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Mont Oriol

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Quand un bourgeois me parle musique, j’ai envie de le tuer. Et quand c’est à l’Opéra, je lui demande: «Êtes-vous capable de me dire si le troisième violon a fait une fausse note à l’ouverture du troisième acte? – Non. – Alors taisez-vous. Vous n’avez pas d’oreille». L’homme qui, dans un orchestre, n’entend pas en même temps l’ensemble, et séparément tous les instruments, n’a pas d’oreille et n’est pas musicien. Voilà! Bonsoir!

Il pivota sur un talon, et reprit:

– Pour un artiste toute la musique est dans un accord. Ah! mon cher, certains accords m’affolent, me font entrer dans toute la chair un flot de bonheur inexprimable. J’ai aujourd’hui l’oreille tellement exercée, tellement faite, tellement mûre, que je finis par aimer même certains accords faux, comme un amateur dont la maturité de goût arrive à la dépravation. Je commence à être un corrompu qui cherche les extrêmes sensations d’ouïe. Oui, mes amis, certaines fausses notes! Quelles délices! Quelles délices perverses et profondes! Comme ça remue, comme ça ébranle les nerfs, comme ça gratte l’oreille, comme ça gratte…! comme ça gratte…!

Il se frottait les mains avec ravissement, et il chantonna:

– Vous entendrez mon opéra, – mon opéra, – mon opéra. – Vous entendrez mon opéra.

Gontran dit:

– Vous faites un opéra?

– Oui, je l’achève.

Mais la voix de commandement de Petrus Martel retentissait:

– Vous comprenez bien! C’est convenu: une fusée jaune, et vous partez!

Il donnait des ordres pour le feu d’artifice. On le rejoignit et il expliqua ses dispositions en montrant de son bras tendu, comme s’il eût menacé une flotte ennemie, des piquets de bois blancs sur la montagne, au-dessus des gorges, de l’autre côté du vallon.

– C’est là-bas qu’on le tirera. Je disais à mon artificier d’être à son poste dès huit heures et demie. Aussitôt que le spectacle sera fini je donnerai le signal d’ici par une fusée jaune, et alors il allumera la pièce d’ouverture.

Le marquis apparut:

– Je vais boire un verre d’eau, dit-il.

Paul et Gontran l’accompagnèrent et redescendirent la colline. En arrivant à l’établissement ils aperçurent le père Clovis qui y pénétrait, soutenu par les deux Oriol, suivi par Andermatt et par le docteur, et faisant, à chaque traînée de ses jambes sur le sol, des contorsions de souffrance.

– Entrons, dit Gontran, ce sera drôle.

On assit l’impotent sur un fauteuil, puis Andermatt lui dit:

– Voici mes propositions, vieux filou que vous êtes. Vous allez vous guérir immédiatement en prenant deux bains chaque jour. Et vous aurez deux cents francs aussitôt que vous marcherez…

Le paralytique se mit à gémir:

– Mes jambo, ch’est du fer, mon brave Monchieu.

Andermatt le fit taire et reprit:

– Écoutez donc… Et vous aurez encore deux cents francs tous les ans, jusqu’à votre mort… vous entendez… jusqu’à votre mort, si vous continuez à éprouver l’effet salutaire de nos eaux.

Le vieux resta perplexe. La guérison continue contrariait toutes ses dispositions d’existence.

Il demanda en hésitant:

– Mais quand… quand ch’est fermé… votre boîte… si cha me reprend… j’y peux rien… moi… pichque ch’est fermé… vote eau…

Le docteur Latonne l’interrompit; et se tournant vers Andermatt:

– Parfait…! parfait…! Nous le guérirons tous les ans… cela vaut mieux et prouvera la nécessité du traitement annuel, l’indispensabilité du retour. Parfait, c’est entendu!

Mais le vieux répétait de nouveau.

– Che ch’ra pas commode ch’te fois, mes braves Méchieus. Mes jambo, ch’est du fer, du fer en barro…

Une idée nouvelle germait dans l’esprit du docteur:

– Si je lui faisais faire quelques séances de marche assise, dit-il, je hâterais beaucoup l’effet des eaux. C’est une chose à tenter.

– Excellente pensée, répondit Andermatt, qui ajouta: Maintenant, père Clovis, allez-vous-en et n’oubliez pas nos conventions.

Le vieux partit en gémissant toujours; et, comme le soir venait, tous les administrateurs du Mont-Oriol rentrèrent dîner, car la représentation théâtrale était annoncée pour sept heures et demie.

Elle avait lieu dans la grande salle du nouveau Casino qui pouvait contenir mille personnes.

Dès sept heures, les spectateurs qui n’avaient point de places numérotées se présentèrent.

À sept heures et demie la salle était pleine et le rideau se leva sur un vaudeville en deux actes qui précédait l’opérette de Saint-Landri, interprétée par des chanteurs de Vichy, cédés pour la circonstance.

Christiane, au premier rang, entre son père et son mari, souffrait beaucoup de la chaleur.

Elle disait, à tout instant:

– Je n’en puis plus! je n’en puis plus!

Après le vaudeville, lorsque commença l’opérette, elle faillit se trouver mal, et, se tournant vers son mari:

– Mon cher Will, je vais être obligée de sortir. J’étouffe!

Le banquier fut désolé. Il tenait avant tout à ce que la fête réussît, d’un bout à l’autre, sans un accroc. Il répondit:

– Fais tous tes efforts pour résister. Je t’en supplie. Ton départ bouleverserait tout. Tu aurais la salle entière à traverser.

Mais Gontran, placé derrière elle avec Paul, avait entendu. Il se pencha vers sa soeur:

– Tu as trop chaud? dit-il.

– Oui, j’étouffe.

– Bon. Attends. Tu vas rire.

Une fenêtre était proche. Il s’y glissa, monta sur une chaise et sauta dehors sans être presque remarqué.

Puis il entra dans le café complètement vide, étendit la main sous le comptoir où il avait vu Petrus Martel cacher la fusée de signal, et, l’ayant volée, il courut se cacher dans un massif, puis l’alluma.

La rapide gerbe jaune s’envola vers les nuages en décrivant une courbe et jetant à travers le ciel une longue pluie de gouttes de feu.

Presque aussitôt une formidable détonation éclata sur la montagne voisine et un faisceau d’étoiles s’éparpilla dans la nuit.

Quelqu’un cria dans la salle de spectacle où frémissaient les accords de Saint-Landri:

– On tire le feu d’artifice!

Les spectateurs les plus proches des portes se levèrent brusquement pour s’en assurer et sortirent à pas légers. Tous les autres tournèrent les yeux vers les fenêtres, mais ne virent rien, car elles regardaient la Limagne.

On demandait:

– Est-ce vrai? Est-ce vrai?

Une agitation remuait la foule impatiente, avide surtout d’amusements simples.

Une voix du dehors annonça:

– C’est vrai, on le tire.

Alors, en une seconde, toute la salle fut debout. On se précipitait vers les portes, on se bousculait, on hurlait vers ceux qui obstruaient la sortie:

– Mais dépêchez-vous, dépêchez-vous donc!

Tout le monde fut bientôt dans le parc. Seul Saint-Landri, exaspéré, continuait à battre la mesure devant son orchestre distrait. Et là-bas les soleils succédaient aux chandelles romaines, au milieu des détonations.

Tout à coup, une voix formidable lança trois fois ce cri furieux:

– Arrêtez, nom de Dieu! Arrêtez, nom de Dieu! Arrêtez, nom de Dieu!

Et, comme un feu de Bengale immense s’allumait alors sur le mont, éclairant en rouge à droite, en bleu à gauche, les rochers énormes et les arbres, on aperçut, debout dans un des vases de simili-marbre qui décoraient la terrasse du Casino, Petrus Martel éperdu, nu-tête, les bras en l’air, gesticulant et hurlant.

Puis, la grande clarté s’éteignant, on ne vit plus rien que les vraies étoiles. Mais aussitôt, une autre pièce partit et Petrus Martel, sautant à terre, s’écria:

– Quel désastre! quel désastre! Mon Dieu, quel désastre!

Et il passait dans la foule avec des gestes tragiques, des coups de poing dans le vide, des trépignements de colère, en répétant toujours:

– Quel désastre! Mon Dieu, quel désastre!

Christiane avait pris le bras de Paul pour venir s’asseoir au grand air, et elle regardait, ravie, les fusées qui montaient au ciel.

Son frère la rejoignit tout à coup, et dit:

– Hein, est-ce réussi? Crois-tu que c’est drôle?

Elle murmura:

– Comment, c’est toi?…

– Mais oui, c’est moi. Est-elle bonne, hein?

Elle se mit à rire, trouvant cela drôle en effet. Mais Andermatt arrivait navré. Il ne comprenait pas d’où un coup pareil était parti. On avait volé la fusée sous le comptoir pour donner le signal convenu. Une pareille infamie ne pouvait venir que d’un émissaire de l’ancienne Société, d’un agent du docteur Bonnefille!

Et il répétait, lui:

– C’est désolant, positivement désolant. Voici un feu d’artifice de deux mille trois cents francs qui est perdu, tout à fait perdu!

Gontran reprit:

– Non, mon cher, en comptant bien, la perte ne s’élève pas à plus du quart, mettons au tiers, si vous voulez; soit à sept cent soixante-six francs. Vos invités auront donc joui de quinze cent trente-quatre francs de fusées. Ça n’est pas mal, en vérité.

La colère du banquier se tourna vers son beau-frère. Il le prit brusquement par le bras:

– Vous, j’ai à vous parler d’une façon sérieuse. Puisque je vous tiens, faisons un tour dans les allées. J’en ai pour cinq minutes, d’ailleurs.

Puis, se tournant vers Christiane:

– Je vous confie à notre ami Brétigny, ma chère; mais ne restez pas longtemps dehors, ménagez-vous. Vous pourriez attraper froid, vous savez. Prenez garde, prenez garde!

Elle murmura:

– Ne craignez rien, mon ami.

Et Andermatt entraîna Gontran.

Dès qu’ils furent seuls, un peu loin de la foule, le banquier s’arrêta.

– Mon cher, c’est de votre situation financière que je veux vous parler.

– De ma situation financière?

– Oui! la connaissez-vous, votre situation financière?

– Non. Mais vous devez la connaître pour moi, puisque vous me prêtez de l’argent.

– Eh bien, oui, je la connais, moi! et c’est pour cela que je vous en parle.

 

– Il me semble au moins que le moment est mal choisi… au milieu d’un feu d’artifice!

– Le moment est fort bien choisi, au contraire. Je ne vous parle pas au milieu d’un feu d’artifice; mais avant un bal…

– Avant un bal?… Je ne comprends pas.

– Eh bien, vous allez comprendre. Votre situation, la voici: Vous n’avez rien, que des dettes; et vous n’aurez jamais rien que des dettes…

Gontran reprit avec sérieux:

– Vous me dites cela un peu crûment.

– Oui, parce qu’il le faut. Écoutez-moi: Vous avez mangé la part de fortune qui vous revenait de votre mère. N’en parlons plus.

– N’en parlons plus.

– Quant à votre père, il possède trente mille francs de rente, soit un capital de huit cent mille francs environ. Votre part sera donc, plus tard, de quatre cent mille francs. Or, vous me devez, à moi, cent quatre-vingt-dix mille francs. Vous devez en outre à des usuriers…

Gontran murmura d’un air hautain:

– Dites à des juifs.

– Soit, à des juifs, bien qu’il y ait dans le nombre un marguillier de Saint-Sulpice qui s’est servi d’un prêtre comme intermédiaire entre lui et vous… mais je ne chicanerai pas pour si peu… Vous devez donc à divers usuriers, israélites ou catholiques, à peu près autant. Mettons cent cinquante mille, au bas mot. Cela fait un total de trois cent quarante mille francs dont vous payez les intérêts en empruntant toujours, sauf pour les miens, que vous ne payez point.

– C’est juste, dit Gontran.

– Alors, il ne vous reste plus rien.

– Rien, en effet… que mon beau-frère.

– Que votre beau-frère, qui en a assez de vous prêter de l’argent.

– Alors?

– Alors, mon cher, le moindre paysan logé dans une de ces huttes, là-bas, est plus riche que vous.

– Parfaitement… et après?

– Après… après… Si votre père mourait demain, il ne vous resterait plus, pour manger du pain, pour manger du pain, entendez-vous, qu’à accepter une place d’employé dans ma maison. Et ce serait encore là un moyen de déguiser la pension que je vous ferais.

Gontran dit, d’un ton irrité:

– Mon cher William, ces choses-là m’embêtent. Je les sais d’ailleurs aussi bien que vous, et, je vous le répète, le moment est mal choisi pour me les rappeler avec… avec… avec aussi peu de diplomatie…

– Permettez, laissez-moi finir. Vous ne pouvez vous tirer de là que par un mariage. Or, vous êtes un parti déplorable, malgré votre nom qui sonne bien, sans être illustre. Enfin, il n’est pas de ceux qu’une héritière, même israélite, paye d’une fortune. Donc, il faut vous trouver une femme acceptable et riche, ce qui n’est pas très commode…

Gontran l’interrompit:

– Nommez-la tout de suite, ça vaut mieux.

– Soit: une des filles du père Oriol, à votre choix. Et voici pourquoi je vous en parle avant le bal.

– Et maintenant, expliquez-vous plus longuement, reprit Gontran d’une voix froide.

– C’est bien simple. Vous voyez le succès que j’ai obtenu, du premier coup, avec cette station. Or, si j’avais entre les mains, ou, plutôt si nous avions entre les mains toutes les terres conservées par ce finaud de paysan, j’en ferais de l’or. Pour ne parler que des vignes qui vont de l’établissement à l’hôtel et de l’hôtel au Casino, je les payerais un million demain, moi, Andermatt. Or, ces vignes-là et les autres, tout autour de la butte, seront les dots des petites. Le père me le disait encore tantôt, non sans intention, peut-être. Eh bien…, si vous vouliez, nous pourrions faire là une grosse affaire, tous les deux?…

Gontran murmura, en ayant l’air de réfléchir:

– C’est possible. J’y penserai.

– Pensez-y, mon cher, et n’oubliez pas que je ne parle jamais que de choses très sûres, après y avoir beaucoup songé, et quand je connais toutes les conséquences possibles et tous les avantages certains.

Mais Gontran, levant un bras, s’écria comme s’il venait d’oublier brusquement tout ce que lui avait dit son beau-frère:

– Regardez! Que c’est beau!

Le bouquet s’allumait, simulant un palais embrasé sur lequel un drapeau flambant portait Mont-Oriol en lettres de feu toutes rouges, et, en face de lui, au-dessus de la plaine, la lune, rouge aussi, semblait apparue pour contempler ce spectacle. Puis, quand le palais, après avoir brûlé quelques minutes, fit explosion ainsi qu’un navire saute, en projetant dans le ciel entier des astres de fantaisie qui éclataient à leur tour, la lune resta toute seule, calme et ronde sur l’horizon.

Le public applaudissait avec rage, criait:

– Hurra! Bravo! bravo!

Andermatt dit soudain:

– Allons ouvrir le bal, mon cher. Voulez-vous danser en face de moi le premier quadrille?

– Mais oui, certainement, mon cher beau-frère.

– Qui avez-vous l’intention d’inviter? Moi, j’ai retenu la duchesse de Ramas.

Gontran répondit avec indifférence:

– Moi j’inviterai Charlotte Oriol.

Ils remontèrent. Comme ils passaient devant la place où Christiane était restée avec Paul Brétigny, ils ne les aperçurent plus.

William murmura:

– Elle a écouté mon conseil, elle est partie se coucher. Elle était très lasse aujourd’hui.

Et il s’avança vers la salle de bal que les hommes de service avaient préparée pendant le feu d’artifice.

Mais Christiane n’était point rentrée dans sa chambre, ainsi que le pensait son mari.

Dès qu’elle s’était sentie seule avec Paul, elle lui avait dit tout bas, en lui serrant la main:

– Te voici donc venu, je t’attends depuis un mois. Tous les matins, je me demandais: Est-ce aujourd’hui que je le verrai?… Et tous les soirs je me disais: Ce sera demain alors?… Pourquoi as-tu tardé si longtemps, mon amour?

Il répondit avec embarras:

– J’ai eu des occupations, des affaires.

Elle se penchait sur lui, murmurant:

– Ça n’était pas bien de me laisser seule ici, avec eux, surtout dans ma situation.

Il écarta un peu sa chaise:

– Prends garde, on pourrait nous voir. Ces fusées éclairent tout le pays.

Elle n’y pensait guère; elle dit:

– Je t’aime tant!

Puis, avec des tressaillements de joie:

– Oh! que je suis heureuse, que je suis heureuse de nous retrouver ensemble, ici! Y songes-tu? Paul, quelle joie! Comme nous allons nous aimer encore!

Elle soupira d’une voix si faible qu’elle semblait un souffle:

– J’ai une envie folle de t’embrasser, mais folle… là, … folle. Je ne t’ai pas vu depuis si longtemps!

Puis soudain, avec une énergie violente de femme passionnée, à qui tout doit céder:

– Écoute, je veux… tu entends… je veux aller avec toi, tout de suite, à l’endroit où nous nous sommes dit adieu, l’an dernier! tu te rappelles bien, sur la route de La Roche-Pradière?

Il répondit stupéfait:

– Mais c’est insensé, tu ne peux plus marcher. Tu as été debout toute la journée! C’est insensé, je ne le permettrai pas.

Elle s’était levée, et elle répéta:

– Je le veux. Si tu ne m’accompagnes pas, j’irai seule.

Et lui montrant la lune qui se levait:

– Tiens, c’était un soir tout pareil! Tu te rappelles, comme tu baisais mon ombre?

Il la retenait:

– Christiane… écoute… c’est ridicule… Christiane.

Elle ne répondait pas et marchait vers la descente qui conduisait aux vignes. Il connaissait cette volonté calme que rien ne faisait dévier, l’entêtement gracieux de ces yeux bleus, de ce petit front de blondine qu’aucun obstacle n’arrêtait; et il prit son bras pour la soutenir en route.

– Si on nous voyait, Christiane?

– Tu ne disais pas ça, l’an dernier. Et puis, tout le monde est à la fête. Nous serons revenus sans qu’on ait remarqué notre absence.

Il fallut bientôt monter par le sentier pierreux. Elle soufflait, s’appuyant sur lui de toute sa force; et à chaque pas, elle disait:

– C’est bon, c’est bon, c’est bon de souffrir ainsi!

Il s’arrêta, voulant la ramener. Mais elle ne l’écoutait point:

– Non, non. Je suis heureuse. Tu ne comprends pas ça, toi. Écoute… je le sens qui tressaille… notre enfant… ton enfant… quel bonheur!… donne ta main… Tiens… le sens-tu?…

Elle ne comprenait pas qu’il était, cet homme, de la race des amants, et non point de la race des pères. Depuis qu’il la savait enceinte, il s’éloignait d’elle et se dégoûtait d’elle, malgré lui. Il avait souvent répété, jadis, qu’une femme n’est plus digne d’amour qui a fait fonction de reproductrice. Ce qui l’exaltait dans la tendresse, c’était cet envolement de deux coeurs vers un idéal inaccessible, cet enlacement de deux âmes qui sont immatérielles, c’était tout le factice et l’irréalisable mis par les poètes dans la passion. Dans la femme physique, il adorait la Vénus dont le flanc sacré devait conserver toujours la forme pure de la stérilité. L’idée d’un petit être né de lui, larve humaine agitée dans ce corps souillé par elle et enlaidi déjà, lui inspirait une répulsion presque invincible. La maternité faisait une bête de cette femme. Elle n’était plus la créature d’exception, adorée et rêvée, mais l’animal qui reproduit sa race. Et même un dégoût matériel se mêlait en lui à ces répugnances de l’esprit.

Comment aurait-elle senti et deviné cela, elle que chaque tressaillement de l’enfant désiré attachait davantage à son amant? Cet homme qu’elle adorait, qu’elle avait aimé chaque jour un peu plus, depuis l’heure de leur premier baiser, non seulement il avait pénétré jusqu’au fond de son coeur, mais voilà qu’il était entré aussi jusqu’au fond de sa chair, qu’il y avait semé sa propre vie, qu’il allait sortir d’elle redevenu tout petit. Oui, elle le portait là, sous ses mains croisées, lui-même, son bon, son cher, son tendre, son seul ami, renaissant dans ses entrailles de par le mystère de la nature. Et elle l’aimait doublement, maintenant qu’elle l’avait deux fois, le grand et le petit encore inconnu, celui qu’elle voyait, qu’elle touchait, qu’elle embrassait, qu’elle entendait parler, et celui qu’elle ne pouvait encore que sentir remuer sous sa peau.

Ils étaient arrivés sur la route.

– Tu m’attendais là-bas, ce soir-là, dit-elle.

Et elle lui tendit ses lèvres. Il les baisa sans répondre, d’un baiser froid.

Elle murmura, pour la deuxième fois:

– Te souviens-tu, comme tu m’embrassais par terre? Nous étions ainsi, regarde.

Et dans l’espoir qu’il recommencerait, elle se mit à courir pour s’éloigner de lui. Puis elle s’arrêta, haletante, et attendit, debout au milieu de la route. Mais la lune, allongeant son profil sur le sol, y dessinait la bosse de son flanc déformé. Et Paul, regardant à ses pieds l’ombre de sa grossesse, restait immobile en face d’elle, blessé dans ses pudeurs poétiques, exaspéré qu’elle ne sentît pas cela, qu’elle ne devinât point sa pensée, qu’elle n’eût pas assez de coquetterie, de tact et de finesse féminine pour comprendre toutes les nuances qui font si différentes les circonstances; et il lui dit, avec une impatience dans la voix:

– Voyons, Christiane, ces enfantillages sont ridicules.

Elle revint à lui, émue, triste, les bras ouverts, et se jetant sur sa poitrine:

– Oh! tu m’aimes moins. Je le sens! J’en suis sûre!

Il eut pitié, lui prit la tête et mit sur ses yeux deux longs baisers.

Puis ils revinrent, silencieux. Il ne trouvait rien à lui dire; et comme elle s’appuyait sur lui, épuisée de fatigue, il hâtait le pas pour ne plus sentir contre sa hanche le frôlement de cette taille élargie.

En approchant de l’hôtel, ils se séparèrent, et elle monta dans sa chambre.

L’orchestre du Casino jouait des airs de danse, et Paul alla voir le bal. C’était une valse, tous valsaient: le docteur Latonne avec Mme Paille la jeune, Andermatt avec Louise Oriol, le joli docteur Mazelli avec la duchesse de Ramas et Gontran avec Charlotte Oriol. Il lui parlait dans l’oreille avec cet air tendre qui indique une cour commencée; et elle souriait derrière son éventail, rougissait, semblait ravie.

Paul entendit derrière lui:

– Tiens, tiens, M. de Ravenel qui conte fleurette à ma cliente.

C’était le docteur Honorat, debout près de la porte, s’amusant à regarder. Il reprit:

– Oui, oui, voilà une demi-heure que cela dure. Tout le monde l’a déjà remarqué. Ca n’a pas l’air d’ailleurs de déplaire à la petite.

Il ajouta, après un silence:

– En voilà une perle, que cette enfant-là, bonne, gaie, simple, dévouée, droite, vous savez, une brave créature. Il en faudrait dix comme l’aînée pour la valoir. Moi, je les connais depuis l’enfance… ces fillettes… Et pourtant le père préfère l’aînée, parce qu’elle est plus… plus… comme lui… plus paysanne… moins droite… plus économe… plus rusée… et plus… plus jalouse… Oh! c’est une bonne fille tout de même… je n’en voudrais pas dire de mal… mais, malgré moi, je compare, vous comprenez… et, après avoir comparé… je juge… voilà.

 

La valse finissait; Gontran rejoignit son ami et, apercevant le docteur:

– Ah! dites-moi donc, le corps médical d’Enval me paraît singulièrement accru. Nous avons un M. Mazelli qui valse dans la perfection et un vieux petit M. Black qui semble fort bien avec le ciel.

Mais le docteur Honorat fut discret. Il n’aimait point juger ses confrères.

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