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Un Cadet de Famille, v. 2/3

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LXII

Le lendemain, munis de nos lances, Aston et moi, nous grimpâmes le côté boisé de la montagne. Après avoir rôdé pendant quelque temps, nous suivîmes le cours d'une petite rivière qui était à moitié consumée par l'aride chaleur d'un temps sec et sans air. Les eaux de cette rivière serpentaient sous l'ombrage des arbres et des arbrisseaux qui, maintenus dans leur verdure par l'humide contact de l'eau, se penchaient amoureusement vers leur faible nourrice pour lui payer en retour de ses bienfaits le tribut de leur ombre.

Le soleil brûlant dévorait comme un ardent incendie tout ce qui affrontait ses rayons. Le chêne robuste, le fin pin, le palmier gigantesque, le teck majestueux, qui s'élèvent comme des chefs au-dessus de tous les arbres de la forêt, montraient tristement leurs cimes brûlées, séchées, presque anéanties par l'angoisse de la soif. Les bruyants perroquets étaient silencieux, et les singes inconstants, à moitié endormis, se traînaient sur les branches avec une apathie si nonchalante, qu'ils nous laissaient passer indifféremment.

Si je cherchais à attirer leur attention en leur jetant ma lance ou une pierre, ils montaient doucement et d'un air chagrin sur une branche plus élevée, ou bien encore ils changeaient simplement de place. Il n'y avait pas, sous ce ciel brûlant, un autre animal visible.

Notre vive jeunesse, notre santé de fer semblaient nous mettre à l'épreuve du soleil, car nous marchions joyeusement, insouciants de tous les obstacles que nous présentaient les buissons, les bambous et les ronces. Nous débarrassions les chemins avec nos lances, et nous nous faisions un passage aussi adroitement que les sangliers dont nous cherchions les traces.

En traversant la rivière pour rentrer au logis (midi venait de sonner dans nos estomacs), nous fûmes étonnés d'entendre tout près de nous la détonation d'une arme à feu. Cette détonation, dont le silence tripla la sonorité, fut semblable à celle d'un coup de canon, car elle se répéta de rocher en rocher.

Dans une seconde, tout le bois fut en confusion; tous ses hôtes, effrayés, s'agitèrent. Nous courions vers l'endroit d'où le coup de mousquet avait dû partir, quand un sanglier, suivi par une litière de petits, qui joignaient au cri de leur mère leur timide voix, passa rapidement devant nous.

Nous nous jetâmes hardiment à la poursuite de cette précieuse bande. La féroce mère se retourna et mit sa poitrine entre ses enfants et nos armes.

Je voudrais que ma bonne mère pensât ainsi quelquefois aux siens; mais il y a si longtemps qu'elle leur a donné le jour, qu'il est bien possible qu'elle ne s'en souvienne plus.

Je devançai Aston, et je me précipitai au-devant du sanglier. Ma lance se brisa, car le coup, mal dirigé, ne fit qu'effleurer la peau dure et ridée de l'animal. La terre, sèche et glissante, me fit perdre pied, et je tombai devant la bête. Je saisis le petit poignard que j'avais dans ma poitrine, et, sans m'effrayer des regards féroces et des défenses énormes de mon ennemi, j'allais l'attaquer quand Aston me cria:

– Restez tranquille! ne bougez pas!

Je retins mon haleine, et je sentis la lance d'Aston glisser au-dessus de moi. Elle atteignit le sanglier au cœur, et la bête, expirante, tomba sur moi.

Une voix inconnue s'écria aussitôt et d'un ton ravi:

– Cette belle personne fera des jambons excellents. Je l'emporterai là-bas pour la saler et la préparer.

Et au même moment quelqu'un, le propriétaire de la voix, empoigna mes jambes.

– Que je sois pendu si vous faites cela! m'écriai-je en me levant et en regardant le personnage, qui n'était autre que Louis, arrivé le matin à la maison avec une provision de vivres.

– Ah! me dit-il, je ne vous avais pas vu. Le beau porc!

Et le munitionnaire riait de plaisir, se régalait en imagination sur le cadavre encore chaud de la victime d'Aston.

Tout à coup l'attention de Louis fut attirée par les cris des pourceaux, qui couraient éperdus en cherchant leur mère çà et là.

– Comment! cria-t-il, elle a des petits et vous ne me le dites pas?

Nous réussîmes sans peine à attraper tous les orphelins. Louis les dorlota, les caressa; il les pressa dans ses bras en les appelant ses jolis petits chéris.

– Ne pleurez pas, mes amours, leur dit-il; je vous donnerai des soins aussi tendres que ceux que vous a prodigués votre mère.

En achevant cette bienveillante promesse, Louis se tourna vers nous.

– Avez-vous faim? nous demanda-t-il; si vous le voulez, je vais allumer du feu, afin de faire cuire deux de ces petits?

– Sur quel animal avez-vous tiré un coup de fusil, Louis?

– Ah! c'est vrai. J'ai tiré, et fort adroitement. Je l'avais tout à fait mis en oubli; mais, avant de vous montrer ma victime, laissez-moi attacher les jambes de ces belles petites créatures. Mon fusillé n'est pas encore mort.

Après avoir enchaîné ses jolis petits chéris, Louis nous montra un arbre sur une branche duquel était couché un énorme babouin.

Les entrailles de la pauvre bête sortaient de son corps au milieu d'un ruisseau de sang.

Quoique à l'agonie, il se collait à l'arbre avec ses pieds de derrière.

À notre approche, il nous fit la grimace et se mit à caqueter.

Louis rechargea son fusil, et, quand il dirigea le canon vers l'arbre, la pauvre bête parut désespérée; sa colère se changea en peur, elle nous jeta un regard pitoyable et fit un dernier effort pour fuir vers une branche moins à portée des coups de son ennemi. Ce mouvement fut fatal au babouin, car il tomba sans vie au pied de l'arbre.

Louis sauta sur le singe, le saisit promptement par la nuque et lui coupa la gorge.

Cette action ressemblait tellement à un homicide, que je frissonnai.

– Allons-nous-en, dis-je d'un ton impatienté; laissons-le, laissons-le!

– Pourquoi? demanda Louis; moi je veux l'emporter, la chair du singe est excellente: si vous ne savez pas cela, vous ne savez rien du tout.

– En vérité, s'écria Aston, cet homme est un cannibale, allons-nous-en.

Nous quittâmes Louis en lui promettant d'envoyer une litière et des domestiques pour enlever le sanglier.

LXIII

Notre première rencontre fut celle de Van Scolpvelt, qui, assis sous une haie de poiriers épineux, dévorait du regard et de la pensée les caractères d'un grand in-folio ouvert devant lui. De temps à autre il s'occupait attentivement à regarder, à l'aide d'un microscope, un objet d'abord invisible à nos yeux.

Van Scolpvelt ne fit pas le moins du monde attention à notre approche. Il continua à tenailler avec un petit couteau un malheureux hérisson.

– Regardez, dit-il à Aston d'un ton dur, regardez cet héroïque animal; je le perce de part en part, il est vivant, il a des muscles, des nerfs, et cependant il ne remue pas, il ne se plaint pas, il ne fait pas le moindre bruit, il ne trouble pas inutilement, sottement, le cours d'une savante expérience: que ce calme dévoué soit une leçon pour vous!

En entrant dans la maison, nous trouvâmes de Ruyter occupé à parcourir des journaux et à feuilleter des livres nouvellement arrivés.

– Jetez un coup d'œil sur les papiers du grab, me dit-il en me les montrant du regard; ils sont dignes d'intérêt.

– Mon cher de Ruyter, dit Aston, je vous renouvelle devant Trelawnay une prière que je vous ai déjà faite: celle de livrer à la publicité les charmants récits que renferme votre journal particulier.

J'attendis avec impatience la réponse de de Ruyter, et elle frappa vivement mon esprit.

– Si j'étais ambitieux, nous dit-il, si j'aspirais à la vaine gloire de rendre mon nom immortel, et si pour le faire je n'avais qu'à écrire, je n'écrirais pas. Quand la vie d'un homme est pure de toute mauvaise action, quand elle est brillante et sans tache, il a conquis, par l'effort seul de sa volonté, la plus appréciable des gloires, celle de l'estime de ses concitoyens.

Il y a peu de héros grecs et romains qui aient été des auteurs, et cependant leurs noms, illustrés par leurs actions, se sont perpétués jusqu'à nous. Eschyle, Sophocle sont lus; mais Socrate, Timoléon, Léonidas, Portia et Arie sont admirés et connus. Les éclatantes actions de l'héroïsme, de la dévotion, de la générosité, les ont préservés de l'oubli. L'immortalité qui est conquise par la conduite est la plus honorable. Il y a des milliers de gens qui sont incapables de comprendre les idées d'un grand auteur, mais qui s'échauffent et qui brûlent de plaisir en écoutant le récit d'une action noble et généreuse.

Pour en revenir à la demande que vous m'avez faite, je ne puis en satisfaire les désirs, parce que je ne tiens qu'à une seule chose, et cette chose est la bonne opinion, l'estime, l'amitié de ceux que j'aime. Je tiens à la vôtre surtout, mes chers amis, et j'y attache plus de valeur qu'à l'approbation du gouvernement français, qui m'a écrit ici, mon cher Aston, que vous deviez être emprisonné en attendant la possibilité d'un échange. Cet ordre n'a point de personnalité, mais, en égoïste, je vous offre votre liberté sans conditions, et je vous donnerai un passage dans un de vos ports, aussitôt que la vie de ma résidence vous paraîtra fastidieuse.

– Si vous attendez cette époque pour m'embarquer, mon cher de Ruyter, j'ai de longs jours devant moi, car bien certainement elle n'arrivera jamais. Jusqu'à présent j'ai à peine joui d'un plaisir vrai ou ressenti une joie qui puisse être comparée à celle qui remplit mon cœur depuis que j'habite votre résidence. Je suis parfaitement heureux ici, et je n'y éprouve pas un désir qui ne soit à l'instant satisfait. Le seul nuage qui obscurcisse mon bonheur est l'incertitude de sa durée. De sorte, mon cher de Ruyter, que je me vois obligé de vous confesser sincèrement que mes lèvres démentiraient mon cœur si je vous remerciais, en voulant les mettre à profit, des bonnes intentions que vous avez pour moi en me rendant libre.

 

– Épargnez-vous cette inutile phraséologie, répondit de Ruyter en se levant et en serrant la main d'Aston; vous vous plaisez ici, restez-y, amusez-vous et laissez-moi arranger le reste. Je ménagerai le commandant, et, d'après ce que vous m'avez dit de vos affaires, votre séjour au milieu de nous ne peut vous faire aucun tort dans votre profession.

– Que ma profession soit maudite! s'écria Aston lorsque de Ruyter eut quitté la salle. Je n'étais qu'un enfant quand je suis entré au service, et je n'ai été qu'un imbécile de persister dans cette carrière; elle ne me laisse voir dans l'avenir ni gloire ni fortune, et je me sais incapable aujourd'hui de remplir un emploi sérieux et productif. Je suis dans la marine depuis l'âge de dix ans, et j'en ai vingt-cinq. Je n'ai jamais séjourné trois mois consécutifs sur terre; ma peau est noircie par le soleil, mes cheveux presque blanchis par les orages; je possède des cicatrices, le rang de lieutenant, et voilà tout ce que j'ai gagné et probablement tout ce que je gagnerai.

– Oui, ajoutai-je, et vous aurez de plus, dans vos vieux jours, une bonne place à l'hôpital de Greenwich, une jolie petite cabine grande de six pieds, mais toute à vous seul; des vivres, un jardin planté de choux pour promenade, et trois sous par jour, juste assez pour acheter votre tabac. Que peut-on désirer de plus?

Aston continua de se plaindre, de maugréer, et moi de lui donner pour consolation la perspective de l'hôpital.

– Croyez-moi, mon cher Aston, lui dis-je en quittant le ton de la plaisanterie, abandonnez la carrière maritime; vous la suivez sans espoir de promotion, et elle ne vous mènera pas à la gloire. Puisque vous n'avez point de fortune, associez-vous avec nous, et bien certainement, au bout de quelques années, vous aurez une aisance qui vous permettra de jouir en repos de la seule ambition de votre cœur: celle de consacrer vos jours à la culture de la terre. Car, continuai-je, un homme sans argent n'a point de patrie. D'ailleurs, Aston, vous êtes Canadien, et, si vous allez en Angleterre sans argent, vous serez obligé de vous apercevoir qu'à l'entrée des villes il y a de laides affiches, des affiches très-désagréables à la vue, quoique proprement peintes, et qui glissent dans l'intelligence des arrivants pauvres de malhonnêtes insinuations; quelque chose comme ceci: «Les mendiants ne sont pas reçus ici,» de sorte que Greenwich…

Aston se leva, saisit une lance, et je me sauvai en riant par la fenêtre.

Aston refusait d'écouter avec sérieux mes propositions, et il m'était impossible de lui infuser mes goûts et les principes qui en dérivaient.

Quant à de Ruyter, il ne songeait même pas à lui demander quel parti il voulait prendre.

C'était assurément un excès de délicatesse, car Aston et lui étaient des amis sérieux et inséparables.

Je me rendis au port, où était amarré le grab, pour donner aux hommes une considérable portion de leur part de prise. J'en congédiai un grand nombre, ne laissant sur le grab que les hommes nécessaires au vaisseau. Je dis au rais que deux fois par semaine je me rendrais à bord du grab, et qu'à son tour il viendrait nous voir à la résidence.

Quand j'eus réglé tous les comptes qui regardaient le grab, je me dévouai de cœur, de corps et d'âme aux plaisirs de la vie rurale.

Presque tous les jours j'explorais l'île dans une nouvelle direction; je découvrais les endroits bien fournis de gibier, les rivières et les lacs riches en poisson; quelquefois de Ruyter était mon guide; mais plus souvent encore je servais de cicerone à Aston.

Quand le jour était bon pour la chasse, nous allions tous ensemble, chargés de provisions, dîner à l'ombre des bois. Dans ces occasions, comme il n'y avait presque rien à faire sur le grab, Louis était notre pourvoyeur. Si le temps se montrait favorable aux travaux du jardin, nous passions la journée à planter, à bêcher, à arroser. L'orage, la pluie ou les variations capricieuses de l'atmosphère nous trouvaient dans la salle escrimant, lisant, écrivant ou dessinant. Nous évitions autant que possible l'ennui d'aller à la ville, et nous répondions assez mal aux invitations journalières qui nous étaient faites par la femme du commandant, ainsi que par les officiers et les marchands. De Ruyter et, pour dire la vérité, chacun de nous détestait ce qu'on appelle le monde. En conséquence, mon ami avait, pour y construire son habitation, choisi un endroit presque inaccessible, surtout dans la saison des pluies. Il fermait ainsi avec finesse l'entrée de sa solitude aux paresseux, frivoles et ennuyeux visiteurs. À ce propos, de Ruyter citait les paroles de Morin, philosophe français, qui disait:

«Ceux qui viennent me voir me font un honneur, mais ceux qui s'en abstiennent me font une faveur.»

Quand quelques personnes de Port-Louis se hasardaient à venir nous rendre une visite, leurs discours n'avaient qu'un sujet, celui des dangers qu'ils avaient affrontés en passant à gué les rivières et les marais. En écoutant ces lamentations, de Ruyter souriait avec malice, et il montrait qu'on pouvait remédier au mal par quelques travaux dont il avait déjà le plan.

– Au retour de mon prochain voyage, ajoutait-il, mes projets prendront une forme, je ferai construire une route directe d'ici à Port-Louis.

Quand les niais visiteurs nous avaient débarrassés de leur présence, de Ruyter s'écriait:

– Comment s'y sont-ils pris pour arriver ici avec tant de facilité? Il faut que nous enfermions l'eau, afin d'augmenter le marécage des prairies, la force du torrent et les vibrations du pont de bambou. Malgré cet amour de la solitude, de Ruyter n'était pas insociable; les hommes de cœur, de talent ou d'esprit, en un mot, les hommes estimables étaient les bienvenus, et quand la porte de la maison s'ouvrait devant eux, de Ruyter serrait leurs mains, et chaque trait de son visage exprimait le plaisir. De Ruyter sentait et faisait sentir que l'offre de son hospitalité, que l'acceptation de cette offre étaient des deux parts une grande preuve d'amitié.

Plus le séjour de ces personnages privilégiés et dignes de l'être était long, plus de Ruyter paraissait content. J'ai vécu dans peu de maisons (celles des hommes mariés sont en dehors de la question) où les convives, ainsi que leur hôte, eussent le droit de jouir d'une liberté égale à celle qui régnait chez de Ruyter. Si les hommes qui s'appellent gentlemen ressemblaient à de Ruyter, ils n'auraient pas besoin de grands mots, de vernis sur leurs bottes et d'amidon à leur chemise pour se distinguer du commun des martyrs.

Ma petite épouse, orpheline, ne connaissait point la civilisation, que le ciel en soit béni! car sa timidité naïve et vraie était celle du pigeon ramier et non la mine affectée d'une coquette. Pauvre chère enfant, elle croyait que son mari seul avait le droit d'occuper ses pensées, et elle ne s'imaginait pas qu'en Angleterre la fashion fait de ce sentiment un crime plus odieux que celui de l'adultère.

Les circonstances de notre première rencontre, notre vie sur le vaisseau et enfin notre séjour sous le même toit achevèrent en peu de temps de former un lien d'intimité qui, dans d'autres circonstances, eût demandé bien des mois.

D'ailleurs les coutumes arabes, toutes favorables au mari, le dispensent sagement du fatigant ennui de faire la cour. Je dis sagement, parce que, quand on offre son amour à une femme jeune et belle, le jugement est aveuglé par la passion. En Orient, les choses sont mieux arrangées, le procès est court; les parents, dont la raison est formée et les passions flétries, se chargent de tous les préliminaires nécessaires à la conclusion du mariage. L'époux et l'épouse se voient et sont mariés dans la même heure; «car, disait le vieux rais, et il était savant, les jeunes hommes et les jeunes femmes ressemblent à du feu et à de la poudre; en conséquence, on doit les séparer ou les unir.»

En Europe, les jeunes gens parlent du bonheur domestique et de l'affection conjugale avec enthousiasme, et j'ai vu des maris écouter ces paroles en faisant des grimaces de possédé; quelques-uns, c'est vrai, ont la tête aussi dure que celle d'un bélier, et leur peau est à l'épreuve des coups de leur femme et endure le joug avec magnanimité. C'est dans l'Est que règne en triomphe l'amour conjugal; là, les gens non mariés sont les seuls à peu près qui soient pauvres, abandonnés et méprisés.

Quoique jeune, Zéla était sensée; la mort de son père, sans être mise en oubli, ne laissait plus dans son souvenir que la trace d'une affliction calme, sereine, et dont la force avait été amortie par les sentiments d'un amour protégé par les volontés paternelles.

J'apprenais l'anglais à Zéla; elle me donnait quelques notions de la langue arabe, et nous passions de longues heures à étudier ensemble. Zéla était une bonne élève, et la seule punition que je me permettais de lui infliger pour une faute de paresse ou de négligence était un déluge de baisers sur son beau front.

Ma femme m'accompagnait dans mes promenades, et, armée d'une légère lance, elle nous suivait dans les bois et sur les montagnes. Son corps de fée, souple et délicat, était doué, malgré cet extérieur de faiblesse, d'une force et d'une agilité merveilleuses. Si nous étions arrêtés dans notre course par les eaux d'un torrent ou par la profondeur d'un ravin, je portais Zéla dans mes bras.

Notre bonheur ne pouvait plus s'accroître, car il était parfait, absorbant, et nous ne pensions pas plus aux autres, quand nous étions ensemble, qu'aux événements qui pouvaient se passer dans la lune ou dans les étoiles.

Ceux qui demeuraient avec nous occupaient la petite part de pensées et d'affection qui pouvait, sans lui nuire, être dérobée à notre profonde tendresse. Aston et de Ruyter sympathisaient avec nos sentiments, et regardaient avec admiration un amour si étrange et si en dehors de toute comparaison.

LXIV

Nous jouissions depuis quelques mois du calme bonheur d'une vie tranquille, quand des nouvelles inattendues firent prendre à de Ruyter la résolution de se mettre en mer. L'esprit de notre commandant ne pouvait se permettre aucun repos quand un but à atteindre fixait son attention. Il était donc, dans chaque circonstance et dans les diverses occupations de sa vie, entièrement absorbé par les causes ou par les choses qui réclamaient son expérience et ses soins.

En arrivant chez lui, de Ruyter s'était dépouillé de son costume de marin pour revêtir celui de planteur, et, avec la blanche veste du colon, il en avait pris le caractère. Ce vêtement seyait si bien à la belle figure de de Ruyter, qu'un étranger aurait pu croire qu'il n'en avait jamais porté aucun autre. Exclusivement occupé de jardinage, d'agriculture, de tailles et de semences, de Ruyter n'allait jamais au port; il détestait l'odeur du goudron, et nous disait avec le plus grand sérieux:

– La vue de la mer me donne mal au cœur, et je maudis sa brise, car elle déracine mes cannes à sucre et détruit mes jeunes plantes. Cette haine du moment s'étendait si loin, qu'une défense expresse interdisait dans la conversation toute phrase nautique et dans les repas la présence des viandes salées.

Un jour, occupé dans le jardin à transplanter des fleurs, je fus tout surpris de m'entendre appeler par de Ruyter de la manière suivante:

– Holà! mon garçon, venez à l'avant, nous avons besoin de vous.

– À l'avant! m'écriai-je en rejetant aussitôt ma bêche, et je courus vers la maison tout disposé à gronder de Ruyter, mais je fus arrêté dans mon projet par l'étonnement que me causa l'occupation de mon ami.

Le parquet était couvert de cartes maritimes, d'instruments nautiques, et, agenouillé devant ces cartes, de Ruyter mesurait la longueur des distances à l'aide d'une échelle géographique et d'un compas. La grande et maigre forme du rais arabe était penchée sur mon ami, et il désignait avec sa main osseuse un groupe d'îles dans le canal de Mozambique.

De Ruyter était si attentivement occupé de son travail, qu'au premier moment il ne s'aperçut pas de mon entrée; je me mis donc à examiner sa mobile physionomie. Le nuage qui pendant les jours de calme couvrait les yeux de de Ruyter s'était évaporé; ils brillaient d'un éclat étrange et donnaient à sa physionomie un air visible de satisfaction. De la figure de de Ruyter mon examen tomba sur celle du rais, mais les traits en étaient aussi immobiles que la proue d'un vaisseau. Bruni par le goudron et par les tempêtes, le visage du vieux marin ressemblait à un antique cadran solaire dont la surface corrodée ne marque plus les heures.

– Mon garçon, me dit de Ruyter en levant la tête, il faut que nous nous mettions en mouvement. Donnez l'ordre de brider nos chevaux, nous allons nous rendre au port.

 

Quand j'eus rempli les désirs de de Ruyter, il changea de costume et nous nous mîmes en route.

Le cheval de de Ruyter n'allait pas assez vite au gré de l'impatience de son fougueux cavalier.

– Laissons là ces paresseux, dit-il en mettant pied à terre, ils ne sont bons que pour des moines. Traversons les collines à pied avec notre boussole.

Un domestique qui nous avait accompagnés prit les chevaux, et nous nous élançâmes en avant avec une rapidité égale à l'essor d'une grue.

Une barque nous porta sur le grab, et de Ruyter, en reprenant son autorité, si bien mise en oubli depuis quelques mois, fit lever d'un regard les nonchalants Arabes couchés sur le pont, mit d'un geste tout l'équipage à ses ordres. Les nouveaux mâts, les barres et les voiles étaient en partie terminés; le fond du vaisseau avait été caréné, sa proue allongée, car le grab se dessinait en corvette.

Quand de Ruyter m'eut fait connaître ses intentions, quand il eut donné ses derniers ordres, il débarqua avec le rais pour recruter dans Port-Louis les hommes de son équipage, acheter les provisions et terminer toutes ses affaires. Aussitôt que la population flottante de la ville eut appris que de Ruyter avait besoin de volontaires, des aventuriers, des matelots de toutes les nations vinrent en foule lui offrir leurs services.

Le nom de de Ruyter était un aimant attractif pour tous ces hommes, et celui qui avait le bonheur d'être engagé pour un voyage croyait sa fortune faite; au lieu de fuir la rencontre de ses créanciers, il flânait nonchalamment dans les rues, buvait et se querellait chez le marchand de vin, promenant ensuite d'un air vainqueur la volage maîtresse qui avait fui pendant les jours de tempête.

De Ruyter était fort difficile dans le choix de ses hommes, surtout lorsqu'il les prenait parmi les Européens; et, pour dire la vérité, il ne s'adressait à eux que dans les cas d'extrême urgence, car l'expérience lui avait appris combien il est difficile de gouverner de pareils vagabonds. Quand de Ruyter eut fait son choix, il chargea le vieux rais de compléter le nombre voulu pour son équipage avec des Arabes et différents natifs de l'Inde, tâche que l'encombrement des gens oisifs et de bonne volonté rendait extrêmement facile. Pendant ce recrutement, je travaillais ferme à bord du grab (je continuerai toujours de désigner ainsi le vaisseau, car il subira plusieurs transformations, et mes lecteurs pourraient se fatiguer d'un continuel changement de nom).

Après quelques jours de travail, au lieu de ressembler à une carène flottante, le grab eut les allures d'un vaisseau de guerre; ses côtés étaient peints en couleurs différentes, l'un entièrement noir, l'autre traversé par une grande raie blanche. En me faisant comprendre qu'il irait seul en mer, de Ruyter m'avait dit:

– Je pars pour intercepter quelques vaisseaux anglais dans le canal de Mozambique, et je ne serai absent que pendant un mois ou six semaines. Employez ce temps à vos plaisirs, surveillez les plantations, et faites achever les travaux que nous avons commencés. Vous semblez être si parfaitement heureux ici, vous êtes devenu un si bon planteur, et il y a tant de choses là-bas qui exigent la présence d'un maître, qu'il vaut mieux, puisqu'un de nous doit rester, que ce soit vous, mon cher Trelawnay. D'ailleurs, en admettant même que votre présence ne soit pas indispensable au bon ordre de ma maison, une cause sérieuse vous obligerait à y rester: il est impossible que nous abandonnions Aston à lui-même.

À mon retour, je vous communiquerai les projets que j'ai en vue, projets qui sont fort importants; ainsi donc, attendez-moi patiemment; sitôt rentré, nous arrangerons le grab, nous nous embarquerons tous et nous conduirons Aston dans une colonie anglaise.

Quand de Ruyter eut complété ses approvisionnements, nous fîmes un festin sur le grab, et à la fin de cette apparente réjouissance, nous nous séparâmes.

De Ruyter leva l'ancre avec le vent de la terre, et le matin de son départ, aux premiers rayons du jour, Aston et moi nous grimpâmes sur une hauteur pour voir le grab, dont la carène noire et les ailes blanches effleuraient l'eau comme un albatros.

Ma vie de planteur reprit son cours; c'était une vie calme et heureuse, embellie surtout par mon amour pour Zéla, qui n'avait point diminué. Tous les jours je découvrais en elle une qualité nouvelle, une qualité digne d'admiration.

Zéla était ma compagne inséparable, car je pouvais à peine supporter qu'elle me quittât un instant, et mon amour était trop profond pour craindre la satiété. Mon imagination n'errait loin de Zéla que pour la comparer avantageusement à tout ce qui l'entourait.

La jeune fille s'était si bien enlacée autour de mon cœur, qu'elle était devenue une partie de moi-même; la vivacité de nos sentiments, si libres de s'épancher dans la solitude, s'était journellement accrue, et nous nous aimions d'une affection dans laquelle se rencontraient tous les intérêts de notre vie. Je ne me rendais à Port-Louis que dans le cas d'absolue nécessité, ou quand mon devoir et le souvenir des recommandations de de Ruyter me forçaient à aller rendre une visite au commandant de la ville. La femme de cet aimable Français, qui était vraiment une bonne créature, conservait sa prédilection pour moi; elle aurait bien voulu non-seulement me garder dans sa maison, mais encore obtenir une visite de Zéla.

– Cette jeune fille, me disait-elle, deviendrait un bijou de grand prix si vous l'initiiez aux élégantes manières du monde.

J'étais trop profondément dégoûté des femmes polies et maniérées pour partager l'opinion de la femme du commandant. Même dans leur extrême jeunesse, la beauté des femmes civilisées est sinon détruite, du moins amoindrie par les mains officieuses des maîtres de danse, de musique, qui leur apprennent une grâce affectée, sans charme, gauche, et quelquefois même malséante.

Quand on présente ces pauvres jeunes filles dans le monde, elles y sont minutieusement examinées par ces êtres qu'on appelle gentlemen, titre qu'ils ont gagné en buvant, en dansant ou jouant aux cartes. Si la jeune fille est riche, un joueur sans argent l'épouse pour remettre un peu d'ordre dans le dérangement de sa fortune; mais si elle est pauvre, elle doit passer sa vie à attendre le hasard, qui, en la sauvant des piéges tendus à sa vertu, doit lui donner une position honorable. Je savais donc tout ce que Zéla avait à craindre du contact des femmes et du regard des hommes, et je tenais à la laisser dans toute la candeur de sa sauvage naïveté.

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