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La reine Margot

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XXXI. La chasse à courre

Le piqueur qui avait détourné le sanglier et qui avait affirmé au roi que l’animal n’avait pas quitté l’enceinte ne s’était pas trompé. À peine le limier fut-il mis sur la trace, qu’il s’enfonça dans le taillis et que d’un massif d’épines il fit sortir le sanglier qui, ainsi que le piqueur l’avait reconnu à ses voies, était un solitaire, c’est-à-dire une bête de la plus forte taille.

L’animal piqua droit devant lui et traversa la route à cinquante pas du roi, suivi seulement du limier qui l’avait détourné. On découpla aussitôt un premier relais, et une vingtaine de chiens s’enfoncèrent à sa poursuite.

La chasse était la passion de Charles. À peine l’animal eut-il traversé la route qu’il s’élança derrière lui, sonnant la vue, suivi du duc d’Alençon et de Henri, à qui un signe de Marguerite avait indiqué qu’il ne devait point quitter Charles.

Tous les autres chasseurs suivirent le roi.

Les forêts royales étaient loin, à l’époque où se passe l’histoire que nous racontons, d’être, comme elles le sont aujourd’hui, de grands parcs coupés par des allées carrossables. Alors, l’exploitation était à peu près nulle. Les rois n’avaient pas encore eu l’idée de se faire commerçants et de diviser leurs bois en coupes, en taillis et en futaies. Les arbres, semés non point par de savants forestiers, mais par la main de Dieu, qui jetait la graine au caprice du vent, n’étaient pas disposés en quinconces, mais poussaient à leur loisir et comme ils font encore aujourd’hui dans une forêt vierge de l’Amérique. Bref, une forêt, à cette époque, était un repaire où il y avait à foison du sanglier, du cerf, du loup et des voleurs; et une douzaine de sentiers seulement, partant d’un point, étoilaient celle de Bondy, qu’une route circulaire enveloppait comme le cercle de la roue enveloppe les jantes.

En poussant la comparaison plus loin, le moyeu ne représenterait pas mal l’unique carrefour situé au centre du bois, et où les chasseurs égarés se ralliaient pour s’élancer de là vers le point où la chasse perdue reparaissait.

Au bout d’un quart d’heure, il arriva ce qui arrivait toujours en pareil cas: c’est que des obstacles presque insurmontables s’étant opposés à la course des chasseurs, les voix des chiens s’étaient éteintes dans le lointain, et le roi lui-même était revenu au carrefour, jurant et sacrant, comme c’était son habitude.

– Eh bien! d’Alençon, eh bien! Henriot, dit-il, vous voilà, mordieu, calmes et tranquilles comme des religieuses qui suivent leur abbesse. Voyez-vous, ça ne s’appelle point chasser, cela. Vous, d’Alençon, vous avez l’air de sortir d’une boîte, et vous êtes tellement parfumé que si vous passez entre la bête et mes chiens, vous êtes capable de leur faire perdre la voie. Et vous, Henriot, où est votre épieu, où est votre arquebuse? voyons.

– Sire, dit Henri, à quoi bon une arquebuse? Je sais que Votre Majesté aime à tirer l’animal quand il tient aux chiens. Quant à un épieu, je manie assez maladroitement cette arme, qui n’est point d’usage dans nos montagnes, où nous chassons l’ours avec le simple poignard.

– Par la mordieu, Henri, quand vous serez retourné dans vos Pyrénées, il faudra que vous m’envoyiez une pleine charretée d’ours, car ce doit être une belle chasse que celle qui se fait ainsi corps à corps avec un animal qui peut nous étouffer. Écoutez donc, je crois que j’entends les chiens. Non, je me trompais.

Le roi prit son cor et sonna une fanfare. Plusieurs fanfares lui répondirent. Tout à coup un piqueur parut qui fit entendre un autre air.

– La vue! la vue! cria le roi. Et il s’élança au galop, suivi de tous les chasseurs qui s’étaient ralliés à lui. Le piqueur ne s’était pas trompé. À mesure que le roi s’avançait, on commençait d’entendre les aboiements de la meute, composée alors de plus de soixante chiens, car on avait successivement lâché tous les relais placés dans les endroits que le sanglier avait déjà parcourus. Le roi le vit passer pour la seconde fois, et, profitant d’une haute futaie, se jeta sous bois après lui, donnant du cor de toutes ses forces. Les princes le suivirent quelque temps. Mais le roi avait un cheval si vigoureux, emporté par son ardeur il passait par des chemins tellement escarpés, par des taillis si épais, que d’abord les femmes, puis le duc de Guise et ses gentilshommes, puis les deux princes, furent forcés de l’abandonner. Tavannes tint encore quelque temps; mais enfin il y renonça à son tour.

Tout le monde, excepté Charles et quelques piqueurs qui, excités par une récompense promise, ne voulaient pas quitter le roi, se retrouva donc dans les environs du carrefour.

Les deux princes étaient l’un près de l’autre dans une longue allée. À cent pas d’eux, le duc de Guise et ses gentilshommes avaient fait halte. Au carrefour se tenaient les femmes.

– Ne semblerait-il pas, en vérité, dit le duc d’Alençon à Henri en lui montrant du coin de l’œil le duc de Guise, que cet homme, avec son escorte bardée de fer, est le véritable roi? Pauvres princes que nous sommes, il ne nous honore pas même d’un regard.

– Pourquoi nous traiterait-il mieux que ne nous traitent nos propres parents? répondit Henri. Eh! mon frère! ne sommes-nous pas, vous et moi, des prisonniers à la cour de France, des otages de notre parti?

Le duc François tressaillit à ces mots, et regarda Henri comme pour provoquer une plus large explication; mais Henri s’était plus avancé qu’il n’avait coutume de le faire, et il garda le silence.

– Que voulez-vous dire, Henri? demanda le duc François, visiblement contrarié que son beau-frère, en ne continuant pas, le laissât entamer ces éclaircissements.

– Je dis, mon frère, reprit Henri, que ces hommes si bien armés, qui semblent avoir reçu pour tâche de ne point nous perdre de vue, ont tout l’aspect de gardes qui prétendraient empêcher deux personnes de s’échapper.

– S’échapper, pourquoi? comment? demanda d’Alençon en jouant admirablement la surprise et la naïveté.

– Vous avez là un magnifique genêt, François, dit Henri poursuivant sa pensée tout en ayant l’air de changer de conversation; je suis sûr qu’il ferait sept lieues en une heure, et vingt lieues d’ici à midi. Il fait beau; cela invite, sur ma parole, à baisser la main. Voyez donc le joli chemin de traverse. Est ce qu’il ne vous tente pas, François? Quant à moi, l’éperon me brûle.

François ne répondit rien. Seulement il rougit et pâlit successivement; puis il tendit l’oreille comme s’il écoutait la chasse.

– La nouvelle de Pologne fait son effet, dit Henri, et mon cher beau-frère a son plan. Il voudrait bien que je me sauvasse, mais je ne me sauverai pas seul.

Il achevait à peine cette réflexion, quand plusieurs nouveaux convertis, revenus à la cour depuis deux ou trois mois, arrivèrent au petit galop et saluèrent les deux princes avec un sourire des plus engageants.

Le duc d’Alençon, provoqué par les ouvertures de Henri, n’avait qu’un mot à dire, qu’un geste à faire, et il était évident que trente ou quarante cavaliers, réunis en ce moment autour d’eux comme pour faire opposition à la troupe de M. de Guise, favoriseraient la fuite; mais il détourna la tête, et portant son cor à sa bouche, il sonna le ralliement.

Cependant les nouveaux venus, comme s’ils eussent cru que l’hésitation du duc d’Alençon venait du voisinage et de la présence des Guisards, s’étaient peu à peu glissés entre eux et les deux princes, et s’étaient échelonnés avec une habileté stratégique qui annonçait l’habitude des dispositions militaires. En effet, pour arriver au duc d’Alençon et au roi de Navarre, il eût fallu leur passer sur le corps, tandis qu’à perte de vue s’étendait devant les deux beaux frères une route parfaitement libre.

Tout à coup, entre les arbres, à dix pas du roi de Navarre, apparut un autre gentilhomme que les deux princes n’avaient pas encore vu. Henri cherchait à deviner qui il était, quand ce gentilhomme, soulevant son chapeau, se fit reconnaître à Henri pour le vicomte de Turenne, un des chefs du parti protestant que l’on croyait en Poitou.

Le vicomte hasarda même un signe qui voulait clairement dire:

– Venez-vous? Mais Henri, après avoir bien consulté le visage impassible et l’œil terne du duc d’Alençon, tourna deux ou trois fois la tête sur son épaule comme si quelque chose le gênait dans le col de son pourpoint. C’était une réponse négative. Le vicomte la comprit, piqua des deux et disparut dans le fourré. Au même instant on entendit la meute se rapprocher, puis, à l’extrémité de l’allée où l’on se trouvait, on vit passer le sanglier, puis au même instant les chiens, puis, pareil au chasseur infernal, Charles IX sans chapeau, le cor à la bouche, sonnant à se briser les poumons; trois ou quatre piqueurs le suivaient. Tavannes avait disparu.

– Le roi! s’écria le duc d’Alençon. Et il s’élança sur la trace. Henri, rassuré par la présence de ses bons amis, leur fit signe de ne pas s’éloigner et s’avança vers les dames.

– Eh bien? dit Marguerite en faisant quelques pas au-devant de lui.

– Eh bien, madame, dit Henri, nous chassons le sanglier.

– Voilà tout?

– Oui, le vent a tourné depuis hier matin; mais je crois vous avoir prédit que cela serait ainsi.

– Ces changements de vent sont mauvais pour la chasse, n’est-ce pas, monsieur? demanda Marguerite.

– Oui, dit Henri, cela bouleverse quelquefois toutes les dispositions arrêtées, et c’est un plan à refaire.

En ce moment les aboiements de la meute commencèrent à se faire entendre, se rapprochant rapidement, et une sorte de vapeur tumultueuse avertit les chasseurs de se tenir sur leurs gardes. Chacun leva la tête et tendit l’oreille.

Presque aussitôt le sanglier déboucha, et au lieu de se rejeter dans le bois, il suivit la route venant droit sur le carrefour où se trouvaient les dames, les gentilshommes qui leur faisaient la cour, et les chasseurs qui avaient perdu la chasse.

 

Derrière lui, et lui soufflant au poil, venaient trente ou quarante chiens des plus robustes; puis, derrière les chiens, à vingt pas à peine, le roi Charles sans toquet, sans manteau, avec ses habits tout déchirés par les épines, le visage et les mains en sang.

Un ou deux piqueurs restaient seuls avec lui. Le roi ne quittait son cor que pour exciter ses chiens, ne cessait d’exciter ses chiens que pour reprendre son cor. Le monde tout entier avait disparu à ses yeux. Si son cheval eût manqué, il eût crié comme Richard III: Ma couronne pour un cheval!

Mais le cheval paraissait aussi ardent que le maître, ses pieds ne touchaient pas la terre et ses naseaux soufflaient le feu.

Le sanglier, les chiens, le roi passèrent comme une vision.

– Hallali, hallali! cria le roi en passant. Et il ramena son cor à ses lèvres sanglantes. À quelques pas de lui venaient le duc d’Alençon et deux piqueurs; seulement les chevaux des autres avaient renoncé ou ils s’étaient perdus.

Tout le monde partit sur la trace, car il était évident que le sanglier ne tarderait pas à tenir.

En effet, au bout de dix minutes à peine, le sanglier quitta le sentier qu’il suivait et se jeta dans le bois; mais, arrivé à une clairière, il s’accula à une roche et fit tête aux chiens.

Aux cris de Charles, qui l’avait suivi, tout le monde accourut.

On était arrivé au moment intéressant de la chasse. L’animal paraissait résolu à une défense désespérée. Les chiens, animés par une course de plus de trois heures, se ruaient sur lui avec un acharnement que redoublaient les cris et les jurons du roi.

Tous les chasseurs se rangèrent en cercle, le roi un peu en avant, ayant derrière lui le duc d’Alençon armé d’une arquebuse, et Henri qui n’avait que son simple couteau de chasse.

Le duc d’Alençon détacha son arquebuse du crochet et en alluma la mèche. Henri fit jouer son couteau de chasse dans le fourreau.

Quant au duc de Guise, assez dédaigneux de tous ces exercices de vénerie, il se tenait un peu à l’écart avec tous ses gentilshommes.

Les femmes réunies en groupe formaient une petite troupe qui faisait le pendant à celle du duc de Guise.

Tout ce qui était chasseur demeurait les yeux fixés sur l’animal, dans une attente pleine d’anxiété.

À l’écart se tenait un piqueur se raidissant pour résister aux deux molosses du roi, qui, couverts de leurs jaques de mailles, attendaient, en hurlant et en s’élançant de manière à faire croire à chaque instant qu’ils allaient briser leurs chaînes, le moment de coiffer le sanglier.

L’animal faisait merveille: attaqué à la fois par une quarantaine de chiens qui l’enveloppaient comme une marée hurlante, qui le recouvraient de leur tapis bigarré, qui de tous côtés essayaient d’entamer sa peau rugueuse aux poils hérissés, à chaque coup de boutoir, il lançait à dix pieds de haut un chien, qui retombait éventré, et qui, les entrailles traînantes, se rejetait aussitôt dans la mêlée tandis que Charles, les cheveux raidis, les yeux enflammés, les narines ouvertes, courbé sur le cou de son cheval ruisselant, sonnait un hallali furieux.

En moins de dix minutes, vingt chiens furent hors de combat.

– Les dogues! cria Charles, les dogues! … À ce cri, le piqueur ouvrit les porte-mousquetons des laisses, et les deux molosses se ruèrent au milieu du carnage, renversant tout, écartant tout, se frayant avec leurs cottes de fer un chemin jusqu’à l’animal, qu’ils saisirent chacun par une oreille.

Le sanglier, se sentant coiffé, fit claquer ses dents à la fois de rage et de douleur.

– Bravo! Duredent! bravo! Risquetout! cria Charles. Courage, les chiens! Un épieu! un épieu!

– Vous ne voulez pas mon arquebuse? dit le duc d’Alençon.

– Non, cria le roi, non, on ne sent pas entrer la balle; il n’y a pas de plaisir; tandis qu’on sent entrer l’épieu. Un épieu! un épieu!

On présenta au roi un épieu de chasse durci au feu et armé d’une pointe de fer.

– Mon frère, prenez garde! cria Marguerite.

– Sus! sus! cria la duchesse de Nevers. Ne le manquez pas, Sire! Un bon coup à ce parpaillot!

– Soyez tranquille, duchesse! dit Charles. Et, mettant son épieu en arrêt, il fondit sur le sanglier, qui, tenu par les deux chiens, ne put éviter le coup. Cependant, à la vue de l’épieu luisant, il fit un mouvement de côté, et l’arme, au lieu de pénétrer dans la poitrine, glissa sur l’épaule et alla s’émousser sur la roche contre laquelle l’animal était acculé.

– Mille noms d’un diable! cria le roi, je l’ai manqué… Un épieu! un épieu!

Et, se reculant comme faisaient les chevaliers lorsqu’ils prenaient du champ, il jeta à dix pas de lui son épieu hors de service.

Un piqueur s’avança pour lui en offrir un autre. Mais au même moment, comme s’il eût prévu le sort qui l’attendait et qu’il eût voulu s’y soustraire, le sanglier, par un violent effort, arracha aux dents des molosses ses deux oreilles déchirées, et, les yeux sanglants, hérissé, hideux, l’haleine bruyante comme un soufflet de forge, faisant claquer ses dents l’une contre l’autre, il s’élança la tête basse, vers le cheval du roi.

Charles était trop bon chasseur pour ne pas avoir prévu cette attaque. Il enleva son cheval, qui se cabra; mais il avait mal mesuré la pression, le cheval, trop serré par le mors ou peut-être même cédant à son épouvante, se renversa en arrière.

Tous les spectateurs jetèrent un cri terrible: le cheval était tombé, et le roi avait la cuisse engagée sous lui.

– La main, Sire, rendez la main, dit Henri. Le roi lâcha la bride de son cheval, saisit la selle de la main gauche, essayant de tirer de la droite son couteau de chasse; mais le couteau, pressé par le poids de son corps, ne voulut pas sortir de sa gaine.

– Le sanglier! le sanglier! cria Charles. À moi, d’Alençon! à moi!

Cependant le cheval, rendu à lui-même, comme s’il eût compris le danger que courait son maître, tendit ses muscles et était parvenu déjà à se relever sur trois jambes, lorsqu’à l’appel de son frère, Henri vit le duc François pâlir affreusement et approcher l’arquebuse de son épaule; mais la balle, au lieu d’aller frapper le sanglier, qui n’était plus qu’à deux pas du roi, brisa le genou du cheval, qui retomba le nez contre terre. Au même instant le sanglier déchira de son boutoir la botte de Charles.

– Oh! murmura d’Alençon de ses lèvres blêmissantes, je crois que le duc d’Anjou est roi de France, et que moi je suis roi de Pologne.

En effet le sanglier labourait la cuisse de Charles, lorsque celui-ci sentit quelqu’un qui lui levait le bras; puis il vit briller une lame aiguë et tranchante qui s’enfonçait et disparaissait jusqu’à la garde au défaut de l’épaule de l’animal, tandis qu’une main gantée de fer écartait la hure déjà fumante sous ses habits.

Charles, qui dans le mouvement qu’avait fait le cheval était parvenu à dégager sa jambe, se releva lourdement, et, se voyant tout ruisselant de sang, devint pâle comme un cadavre.

– Sire, dit Henri, qui toujours à genoux maintenait le sanglier atteint au cœur, Sire, ce n’est rien, j’ai écarté la dent, et Votre Majesté n’est pas blessée.

Puis il se releva, lâchant le couteau, et le sanglier tomba, rendant plus de sang encore par sa gueule que par sa plaie.

Charles, entouré de tout un monde haletant, assailli par des cris de terreur qui eussent étourdi le plus calme courage, fut un moment sur le point de tomber près de l’animal agonisant. Mais il se remit; et se retournant vers le roi de Navarre, il lui serra la main avec un regard où brillait le premier élan de sensibilité qui eût fait battre son cœur depuis vingt-quatre ans.

– Merci, Henriot! lui dit-il.

– Mon pauvre frère! s’écria d’Alençon en s’approchant de Charles.

– Ah! c’est toi, d’Alençon! dit le roi. Eh bien, fameux tireur, qu’est donc devenue ta balle?

– Elle se sera aplatie sur le sanglier, dit le duc.

– Eh! mon Dieu! s’écria Henri avec une surprise admirablement jouée, voyez donc, François, votre balle a cassé la jambe du cheval de Sa Majesté. C’est étrange!

– Hein! dit le roi. Est-ce vrai, cela?

– C’est possible, dit le duc consterné; la main me tremblait si fort!

– Le fait est que, pour un tireur habile, vous avez fait là un singulier coup, François! dit Charles en fronçant le sourcil. Une seconde fois, merci, Henriot! Messieurs, continua le roi, retournons à Paris, j’en ai assez comme cela.

Marguerite s’approcha pour féliciter Henri.

– Ah! ma foi, oui, Margot, dit Charles, fais-lui ton compliment, et bien sincère même, car sans lui le roi de France s’appelait Henri III.

– Hélas! madame, dit le Béarnais, M. le duc d’Anjou, qui est déjà mon ennemi, va m’en vouloir bien davantage. Mais que voulez-vous! on fait ce qu’on peut; demandez à M. d’Alençon.

Et, se baissant, il retira du corps du sanglier son couteau de chasse, qu’il plongea deux ou trois fois dans la terre, afin d’en essuyer le sang.

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE.

DEUXIÈME PARTIE

I. Fraternité

En sauvant la vie de Charles, Henri avait fait plus que sauver la vie d’un homme: il avait empêché trois royaumes de changer de souverains.

En effet, Charles IX tué, le duc d’Anjou devenait roi de France, et le duc d’Alençon, selon toute probabilité, devenait roi de Pologne. Quant à la Navarre, comme M. le duc d’Anjou était l’amant de madame de Condé, sa couronne eût probablement payé au mari la complaisance de sa femme.

Or, dans tout ce grand bouleversement il n’arrivait rien de bon pour Henri. Il changeait de maître, voilà tout; et au lieu de Charles IX, qui le tolérait, il voyait monter au trône de France le duc d’Anjou, qui, n’ayant avec sa mère Catherine qu’un cœur et qu’une tête, avait juré sa mort et ne manquerait pas de tenir son serment.

Toutes ces idées s’étaient présentées à la fois à son esprit quand le sanglier s’était élancé sur Charles IX, et nous avons vu ce qui était résulté de cette réflexion rapide comme l’éclair, qu’à la vie de Charles IX était attachée sa propre vie.

Charles IX avait été sauvé par un dévouement dont il était impossible au roi de comprendre le motif.

Mais Marguerite avait tout compris, et elle avait admiré ce courage étrange de Henri qui, pareil à l’éclair, ne brillait que dans l’orage.

Malheureusement ce n’était pas le tout que d’avoir échappé au règne du duc d’Anjou, il fallait se faire roi soi-même. Il fallait disputer la Navarre au duc d’Alençon et au prince de Condé; il fallait surtout quitter cette cour où l’on ne marchait qu’entre deux précipices, et la quitter protégé par un fils de France.

Henri, tout en revenant de Bondy, réfléchit profondément à la situation. En arrivant au Louvre, son plan était fait.

Sans se débotter, tel qu’il était, tout poudreux et tout sanglant encore, il se rendit chez le duc d’Alençon, qu’il trouva fort agité en se promenant à grands pas dans sa chambre.

En l’apercevant, le prince fit un mouvement.

– Oui, lui dit Henri en lui prenant les deux mains, oui, je comprends, mon bon frère, vous m’en voulez de ce que le premier j’ai fait remarquer au roi que votre balle avait frappé la jambe de son cheval, au lieu d’aller frapper le sanglier, comme c’était votre intention. Mais que voulez-vous? je n’ai pu retenir une exclamation de surprise. D’ailleurs le roi s’en fût toujours aperçu, n’est-ce pas?

– Sans doute, sans doute, murmura d’Alençon. Mais je ne puis cependant attribuer qu’à mauvaise intention cette espèce de dénonciation que vous avez faite, et qui, vous l’avez vu, n’a pas eu un résultat moindre que de faire suspecter à mon frère Charles mes intentions, et de jeter un nuage entre nous.

– Nous reviendrons là-dessus tout à l’heure; et quant à la bonne ou à la mauvaise intention que j’ai à votre égard, je viens exprès auprès de vous pour vous en faire juge.

– Bien! dit d’Alençon avec sa réserve ordinaire; parlez, Henri, je vous écoute.

– Quand j’aurai parlé, François, vous verrez bien quelles sont mes intentions, car la confidence que je viens vous faire exclut toute réserve et toute prudence; et quand je vous l’aurai faite, d’un seul mot vous pourrez me perdre!

– Qu’est-ce donc? dit François, qui commençait à se troubler.

– Et cependant, continua Henri, j’ai hésité longtemps à vous parler de la chose qui m’amène, surtout après la façon dont vous avez fait la sourde oreille aujourd’hui.

– En vérité, dit François en pâlissant, je ne sais pas ce que vous voulez dire, Henri.

– Mon frère, vos intérêts me sont trop chers pour que je ne vous avertisse pas que les huguenots ont fait faire auprès de moi des démarches.

 

– Des démarches! demanda d’Alençon, et quelles démarches?

– L’un d’eux, M. de Mouy de Saint-Phale, le fils du brave de Mouy assassiné par Maurevel, vous savez…

– Oui.

– Eh bien, il est venu me trouver au risque de sa vie pour me démontrer que j’étais en captivité.

– Ah! vraiment! et que lui avez-vous répondu?

– Mon frère, vous savez que j’aime tendrement Charles, qui m’a sauvé la vie, et que la reine mère a pour moi remplacé ma mère. J’ai donc refusé toutes les offres qu’il venait me faire.

– Et quelles étaient ces offres?

– Les huguenots veulent reconstituer le trône de Navarre, et comme en réalité ce trône m’appartient par héritage, ils me l’offraient.

– Oui; et M. de Mouy, au lieu de l’adhésion qu’il venait solliciter, a reçu votre désistement?

– Formel… par écrit même. Mais depuis…, continua Henri.

– Vous vous êtes repenti, mon frère? interrompit d’Alençon.

– Non, j’ai cru m’apercevoir seulement que M. de Mouy, mécontent de moi, reportait ailleurs ses visées.

– Et où cela? demanda vivement François.

– Je n’en sais rien. Près du prince de Condé, peut-être.

– Oui, c’est probable, dit le duc.

– D’ailleurs, reprit Henri, j’ai moyen de connaître d’une manière infaillible le chef qu’il s’est choisi. François devint livide.

– Mais, continua Henri, les huguenots sont divisés entre eux, et de Mouy, tout brave et tout loyal qu’il est, ne représente qu’une moitié du parti. Or, cette autre moitié, qui n’est point à dédaigner, n’a pas perdu l’espoir de porter au trône ce Henri de Navarre, qui, après avoir hésité dans le premier moment, peut avoir réfléchi depuis.

– Vous croyez?

– Oh! tous les jours j’en reçois des témoignages. Cette troupe qui nous a rejoints à la chasse, avez-vous remarqué de quels hommes elle se composait?

– Oui, de gentilshommes convertis.

– Le chef de cette troupe, qui m’a fait un signe, l’avez-vous reconnu?

– Oui, c’est le vicomte de Turenne.

– Ce qu’ils me voulaient, l’avez-vous compris?

– Oui, ils vous proposaient de fuir.

– Alors, dit Henri à François inquiet, il est donc évident qu’il y a un second parti qui veut autre chose que ce que veut M. de Mouy.

– Un second parti?

– Oui, et fort puissant, vous dis-je; de sorte que pour réussir il faudrait réunir les deux partis: Turenne et de Mouy. La conspiration marche, les troupes sont désignées, on n’attend qu’un signal. Or, dans cette situation suprême, qui demande de ma part une prompte solution, j’ai débattu deux résolutions entre lesquelles je flotte. Ces deux résolutions, je viens vous les soumettre comme à un ami.

– Dites mieux, comme à un frère.

– Oui, comme à un frère, reprit Henri.

– Parlez donc, je vous écoute.

– Et d’abord je dois vous exposer l’état de mon âme, mon cher François. Nul désir, nulle ambition, nulle capacité; je suis un bon gentilhomme de campagne, pauvre, sensuel et timide; le métier de conspirateur me présente des disgrâces mal compensées par la perspective même certaine d’une couronne.

– Ah! mon frère, dit François, vous vous faites tort, et c’est une situation triste que celle d’un prince dont la fortune est limitée par une borne dans le champ paternel ou par un homme dans la carrière des honneurs! Je ne crois donc pas à ce que vous me dites.

– Ce que je vous dis est si vrai cependant, mon frère, reprit Henri, que si je croyais avoir un ami réel, je me démettrais en sa faveur de la puissance que veut me conférer le parti qui s’occupe de moi; mais, ajouta-t-il avec un soupir, je n’en ai point.

– Peut-être. Vous vous trompez sans doute.

– Non, ventre-saint-gris! dit Henri. Excepté vous, mon frère, je ne vois personne qui me soit attaché; aussi, plutôt que de laisser avorter en des déchirements affreux une tentative qui produirait à la lumière quelque homme… indigne… je préfère en vérité avertir le roi mon frère de ce qui se passe. Je ne nommerai personne, je ne citerai ni pays ni date; mais je préviendrai la catastrophe.

– Grand Dieu! s’écria d’Alençon ne pouvant réprimer sa terreur, que dites-vous là?… Quoi! Vous, vous la seule espérance du parti depuis la mort de l’amiral; vous, un huguenot converti, mal converti, on le croyait du moins, vous lèveriez le couteau sur vos frères! Henri, Henri, en faisant cela, savez-vous que vous livrez à une seconde Saint-Barthélemy tous les calvinistes du royaume? Savez-vous que Catherine n’attend qu’une occasion pareille pour exterminer tout ce qui a survécu?

Et le duc tremblant, le visage marbré de plaques rouges et livides, pressait la main de Henri pour le supplier de renoncer à cette solution, qui le perdait.

– Comment! dit Henri avec une expression de parfaite bonhomie, vous croyez, François, qu’il arriverait tant de malheurs? Avec la parole du roi, cependant, il me semble que je garantirais les imprudents.

– La parole du roi Charles IX, Henri! … Eh! l’amiral ne l’avait-il pas? Téligny ne l’avait-il pas? Ne l’aviez-vous pas vous-même? Oh! Henri, c’est moi qui vous le dis: si vous faites cela, vous les perdez tous; non seulement eux, mais encore tout ce qui a eu des relations directes ou indirectes avec eux.

Henri parut réfléchir un moment.

– Si j’eusse été un prince important à la cour, dit-il, j’eusse agi autrement. À votre place, par exemple, à votre place, à vous, François, fils de France, héritier probable de la couronne…

François secoua ironiquement la tête.

– À ma place, dit-il que feriez-vous?

– À votre place, mon frère, répondit Henri, je me mettrais à la tête du mouvement pour le diriger. Mon nom et mon crédit répondraient à ma conscience de la vie des séditieux, et je tirerais utilité pour moi d’abord et pour le roi ensuite, peut-être, d’une entreprise qui, sans cela, peut faire le plus grand mal à la France.

D’Alençon écouta ces paroles avec une joie qui dilata tous les muscles de son visage.

– Croyez-vous, dit-il, que ce moyen soit praticable, et qu’il nous épargne tous ces désastres que vous prévoyez?

– Je le crois, dit Henri. Les huguenots vous aiment: votre extérieur modeste, votre situation élevée et intéressante à la fois, la bienveillance enfin que vous avez toujours témoignée à ceux de la religion, les portent à vous servir.

– Mais, dit d’Alençon, il y a schisme dans le parti. Ceux qui sont pour vous seront-ils pour moi?

– Je me charge de vous les concilier par deux raisons.

– Lesquelles?

– D’abord, par la confiance que les chefs ont en moi; ensuite, par la crainte où ils seraient que Votre Altesse, connaissant leurs noms…

– Mais ces noms, qui me les révèlera?

– Moi, ventre-saint-gris!

– Vous feriez cela?

– Écoutez, François, je vous l’ai dit, continua Henri, je n’aime que vous à la cour: cela vient sans doute de ce que vous êtes persécuté comme moi; et puis, ma femme aussi vous aime d’une affection qui n’a pas d’égale…

François rougit de plaisir.

– Croyez-moi, mon frère, continua Henri, prenez cette affaire en main, régnez en Navarre; et pourvu que vous me conserviez une place à votre table et une belle forêt pour chasser, je m’estimerai heureux.

– Régner en Navarre! dit le duc; mais si…

– Si le duc d’Anjou est nommé roi de Pologne, n’est-ce pas? J’achève votre pensée. François regarda Henri avec une certaine terreur.

– Eh bien, écoutez, François! continua Henri; puisque rien ne vous échappe, c’est justement dans cette hypothèse que je raisonne: si le duc d’Anjou est nommé roi de Pologne, et que notre frère Charles, que Dieu conserve! vienne à mourir, il n’y a que deux cents lieues de Pau à Paris, tandis qu’il y en a quatre cents de Paris à Cracovie; vous serez donc ici pour recueillir l’héritage juste au moment où le roi de Pologne apprendra qu’il est vacant. Alors, si vous êtes content de moi, François, vous me donnerez ce royaume de Navarre, qui ne sera plus qu’un des fleurons de votre couronne; de cette façon, j’accepte. Le pis qui puisse vous arriver, c’est de rester roi là-bas et de faire souche de rois en vivant en famille avec moi et ma famille, tandis qu’ici, qu’êtes-vous? un pauvre prince persécuté, un pauvre troisième fils de roi, esclave de deux aînés et qu’un caprice peut envoyer à la Bastille.

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