'ils pourraient produire sur M. de Simiane. Elle se disait qu'ils mettraient fin de toute manière à une incertitude maintenant intolérable. Si Georges l'aimait encore, ce coup violent, qu'elle n'aurait pas porté, le ramènerait à elle; et, comme elle suivrait alors les conseils de Maïa! comme elle enlacerait d'indissolubles liens ce cœur inconstant par faiblesse, qu'il fallait rendre heureux malgré lui!

Si, au contraire, elle n'était plus aimée… aimée comme elle voulait l'être… si Georges n'avait plus pour elle qu'une reconnaissance tendre et les égards d'un cœur délicat, se préoccupant encore, alors même qu'il n'aime plus, du mal qu'il peut faire à ce qu'il a jadis aimé, il fallait l'affranchir et lui donner d'elle-même cette liberté qu'il était trop noble pour demander jamais, mais qu'elle était trop fière pour ne pas lui rendre.

Christine, en agissant ainsi, obéissait à une inspiration généreuse; mais elle comptait sans le dépit qui peut déranger les meilleurs calculs, sans la vanité, qui se trouve si souvent au fond de l'amour chez les hommes. Elle ne savait pas encore combien Georges était capable de partis violents, de résolutions soudaines et désespérées… dussent-elles briser sa vie!

La nouvelle du mariage de la comtesse se répandit assez rapidement à travers la ville; on félicita le baron, qui s'en défendait mal, parce qu'il y croyait lui-même; on approuvait Christine, qui ne se montrait guère. Le matin, dans le cercle des ambassadrices, on faisait des mots piquants sur le malheur de Georges. Il crut mettre la galerie de son côté en devançant la comtesse par son mariage avec Nadéje, qui fut officiellement annoncé.

La nouvelle en fut portée à Christine par Valborg, dont la main étourdie la frappait mortellement au cœur. Elle demanda des détails et les écouta avec une fiévreuse avidité. Elle voulait savoir si l'on disait que les fiancés s'aimaient.

«Ils s'adorent! répondit le chevalier, et c'est un peu ma faute. Imaginez que c'est moi qui ai présenté le comte à Mlle Borgiloff!»

M. de Valborg examinait en ce moment les feuilles dépliées d'un éventail chinois; il ne put pas voir le regard navrant que lui jetait Christine.

«Il n'a pas perdu de temps, reprit la comtesse, entraînée comme malgré elle à revenir sur ce douloureux sujet.

– C'est encore moi qui en suis cause, dit M. de Valborg.

– Et comment cela?

– En lui apprenant votre propre mariage.

– Ah! Et comment a-t-il pris la nouvelle?

– Très-bien… c'est-à-dire très-mal!.. Je crois qu'il avait envie de me sauter à la gorge. Mais je lui pardonne de grand cœur, à ce pauvre Simiane: car enfin, comtesse, je comprends qu'on ne perde pas sans regret une femme comme vous; pour moi, je ne m'y serais jamais résigné.»

Le chevalier attendit l'effet de ce compliment du dernier galant. Christine ne parut point y prendre garde.

«Ainsi, continua-t-elle, vous lui avez annoncé mon mariage comme une chose tout à fait arrêtée?

– Positivement! et c'est ce qui l'a décidé. Il a eu comme un éclair de rage dans les yeux… Il n'y avait pas là de quoi flatter infiniment la belle Nadéje! Mais il s'est calmé bientôt, et je puis dire que je l'ai vu prendre sa résolution.

– Je trouve, chevalier, que vous avez mis à tout ceci un peu plus de zèle qu'on ne vous en demandait. Qui vous avait donc chargé de publier ainsi mes bans dans les salons?

– Et mais! comtesse, c'était la nouvelle du jour, et vous savez, les nouvelles, c'est toujours bon à raconter. Cela intéresse la conversation. Jamais je ne m'étais fait mieux écouter.»

La comtesse leva imperceptiblement les épaules.

«A quand le mariage? demanda-t-elle.

– On parle du 1er mars.

– Nous sommes au 20 février! c'est bien mener les choses!

– Et vous, comtesse, quand?

– Oh! moi… il n'y a rien encore de certain.

– Comment? dit Valborg en reculant son fauteuil, rien de certain!.. Mais alors…»

Il regarda la comtesse, sur le visage de qui la douleur était peinte; le jour se fit en lui; il entrevit une partie de la vérité, et, saisissant vivement la main de Christine:

«Comtesse, comtesse, pardonnez-moi! Mon Dieu, qu'ai-je donc fait?

– Le bonheur de votre ami, sans doute; il n'y a pas là de quoi vous affliger.

– Son bonheur!.. Ah! on n'aime pas deux fois.

– Non! mais on aime cent fois… les hommes du moins! Ne disiez-vous pas tout à l'heure qu'ils s'adoraient?

– Je ne sais pas ce que je dis! reprit Valborg en cherchant son chapeau.

– Peut-être alors faudrait-il moins parler,» reprit la comtesse avec douceur.

Elle ne lui fit point d'autre reproche; mais, quand il eut laissé retomber la portière du salon, elle cacha sa tête dans ses mains et dévora ses larmes.

XV

Georges cependant brusquait les choses pour arriver à un prompt dénoûment: il était d'une activité inquiète. «En voilà un qui aime sa femme!» disaient les observateurs superficiels; un œil clairvoyant eût aperçu plutôt les indices d'un cœur troublé qui voulait s'étourdir. Le vrai bonheur est plus calme.

Nadéje s'occupait de ses robes et chiffonnait dans la corbeille. Elle ne s'aperçut point des soucis de son fiancé. On ne peut pas tout voir à la fois: elle regardait des dentelles! Peut-être Georges ne venait-il point chez elle aussi souvent qu'il eût dû; mais n'auraient-ils point le temps d'être ensemble, puisqu'ils ne devaient plus se quitter? Elle eut soin d'envoyer une lettre de part à la comtesse, avec une adresse de sa main. Georges ne le sut pas, et il eût trouvé sans doute le procédé d'un goût douteux.

Toutes les échéances arrivent à leur jour. Georges regretta peut-être, le matin du 1er mars, que l'année ne fût pas bissextile; mais le temps des réflexions était passé: encore quelques heures, et le dernier mot de sa vie jeune et libre allait être dit pour jamais. Il n'avait pas un ami auprès de lui; ses pensées, qu'il ne pouvait confier à personne, lui retombaient sur le cœur.

Nadéje était fille d'une mère polonaise; elle avait été élevée dans la religion catholique, apostolique et romaine. La bénédiction nuptiale dut avoir lieu dans la chapelle de cette communion, qui se trouve près du couvent des Dames-Françaises, et qui sert d'église à tous les catholiques suédois, ainsi qu'aux deux reines. On avait fixé l'heure de midi; mais longtemps à l'avance une foule d'élite remplissait l'enceinte trop étroite. On y retrouvait tous les étrangers de distinction (c'est la formule consacrée) et toute la société élégante de Stockholm, moins Christine et le baron de Vendel. Le chevalier de Valborg, appuyé contre la grande vasque de porphyre rose qui sert de fonts baptismaux, paraissait soucieux. On eût dit que c'était sa fiancée qu'un autre allait épouser. Quelques jeunes gens placés autour de lui n'eussent pas demandé mieux que de le faire causer, mais il paraissait vouloir être discret, ce jour-là, pour la première fois de sa vie.

Au coup de midi, quatre ou cinq voitures s'arrêtèrent devant l'église. Le suisse, en grand costume, l'épée au côté, la hallebarde au poing, ouvrit la porte à deux battants, Georges parut, donnant la main à Nadéje.

La fiancée portait son beau costume avec une suprême élégance; son long voile de dentelle blanche traînait derrière elle comme un manteau de reine. On l'accueillit par un murmure flatteur. Peut-être eût-on pu trouver que, pour une jeune fille, elle montrait trop d'assurance; mais elle était si près d'être femme! Quant à Georges, il avait l'impassible dignité de l'homme bien né qui sent tous les yeux fixés sur lui et qui garde ses pensées et cache ses impressions.

Un vieux chapelain à cheveux blancs commença bientôt les cérémonies du rite catholique, au milieu d'une assemblée étrangère, qui admirait, non sans quelque étonnement, leur poésie grandiose, et les souvenirs bibliques des patriarches, mêlés aux pompes du sacrement; il rappelait les images douces et charmantes de ces héroïnes de la famille, force et parure de l'homme, poésie de la tente, fleurs du désert, grâce du chaste foyer, Rebecca, Rachel, Ruth et Noémi, mères fécondes et bénies, et il invoquait sur les têtes inclinées les faveurs du dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, qui fit la race d'Israël aussi nombreuse que les grains de sable de la mer.

Quand le prêtre demanda tout haut au comte Georges de Simiane s'il prenait pour femme et légitime épouse Nadéje Borgiloff, présente devant lui, au moment où le fiancé prononça le oui fatal, on entendit comme une plainte de l'orgue, un rapide accord des touches effleurées, un soupir dans les tuyaux, un gémissement vague: Georges se défendit mal d'un trouble involontaire; Nadéje le rappela à lui par un regard froid et ferme, et, à son tour, elle répondit d'une voix haute et sonore. Le prêtre monta à l'autel et célébra la messe; puis, à l'instant marqué par la liturgie, il se tourna vers l'assemblée et revint près des époux; deux jeunes hommes soulevèrent au-dessus de leurs têtes les plis flottants du voile symbolique: le rideau de l'orgue s'agita; un prélude d'une harmonie douce et triste jeta sur l'assemblée le frisson nerveux des grandes émotions; bientôt le chant se dégagea du groupe harmonieux des accords, vibrant, pathétique, inspiré. Une mélodie légère, aérienne, ailée sembla voltiger sous les arceaux de l'église et planer sur la tête de la foule ravie. Peu d'artistes, à Stockholm pas plus qu'ailleurs, eussent été capables de communiquer ainsi leur âme à l'ivoire insensible. On se regardait sans comprendre. Georges seul avait compris; car, dès les premières notes, il avait reconnu ce chant d'amour et de mélancolie, entendu pour la première fois sur le bateau de Skokloster, et que, par un beau soir d'été, Christine avait joué pour lui près des fenêtres ouvertes du salon, dans son cottage de Haga. C'était le lied dalécarlien:

 
Perdus tous deux dans la steppe infinie!
 

«Vous me le jouerez souvent!» avait-il dit à la comtesse. Ni l'un ni l'autre ne songeaient alors qu'ils dussent, elle le jouer, et lui l'entendre jamais en de telles circonstances!

L'essaim confus des souvenirs se leva tout à coup dans son âme, chantant et battant des ailes: il se rappela les joies évanouies du passé, ces joies profondes et pures dont elle l'avait si souvent enivré; il se rappela cette inépuisable et sereine tendresse de toutes les heures et de tous les instants; ce dévouement ingénieux, infatigable, toujours présent; cette délicatesse de l'esprit et cette prévenance du cœur, visibles dans les petites choses aussi bien que dans les grandes, comme si elle eût trouvé le suprême bonheur dans le don de sa vie incessamment renouvelé. Puis il se demandait comment il avait payé ces dettes sacrées du cœur; il s'accusa tout bas d'ingratitude; il se dit que sa précipitation devait être une injure pour Christine… même coupable! Et, si elle était coupable, la faute ne venait-elle pas de lui? S'il y avait oubli des deux côtés, qui donc avait donné l'exemple? Pour la première fois, depuis sa résolution prise, il eut peur. Le doute lui vint, avec tout son cortège de remords et de poignantes amertumes… Il s'avoua tout bas qu'il avait compromis son bonheur; une voix intérieure et puissante lui disait qu'il avait tué le bonheur d'une autre! Et, quand il cherchait s'il y avait des remèdes à ces malheurs qui étaient des fautes, le prêtre, l'autel, sa fiancée, sa conscience, tout répondait: «Il est trop tard!»

Les deux époux s'étaient agenouillés sur les coussins de velours, pour écouter les dernières prières. Georges laissa tomber sa tête dans ses mains et oublia le monde.

Cependant l'orgue jouait toujours: on le sentait frémir sous les attaques nerveuses de l'artiste inconnu. Il avait repris le thème primitif et le conduisait à travers ces variations habiles, qui sont comme les nuances de la pensée et les demi-teintes du sentiment. Quand la mélodie descend des hautes sources de l'inspiration, elle trouve les accents qui remuent le cœur et pénètrent l'âme. L'émotion a partout le même langage, et rien ne ressemble plus à un chant d'amour que le chant de la prière. Ce lied, trouvé au fond des bois par quelque paysan rêveur, agrandi par l'art, devenait, sous des mains habiles, le poëme harmonieux de la tendresse ineffable et des douleurs cachées… Ceux qui connaissent la langue passionnée des sons soupçonnaient vaguement, chez l'exécutant, une de ces tragédies sans paroles de la vie intime, qui se jouent au fond de l'âme dans les moments suprêmes. Tantôt la phrase mélodique semblait emportée dans un orage de notes brûlantes, une ardeur fiévreuse précipitait son rhythme entraînant; tantôt elle se berçait comme au souffle d'une rêverie douce, et sa mélancolie semblait sourire: mais on se demandait de combien de larmes de tels sourires étaient faits. Tout à coup le clavier se troubla; le rhythme entrecoupé se dérobait sous les doigts qui ne le dominaient plus; la mesure, abrupte et languissante à la fois, vacillait comme la flamme sous le vent… Dans la foule, on ne respirait plus! Mais bientôt la grande âme douloureuse rassembla ses forces dispersées comme pour un dernier effort; elle embrasa de ses flammes le clavier insensible; des notes de feu s'en échappaient, des effluves amoureux couraient dans l'air… Puis tout à coup le calme se fit, l'harmonieuse tempête s'apaisa, la phrase primitive reparut, douce, naïve et simple, comme soupirée par la voix d'une jeune fille. Et lentement elle s'éteignit sur les touches frémissantes, comme la plainte qu'on étouffe sur des lèvres dans un baiser!

La cérémonie s'achevait. La foule sortit dans un tumulte d'émotions impossible à dépeindre. On avait presque oublié les époux. Quelques jeunes gens se groupèrent devant les portes de la chapelle pour attendre la sortie de l'artiste: «Il joue, disait-on, comme Jenny Lind aurait chanté.» On attendit vainement. Quand le suisse vint pour fermer la porte, on l'interrogea. Il répondit qu'il ne savait rien, mais que la tribune de l'orgue s'ouvrait sur le couvent, et qu'il était inutile de former des attroupements devant l'église!

XVI

Christine, avons-nous besoin de la nommer au lecteur? était rentrée chez elle par des rues détournées, qui longeaient les vastes jardins du couvent. Elle trouva Maïa établie dans son salon. La baronne de Bjorn était arrivée le matin même du mariage. Elle était accourue chez son amie, et, ne la trouvant pas, elle l'avait attendue, en proie à une inquiétude pleine d'angoisses.

Mme de Rudden, que l'excitation fébrile de la crise ne soutenait plus, se jeta, ou plutôt se laissa tomber dans les bras de la jeune baronne. Un profond sanglot souleva sa poitrine; ses yeux étaient secs, mais ses mains tremblaient; son front brûlait l'épaule de Maïa, sur laquelle il s'était posé. Maïa lui prit la tête et la baisa tendrement, puis elle l'éloigna un peu, comme pour mieux la voir. Elle fut effrayée des changements rapides que la douleur avait produits sur cette beauté si radieuse. Il y a un âge où les femmes ne doivent plus souffrir: elles ne se conservent que dans le calme heureux, les orages du malheur les effeuillent, comme les orages de l'atmosphère les dernières roses de l'automne.

«Ce n'est plus moi! murmura Christine; tu ne peux pas me reconnaître.»

Maïa la fit asseoir près du feu, lui ôta son chapeau et sa pelisse; Christine se laissait faire comme un enfant malade. Maïa se mit à genoux devant elle et prit ses deux mains, qu'elle réchauffa dans les siennes.

«Mais parle donc! lui dit-elle tout à coup, tu me fais peur!

– Je te fais peur! répéta Christine comme un écho.

– Eh! sans doute, reprit Maïa; voilà dix-huit mois que je ne t'ai vue, et tu ne veux pas même me regarder!

– Je te fais peur aujourd'hui; demain je te ferai pitié.

– Tais-toi! dit Maïa; j'aime encore mieux ton silence! Tu roules, j'en suis sûre, quelque méchante pensée dans ta pauvre tête vide. Jure-moi que jamais…

– Quoi?» fit Christine… Puis, comprenant tout à coup: «Me tuer!» dit-elle. Et elle ajouta avec un regard où l'on pouvait mesurer la profondeur de son désespoir: «Se tuer!.. Il n'y a que les impatients qui se tuent… A quoi bon? est-ce qu'on ne meurt pas?

– Ah! reprit Maïa, tu es cruelle pour ceux qui t'aiment.

– Ceux que j'aimais ont été si bons pour moi! répondit-elle avec un sourire égaré.

– Allons! dit Maïa d'un ton de douce autorité, c'est assez! chasse ce souvenir; je le veux: oublie!

– Oublier! Comment fait-on? je n'ai jamais su.

– Ah! reprit l'aimable femme fondant en larmes, tu as raison, chère Christine, je ne puis même plus consoler… Laisse-moi donc pleurer avec toi!»

Christine était assise au coin de la cheminée, dans un grand fauteuil; Maïa, toujours à ses pieds, posa la tête sur ses genoux. Bientôt Christine sentit ses mains toutes baignées d'une chaude rosée de pleurs. Peu à peu ses nerfs se détendirent, ses sanglots longtemps contenus éclatèrent; puis les larmes vinrent, abondantes, qui la calmèrent un peu. Dans la douleur comme dans la joie, les larmes, c'est toujours le trop-plein du cœur!

Maïa, cependant, sous l'ingénieux prétexte qu'une maison depuis longtemps inhabitée est froide et malsaine, ne voulut point aller demeurer chez elle, où ses gens l'attendaient; elle obtint de son mari la permission de venir s'établir auprès de Christine, pour amortir au moins ces premières atteintes des grandes souffrances, qui frappent parfois sur les organisations nerveuses comme le coup de marteau de la folie. Elles vécurent ainsi, toujours ensemble, près de deux semaines, dans une intimité bienfaisante, ne recevant que le chevalier de Valborg, qui comprenait enfin l'étendue et l'intensité du mal qu'il avait fait, et le major, qui avait toutes les délicatesses comme il avait toutes les ardeurs de l'amour vrai. Il comprenait trop les tristesses de Christine pour ne pas les respecter. Deux jours avant le mariage de Georges il avait quitté Stockholm; il n'y revint qu'une semaine après. Il observait ces secrètes convenances du cœur qu'aucune civilité n'inscrit dans son code puéril et honnête, mais que devinent si bien certaines natures.

La présence de Maïa rendait possibles de plus fréquentes assiduités chez Christine. Il essaya de la distraire. Enfin, assuré de l'appui de la baronne, il reparla de son mariage. Ce seul mot effaroucha Christine pour deux jours: les regrets ont aussi leur pudeur. Le major crut qu'il s'était trop hâté, et il résolut d'être plus patient à l'avenir; mais on devinait son silence.

Un matin, ils déjeunaient tous trois; Christine, qui remarquait sa tristesse, lui tendit la main par-dessus la table.

«Mon ami, lui dit-elle, j'ai une grâce à vous demander.

– Parlez, chère Christine, vous savez qu'elle est accordée d'avance. Il me semble qu'en me la demandant c'est à moi que vous la faites.

– Vois comme il est bon! dit-elle en se retournant vers Maïa.

– Oui, dit Maïa, je sais que c'est le roi des hommes; mon cher baron ne vient qu'après.

– Eh bien, mon ami, reprit Christine en lui jetant un regard qui eût attendri un tigre, il faut que vous me pardonniez le mal que je vais vous faire.»

Une vive émotion se peignit sur les traits du major, mais il ne répondit rien.

«Que veux-tu dire? demanda Maïa non moins inquiète.

– Mes amis, reprit Christine, je ne suis pas bien; depuis quelque temps je souffre.

– Je le vois bien, dit le baron.

– Et vous ne m'en parlez pas!

– C'est que je ne saurais vous guérir, reprit-il en hochant tristement la tête; du moins maintenant! ajouta-t-il en essayant de sourire.

– Ni maintenant, ni jamais! reprit Christine, j'en ai grand'peur.

– Toujours tes folles idées, fit Maïa avec un mouvement d'épaules.

– Il ne faut donc pas songer aujourd'hui à un mariage que…

– Que vous ne désirez pas, interrompit le major.

– Pour lequel les forces me manqueraient, reprit Christine.

– Comme vous voudrez, comtesse… Ce n'est pas l'heure de vous apprendre mes sentiments; vous les connaissez. Ce que vous faites est toujours bien.

– Vous ne perdez pas grand'chose! dit-elle en regardant ses bras amaigris et ses mains diaphanes.

– Chacun est juge de ses malheurs, fit le baron avec un sourire triste; je ne me plains pas; mais du moins laissez-moi croire que je pourrais me plaindre.

– Ah! murmura Christine en cachant sa tête dans ses mains, la vie est un jeu cruel! Quels nobles cœurs on déchire! et pourtant, je ne l'ai pas voulu! N'est-ce pas mon ami, que je ne l'ai pas voulu? Le malheur est sur moi! Que faire, mon Dieu?

– Tout pour vous, Christine; rien pour moi!

– Il m'aime comme j'aimais l'autre! pensa Christine.

– Si vous voulez, reprit le major, je ne reviendrai plus!

– Oh non! dit-elle, comme en proie à une terreur soudaine. Non! restez, restez. Vous et Maïa, vous êtes maintenant mes seuls amis. Si vous partez, je serai seule, toute seule… et il n'est pas temps encore. Un peu de patience! Maintenant je vous désire autour de moi. Vous voulez bien?»

Le baron se tourna vers Maïa, sans prononcer une parole.

«Chers amis, c'est que j'ai le droit d'être humble,» reprit la comtesse en leur tendant ses mains.

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01 августа 2017
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