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Le parfum de la Dame en noir

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XV

Les soupirs de la nuit

Deux heures du matin. Tout semble dormir au château. Quel silence sur la terre et dans les cieux! Pendant que je suis à ma fenêtre, le front brûlant et le coeur glacé, la mer rend son dernier soupir et aussitôt la lune s'est arrêtée dans un ciel sans nuages. Les ombres ne tournent plus autour de l'astre des nuits. Alors, dans le grand sommeil immobile de ce monde, j'ai entendu les mots de la chanson lithuanienne: «Mais le regard cherchait en vain la belle inconnue qui s'était couvert la tête d'une vague et dont on n'a plus jamais entendu parler…» Ces paroles m'arrivent, claires et distinctes, dans la nuit immobile et sonore. Qui les prononce? Sa bouche à lui? sa bouche à elle? ou mon hallucinant souvenir? Ah çà! qu'est-ce que ce prince de la Terre-Noire vient faire sur la Côte d'Azur avec ses chansons lithuaniennes? Et pourquoi son image et ses chants me poursuivent-ils ainsi?



Pourquoi le supporte-t-elle? Il est ridicule avec ses yeux tendres et ses longs cils chargés d'ombre et ses chansons lithuaniennes! et moi aussi je suis ridicule! Aurais-je un coeur de collégien? Je ne le crois pas. J'aime mieux vraiment m'arrêter à cette hypothèse que ce qui m'agite dans la personnalité du prince Galitch est moins l'intérêt que lui porte Mrs. Edith que la pensée de l'autre!… Oui, c'est bien cela; dans mon esprit, le prince et Larsan viennent m'inquiéter ensemble. On ne l'a pas vu au château depuis le fameux déjeuner où il nous fut présenté, c'est-à-dire depuis l'avant-veille.



L'après-midi qui a suivi le départ de Rouletabille ne nous a rien apporté de nouveau. Nous n'avons pas de nouvelles de lui, pas plus que du vieux Bob. Mrs. Edith est restée enfermée chez elle, après avoir interrogé les domestiques et visité les appartements du vieux Bob et la Tour Ronde. Elle n'a pas voulu pénétrer dans l'appartement de Darzac. «C'est l'affaire de la justice», a-t-elle dit. Arthur Rance s'est promené une heure sur le boulevard de l'Ouest, et il paraissait fort impatient. Personne ne m'a parlé. Ni M. ni Mme Darzac ne sont sortis de la Louve. Chacun a dîné chez soi. On n'a pas vu le professeur Stangerson.



… Et, maintenant, tout semble dormir au château… Mais les ombres se reprennent à tourner autour de l'astre des nuits. Qu'est-ce que ceci, sinon l'ombre d'un canot qui se détache de l'ombre du fort et glisse maintenant sur le flot argenté? Quelle est cette silhouette qui se dresse, orgueilleuse, à l'avant, pendant qu'une autre ombre se courbe sur la rame silencieuse? C'est la tienne, Féodor Féodorowitch! Eh! voilà un mystère qui sera peut-être plus facile à pénétrer que celui de la Tour Carrée, ô Rouletabille! Et je crois que la cervelle de Mrs. Edith y suffirait…



Nuit hypocrite!… Tout semble dormir et rien ne dort, ni personne… Qui donc peut se vanter de pouvoir dormir au château d'Hercule? Croyez-vous que Mrs. Edith dort? Et M. et Mme Darzac, dorment-ils? Et pourquoi M. Stangerson, qui semble dormir tout éveillé, le jour, dormirait-il justement cette nuit-là, lui dont la couche n'a cessé d'être visitée, comme on dit, par la pâle insomnie depuis la révélation du Glandier? Et moi, est-ce que je dors?



J'ai quitté ma chambre, je suis descendu dans la Cour du Téméraire; mes pas m'ont porté en hâte sur le boulevard de la Tour Ronde. Si bien que je suis arrivé à temps pour voir, sous la clarté lunaire, la barque du prince Galitch aborder à la grève, devant les jardins de Babylone. Il sauta sur le galet, et, derrière lui, l'homme, ayant rangé les rames, sauta. Je reconnus le maître et le domestique: Féodor Féodorowitch et son esclave Jean. Quelques secondes plus tard, ils s'enfonçaient dans l'ombre protectrice des palmiers centenaires et des eucalyptus géants…



Aussitôt, j'ai fait le tour du boulevard de la Cour du Téméraire… Et puis, le coeur battant, je me suis dirigé vers la baille. Les dalles de la poterne ont retenti sous mon pas solitaire et il m'a semblé voir une ombre se dresser, attentive, sous l'ogive à demi détruite du porche de la chapelle. Je me suis arrêté dans la nuit épaisse de la Tour du Jardinier et j'ai tâté dans ma poche mon revolver. L'ombre, là-bas, n'a pas bougé. Est-ce bien une ombre humaine qui écoute? Je me glisse derrière une haie de verveine qui borde le sentier conduisant directement à la Louve, à travers buissons et bosquets et tout le débordement parfumé du printemps en fleurs. Je n'ai point fait de bruit, et l'ombre, rassurée sans doute, a fait, elle, un mouvement. C'est la Dame en noir! La lune, sous l'ogive à demi détruite, me la montre toute blanche. Et puis, cette forme tout à coup disparaît comme par enchantement. Alors, je me suis rapproché encore de la chapelle, et, au fur et à mesure que je diminuais la distance qui me séparait de ces ruines, je percevais un léger murmure, des paroles entrecoupées de soupirs si mouillés de larmes que mes propres yeux en devinrent humides. La Dame en noir pleurait, là, derrière quelque pilier. Était-elle seule? N'avait-elle point choisi, dans cette nuit d'angoisse, cet autel envahi par les fleurs pour y venir apporter en toute paix sa prière embaumée?



Tout à coup, j'aperçus une ombre à côté de la Dame en noir, et je reconnus Robert Darzac. De l'endroit où j'étais, je pouvais maintenant entendre tout ce qu'ils pouvaient se dire. L'indiscrétion était forte, inélégante, honteuse. Chose curieuse, je crus de mon devoir d'écouter. Maintenant je ne songeais plus du tout à Mrs. Edith ni au prince Galitch… Mais je songeais toujours à Larsan… Pourquoi?… Pourquoi était-ce à cause de Larsan que je voulais savoir ce qu'ils se disaient?… Je compris que Mathilde était descendue furtivement de la Louve pour promener son angoisse dans le jardin, et que son mari l'avait rejointe… La Dame en noir pleurait. Elle avait pris les mains de Robert Darzac, et elle lui disait:



«Je sais… Je sais toute votre peine… ne me la dites plus… quand je vous vois si changé, si malheureux… je m'accuse de votre douleur… mais ne me dites pas que je ne vous aime plus… Oh! je vous aimerai encore, Robert… comme autrefois… je vous le promets…»



Et elle sembla réfléchir, pendant que lui, incrédule, l'écoutait encore.



Elle reprit, bizarre, et cependant avec une énergique conviction:



«Certes! je vous le promets…»



Elle lui serra encore la main, et elle partit, lui adressant un divin, mais si malheureux sourire, que je me demandai comment cette femme avait pu parler à cet homme de bonheur possible. Elle me frôla sans me voir. Elle passa avec son parfum et je ne sentis plus les lauriers-cerises derrière lesquels j'étais caché.



M. Darzac était resté à sa place. Il la regardait encore. Il dit tout haut avec une violence qui me fit réfléchir:



«Oui, il faut être heureux! Il le faut!»



Ah! certes, il était bien à bout de patience. Et, avant de s'éloigner à son tour, il eut un geste de protestation contre le mauvais sort, d'emportement contre la Destinée, un geste qui ravissait la Dame en noir, la jetait sur sa poitrine et l'en faisait le maître, à travers l'espace.



Il n'eut pas plutôt fait ce geste, que ma pensée se précisa, ma pensée qui errait autour de Larsan s'arrêta sur Darzac! Oh! je m'en souviens très bien; c'est à partir de cette seconde où il eut ce geste de rapt dans la nuit lunaire que j'osai me dire ce que je m'étais déjà dit pour tant d'autres… pour tous les autres… «Si c'était Larsan!»



Et, en cherchant bien, au fond de ma mémoire, je trouve que ma pensée a été plus directe encore. Au geste de l'homme, elle a répondu tout de suite, elle a crié: «C'est Larsan!»



J'en fus tellement épouvanté que, voyant Robert Darzac se diriger vers moi, je ne pus retenir un mouvement de fuite qui lui révéla ma présence. Il me vit, me reconnut, me saisit le bras, et me dit:



«Vous étiez là, Sainclair, vous veilliez!… Nous veillons tous, mon ami… Et vous l'avez entendue!… Voyez-vous, Sainclair, c'est trop de douleur; moi, je n'en puis plus. Nous allions être heureux; elle-même pouvait croire qu'elle avait été oubliée du Destin, quand l'autre est réapparu! Alors, ç'a été fini, elle n'a plus eu de force pour notre amour. Elle s'est courbée sous la fatalité; elle a dû s'imaginer que celle-ci la poursuivait d'un éternel châtiment. Il a fallu le drame effroyable de la nuit dernière pour me prouver à moi-même que cette femme m'a réellement aimé… autrefois… Oui, un moment, elle a craint pour moi, et moi, hélas! je n'ai tué que pour elle… Mais la voilà retournée à son indifférence mortelle. Elle ne songe plus – si elle songe encore à quelque chose – qu'à promener un vieillard en silence…»



Il soupira si tristement et si sincèrement que l'abominable pensée en fut chassée du coup. Je ne songeai plus qu'à ce qu'il me disait… à la douleur de cet homme qui semblait avoir perdu définitivement la femme qu'il aimait, dans le moment que celle-ci retrouvait un fils dont il continuait d'ignorer l'existence… De fait, il n'avait dû rien comprendre à l'attitude de la Dame en noir, à la facilité avec laquelle elle paraissait s'être détachée de lui… et il ne trouvait pour expliquer une aussi cruelle métamorphose que l'amour, exaspéré par le remords, de la fille du professeur Stangerson pour son père…



M. Darzac continua de gémir.



«À quoi m'aura servi de le frapper? Pourquoi ai-je tué? Pourquoi m'impose-t-elle, comme à un criminel, cet horrible silence, si elle ne veut pas m'en récompenser de son amour? Redoute-t-elle pour moi de nouveaux juges? Hélas! pas même, Sainclair… non, non, pas même. Elle redoute que la pensée agonisante de son père ne succombe devant l'éclat d'un nouveau scandale. Son père! Toujours son père! Et moi, je n'existe pas! Je l'ai attendue vingt ans, et quand, enfin, je crois qu'elle est venue, son père me la reprend!»



Je me disais: «Son père… son père et son enfant!»



Il s'assit sur une vieille pierre écroulée de la chapelle et dit encore, se parlant à lui-même: «Mais je l'arracherai de ces murs… je ne peux plus la voir errer ici au bras de son père… comme si je n'existais pas!…»

 



Et, pendant qu'il disait ces choses, je revoyais la double et lamentable silhouette du père et de la fille, passant et repassant, à l'heure du crépuscule, dans l'ombre colossale de la Tour du Nord, allongée par les feux du soir, et j'imaginais qu'ils ne devaient pas être plus écrasés sous les coups du ciel, cet Oedipe et cette Antigone qu'on nous représente dès notre plus jeune âge traînant, sous les murs de Colone, le poids d'une surhumaine infortune.



Et puis tout à coup, sans que je pusse en démêler la raison, peut- être à cause d'un geste de Darzac, l'affreuse pensée me ressaisit… et je demandai à brûle-pourpoint:



«Comment se fait-il que le sac était vide?»



Je constatai qu'il ne se troubla point. Il me répondit simplement: «Rouletabille nous le dira peut-être…» Puis il me serra la main et s'enfonça, pensif, dans les massifs de la baille.



Je le regardais marcher…



… Je suis fou…



XVI

Découverte de «L'Australie»

La lune l'a frappé en plein visage. Il se croit seul dans la nuit et voici certainement l'un des moments où il doit déposer le masque du jour. D'abord les vitres noires ont cessé de protéger son regard incertain. Et si sa taille, pendant les heures de comédie, s'est fatiguée à se courber plus que de nature, si les épaules se sont très habilement arrondies, voici la minute où le grand corps de Larsan, sorti de scène, va se délasser. Qu'il se délasse donc! Je l'épie dans la coulisse… derrière les figuiers de Barbarie, pas un de ses mouvements ne m'échappe…



Maintenant, il est debout sur le boulevard de l'Ouest qui lui fait comme un piédestal; les rayons lunaires l'enveloppent d'une lueur froide et funèbre. Est-ce toi, Darzac? ou ton spectre? ou l'ombre de Larsan revenue de chez les morts?



Je suis fou… En vérité, il faut avoir pitié de nous qui sommes tous fous. Nous voyons Larsan partout et peut-être Darzac lui-même m'a-t-il regardé un jour, moi, Sainclair, en se disant: «Si c'était Larsan!…» Un jour!… je parle comme s'il y avait des années que nous étions enfermés dans ce château et il y a tout juste quatre jours… Nous sommes arrivés ici, le 8 avril, un soir…



Sans doute, mais jamais mon coeur n'a ainsi battu quand je me posais la terrible question pour les autres; c'est peut-être aussi qu'elle était moins terrible quand il s'agissait des autres… Et puis, c'est singulier ce qui m'arrive. Au lieu que mon esprit recule effrayé devant l'abîme d'une aussi incroyable hypothèse, au contraire, il est attiré, entraîné, horriblement séduit. Il a le vertige et il ne fait rien pour l'éviter. Il me pousse à ne point quitter des yeux le spectre debout sur le boulevard de l'Ouest, à lui trouver des attitudes, des gestes, une ressemblance, par derrière… et puis aussi le profil… et puis aussi la face… Là, comme ça… Il ressemble tout à fait à Larsan… Oui, mais comme ça, il ressemble tout à fait à Darzac…



Comment se fait-il que cette idée me vienne, cette nuit, pour la première fois? Quand j'y songe… Elle eût dû être notre première idée! Est-ce que, lors du Mystère de la Chambre Jaune, la silhouette Larsan n'apparaissait point, au moment du crime, tout à fait confondue avec la silhouette Darzac? Est-ce que le Darzac qui venait chercher la réponse de Mlle Stangerson au bureau de poste 40 n'était point Larsan lui-même? Est-ce que cet empereur du camouflage n'avait point déjà entrepris avec succès d'être Darzac, si bien qu'il avait réussi à faire accuser de ses propres crimes le fiancé de Mlle Stangerson!…



Sans doute… sans doute… mais, tout de même, si j'ordonne à mon coeur inquiet de se taire pour pouvoir entendre ma raison, je saurai que mon hypothèse est insensée… Insensée?… Pourquoi?… Tenez, le voilà, le spectre Larsan qui allonge les grands ciseaux de ses jambes, qui marche comme Larsan… oui, mais il a les épaules de Darzac.



Je dis insensée parce que, si l'on n'est pas Darzac, on peut tenter de l'être dans l'ombre, dans le mystère, de loin, comme lors des drames du Glandier… mais ici, nous touchons l'homme!… nous vivons avec lui!…



Nous vivons avec lui?… Non!…



D'abord, il est rarement là… presque toujours enfermé dans sa chambre ou penché sur cet inutile travail de la Tour du Téméraire… Voilà, ma foi, un beau prétexte que celui de dessiner pour qu'on ne voie pas votre tête et pour répondre aux gens sans tourner la tête…



Mais enfin, il ne dessine pas toujours… Oui, mais dehors, toujours, excepté ce soir, il a son binocle noir… Ah! cet accident du laboratoire a été des plus intelligents… Cette petite lampe qui a fait explosion savait – je l'ai toujours pensé – le service qu'elle allait rendre à Larsan lorsque Larsan aurait pris la place de Darzac… Elle lui permettrait d'éviter, toujours… toujours, la grande lumière du jour… à cause de la faiblesse des yeux… Comment donc!… Il n'est point jusqu'à Mlle Stangerson et Rouletabille qui ne s'arrangeaient pour trouver les coins d'ombre où les yeux de M. Darzac n'avaient rien à redouter de la lumière du jour… Du reste, il a, plus que tout autre, en y réfléchissant, depuis que nous sommes arrivés ici, cette préoccupation de l'ombre… nous l'avons vu peu, mais toujours à l'ombre. Cette petite salle du conseil est fort sombre, … la Louve est sombre… Et il a choisi, des deux chambres de la Tour Carrée, celle qui reste toujours plongée dans une demi-obscurité.



Tout de même… Voyons! Voyons!… Voyons! On ne trompe pas Rouletabille comme ça!… ne serait-ce que trois jours!… Cependant, comme dit Rouletabille, Larsan est né avant Rouletabille, puisqu'il est son père…



… Ah! je revois le premier geste de Darzac, quand il est venu au-devant de nous à Cannes, et qu'il est monté dans notre compartiment… Il a tiré le rideau… De l'ombre, toujours…



Le spectre, maintenant, sur le boulevard de l'Ouest, s'est retourné de mon côté… Je le vois bien… de face… pas de binocle… il est immobile… il est placé là comme si on allait le photographier… Ne bougez pas!… Là, ça y est!… Eh bien, c'est Robert Darzac! c'est Robert Darzac!



… Il se remet en marche… Je ne sais plus… il y a quelque chose qui me manque, dans la marche de Darzac, pour que je reconnaisse la marche de Larsan; mais quoi?…



Oui, Rouletabille aurait tout vu. Euh?… Rouletabille raisonne plus qu'il ne regarde. Et puis, a-t-il eu tellement le temps de regarder que cela?…



Non!… N'oublions pas que Darzac est allé passer trois mois dans le Midi!… C'est vrai!… Ah! on peut raisonner là-dessus: trois mois, pendant lesquels on ne l'a pas vu… Il était parti malade… Il était revenu bien portant… On ne s'étonne point que la figure d'un homme ait un peu changé quand, partie avec une mine de mort, elle réapparaît avec une mine de vivant.



Et la cérémonie du mariage a eu lieu tout de suite… Comme il s'est montré à nous avec parcimonie avant, et depuis… Et, du reste, il n'y a pas encore une semaine de tout cela… Un Larsan peut tenir le coup pendant six jours.



L'homme (Darzac? Larsan?) descend de son piédestal du boulevard de l'Ouest et vient droit à moi… M'a-t-il vu? Je me fais plus petit derrière mon figuier de Barbarie.



… Trois mois d'absence pendant lesquels Larsan a pu étudier tous les tics, toutes les manifestations Darzac, et puis on supprime Darzac et on prend sa place, et sa femme… on l'emporte… le tour est joué!…



… La voix? Quoi de plus facile que d'imiter une voix du Midi? On a un peu plus ou un peu moins l'accent, voilà tout. Moi, j'ai cru observer qu'il l'avait un peu plus… Oui, le Darzac d'aujourd'hui a un peu plus l'accent – je crois – que celui d'avant le mariage…



Il est presque sur moi, il passe à mes côtés… Il ne m'a pas vu…



… C'est Larsan! Je vous dis que c'est Larsan!…



Mais il s'arrête une seconde, regarde éperdument toutes ces choses endormies autour de lui, de lui dont la douleur veille solitaire, et il gémit, comme un pauvre malheureux homme qu'il est…



… C'est Darzac!…



Et puis, il est parti… Et je suis resté là, derrière un figuier, dans l'anéantissement de ce que j'avais osé penser!…



Combien de temps restai-je ainsi, prostré? Une heure? Deux heures? Quand je me relevai, j'avais les reins rompus et l'esprit très fatigué. Oh! très fatigué! J'étais allé, au cours de mes étourdissantes hypothèses, jusqu'à me demander si par hasard (par hasard!) le Larsan qui était dans le sac de pommes de terre dites «saucisses» ne s'était pas substitué au Darzac qui le conduisait, dans la petite voiture anglaise traînée par Toby aux gouffres du puits de Castillon!… Parfaitement, je voyais le corps à l'agonie ressuscitant tout à coup et priant M. Darzac d'aller prendre sa place. Il n'avait fallu, pour que je rejetasse loin de mon absurde cogitation cette supposition imbécile, rien moins que le rappel de la preuve absolue de son impossibilité, qui m'avait été donnée le matin même par une conversation très intime entre M. Darzac et moi, au sortir de notre cruelle séance dans la Tour Carrée, séance pendant laquelle avaient été si bien établis tous les termes du problème du corps de trop. À ce moment, je lui avais posé, à propos du prince Galitch, dont la falote image ne cessait de me poursuivre, quelques questions auxquelles il avait tout de suite répondu en faisant allusion à une autre conversation très scientifique que nous avions eue la veille, Darzac et moi, et qui n'avait pu matériellement être entendue de personne autre que de nous deux, au sujet de ce même prince Galitch. Lui seul connaissait cette conversation là, et il ne faisait point de doute, par cela même, que le Darzac qui me préoccupait tant aujourd'hui n'était autre que celui de la veille.



Si insensée que fût l'idée de cette substitution, on me pardonnera tout de même de l'avoir eue. Rouletabille en était un peu la cause avec ses façons de me parler de son père comme du Dieu de la métamorphose! Et j'en revins à la seule hypothèse possible – possible pour un Larsan qui aurait pris la place d'un Darzac – à celle de la substitution au moment du mariage, lors du retour du fiancé de Mlle Stangerson à Paris, après trois mois d'absence dans le Midi…



La plainte déchirante que Robert Darzac, se croyant seul, avait laissé échapper, tout à l'heure à mes côtés, ne parvenait point à chasser tout à fait cette idée-là… Je le voyais entrant à l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, paroisse à laquelle il avait voulu que le mariage eût lieu… peut-être, pensai-je, parce qu'il n'y avait point d'église plus sombre à Paris…



Ah! on est très curieusement bête quand on se trouve, par une nuit lunaire, derrière un figuier de Barbarie, aux prises avec la pensée de Larsan!…



Très, très bête! me disais-je, en regagnant tout doucement, à travers les massifs de la baille, le lit qui m'attendait dans une petite chambre solitaire du Château Neuf… très bête… car, comme l'avait si bien dit Rouletabille… si Larsan avait été alors Darzac, il n'avait qu'à emporter sa belle proie et il ne se serait point complu à réapparaître à l'état de Larsan pour épouvanter Mathilde, et il ne l'aurait pas amenée au château fort d'Hercule, au milieu des siens, et il n'aurait pas pris la précaution désastreuse pour ses desseins de montrer à nouveau, dans la barque de Tullio, la figure menaçante de Roussel- Ballmeyer!



À ce moment, Mathilde lui appartenait, et c'est depuis ce moment qu'elle s'était reprise. La réapparition de Larsan ravissait définitivement la Dame en noir à Darzac, donc Darzac n'était pas Larsan! Mon Dieu! que j'ai mal à la tête… C'est la lune éblouissante, là-haut, qui m'a frappé douloureusement la cervelle… j'ai un coup de lune…



Et puis… et puis, n'était-il pas apparu à Arthur Rance lui-même, dans les jardins de Menton, alors que Darzac venait d'être «mis dans le train» qui le conduisait à Cannes, au-devant de nous! Si Arthur Rance avait dit vrai, je pouvais aller me coucher en toute tranquillité… Et pourquoi Arthur Rance eût-il menti?… Arthur Rance, encore un qui est amoureux de la Dame en noir, qui n'a pas cessé de l'être… Mrs. Edith n'est pas une sotte; elle a tout vu, Mrs. Edith!… Allons!… allons nous coucher…



J'étais encore sous la poterne du Jardinier et j'allais entrer dans la Cour du Téméraire quand il m'a semblé entendre quelque chose… on eût dit une porte que l'on refermait… cela avait fait comme un bruit de bois et de fer… de serrure… je passai vivement la tête hors de la poterne et je crus apercevoir une vague silhouette humaine près de la porte du Château Neuf, une silhouette, qui, aussitôt, s'était confondue avec l'ombre du Château Neuf elle-même; j'armai mon revolver et, en trois bonds, entrai dans l'ombre à mon tour… Mais je n'aperçus plus rien que l'ombre. La porte du Château Neuf était fermée et je croyais bien me rappeler que je l'avais laissée entrouverte. J'étais très ému, très anxieux… je ne me sentais pas seul… qui donc pouvait être autour de moi? Évidemment, si la silhouette existait en dehors de ma vision et de mon esprit troublés, elle ne pouvait plus être maintenant que dans le Château Neuf, car la Cour du Téméraire était déserte.

 



Je poussai avec précaution la porte, et entrai dans le Château Neuf. J'écoutai attentivement et sans faire le moindre mouvement au moins pendant cinq minutes… Rien!… je devais m'être trompé… Cependant je ne fis point craquer d'allumettes et, le plus silencieusement que je pus, je gravis l'escalier et gagnai ma chambre. Là, je m'enfermai et seulement respirai à l'aise…



Cette vision continuait cependant à m'inquiéter plus que je ne me l'avouais à moi-même, et, bien que je me fusse couché, je ne parvenais point à m'endormir. Enfin, sans que je pusse en suivre la raison, la vision de la silhouette et la pensée de Darzac- Larsan se mêlaient étrangement dans mon esprit déséquilibré…



Si bien que j'en étais arrivé à me dire: je ne serai tranquille que lorsque je me serai assuré que M. Darzac lui-même n'est pas Larsan! Et je ne manquerai point de le faire à la prochaine occasion.



Oui, mais comment?… Lui tirer la barbe?… Si je me trompe, il me prendra pour un fou ou il devinera ma pensée et elle ne sera point faite pour le consoler de tous les malheurs dont il gémit. Il ne manquerait plus à son infortune que d'être soupçonné d'être Larsan!



Soudain, je rejetai mes couvertures, je m'assis sur mon lit, et m'écriai:



«L'Australie!»



Je venais de me souvenir d'un épisode dont j'ai parlé au commencement de ce récit. On se rappelle que, lors de l'accident du laboratoire, j'avais accompagné M. Robert Darzac chez le pharmacien. Or, dans le moment qu'on le soignait, comme il avait dû ôter sa jaquette, la manche de sa chemise, dans un faux mouvement, s'était relevée jusqu'au coude et y avait été arrêtée pendant toute la séance, ce qui m'avait permis de constater que M. Darzac avait, près de la saignée du bras droit une large «tache de naissance» dont les contours semblaient curieusement suivre le dessin géographique de l'Australie. Mentalement, pendant que le pharmacien opérait, je n'avais pu m'empêcher de placer, sur ce bras, aux endroits qu'elles occupent sur la carte, Melbourne, Sydney, Adélaïde; et il y avait encore sous cette large tache une autre toute petite tache située dans les environs de la terre dite de Tasmanie.



Et quand, par hasard, plus tard, il m'était arrivé de penser à cet accident, à la séance chez le pharmacien et à la tache de naissance, j'avais toujours pensé aussi, par une liaison d'idées bien compréhensible, à l'Australie.



Et dans cette nuit d'insomnie, voilà que l'Australie encore m'apparaissait!…



Assis sur mon lit, j'avais eu à peine le temps de me féliciter d'avoir songé à une preuve aussi décisive de l'identité de Robert Darzac et je commençais à agiter la question de savoir comment je pourrais bien m'y prendre pour me la fournir à moi-même, quand un bruit singulier me fit dresser l'oreille… Le bruit se répéta… on eût dit que des marches craquaient sous des pas lents et précautionneux.



Haletant, j'allai à ma porte et, l'oreille à la serrure, j'écoutai. D'abord, ce fut le silence, et puis les marches craquèrent à nouveau… Quelqu'un était dans l'escalier, je ne pouvais plus en douter… et quelqu'un qui avait intérêt à dissimuler sa présence… je songeai à l'ombre que j'avais cru voir tout à l'heure en entrant dans la Cour du Téméraire… quelle pouvait être cette ombre, et que faisait-elle dans l'escalier? Montait-elle? Descendait-elle?…



Un nouveau silence… J'en profitai pour passer rapidement mon pantalon et, armé de mon revolver, je réussis à ouvrir ma porte sans la faire geindre sur ses gonds. Retenant mon souffle, j'avançai jusqu'à la rampe de l'escalier et j'attendis. J'ai dit l'état de délabrement dans lequel se trouvait le Château Neuf. Les rayons funèbres de la lune arrivaient obliquement par les hautes fenêtr

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