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Gabriel Lambert

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V
L'ALLÉE DE LA MUETTE

Pendant ce temps-là, un jour pâle et maladif venait de se lever, et l'on commençait d'apercevoir le bois de Boulogne perdu au milieu du brouillard.

Une voiture marchait devant la nôtre, et, comme elle prit la porte Maillot, nous ne doutâmes plus que ce fût celle de notre adversaire; nous ordonnâmes donc à notre cocher de la suivre. Elle se dirigea vers l'allée de la Muette, au tiers de laquelle elle s'arrêta; la nôtre la joignit, et s'arrêta à son tour; nous descendîmes.

Ces messieurs avaient déjà mis pied à terre.

Je jetai alors un coup d'œil sur Olivier.

Un changement complet s'était opéré en lui; le mouvement nerveux qui l'agitait la veille avait complètement disparu, il était calme et froid; un sourire de suprême dédain arquait sa bouche, et un léger pli entre les deux sourcils était la seule contraction qu'on pût remarquer sur son visage; pas un mot ne sortait de sa bouche.

Son adversaire présentait un aspect tout opposé; il parlait haut, riait avec éclat, gesticulait avec force; mais, avec tout cela, son visage grimaçant était pâle et contracté; de temps en temps un spasme nerveux lui serrait la poitrine et le forçait de bâiller.

Nous nous approchâmes de ses deux témoins, qui furent forcés de lui dire de s'éloigner.

Alors il fit en arrière quelques pas en sifflant, et se mit à piquer si violemment dans la terre la badine qu'il tenait qu'il la brisa.

Les préparatifs du combat étaient faciles à régler. Monsieur de Faverne avait indiqué l'heure, Olivier avait choisi les armes, tout arrangement était impossible.

La question était donc purement et simplement de savoir si l'on arrêterait le combat après une première blessure, ou si on lui laisserait telle suite qu'il plairait aux combattans de lui donner.

Olivier s'était prononcé à ce sujet, c'était un droit de sa position d'offensé: rien ne devait arrêter les épées que la chute d'un des deux adversaires.

Les témoins discutèrent un instant, mais furent obligés de céder; nous ne les connaissions ni l'un ni l'autre; c'étaient des amis de monsieur Henry de Faverne; et, à part leur tranchant et leurs manières de sous-officiers, nous les trouvâmes assez au fait des fonctions qu'ils remplissaient.

Je leur présentai les épées, qu'ils examinèrent.

Pendant cet examen, je revins vers Olivier.

Il était occupé à faire remarquer une faute héraldique qui s'était glissée dans le blason, sans doute improvisé, de son adversaire: le vicomte portait couleur sur couleur.

En me voyant, il me prit à part.

– Tenez, me dit-il, voici deux lettres, l'une pour ma mère, l'autre pour…

Il ne prononça point le nom, mais me montra ce nom écrit sur la lettre: c'était celui d'une jeune personne qu'il aimait et qu'il était sur le point d'épouser.

«On ne sait pas ce qui peut arriver, continua-t-il; s'il m'arrivait malheur, faites porter cette lettre à ma mère; quant à l'autre, cher ami, ne la remettez qu'en main propre.

Je lui promis.

Puis, voyant que, plus le moment du combat approchait, plus son visage devenait calme:

– Mon cher Olivier, lui dis-je, je commence à croire que ce monsieur a eu tort de vous insulter, et qu'il va payer cher son imprudence.

– Oui, dit le docteur, surtout si votre sang-froid est réel.

Un sourire effleura les lèvres d'Olivier.

– Docteur, dit-il, dans l'état de santé ordinaire, combien de fois le pouls d'un homme qui n'a aucun motif d'agitation bat-il à la minute?

– Mais, répondit Fabien, soixante-quatre ou soixante-cinq fois.

– Tâtez mon pouls, docteur, dit Olivier en tendant la main à Fabien.

Fabien tira sa montre, appuya son doigt sur l'artère, e; au bout d'une minute:

– Soixante-six pulsations, dit-il; c'est miraculeux d'empire sur vous-même; ou votre adversaire est un Saint-Georges, ou c'est un nomme mort.

– Mon cher Olivier, dit Alfred en se retournant, es-tu prêt?

– Moi? dit Olivier, j'attends.

– Eh bien! alors, messieurs, dit-il, rien n'empêche que l'affaire se vide?

– Oui, oui, s'écria monsieur de Faverne; oui, vite, vite, sacrebleu!

Olivier le regarda avec un léger sourire de mépris; puis voyant qu'il jetait bas son habit et son gilet, il ôta les siens.

C'est alors qu'apparut une nouvelle différence entre ces deux hommes.

Olivier était mis avec une coquetterie charmante: il avait fait toilette complète pour se battre; sa chemise était de la plus fine batiste, fraîche et soigneusement plissée; sa barbe était nouvellement faite, ses cheveux ondulaient comme s'ils sortaient du fer de son valet de chambre.

Tout au contraire, la chevelure de monsieur de Faverne dénonçait une nuit agitée.

On voyait qu'il n'avait pas été coiffé depuis la veille, et que cette coiffure avait été fort dérangée par l'agitation de la nuit; sa barbe était longue, et sa chemise de jaconas était évidemment la même que celle avec laquelle il avait couché.

– Décidément cet homme est un manant, murmura Olivier.

Je lui remis une des epées, tandis qu'on remettait l'autre à son adversaire.

Olivier la prit par la lame et eut à peine l'air de la regarder: on eût dit qu'il tenait une canne.

Monsieur de Faverne prit au contraire la sienne par la poignée, fouetta deux ou trois fois l'air avec la lame; puis il s'enveloppa la main avec un foulard, afin d'assurer d'autant mieux l'épée dans sa main.

Olivier seulement alors ôta ses gants, mais jugea inutile d'user de la précaution que venait de prendre son adversaire; seulement alors je remarquai sa main: elle avait la blancheur et la délicatesse d'une main de femme.

– Eh bien! monsieur, dit monsieur de Faverne; eh bien?

– Eh bien! j'attends, répondit Olivier.

– Allez, messieurs, dit Alfred.

Les adversaires, qui étaient à dix pas l'un de l'autre, se rapprochèrent alors; je remarquai que plus Olivier se rapprochait, plus sa figure devenait douce et souriante.

Tout au contraire, la figure de son adversaire prit un caractère de férocité dont j'aurais cru ses traits incapables; son œil devint sanglant et son teint couleur de cendre.

Je commençai à être de l'avis d'Olivier: cet homme était un lâche.

Au moment où les épées se touchèrent, ses lèvres s'entrouvrirent et montrèrent ses dents convulsivement serrées.

Tous deux tombèrent en garde en face l'un de l'autre; mais autant la pose d'Olivier était simple, facile, élégante, autant celle de son adversaire, quoique dans toutes les règles de l'art, était raide et anguleuse.

On voyait que cet homme avait appris à faire des armes à un certain âge, tandis que l'autre, en vrai gentilhomme, avait depuis son enfance joué avec des fleurets.

Monsieur de Faverne commença l'attaque: ses premiers coups furent vifs, serrés, précis; mais, ces premiers coups portés, il s'arrêta comme étonné de la résistance de son adversaire. En effet, Olivier avait paré ses attaques avec la même facilité qu'il eût fait dans un assaut de salle d'armes.

Monsieur de Faverne en devint plus livide encore, si la chose était possible, et Olivier plus souriant.

Alors monsieur de Faverne changea de garde, plia sur ses genoux, écarta les jambes à la manière des maîtres italiens, et recommença les mêmes coups, mais en les accompagnant de ces cris qu'ont l'habitude de pousser, pour effrayer leurs adversaires, les prévôts de régiment.

Mais ce changement d'attaque n'eut aucune influence sur Olivier: sans reculer d'un pas, sans rompre d'une semelle, sans précipiter un seul de ses mouvemens, son épée se lia à celle de son adversaire ou la précéda alternativement, comme s'il eût pu deviner les coups que celui-ci allait lui porter.

Il avait véritablement, comme il l'avait dit, un sang-froid terrible.

La sueur de l'impuissance et de la fatigue coulait sur le front de monsieur de Faverne; les muscles de son cou et de ses bras se gonflaient comme des cordes; mais sa main se fatiguait visiblement, et l'on comprenait que si l'épée n'était maintenue à son poignet par le foulard, à la première attaque un peu vive de son adversaire, son épée lui tomberait des mains.

Olivier, au contraire, continuait déjouer avec la sienne.

Nous regardions en silence ce jeu terrible, dont il nous était facile de deviner le résultat d'avance. Comme l'avait dit Olivier, on pouvait deviner que monsieur de Faverne était un homme perdu.

Enfin, au bout d'un instant, un sourire plus caractérisé se dessina sur les lèvres d'Olivier; à son tour il simula un ou deux coups, puis un éclair passa dans ses yeux; il se fendit, et d'un simple dégagement, mais si serré, si vif que nous ne pûmes pas le suivre des yeux, il lui passa son épée au travers du corps.

Puis, sans prendre la précaution d'usage en pareil cas, c'est-à-dire de se rejeter en arrière par un pas de retraite, il abaissa son épée sanglante et attendit.

Monsieur de Faverne jeta un cri, porta la main gauche à sa blessure, secoua sa main droite pour la débarrasser de l'épée, qui, liée à son poignet, lui pesait comme une masse, puis, passant d'une pâleur livide à une pâleur cadavéreuse, il chancela un instant et tomba évanoui.

Olivier, sans le perdre tout à fait de l'œil, se retourna vers Fabien.

– Maintenant, docteur, dit-il de son son de voix habituel, et sans que la trace de la moindre émotion se fît reconnaître, maintenant, docteur, je crois que le reste vous regarde.

Fabien était déjà près du blessé.

Non-seulement l'épée lui avait traversé le corps, mais elle avait encore été trouer la chemise flottante, tant le coup avait été profond; le sang remontait à plus de dix-huit pouces sur la lame.

– Tenez, mon cher, me dit Olivier, voici votre épée; c'est étonnant comme elle est montée à ma main. Chez qui l'avez-vous achetée?

 

– Chez Devismes.

– Ayez donc la bonté de m'en commander une paire pareille.

– Gardez celles-ci; vous vous en servez trop bien pour vous les reprendre.

– Merci, ça me fera plaisir de les avoir.

Puis, se retournant vers le blessé:

– Je crois que je l'ai tué, dit-il; j'en serais fâché; je ne sais pourquoi il me semble que ce malheureux-là ne doit point mourir de la main d'un honnête homme.

Puis, comme nous n'avions plus rien à faire là, que monsieur de Faverne était entre les mains de Fabien, c'est-à-dire d'un des plus habiles docteurs de Paris, nous remontâmes dans notre voiture, tandis qu'on portait le blessé dans la sienne.

Deux heures après, je reçus une magnifique pipe turque qu'Olivier m'envoyait en échange de mes épées.

Le soir, j'allai en personne prendre des nouvelles de monsieur de Faverne; le lendemain, j'envoyai mon domestique; le troisième jour, ma carte; puis comme, ce troisième jour, j'appris que, grâce aux soins de Fabien, il était hors de danger, je cessai de m'occuper de lui.

Deux mois après, à mon tour, je reçus sa carte.

Puis je partis pour un voyage, et je ne le revis plus que le jour où je le retrouvai au bagne.

Olivier ne s'était pas trompé sur l'avenir de cet homme.

VI
LE MANUSCRIT

On devine alors combien je fus curieux de connaître les événemens qui avaient conduit aux galères cet homme, que, comme il le disait lui-même, j'avais rencontré dans le monde.

Je songeai alors tout naturellement à Fabien, qui, l'ayant soigné de la terrible blessure que lui avait faite Olivier, devait avoir recueilli sur cet homme de curieux détails.

Aussi ma première visite, à mon retour à Paris, fut-elle pour lui. Je ne m'étais pas trompé; Fabien, qui a l'habitude d'écrire jour par jour tout ce qu'il fait, alla à son secrétaire, et, parmi plusieurs cahiers de papier séparés les uns des autres, en chercha un qu'il me remit.

– Tenez, mon ami, me dit-il, vous trouverez là dedans tous les renseignemens que vous désirez avoir; je vous les confie, faites-en ce que vous voudrez, mais ne les perdez pas; ce cahier fait partie d'un grand ouvrage que je compte faire sur les maladies morales que j'ai traitées.

– Ah, diable! mon cher, lui dis-je, il y aurait là un trésor pour moi.

– Aussi, cher ami, soyez tranquille; si je meurs d'un certain anévrisme qui de temps en temps murmure tout bas aux oreilles de mon cœur que je ne suis que poussière, et que je dois m'attendre à retourner en poussière, ces cahiers vous sont destinés, et mon exécuteur testamentaire vous les remettra.

– Je vous remercie de l'intention, mais j'espère ne jamais recevoir le cadeau crue vous me promettez; vous avez à peine trois ou quatre ans de plus que moi.

– D'abord vous me flattez, j'en ai douze ou treize, si je ne me trompe; mais que fait l'âge en pareille circonstance? Je connais tel vieillard de soixante-dix ans qui est plus jeune que moi.

– Allons donc! vous, docteur, vous avez de pareilles idées?

– C'est justement parce que je suis docteur que je les ai. Tenez, voulez-vous voir la maladie que j'ai?.. la voilà.

Il me conduisit devant un dessin parfaitement fait; il représentait l'anatomie du cœur.

«J'ai fait faire ce dessin sur mes renseignemens et pour mon usage particulier, continua-t-il, afin de juger matériellement, si je puis parler ainsi, ma situation. Vous le voyez, c'est un anévrisme. Un jour, ce tissu-là crèvera; quand? je n'en sais rien; peut-être aujourd'hui, peut-être dans vingt ans; mais ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il crèvera; alors en trois secondes ce sera fini.

«Et un beau matin, en déjeunant, vous entendrez dire:

« – Tiens, ce pauvre Fabien, vous savez?

« – Oui. Eh bien?

« – Il est mort subitement.

« – Bah! Et comment cela?

« – Oh, mon Dieu! en tâtant le pouls à un malade. On l'a vu rougir, puis pâlir; il est tombé sans pousser un seul cri; on l'a relevé: il était mort.

« – Tiens! c'est étrange!»

«On en parlera deux jours dans le monde, huit jours à l'École de Médecine, quinze jours à l'Institut, et tout sera dit. Bonsoir, Fabien!

– Vous êtes fou, mon cher.

– C'est comme j'ai l'honneur de vous le dire.

«Mais, mille fois pardon; il faut que je vous quitte, mon hôpital m'attend; voilà votre cahier, prenez-en copie et faites-en ce que vous voudrez. Adieu.»

Je serrai une dernière fois la main de Fabien en signe de remercîment, et je pris congé de lui, tout joyeux et tout attristé à la fois: tout attristé de la prédiction qu'il venait de me faire, et tout joyeux des renseignemens que son cahier allait me donner.

Aussi je rentrai chez moi, je consignai ma porte, je mis ma robe de chambre, je m'étendis dans un grand fauteuil, j'allongeai mes pieds sur les chenets, et j'ouvris mon précieux mémoire.

Je copie littéralement, sans rien changer à la rédaction de Fabien.

VII

Ce octobre, 18…

Cette nuit j'ai été prévenu, à une heure du matin, qu'un duel devait avoir lieu entre monsieur Henry de Faverne et monsieur Olivier d'Hornoy, et que ce dernier me faisait prier de les accompagner sur le terrain.

Je me rendis chez lui à cinq heures précises.

A six heures nous étions allée de la Muette, lieu du rendez-vous.

A six heures un quart, monsieur Henry de Faverne tombait blessé d'un coup d'épée.

Je m'élançai aussitôt vers lui, tandis qu'Olivier et ses témoins remontaient en voiture et reprenaient le chemin de Paris; le blessé était évanoui.

Il était évident, en effet, que la blessure était sinon mortelle du moins des plus graves: la pointe du fer triangulaire entrait, du côté droit et était sortie de plusieurs pouces du côté gauche.

Je pratiquai à l'instant même une saignée.

J'avais recommandé au cocher de prendre, en revenant, l'avenue de Neuilly et les Champs-Elysées, d'abord parce que cette route était la plus courte, mais surtout parce que la voiture, pouvant rouler continuellement sur la terre, devait moins fatiguer le blessé.

En arrivant à la hauteur de l'Arc-de-Triomphe, monsieur de Faverne donna quelques signes de vie; sa main s'agita et, paraissant chercher le siége d'une douleur profonde, s'arrêta sur sa poitrine.

Deux ou trois soupirs étouffés, qui firent jaillir le sang par sa double plaie, s'échappèrent péniblement de sa bouche. Enfin il entr'ouvrit les yeux, regarda ses deux témoins; puis, fixant son regard sur moi, me reconnut, et, faisant un effort, murmura:

– Ah! c'est vous, docteur? Je vous en supplie, ne m'abandonnez pas; je me sens bien mal.

Puis, épuisé par cet effort, il referma les yeux, et une légère écume rougeâtre vint humecter ses lèvres.

Il était évident que le poumon était offensé.

– Soyez tranquille, lui dis-je; vous êtes gravement blessé, il est vrai, mais la blessure n'est pas mortelle.

Il ne me répondit pas, n'ouvrit pas les yeux, mais je sentis qu'il me serrait faiblement la main avec laquelle je lui tâtais le pouls.

Tant que la voiture roula sur la terre, tout alla bien; mais en arrivant à la place de la Révolution, le cocher fut obligé de prendre le pavé, et alors les soubresauts de la voiture parurent faire tant souffrir le malade, que je demandai à ses témoins si l'un d'eux ne demeurait pas dans le voisinage, afin d'épargner au blessé le chemin qui lui restait à faire jusqu'à la rue Taitbout.

Mais à cette demande que, malgré son insensibilité apparente, monsieur de Faverne entendit, il s'écria:

– Non, non, chez moi!

Convaincu que l'impatience morale ne pouvait qu'ajouter au danger physique, j'abandonnai donc ma première idée, et laissai le cocher continuer sa route.

Après dix minutes d'angoisses, et pendant lesquelles je voyais à chaque cahot se contracter douloureusement la figure du blessé, nous arrivâmes rue Taitbout, n° 11.

Monsieur de Faverne demeurait au premier.

Un des témoins monta prévenir les domestiques, afin qu'ils vinssent nous aider à transporter leur maître: deux laquais en livrée éclatante et galonnée sur toutes les coutures descendirent.

J'ai l'habitude de juger les hommes noti seulement par eux-mêmes, mais encore par ceux qui les entourent; j'examinai donc ces deux valets: ni l'un ni l'autre ne montra le moindre intérêt au blessé.

Il était évident qu'ils étaient au service de monsieur de Faverne depuis peu de temps, et que ce service ne leur avait inspiré pour leur maître aucune sympathie.

Nous traversâmes une suite d'appartemens qui me parurent somptueusement meublés, mais que je ne pus examiner en détail; et nous arrivâmes à la chambre à coucher; le lit était encore défait, comme l'avait laissé son maître.

Le long de la tenture, du côté du chevet, à la portée de la main, étaient deux pistolets et un poignard turc.

Nous étendîmes le blessé sur son lit, les deux domestiques et moi, car les témoins, jugeant leur présence inutile, étaient déjà partis.

Voyant que la blessure ne voulait pas saigner davantage, j'opérai alors le pansement.

Le pansement fini, le blessé lit signe aux valets de se retirer, et nous restâmes seuls.

Malgré le peu d'intérêt que j'avais pris jusque-là à monsieur de Faverne, pour lequel j'éprouvai alors je ne sais quelle répulsion, l'isolement où j'allais le laisser m'attrista.

Je regardai autour de moi, fixant particulièrement mes yeux sur les portes, et m'attendant toujours à voir entrer quelqu'un, mais mon attente fut trompée.

Cependant je ne pouvais rester plus longtemps près de lui, mes occupations journalières m'appelaient: il était sept heures et demie, et à huit heures je devais être à la Charité.

– N'avez-vous donc personne pour vous soigner? lui demandai-je.

– Personne, répondit-il d'une voix sourde.

– Vous n'avez pas un père, une mère, un parent?

– Personne.

– Une maîtresse?

Il secoua la tête en soupirant, et il me sembla qu'il murmura le nom de Louise, mais ce nom resta si inarticulé que je demeurai dans le doute.

– Je ne puis pourtant pas vous abandonner ainsi, repris-je.

– Envoyez-moi une garde, balbutia le blessé, et dites-lui que je la paierai bien.

Je me levai pour le quitter.

– Vous vous en allez déjà?.. me dit-il.

– Il le faut, j'ai mes malades; si c'étaient des riches, peut-être aurais-je le droit de les faire attendre; mais ce sont des pauvres, je dois être exact.

– Vous reviendrez dans la journée, n'est-ce pas.

– Oui, si vous le désirez.

– Certainement, docteur, et le plus tôt possible, n'est-ce pas?

– Le plus tôt possible.

– Vous me le promettez?

– Je vous le promets.

– Allez donc!

Je fis deux pas vers la porte, le blessé fit un mouvement comme pour me retenir et ouvrir la bouche:

– Que désirez-vous? lui demandai-je.

Il laissa retomber sa tête sur son oreiller sans me répondre.

Je me rapprochai de lui.

– Dites, continuai-je, et s'il est en mon pouvoir de vous rendre un service quelconque, je vous le rendrai.

Il parut prendre une résolution.

– Vous m'avez dit que la blessure n'était pas mortelle?

– Je vous l'ai dit.

– Pouvez-vous m'en répondre?

– Je le crois; mais cependant, si vous avez quelque arrangement à prendre…

– C'est-à-dire, n'est-ce pas, que d'un moment à l'autre je puis mourir?

Et il devint plus pâle qu'il n'était, et une sueur froide perla à la racine de ses cheveux.

– Je vous ai dit que la blessure n'était pas mortelle, mais en même temps je vous ai dit qu'elle était grave.

– Monsieur, je puis avoir confiance en votre parole, n'est-ce pas?

– Il ne faut rien demander à ceux dont on doute…

– Non, non, je ne doute pas de vous. Tenez, ajouta-t-il en me présentant une clef qu'il détacha d'une chaîne pendue à son col; ouvrez avec cette clef le tiroir de ce secrétaire.

Je fis ce qu'il demandait; il se souleva sur le coude; tout ce qui lui restait de vie semblait s'être concentré dans ses yeux.

– Vous voyez un portefeuille? dit-il.

– Le voici.

– Il est plein de papiers de famille qui n'intéressent que moi; docteur, faites-moi le serment que, si je mourais, vous jetteriez ce portefeuille au feu.

– Je vous le promets.

– Sans les lire?

– Il est fermé à clef.

– Oh! une serrure de portefeuille est si facile à ouvrir…

Je laissai retomber le portefeuille.

Quoique la phrase fût insultante, elle m'avait inspiré plus de dégoût que de colère.

Le malade vit qu'il m'avait blessé.

– Pardon, me dit-il, cent fois pardon; mais c'est le séjour des colonies qui m'a rendu défiant. Là-bas on ne sait jamais à qui l'on parle. Pardon, reprenez ce portefeuille, et promettez-moi de le brûler si je meurs.

 

– Pour la seconde lois, je vous le promets.

– Merci.

– Est-ce tout?

– N'y a-t-il pas dans le même tiroir plusieurs billets de banque?

– Oui, deux de mille, trois de cinq cents.

– Soyez assez bon pour me les donner, docteur.

Je pris les cinq billets et les lui remis, il les froissa dans sa main, et en fit une boule ronde qu'il poussa sous son oreiller.

– Merci, dit-il, épuisé par l'effort qu'il venait de faire…

Puis, se laissant aller sur son traversin: – Ah! docteur, murmura-t-il, je crois que je meurs! Docteur, sauvez-moi, et ces cinq billets de banque sont à vous, le double, le triple s'il le faut. Ah!..

J'allai à lui, il était évanoui de nouveau.

Je sonnai un laquais, tout en faisant respirer au blessé un flacon de sels anglais.

Au bout de quelques instans, je sentis au mouvement de son pouls qu'il revenait à lui.

– Allons, murmura-t-il, ce n'est pas encore pour cette fois; puis entr'ouvrant les yeux et me regardant: Merci, docteur, de ne pas m'avoir abandonné, dit-il.

– Cependant, repris-je, il faut enfin que je vous quitte.

– Oui, mais revenez au plus tôt.

– A midi je serai ici.

– Et d'ici là, croyez-vous qu'il y ait quelque danger?

– Je ne crois pas; si le fer avait touché quelque organe essentiel vous seriez mort à présent.

– Et vous m'envoyez une garde?

– A l'instant même; en l'attendant votre domestique peut ne pas vous quitter.

– Sans doute, dit le laquais, je puis rester près de mon sieur.

– Non, non! s'écria le blessé, allez près de votre camarade; je désire dormir, et en restant là vous m'en empêcheriez.

Le laquais sortit.

– Ce n'est pas prudent de rester seul, lui dis-je.

– N'est-il pas bien plus imprudent encore, me reprit-il, de rester avec un drôle qui peut m'assassiner pour me voler? Le trou est tout fait, ajouta-t-il à voix basse; et en introduisant une épée dans la blessure, on peut trouver le cœur que mon adversaire a manqué.

Je frémis à l'idée qui avait traversé l'esprit de cet homme; qu'était-il donc lui-même pour qu'il lui vint de pareilles idées?

– Non, ajouta-t-il, non, au contraire, enfermez-moi; prenez la clef, donnez-la à la garde, et recommandez-lui de ne me quitter ni jour ni nuit; c'est une honnête femme, n'est-ce pas?

– J'en réponds.

– Eh bien! allez; au revoir … à midi.

– A midi.

Je sortis; et, suivant ses instructions, je l'enfermai.

– A double tour, cria-t-il, à double tour!

Je donnai un autre tour de clef.

– Merci, dit-il d'une voix affaiblie.

Je m'éloignai.

– Votre maître veut dormir, dis-je aux laquais qui riaient dans l'antichambre; et comme il craint que vous n'entriez chez lui sans être appelés, il m'a remis cette clef pour la garde qui va venir.

Les laquais échangèrent un regard singulier, mais ne répondirent rien.

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