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La San-Felice, Tome 02

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Or, la présence d'Assunta dans l'église de la Madone-del-Carmine, sa présence à l'autel de saint François et l'illumination a giorno de cet autel, étaient autant de preuves que Michele, tout fou qu'on le disait, ne s'était point trompé à l'endroit du médiocre produit que Basso-Tomeo, malgré la fatigue qu'il prenait, tirait de son pénible métier. En effet, les trois dernières journées avaient été si mauvaises, que le vieux pêcheur avait fait voeu de brûler douze cierges à l'autel de saint François, dans l'espérance que le saint, qui était son patron, lui accorderait une pêche dans le genre de celle que les pêcheurs de l'Évangile avaient faite dans le lac de Génézareth, et avait exigé que, pendant toute la matinée, c'est-à-dire pendant le temps qu'il serait occupé à tirer ses filets, sa fille Assunta appuyât le voeu qu'il avait fait, de ses plus ferventes prières.

Or, comme le voeu avait été fait la veille, après la dernière pêche, qui avait encore été plus mauvaise que les deux précédentes; que Michele, ayant consacré toute la soirée à Luisa, et toute la nuit au blessé, n'avait pu être prévenu par Assunta, Michele avait trouvé la porte de la maison fermée, et Assunta agenouillée à l'autel de saint François, au lieu de l'attendre à sa porte.

En voyant que Pasquale de Simone lui avait dit vrai, Michele fit un si gros soupir de satisfaction, qu'Assunta se retourna à son tour, poussa un cri de joie, et, avec un bon sourire qui n'était autre chose qu'un remercîment pour sa pénétration, lui fit signe de venir s'agenouiller près d'elle. Michele n'eut pas besoin qu'on lui répétât l'invitation, il ne fit qu'un bond de la place où il était jusqu'aux degrés de l'autel, et tomba à genoux sur la même marche où priait Assunta.

Nous ne voudrions pas affirmer qu'à partir de ce moment la prière de la jeune fille fut aussi fervente que lorsque Michele était absent, et qu'il ne se mêla point à cette prière quelques distractions. Mais la chose était peu importante à cette heure, la pêche devant être faite et les filets tirés. On pouvait bien, à tout prendre, risquer quelques paroles d'amour, au milieu des pieuses paroles auxquelles le saint avait droit.

Ce fut là seulement que Michele apprit d'Assunta les faits qu'en notre qualité d'historien, nous avons fait connaître à nos lecteurs, avant que Michele les connût lui-même, – et, en échange de ces faits, il lui fit, de son côté, l'histoire la plus probable qu'il put agencer sur une indisposition de Luisa, sur un assassinat qui avait eu lieu à la fontaine du Lion, et sur le bruit qui se faisait à cette heure, rue Sant-Eligio et ruelle des Soupirs-de-l'Abîme, à la porte de la boutique du beccaïo.

Assunta, en véritable fille d'Ève qu'elle était, sut à peine qu'il y avait du bruit au Vieux-Marché, qu'elle voulut connaître les véritables causes de ce bruit. Or, ce que lui en disait son amant lui paraissant couvert d'un certain nuage, elle prit congé de saint François, auquel sa prière était finie ou bien près de l'être; elle fit une révérence à l'autel du saint, trempa ses ongles dans le bénitier de la porte, toucha du bout de ses doigts humides les doigts de son amant, fit un dernier signe de croix, prit, avant même d'être sortie de l'église, le bras de Michele, et, légère comme une alouette prête à s'envoler, en chantant comme elle, elle sortit avec lui de l'église del Carmine, pleine de confiance dans l'intervention du saint et ne doutant pas que son père et ses frères n'eussent fait une pêche miraculeuse.

XXX
LES DEUX FRÈRES

Assunta avait bien raison d'avoir confiance en saint François: son père et ses frères avaient fait une pêche vraiment miraculeuse.

Au moment où ils avaient commencé de tirer leurs filets, leurs filets leur avaient paru si lourds, qu'ils avaient cru d'abord avoir accroché quelque rocher; mais, ne sentant point cette résistance absolue que présente une masse enracinée au fond de la mer, ils avaient eu la crainte, chose qui arrive quelquefois et qui est d'un triste présage pour ceux à qui elle arrive, ils avaient eu la crainte de tirer à eux le cadavre de quelque suicidé ou de quelque noyé par accident.

Mais, au fur et à mesure que le filet se rapprochait de la plage, ils sentaient des soubresauts et des secousses indiquant que c'étaient des corps vivants et bien vivants qui, malgré eux, cédaient à la traction du filet.

Bientôt on vit, aux clapotements de la mer et aux gerbes liquides qui en jaillissaient, que les captifs, commençant à comprendre leur position, faisaient des efforts désespérés pour rompre la traîne ou pour sauter par-dessus.

Gennaro et Gaetano se mirent à la mer, et, tandis que le vieux pêcheur et Luigi, réunissant tous leurs efforts, luttaient contre la proie indocile, ils passèrent derrière les filets, et, quoiqu'ils eussent de l'eau jusqu'aux épaules, parvinrent à la maintenir.

Seulement, à leurs gestes et à leurs exclamations, on pouvait comprendre que saint François avait largement fait les choses.

Ceci se passait dans le golfe vers la moitié à peu près de la strada Nuova, en face d'une grande maison qui donnait d'un côté sur le quai, de l'autre sur la rue Sant-Andrea-degli-Scopari.

Cette maison, que l'on désignait sous le nom de palais della Torre, appartenait, en effet, au duc de ce nom.

Comme nous allons raconter un fait entièrement historique, nous sommes forcé de donner quelques détails sur cette maison où le fait s'est passé et sur ceux qui l'habitaient.

A la fenêtre du premier étage se tenait un jeune homme de vingt-six à vingt-huit ans, vêtu à la dernière mode de Paris, si ce n'est qu'au lieu d'avoir la redingote à carrick ou l'habit aux longues basques et au haut collet piqué que l'on portait à cette époque, il était enveloppé d'une élégante robe de chambre de velours nacarat fermant sur sa poitrine avec des brandebourgs de soie. Ses cheveux noirs, qui depuis longtemps avaient renoncé à la poudre, quoique coupés court, frisaient en boucles naturelles; une fine chemise de batiste, ornée d'un jabot d'élégante dentelle, s'ouvrait pour laisser voir un cou juvénile et blanc comme un cou de femme; ses mains étaient blanches, longues et minces, signe d'aristocratie. Il portait, au petit doigt de la gauche, un diamant, et, distrait, l'oeil perdu dans l'espace, suivait les nuages glissant dans le ciel, tout en faisant de la main droite ces mouvements dénonciateurs que fait un poëte qui scande des vers.

C'était un poëte, en effet, un poëte dans le genre de Sannasar, de Bertin, de Parny, c'était don Clemente Filomarino, frère cadet du duc della Torre, un des jeunes gens les plus élégants de Naples, et qui disputait la royauté de la mode aux Nicolino, aux Caracciolo et aux Roccamana; en outre, beau cavalier, grand chasseur, excellant dans les exercices de l'escrime, du tir, de la natation; riche, quoique cadet de famille, attendu que son frère, le duc della Torre, qui avait vingt-cinq ans de plus que lui, avait déclaré vouloir mourir garçon, afin de laisser toute sa fortune à son jeune frère, lequel avait reçu de son aîné l'honorable mission de perpétuer la race des ducs de la Torre, honneur auquel celui-ci paraissait avoir renoncé.

Au reste, le duc della Torre s'occupait d'un travail bien autrement intéressant – et il en était convaincu – pour ses contemporains et même pour l'avenir, que celui de procréer des héritiers de son nom et des soutiens de sa race. Bibliomane acharné, il faisait une collection de livres rares et de manuscrits précieux. La bibliothèque royale elle-même – celle de Naples, bien entendu, – n'avait rien que l'on pût comparer à sa réunion d'Elzévirs, ou, pour parler plus correctement, d'Elzévirs. En effet, il avait un spécimen à peu près complet de toutes les éditions publiées par Louis, Isaac et Daniel, c'est-à-dire par le père, le fils et le neveu5. Nous disons à peu près complète, parce que nul bibliomane ne peut se vanter d'avoir la collection entière, depuis le premier volume, publié en 1572, auquel est attaché le nom d'Elzévirs, et qui porte pour titre: Eutropii historiæ romanæ, lib X, jusqu'au Pastissier françois, publié chez Louis et Daniel, et qui porte la date de 1655. Cependant, il montrait avec orgueil aux amateurs cette collection presque unique, où se trouvaient successivement, servant d'enseigne au frontispice, l'ange tenant d'une main un livre, de l'autre une faux; un cep de vigne embrassant un orme, avec la devise Non solus; la Minerve et l'olivier, avec l'exergue Ne extra oleas; le fleuron au masque de buffle que les Elzévirs adoptèrent en 1629; la sirène, qui lui succéda en 1634; le cul-de-lampe représentant la tête de Méduse; la guirlande de roses trémières, et enfin les deux sceptres croisés sur un bouclier, qui sont leur dernière marque. En outre, ses éditions, toutes de choix, étaient remarquables par la grandeur et la largeur de leurs marges, dont quelques-unes atteignaient quinze et dix-huit lignes.

Quant à ses autographes, c'était bien la plus riche collection qui existât au monde. Elle commençait au sceau de Tancrède de Hauteville, et se continuait, en rois, princes, vice-rois ayant régné sur Naples, jusqu'aux signatures de Ferdinand et de Caroline, actuellement régnants.

Chose bizarre! Ce profond amour de la collection, dont le plus signalé symptôme est de rendre indifférent à tous les sentiments humains, n'avait eu aucune influence sur l'amour presque paternel que le duc della Torre portait à son jeune frère, don Clemente, resté orphelin à cinq ans. Ce qui l'avait si profondément attaché à cet enfant le jour même de sa naissance, c'était probablement cette idée que, dès ce jour-là, il était déchargé de l'obligation de prendre une femme, qui ne l'eût point détourné entièrement, mais qui l'eût distrait de sa vocation de collectionneur. Aussi, nous serait-il impossible d'énumérer les soins dont l'enfant chargé de le dispenser de l'accomplissement de ses obligations conjugales avait été l'objet de sa part. Dans toutes ces indispositions plus ou moins graves auxquelles l'enfance est soumise, il avait été son seul garde-malade, passant les nuits près de son lit à annoter ses catalogues, ou à chercher dans ses livres rares ces fautes d'impression qui marquent un exemplaire du sceau de l'identité. D'enfant, don Clemente était devenu adolescent; d'adolescent, jeune homme; de jeune homme, il était en train de passer homme, sans que cette profonde et tendre affection de son frère pour lui se fût altérée et eût changé de nature. A l'âge de vingt-six ans, don Clemente était encore traité par son frère comme un enfant. Il ne montait pas une fois à cheval, il n'allait pas une fois à la chasse que son frère ne lui criât par la fenêtre: «Prends garde de te noyer! Prends garde que ton fusil ne soit mal chargé! Prends garde que ton cheval ne s'emporte!»

 

Lorsque l'amiral Latouche-Tréville vint à Naples, don Clemente Filomarino, comme les autres jeunes gens de son âge, fraternisa avec les officiers français, et, poëte doué d'une imagination ardente, révolté des abus d'un pays livré au triple despotisme du sceptre, du sabre et du goupillon, il se mêla aux rangs des plus chauds patriotes et fut emprisonné avec eux.

Tout entier à ses recherches d'autographes et à ses études de bibliomane, le duc della Torre avait à peine su le passage de la flotte française, et, en tout cas, n'y avait attaché aucune importance. Philosophe lui-même, mais ne mêlant en aucune façon la politique à sa philosophie, il ne s'était point étonné des railleries de son frère contre le gouvernement, l'armée et les moines. Tout à coup, il apprit que don Clemente Filomarino avait été arrêté et conduit au fort Saint-Elme.

La foudre tombée à ses pieds ne l'eût pas plus étourdi que cette nouvelle; il fut quelque temps à rassembler ses idées, et courut chez le régent de la vicairie, charge qui correspond, chez nous, à celle de préfet de police.

Il venait demander ce qu'avait fait son frère.

Son étonnement fut grand lorsqu'on lui eut répondu que son frère conspirait, que les accusations les plus graves pesaient sur lui, et que, si ces accusations étaient prouvées, il y allait de sa tête.

L'échafaud sur lequel avaient péri Vitagliano, Emmanuele de Deo et Gagliani était à peine enlevé de la place du Château; il crut le voir se dresser de nouveau pour dévorer son frère. Il courut chez les juges, assiégea les portes des Vanni, des Guidobaldi, des Castelcicala; il offrit sa fortune tout entière; il offrit ses autographes, ses Elzévirs; il s'offrit lui-même si l'on voulait mettre son frère en liberté. Il supplia le premier ministre Acton, il se jeta aux pieds du roi, aux pieds de la reine; tout fut inutile. Le procès suivit son cours; mais, cette fois, malgré l'influence néfaste de cette sanglante trinité, tous les accusés furent reconnus innocents et mis en liberté.

Ce fut alors que la reine, voyant lui échapper la vengeance légale, établit cette fameuse chambre obscure où nous avons introduit nos lecteurs, et créa ce tribunal secret dont Vanni, Castelcicala et Guidobaldi étaient les juges, et Pasquale de Simone l'exécuteur.

Dix-huit mois de prison, pendant lesquels son frère, le duc della Torre, pensa devenir fou, et cessa de se livrer à la compilation de ses Elzévirs et à la recherche de ses autographes, ne guérirent aucunement don Clemente Filomarino de ses principes libéraux, de ses tendances philosophiques et de ses instincts railleurs; au contraire, ils le poussèrent plus avant que jamais dans la voie de l'opposition. Fort de cette impartialité du tribunal, qui, malgré les instances secrètes de la reine, qui, malgré les instances publiques de ses accusateurs, l'avait déclaré innocent, et l'avait mis en liberté, il pensait n'avoir plus autre chose à craindre, et était devenu un des habitués les plus assidus des salons de l'ambassadeur français, tandis qu'au contraire il s'était complétement éclipsé des salons de la cour, dans lesquels son rang lui donnait entrée.

Le duc della Torre, son frère, rassuré sur le sort de Clemente, s'était remis à la poursuite de ses autographes et de ses Elzévirs, et ne s'inquiétait plus de cet enfant prodigue que pour lui recommander comme toujours la prudence, quand il montait à cheval, allait à la chasse, ou faisait quelque pleine eau dans le golfe.

Or, ce jour-là, tous deux étaient satisfaits.

Don Clemente Filomarino avait appris le départ de l'ambassadeur français, ainsi que la déclaration de guerre faite par lui au roi Ferdinand, et, ses principes de citoyen du monde l'emportant sur sa nationalité napolitaine, il espérait bien avant un mois voir ses bons amis les Français à Naples, et le roi et la reine à tous les diables.

De son côté, le duc della Torre venait de recevoir une lettre du libraire Dura, le plus célèbre bouquiniste de Naples, qui lui annonçait qu'il avait découvert un des deux Elzévirs manquant à sa collection, et qui lui faisait demander s'il devait le lui porter chez lui ou attendre sa visite à son magasin.

En lisant la lettre du libraire, le duc della Torre avait poussé un cri de joie, et, n'ayant pas la patience d'attendre la visite, il avait noué sa cravate, passé sa houppelande, et, descendant du second étage, occupé tout entier par sa bibliothèque, il était entré au premier, qui lui servait de logement, ainsi qu'à son frère, et avait fait son apparition dans la chambre, juste au moment où celui-ci venait de rimer les derniers vers d'un poëme comique, dans le genre du Lutrin de Boileau, et où il attaquait les trois gros péchés, non-seulement des moines de Naples, mais des moines de tous les pays: la luxure, la paresse et la gourmandise.

A la seule vue de son frère, don Clemente Filomarino devina qu'il venait d'arriver à celui-ci un de ces grands événements bibliomaniques qui le mettaient hors de lui.

– Oh! mon cher frère, s'écria-t-il, auriez-vous trouvé, par hasard, le Térence de 1661?

– Non, mon cher Clemente; mais juge de mon bonheur: j'ai trouvé le Perse de 1664.

– Mais trouvé… ce qui s'appelle trouvé, hein? Vous savez bien que, plus d'une fois déjà, vous m'avez dit: «J'ai trouvé,» et que, quand il s'est agi de vous livrer l'exemplaire en question, on essayait de vous fourrer quelque faux Elzévir, quelque édition avec la sphère, au lieu de l'édition de l'olivier ou de celle de l'orme.

– Oui, mais je ne m'y laissais pas prendre. Ce n'est pas un vieux renard comme moi que l'on attrape! D'ailleurs, c'est Dura qui m'écrit, et Dura ne me ferait point un tour comme celui-là. Il a sa réputation à conserver. Regarde plutôt, voici sa lettre: «Monsieur le duc, venez vite; j'ai la joie de vous annoncer que je viens de trouver le Perse de 1664, avec les deux sceptres croisés sur l'écu; édition magnifique; les marges ont quinze lignes de hauteur en tout sens.»

– Bravo, mon frère! Et vous allez chez Dura, je présume?

– J'y cours! il va m'en coûter soixante ou quatre-vingts ducats au moins; mais qu'importe! c'est à toi que ma bibliothèque reviendra un jour; et, si maintenant j'ai le bonheur de trouver le Térence de 1661, j'aurai la collection complète; et sais-tu ce que vaut une collection complète d'Elzévirs? Vingt mille ducats comme un grain!

– Il y a une chose dont je vous supplie, mon cher frère, c'est de ne vous inquiéter jamais de ce que vous me laisserez ou ne me laisserez pas. J'espère que, comme Cléobis et Biton, quoique nous n'ayons pas les mêmes mérites qu'eux, les dieux nous aimeront assez pour nous faire mourir le même jour et à la même heure. Aimez-moi, vous, et, tant que vous m'aimerez, je serai riche.

– Eh! malheureux, lui dit le duc en lui posant les deux mains sur les deux épaules et en le regardant avec une ineffable tendresse, tu sais bien que je t'aime comme mon enfant, mieux que mon enfant même; car, si tu n'avais été que mon enfant, j'eusse couru tout droit chez Dura, et je ne t'eusse embrassé qu'à mon retour.

– Eh bien, embrassez-moi, et courez vite chercher votre Térence.

– Mon Perse, ignorant! mon Perse! Ah! continua le duc avec un soupir, tu ne feras qu'un bibliomane de troisième ordre, et encore! encore!.. Au revoir, Clemente, au revoir!

Et le duc della Torre s'élança hors de la maison.

Don Clemente revint à la fenêtre.

Basso-Tomeo et ses fils venaient de tirer leurs filets sur la plage, au milieu d'un immense concours de pêcheurs et de lazzaroni, accourus pour voir le résultat de la pêche de Basso-Tomeo et de ses trois fils.

XXXI
OÙ GAETANO MAMMONE ENTRE EN SCÈNE

Nous l'avons dit au commencement du chapitre précédent, saint François avait bien fait les choses, et la pêche était vraiment miraculeuse.

On eût dit que le saint, si religieusement prié par Assunta et si généreusement gratifié par Basso-Tomeo d'une messe et de douze cierges, avait voulu mettre dans les filets du vieux pêcheur et de ses trois fils un spécimen de tous les poissons du golfe.

Lorsque la traîne sortit de la mer et qu'elle apparut sur le rivage avec sa poche pleine à rompre, on eût dit que c'était non pas la Méditerranée, mais le Pactole qui dégorgeait toutes ses richesses sur la plage.

La dorade aux reflets d'or, la bonite aux mailles d'acier, la spinola à la robe d'argent, la trille au corsage rose, le dentiche aux nageoires lie de vin, le mulet au museau arrondi, le poisson-soleil que l'on croirait un tambour de basque tombé à la mer, enfin le poisson Saint-Pierre, qui porte sur ses flancs l'empreinte des doigts de l'apôtre, faisaient escorte, et semblaient la cour, les ministres, les chambellans d'un thon magnifique qui pesait au moins soixante rotoli, et qui semblait ce roi de la mer que, dans la Muette de Portici, promet Masaniello à ses compagnons sur un air si charmant.

Le vieux Basso-Tomeo se tenait la tête à deux mains, ne pouvait en croire ses yeux et trépignait de joie. Les paniers apportés par le vieillard et ses fils, dans l'espoir d'une pêche abondante, une fois remplis jusqu'aux bords, ne contenaient pas le tiers de cette magnifique moisson faite dans la plaine qui se laboure toute seule.

Les enfants se mirent à la recherche de nouveaux récipients, tandis que Basso-Tomeo, dans sa reconnaissance, racontait à tout venant qu'il devait ce miracle à la faveur toute particulière de saint François, son patron, à l'autel duquel il avait fait dire une messe et brûler douze cierges.

Le thon faisait surtout l'admiration du vieux pêcheur et des assistants: c'était un miracle qu'après les secousses qu'il avait données au filet, il ne l'eût pas rompu, et, en s'ouvrant à travers ses mailles une fuite pour lui-même, n'eût pas ouvert en même temps un passage à toute la gent écaillée qui bondissait autour de lui.

Chacun, au récit du vieux Basso-Tomeo et à la vue de sa pêche, se signait et criait: Evviva san Francisco! Don Clémente seul, qui, de sa fenêtre, dominait toute cette scène, paraissait mettre en doute l'intervention du saint, et attribuer tout simplement ce miraculeux coup de filet à une de ces chances heureuses et comme en rencontrent parfois les pêcheurs.

Placé d'ailleurs comme il l'était, c'est-à-dire à la fenêtre du premier étage de son palais et pouvant plonger du regard jusqu'au coude que fait le quai de la Marinella, il voyait ce que Basso-Tomeo, enfermé avec son poisson au milieu d'un cercle de féliciteurs, ne pouvait pas voir et ne voyait pas.

Ce que don Clemente voyait et ce que ne voyait point Basso-Tomeo, c'était fra Pacifico, arrivant du côté du marché avec son âne, tenant orgueilleusement le milieu du pavé comme d'habitude, et devant infailliblement, s'il suivait la ligne droite, se heurter au monceau de poissons que venait de tirer de la mer le vieux Basso-Tomeo.

Ce fut ce qui arriva; en voyant un attroupement qui lui barrait le passage, sans savoir la cause de cet attroupement, fra Pacifico, pour le fendre plus facilement, prit Jacobin par la longe et marcha le premier en disant:

– Place! au nom de saint François, place!

On comprend facilement que, dans une foule chantant les louanges du fondateur des ordres mineurs, un nouveau venu, quel qu'il fut, se présentant au nom du saint, devait trouver place; mais place fut faite par cette même foule avec d'autant plus de promptitude et de vénération, que l'on reconnut fra Pacifico et son âne Jacobin, que chacun savait avoir l'honneur d'être attachés au service particulier du saint.

 

Fra Pacifico allait donc, fendant la foule, ignorant ce qu'elle contenait à son centre, lorsque tout à coup il se trouva face à face avec le vieux Tomeo et manqua de trébucher contre la montagne de poissons qui se mouvaient encore dans les dernières convulsions de l'agonie!

C'était ce moment qu'attendait don Clemente; car il pouvait prévoir qu'il allait se passer une lutte curieuse entre le pêcheur et le moine; en effet, à peine Basso-Tomeo eut-il reconnu Pacifico traînant derrière lui Jacobin, que, comprenant à quelle dîme exorbitante il allait être soumis, il jeta un cri de terreur et pâlit, tandis qu'au contraire le visage de fra Pacifico s'illumina d'un formidable sourire en voyant vers quelle belle aubaine sa bonne étoile le conduisait.

Il avait justement trouvé le marché au poisson si mal fourni, qu'il n'avait, quoique le lendemain fût jour maigre, rien jugé digne de la bouche si finement connaisseuse des capucins de Saint-Éphrem.

– Ah! ah! fit don Clemente assez haut pour être entendu d'en bas, c'est-à-dire du quai, voilà qui devient intéressant.

Quelques personnes levèrent la tête; mais, ne comprenant pas ce que voulait dire le jeune homme à la robe de chambre de velours, ils reportèrent presque aussitôt leurs regards sur Basso-Tomeo et fra Pacifico.

Au reste, frère Pacifique ne laissa point longtemps Basso-Tomeo dans les transes du doute; il prit son cordon, l'étendit sur le thon et prononça les paroles sacramentelles:

– Au nom de saint François!

C'était ce que prévoyait don Clemente; il éclata de rire.

Il était évident qu'il allait assister au combat de deux des plus puissants mobiles des actions humaines: la superstition et l'intérêt.

Basso-Tomeo, qui croyait fermement tenir sa pêche de saint François, défendrait-il le plus beau morceau de cette pêche contre saint François lui-même, ou, ce qui était exactement la même chose, contre son représentant?

D'après ce qui allait se passer, don Clemente apprécierait dans la lutte que Naples allait avoir à soutenir pour la conquête de ses droits, quel fond les patriotes pouvaient faire sur le peuple, et si ce peuple, pour lequel ils se dévoueraient au moment du renversement des préjugés, combattrait en faveur de ces préjugés, ou contre eux.

L'épreuve ne fut pas heureuse pour le philosophe.

Après un combat intérieur qui ne dura au reste que quelques secondes, l'intérêt fut vaincu par la superstition, et le vieux pêcheur, qui avait paru disposé un instant à défendre sa propriété en cherchant des yeux si ses trois fils étaient de retour avec les paniers qu'ils étaient allés prendre, fit un pas en arrière, et, démasquant l'objet en litige, dit humblement:

– Saint François me l'avait donné, saint François me le reprend. Vive saint François! Ce poisson est à vous, mon père.

– Ah! l'imbécile! ne put s'empêcher de s'écrier don Clemente.

Tous levèrent la tête, et les regards de la foule se fixèrent sur le jeune homme à la physionomie railleuse; l'expression des visages de ceux qui regardaient ne dépassait pas encore l'étonnement, car personne ne comprenait parfaitement à qui s'adressait l'épithète d'imbécile.

– Oh! c'est toi, Basso-Tomeo, et non un autre que j'appelle imbécile! s'écria don Clémente.

– Et pourquoi cela, Excellence?

– Parce que, toi et tes trois fils, qui êtes d'honnêtes gens, de braves travailleurs, et, de plus, de vigoureux gaillards, vous vous laissez enlever le prix de votre labeur par un moine fripon, paresseux et impudent.

Fra Pacifico, qui avait cru que la vénération attachée à son habit le mettait hors de la question, attaqué ainsi en face et à l'improviste, chose qu'il n'eût jamais crue possible, poussa un rugissement de colère et montra son bâton à don Clemente.

– Garde tan bâton pour ton âne, moine; il n'y a qu'à lui que ton bâton puisse faire peur.

– Oui; mais je vous en préviens, don Cicillo6, mon âne s'appelle Jacobin.

– Eh bien, alors, c'est ton âne qui porte le nom de l'homme, et c'est toi qui as le nom de la bête.

La foule se mit à rire: elle commence toujours, lorsqu'elle écoute une dispute, par être du parti de celui qui a de l'esprit.

Fra Pacifico, furieux, ne sut qu'apostropher don Clemente de ce nom qui était pour lui la plus terrible injure.

– Je te dis que tu es un jacobin! Cet homme est un jacobin, mes frères; le voyez-vous avec ses cheveux coupés à la Titus et son pantalon sous sa robe de chambre? Jacobin! jacobin! jacobin!

– Jacobin tant que tu voudras, et je me vante d'être jacobin.

– Vous entendez, hurla fra Pacifico, il avoue qu'il est jacobin!

– D'abord, lui dit don Clemente, sais-tu ce que c'est qu'un jacobin?

– C'est un démagogue, un sans-culotte, un septembriseur, un régicide.

– En France, c'est possible; mais, à Naples, écoute bien ceci et tâche de ne pas l'oublier: jacobin veut dire un honnête homme qui aime son pays, qui voudrait le bonheur du peuple, et, par conséquent, l'abolition des préjugés qui l'abrutissent; qui demande l'égalité, c'est-à-dire les mêmes lois pour les petits comme pour les grands; la liberté pour tous, afin que tous les pêcheurs puissent jeter également leurs filets dans toutes les parties du golfe, et qu'il n'y ait point de réserves même pour le roi, à Portici, à Chiatamone et à Mergellina attendu que la mer est à tout le monde, comme l'air que nous respirons, comme le soleil qui nous éclaire; un jacobin, enfin, c'est un homme qui veut la fraternité, c'est-à-dire qui regarde tous les hommes comme ses frères, et qui dit: «Il n'est pas juste que les uns se reposent et mendient, tandis que les autres se fatiguent et travaillent,» ne voulant pas qu'un pauvre pêcheur qui a passé la nuit à poser ses filets et la journée à les tirer, quand il a, une fois par hasard, ce qui lui arrive tous les dix ans, pris un poisson qui vaut trente ducats…

La foule sembla trouver le prix trop élevé et se mit à rire.

– J'en donne trente ducats, moi, continua Filomarino. Eh bien, je le répète, un jacobin est un homme qui ne veut pas que, quand un pauvre pêcheur a pris un poisson qui vaut trente ducats, il lui soit volé par un homme, – je me trompe, un moine! – un moine n'est pas un homme; celui qui mérite le nom d'homme est celui qui rend des services à ses frères, et non celui qui les vole, celui qui rend des services à la société et non celui qui est à sa charge, qui travaille et qui touche honorablement le prix de son labeur pour nourrir une femme et des enfants, et non celui qui, la plupart du temps, détourne la femme des autres et débauche ses enfants au profit de la paresse et de l'oisiveté. Voilà ce que c'est qu'un jacobin, moine, et, si c'est là ce que c'est qu'un jacobin, oui, je suis jacobin!

– Vous l'entendez! s'écria le moine exaspéré, il insulte l'Église, il insulte la religion, il insulte saint François… C'est un athée!

Plusieurs voix demandèrent:

– Qu'est-ce qu'un athée?

– C'est, répondit fra Pacifico, un homme qui ne croit pas en Dieu, qui ne croit pas en la Madone, qui ne croit pas en Jésus-Christ, enfin qui ne croit pas au miracle de saint Janvier.

A chacune de ces accusations, don Clemente Filomarino avait vu les yeux de la foule s'animer et briller de plus en plus. Il était évident que, si la lutte continuait entre lui et le moine, et avait pour arbitre une foule ignorante et fanatique, le résultat serait contre lui. A la dernière accusation, quelques hommes avaient poussé un cri de colère en lui montrant le poing et en répétant après fra Pacifico:

– C'est un jacobin, c'est un athée, c'est un homme qui ne croit pas au miracle de saint Janvier.

– Enfin, continua le moine, qui avait gardé cet argument pour le dernier, c'est un ami des Français.

Quelques hommes, à cette dernière invective, ramassèrent des pierres.

– Et vous, leur cria don Clemente, vous êtes des ânes auxquels on ne mettra jamais de bâts assez pesants et auxquels on ne fera jamais porter de charges assez lourdes.

5Les savants ne sont pas d'accord sur ce point: les uns disent qu'Isaac est le fils de Louis, les autres disent qu'il n'est que son neveu.
6Nom que l'on donne à Naples aux muscadins, mirliflores, dandys, etc.
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