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La San-Felice, Tome 06

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«Mon cher monsieur,

»Je désire deux ou trois beaux châles de l'Inde, quels qu'en soient les prix. Comme je ne connais personne à Constantinople que je puisse charger de cette emplette, je prends la liberté de vous prier de me faire rendre ce service. J'en payerai le prix avec mille remerciements, soit à Londres, soit partout ailleurs, aussitôt qu'on me le fera connaître.

»En faisant ce que je vous demande, vous acquerrez un nouveau titre à la reconnaissance de,

»NELSON.»

Cette lettre n'a pas besoin de commentaires, il nous semble; elle prouve qu'Emma Lyonna, en épousant sir William, n'avait point tout à fait oublié les habitudes de son ancien métier.

Quant à la reine, elle ne jouait jamais, ou du moins jouait sans animation et sans plaisir. Chose étrange, il y avait une passion inconnue à cette femme de passion. En deuil du jeune prince Albert, si vite disparu, plus vite encore oublié, elle se tenait avec les jeunes princesses, en deuil comme elle, dans un coin du salon, occupée à quelque travail d'aiguille. Pendant le jeu, trois fois par semaine, le prince de Calabre venait avec sa jeune épouse faire au roi sa visite. Ni lui ni la princesse Clémentine ne jouaient. La princesse s'asseyait près de la reine sa belle-mère, au milieu des jeunes princesses ses belles-soeurs, et se mettait à dessiner ou à faire de la tapisserie avec elles.

Le duc de Calabre allait d'un groupe à l'autre et se mêlait à la conversation, quelle qu'elle fût, avec cette faconde facile et superficielle qui, aux yeux des ignorants, passe pour de la science.

Un étranger qui fût entré dans ce salon et qui n'eût point su à qui il avait affaire, n'eût jamais deviné que ce roi qui faisait si gaiement sa partie de reversi, que cette femme qui brodait si froidement un dossier de fauteuil, que ce jeune homme enfin qui, d'un visage si riant, saluait tout le monde, étaient un roi, une reine et un prince royal venant de perdre leur royaume et ayant depuis peu de jours seulement mis le pied sur la terre de l'exil.

Le visage seul de la princesse Clémentine portait la trace d'un profond chagrin; mais on sentait que, tombant dans l'extrémité opposée, le chagrin était plus grand que celui qu'on éprouve de la perte d'un trône; on comprenait que la pauvre archiduchesse avait perdu son bonheur, sans espoir de le retrouver jamais.

CV
LES NOUVELLES

Quoique le roi Ferdinand eût mis, comme nous l'avons dit, moins d'empressement à réorganiser son ministère que sa partie de reversi, au bout de deux ou trois jours, il avait établi quelque chose qui ressemblait à un conseil d'État. Il avait rendu à Ariola, disgracié d'abord, son ministère de la guerre, car il avait bien vite reconnu que les traîtres étaient ceux qui lui avaient conseillé la guerre, et non ceux qui l'en avaient dissuadé. Il avait nommé le marquis de Circello à l'intérieur, et le prince de Castelcicala-auquel il fallait une compensation de la perte de sa place d'ambassadeur à Londres et de membre de la junte d'État à Naples-ministre des affaires étrangères.

Le premier qui apporta à Palerme des nouvelles de Naples fut le vicaire général prince Pignatelli. Il avait, nous l'avons dit, pris la fuite le même soir où, mis en demeure de livrer le trésor de l'État à la municipalité et de se démettre de ses pouvoirs aux mains des élus, il avait demandé douze heures pour réfléchir.

Le prince Pignatelli fut fort mal reçu du roi et surtout de la reine. Le roi lui avait recommandé de ne traiter à aucun prix avec les Français et les rebelles, ce qui, à ses yeux, était tout un, et cependant il avait signé la trêve de Sparanisi; la reine lui avait ordonné de brûler Naples en la quittant et de tout égorger, à partir des notaires et au-dessus, et il n'avait pas incendié le plus petit palais, égorgé le moindre patriote.

Le prince Pignatelli fut exilé à Castanisetta.

Successivement, et par des voies diverses, on apprit l'émeute contre Mack et la protection que celui-ci avait trouvée sous la tente du général français, la nomination de Maliterno comme général du peuple, l'adjonction qu'il s'était faite de Rocca-Romana comme lieutenant, et enfin la marche toujours plus rapprochée des Français sur Naples.

Enfin, un matin, par une tartane de Castellamare, après trois jours et demi de traversée, un homme aborda à Palerme, se disant porteur des nouvelles les plus importantes. Il avait, disait-il, échappé par miracle aux jacobins, et, montrant ses poignets meurtris par les cordes qui l'avaient lié, il demandait à parler au roi.

Le roi, prévenu, fit demander qui il était.

Il répondit qu'il se nommait Roberto Brandi et était gouverneur du château Saint-Elme.

Le roi, jugeant, en effet, qu'il devait apporter des nouvelles positives, ordonna qu'il fût introduit.

Roberto Brandi, introduit, raconta au roi que, la nuit qui avait précédé l'attaque des Français sur Naples, une émeute terrible avait éclaté parmi les hommes de la garnison du château Saint-Elme. Il était alors, racontait-il toujours, sorti un pistolet de chaque main; mais les rebelles s'étaient jetés sur lui. Il avait fait une résistance désespérée. De ses deux coups, il avait tué un homme et en avait blessé un autre. Mais que pouvait-il faire contre cinquante hommes? Ils s'étaient rués sur lui, l'avaient garrotté et jeté dans le cachot de Nicolino Caracciolo, qu'ils avaient délivré et nommé commandant du château à sa place. Il était resté, ajoutait-il encore soixante et douze heures enfermé dans son cachot, sans que personne songeât à lui apporter ni un verre d'eau, ni un morceau de pain. Enfin, un geôlier, qui lui devait sa place, en avait eu pitié, et, le troisième jour, au milieu de la confusion du combat, était descendu près de lui et lui avait apporté un déguisement à l'aide duquel il avait pu fuir. Mais, comme, dans le premier moment, il lui avait été impossible de trouver un moyen de transport, il avait été obligé de rester deux jours caché chez un ami, ce qui lui avait permis d'assister à l'entrée des Français à Naples et à la trahison de saint Janvier. Enfin, après la proclamation de la république parthénopéenne, il avait gagné Castellamare, où, à prix d'or, le patron d'une tartane avait consenti à le prendre à son bord et à le transporter en Sicile. Il avait fait la traversée en trois jours, et arrivait pour mettre son dévouement aux pieds de ses augustes souverains.

Le récit était des plus touchants. Roberto Brandi, après l'avoir fait au roi, le renouvela devant la reine, et, comme la reine, bien autrement que le roi, était appréciatrice des grands dévouements, elle fit compter à la victime de Nicolino Caracciolo et des jacobins une somme de dix mille ducats, d'abord, puis le fit nommer gouverneur du château de Palerme aux mêmes appointements qu'il avait au château Saint-Elme, promettant de faire quelque chose de mieux pour lui, le jour où, son royaume reconquis, elle rentrerait à Naples.

Un conseil fut à l'instant même réuni chez la reine: Acton, Castelcicala, Nelson et le marquis de Circello y furent convoqués.

Il s'agissait d'empêcher la Révolution, triomphante à Naples, de traverser le détroit et de pénétrer en Sicile. C'était peu de chose que de posséder une île, après avoir possédé une île et un continent; c'était, peu de chose que d'avoir un million et demi de sujets, après en avoir eu sept millions; mais enfin une île et un million et demi de sujets valent mieux que rien, et le roi tenait à garder Palerme, où il faisait sa partie de reversi tous les soirs, où le président Cardillo lui donnait de si belles chasses, et à régner sur ses quinze cent mille Siciliens.

Comme on le pense bien, le conseil ne décida rien; la reine, qui saisissait les petits détails et pouvait monter les rouages inférieurs d'une machine, était incapable d'avoir une grande idée et d'organiser un plan d'une certaine importance. Le roi se contentait de dire:

–Moi, vous le savez, je ne voulais pas la guerre. Je m'en suis lavé et je m'en lave encore les mains. Que ceux qui ont fait le mal y trouvent un remède. Seulement, saint Janvier me le payera! Et, pour commencer, en arrivant à Naples, je fais bâtir une église à saint François de Paule.

Acton, écrasé par les événement, et surtout par la connaissance que le roi avait eue de la part qu'il avait prise à la falsification de la lettre de son gendre l'empereur d'Autriche, sentant son impopularité grandir chaque jour, craignait de donner un avis qui conduisît l'État plus bas encore qu'il n'était, et offrait de donner sa démission en faveur de celui qui ouvrirait cet avis. Le prince de Castelcicala, diplomate inférieur, qui ne dut la haute position qu'il occupa en France et en Angleterre qu'à la faveur de Ferdinand et à la récompense de ses crimes, était impuissant aux situations extrêmes. Nelson, homme de guerre, marin terrible, capitaine de génie sur son élément, devenait d'une effrayante nullité en face de toute situation qui ne devait point se terminer par un branle-bas de combat. Enfin, le marquis de Circello, qui, pendant dix ou onze ans, garda près du roi la position qui venait de lui être faite, était ce que les rois appellent un bon serviteur, en ce qu'il obéit sans réplique aux ordres qu'il reçoit, ces ordres fussent-ils absurdes; – et ce que l'avenir n'appelle d'aucun nom, cherchant inutilement sa trace dans les événements contemporains et n'y trouvant que sa signature au-dessous de celle du roi.

Le seul homme qui, en pareille circonstance, eût pu donner un bon conseil et qui même l'avait déjà plusieurs fois donné au roi, c'était le cardinal Ruffo. Son génie plein d'audace, de ressources et d'invention, était de ceux auxquels les rois peuvent recourir en toute circonstance. Le roi le savait et il y avait personnellement recouru.

Mais le cardinal lui avait constamment répondu par ces paroles: «Transporter la contre-révolution en Calabre, et mettre à la tête de la contre-révolution le duc de Calabre.»

 

La première moitié du conseil agréait assez au roi; mais la seconde partie lui paraissait absolument impraticable.

Le duc de Calabre était le digne fils de son père, et il avait horreur de tout moyen politique qui pût compromettre sa précieuse existence. Il n'avait jamais voulu aller en Calabre, de peur d'y attraper la fièvre, et cela, quelques instances que le roi eût pu lui faire. A coup sûr, le roi n'obtiendrait point de lui d'y aller lorsqu'il s'agirait non-seulement d'y risquer la fièvre, mais d'y recevoir, en outre, des coups de fusil.

Aussi le roi, sachant d'avance l'inutilité de l'ouverture, n'avait-il pas dit un mot à son fils de ce projet.

Le conseil se sépara donc, comme nous l'avons dit, sans avoir rien décidé, se donnant à lui-même ce prétexte que, les renseignements sur l'état des choses étant insuffisants, il fallait en attendre de nouveaux.

La situation était claire cependant et ne pouvait guère le devenir davantage.

Les Français étaient maîtres de Naples, la république parthénopéenne était proclamée et le gouvernement provisoire envoyait des représentants pour démocratiser la province.

Seulement, comme le conseil voulait avoir l'air de délibérer, s'il ne faisait point autre chose, il décida qu'il se réunirait le lendemain et les jours suivants.

Et cependant, comme on va le voir, le conseil avait bien fait de décider qu'il fallait attendre d'autres nouvelles; car, le lendemain, arriva une nouvelle à laquelle personne ne s'attendait.

Son Altesse le prince royal avait fait une descente en Calabre, s'était fait reconnaître à Brindisi et à Tarente, et avait soulevé toute la pointe méridionale de la péninsule.

A cette nouvelle, annoncée officiellement par le marquis de Circello, qui la tenait d'un courrier arrivé le jour même de Reggio, les membres du conseil se regardèrent avec étonnement, et le roi éclata de rire.

Nelson, qui comprenait un pareil événement parce qu'il était dans sa nature de le conseiller ou de l'accomplir, fit observer que, depuis huit jours, le prince avait quitté Palerme pour se rendre au château de la Favorite; que, depuis huit jours, on ne l'avait point vu, et qu'il était possible que, sans en rien dire à personne, poussé par son courage, il eût rêvé et mis à exécution cette entreprise, qui paraissait avoir si bien réussi.

Cette fois, le roi haussa les épaules.

Mais, comme, à tout prendre, l'invraisemblable est encore possible, le roi consentit à ce que l'on fît monter un homme à cheval, qui courrait à la Favorite et demanderait, au nom du roi, inquiet de cette longue absence, des nouvelles de son fils.

L'homme monta à cheval, partit au galop et revint annoncer que le prince saluait son auguste père et se portait à merveille. Il l'avait vu, lui avait parlé, et sa reconnaissance était grande pour cette sollicitude paternelle à laquelle le roi ne l'avait pas habitué.

Le conseil, qui, la veille, s'était séparé sans prendre de décision, parce que les nouvelles n'étaient point assez importantes, se sépara, cette fois, sans en prendre encore parce qu'elles l'étaient trop.

Le roi, en rentrant chez lui, ouvrait la bouche pour donner l'ordre d'aller chercher le cardinal Ruffo, lorsque l'on prévint Sa Majesté que celui-ci l'attendait dans son appartement, usant du privilége qui lui avait été donné d'entrer chez le roi à toute heure et sans jamais faire antichambre.

Le cardinal attendait le roi debout et le sourire sur les lèvres.

–Eh bien, mon éminentissime, dit te roi, vous savez les nouvelles?

–Le prince héréditaire est débarqué à Brindisi, et toute la pointe méridionale de la Calabre est en feu.

–Oui; mais, par malheur, il n'y a pas un mot de vrai dans tout cela. Le prince héréditaire n'est pas plus en Calabre que moi, qui me garderai bien d'y aller: il est à la Favorite.

–Où il commente fort savamment, avec le chevalier San-Felice, l'Erotika Biblion.

–Qu'est-ce que cela, l'Erotika Biblion?

–Un livre fort savant sur l'antiquité, écrit par M. le comte de Mirabeau, pendant sa captivité au château d'If.

–Mais enfin, si grand savant que soit mon fils, il n'a pas encore découvert la baguette de l'enchanteur Merlin, et il ne peut être à la fois en Calabre et à la Favorite.

–Cela est pourtant ainsi.

–Voyons, mon cher cardinal, ne me faites pas languir et donnez-moi le mot de l'énigme.

–Le roi le veut?

–Votre ami vous en prie.

–Eh bien, sire, le mot de l'énigme, qui est pour Votre Majesté seule, comprenez bien…

–Pour moi seul, c'est convenu.

–Eh bien, le mot de l'énigme est que, quand, pour un grand projet, j'ai besoin d'un prince héréditaire, et que le roi est assez ennemi de lui-même pour ne pas vouloir me le donner…

–Eh bien? demanda le roi.

–Eh bien, j'en fabrique un! répondit le cardinal.

–Oh! pardieu! dit le roi, voilà du nouveau. Vous allez me dire comment vous vous y prenez, n'est-ce pas?

–Bien volontiers, sire. Seulement, accommodez-vous confortablement dans un fauteuil, comme dit mon ami Nelson; car le récit est un peu long, je vous en préviens.

–Parlez, parlez, mon cher cardinal, dit le roi s'accommodant, en effet, dans une causeuse; et ne craignez jamais d'être trop long. Vous parlez si bien, que je ne me lasse jamais de vous entendre.

Ruffo salua et commença son récit.

CVI
COMMENT LE PRINCE HÉRÉDITAIRE POUVAIT ÊTRE,
A LA FOIS, EN SICILE ET EN CALABRE

-Sire, Votre Majesté se rappelle Leurs Altesses royales mesdames Victoire et Adélaïde, filles de Sa Majesté le roi Louis XV?

–Parfaitement; pauvres vieilles princesses! à telles enseignes qu'au moment de quitter Naples, je leur ai envoyé quelque chose comme dix ou douze mille ducats, en leur faisant dire de s'embarquer à Manfredonia pour Trieste, ou de venir, si elles l'aimaient mieux, nous rejoindre à Palerme.

–Votre Majesté se rappelle aussi les sept gardes du corps qu'elles avaient avec elles, et dont l'un, M. de Boccheciampe, était particulièrement recommandé par M. le comte de Narbonne?

–Je me rappelle tout cela.

–L'un d'eux-Votre Majesté n'a pas dû, certes, oublier ce détail-avait une merveilleuse ressemblance avec Son Altesse royale le prince héréditaire.

–Au point que, moi-même, quand je l'ai vu pour la première fois, j'y ai été trompé.

–Eh bien, sire, dans les circonstances où nous nous trouvions, il m'est venu à l'esprit d'utiliser ce phénomène.

Le roi regarda Ruffo en homme qui ne sait pas encore ce qu'il va entendre, mais qui a une telle confiance dans le narrateur, qu'il admire déjà.

Ruffo continua:

–Au moment du départ, j'appelai près de moi de Cesare, et, comme je doutais que M. le prince de Calabre consentît jamais à jouer un rôle actif dans une guerre comme celle qui se préparait, sans faire part de mon projet à Cesare, sur la bravoure de qui je savais pouvoir compter, puisqu'il est Corse, je lui dis que ce n'était, certes, point par hasard et sans avoir de grands desseins sur lui que la nature l'avait doué d'une ressemblance si extraordinaire avec le prince héréditaire.

–Et que répondit-il? demanda le roi.

–Je dois lui rendre cette justice, qu'il n'hésita pas un instant. «Je ne suis, dit-il, qu'un atome dans le drame qui se joue; mais ma vie et celle de mes compagnons est au service du roi. Qu'ai-je à faire? – Rien, répondis-je. Vous n'avez qu'à vous laisser faire. – Encore, avons-nous un plan quelconque à suivre? – Vous accompagnerez Leurs Altesses royales à Manfredonia; lorsqu'elles seront embarquées, vous suivrez la côte orientale de la Calabre jusqu'à Brindisi. Si, le long de la route, il ne vous est rien arrive, prenez à Brindisi un bateau, une barque, une tartane, et gagnez la Sicile; si, au contraire, il vous est arrivé quelque chose d'extraordinaire et d'inattendu, vous êtes homme d'esprit et de courage, profitez des circonstances: votre fortune et celle de vos compagnons-une fortune à laquelle, dans vos rêves d'ambition les plus hardis, vous ne pouviez vous attendre, – est entre vos mains…»

–Vous aviez quelque projet sur eux?

–Évidemment.

–Alors, pourquoi, connaissant leur courage, ne les mettiez-vous pas au courant de ce projet?

–Parce que, sur les sept, sire, un pouvait me trahir… Qui peut répondre que, sur sept hommes, un seul ne trahira point?

Le roi poussa un soupir.

–Mais ce projet, dit-il, à moi, vous n'avez aucune raison de me le cacher.

–D'autant mieux, sire, continua Ruffo, qu'il a réussi.

–J'écoute, reprit le roi.

–Eh bien, sire, nos sept jeunes gens suivirent de point en point les instructions données. Les deux princesses embarquées, ils prirent la côte méridionale de la Calabre, où les attendait un de mes agents par lequel je ne craignais pas plus d'être trahi que par eux, attendu qu'il n'était guère mieux instruit qu'eux.

–Vous étiez fait pour être premier ministre, mon cher Ruffo, non pas d'un petit État comme Naples, mais d'une grande puissance comme la France, l'Angleterre ou la Russie. Continuez, continuez, je vous écoute. Voyons, quel était cet agent, et qu'était-il chargé de faire? Quel maître en politique vous êtes, mon cher cardinal! et quel malheur que vous n'ayez pas eu en moi un meilleur élève!

–Cet agent que Votre Majesté a nommé, il y a un an, intendant à ma recommandation, habite la ville de Montejasi, qui devait naturellement se trouver sur la route de nos aventuriers. Je lui écrivis que Son Altesse royale le duc de Calabre, décidé à tenter un coup désespéré pour reconquérir le royaume de son père, venait de s'embarquer pour la Calabre avec le duc de Saxe, son connétable et son grand écuyer, et que je le priais de veiller à leur sûreté en sujet fidèle, dans le cas où il croirait que leur projet ne dût pas réussir, mais aussi de les seconder de tout son pouvoir dans le cas où il aurait la moindre chance de réussite. Il était invité à transmettre le secret de cette expédition aux amis dont il serait sûr. J'avais le briquet et le caillou: j'attendis l'étincelle.

–Le caillou se nommait de Cesare, je le sais déjà; mais comment se nommait le briquet?

–Buonafede Gironda, sire.

–Il ne faut oublier aucun de ces noms, mon éminentissime; car je sais que, si un jour j'ai à punir, j'aurai aussi à récompenser.

–Ce que j'avais prévu est arrivé. Les sept jeunes gens passèrent par la ville de Montejasi, chef-lieu du district de notre intendant; ils descendirent à une mauvaise auberge, sur le balcon de laquelle ils vinrent prendre l'air après avoir dîné. Le préfet était déjà prévenu de leur présence, et le nombre sept lui fit immédiatement naître dans l'esprit l'idée que ces sept personnages pourraient bien être monseigneur le duc de Calabre, le duc de Saxe, le connétable Colonna, le grand écuyer Boccheciampe et leur suite. D'un autre côté, un bruit tout opposé s'était répandu dans la ville: on disait que les sept jeunes gens étaient des agents jacobins qui venaient démocratiser la province. Or, la province étant peu démocrate, quatre ou cinq cents personnes, déjà réunies sur la place, s'apprêtaient à faire un mauvais parti à nos voyageurs, lorsque arriva le préfet Buonafede Gironda, c'est-à-dire mon homme, lequel écouta les bruits qui circulaient et répondit que c'était à lui, la première autorité du pays, de s'assurer de l'identité des gens qui traversaient le chef-lieu de son district; qu'en conséquence, il allait se rendre près des étrangers et procéderait à leur interrogatoire; les Montéjasiens sauraient donc dans dix minutes à quoi s'en tenir.

»Les jeunes gens avaient quitté le balcon et refermé la fenêtre, car il ne leur était point difficile de voir que quelque chose d'inconnu soulevait contre eux un orage qui ne tarderait point à éclater, lorsqu'on leur annonça la visite de l'intendant. Cette annonce, au lieu de la calmer, redoubla leur inquiétude. Il paraît que, dans toutes les circonstances épineuses, c'était de Cesare qui portait la parole; il se prépara donc à demander au préfet la cause des mauvaises intentions des habitants de Montejasi à son égard, lorsque celui-ci entra et se trouva face à face avec lui.

»A la vue de Cesare, tous les soupçons de Buonafede furent confirmés. Il était évident que les sept voyageurs étaient ceux que je lui avais recommandés et qu'il se trouvait en face du prince héréditaire.

»Aussi ce cri s'échappa-t-il de sa bouche:

» – Le prince royal! Son Altesse le duc de Calabre!

»De Cesare tressaillit. Cette circonstance inattendue et incroyable que je lui avais prédite et dont je l'avais invité à profiter, c'était à n'en point douter, celle dans laquelle il se trouvait; cette fortune inespérée, inouïe à laquelle il n'avait pas osé penser dans ses rêves, elle venait au-devant de lui, elle allait passer à portée de sa main, il n'avait qu'à la saisir aux cheveux.

 

»Il regarda ses compagnons, cherchant dans leur regard un signe approbateur, et, encouragé par ce signe, il fit pour toute réponse un pas au-devant de l'intendant, et, avec une dignité suprême, lui donna sa main à baiser.

–Mais savez-vous, mon éminentissime, que c'est un homme très-fort que votre de Cesare? fit le roi.

–Attendez donc, sire!.. L'intendant, en se relevant, demanda à être présenté au duc de Saxe, au connétable Colonna et au grand écuyer Boccheciampe; lui-même indiquait au faux prince royal les noms dont il devait nommer ses compagnons et les titres dont il devait les qualifier. Mais les hurlements de la multitude ne donnèrent pas le temps à la présentation de s'achever. Trois ou quatre pierres brisèrent les vitres et vinrent tomber aux pieds des princes et de l'intendant, qui ouvrit la fenêtre, prit de Cesare par la main, et, le montrant à la population ébahie de voir la bonne intelligence qui régnait entre l'intendant royal et les envoyés jacobins, il cria d'une voix qui domina le tumulte: «Vive le roi Ferdinand! vive notre prince héréditaire François!» Vous jugez, sire, de l'effet que firent sur la foule cette apparition et ce cri. Quelques Montéjasiens qui avaient été à Naples et qui y avaient vu le duc de Calabre, le reconnurent ou crurent le reconnaître. Un immense cri de «Vive le roi! vive le prince héréditaire!» répondit au cri de l'intendant. De Cesare salua, fort princièrement à ce qu'il paraît. Au milieu des hourras qui se continuaient avec fureur, deux ou trois voix crièrent: «A la cathédrale! à la cathédrale!» Rien ne réjouit le peuple comme un Te Deum. Aussi la foule répéta-t-elle d'une seule voix: «A la cathédrale! à la cathédrale!» Dix messagers se détachèrent et allèrent prévenir l'archevêque de se préparer à chanter un Te Deum. Enfin, au milieu d'un concours de peuple immense, le faux prince se rendit à l'église, porté dans les bras de la multitude et accompagné de l'enthousiasme universel… Vous comprenez bien, sire, qu'une fois le Te Deum chanté, si quelques soupçons subsistaient encore, ces soupçons s'évanouirent. Qui pouvait douter du prince royal, quand Dieu lui-même l'avait reconnu et béni? Une si heureuse nouvelle se répandit dans les campagnes avec la rapidité de la foudre. Dans toutes les localités où elle parvint, on nomma des députés, qui, le lendemain, vinrent à Montejasi rendre hommage au faux prince. De Cesare les reçut avec sa dignité accoutumée, leur annonça qu'il venait de votre part pour reconquérir le royaume, et qu'il se confiait au courage et à la loyauté de ceux qui devaient être un jour ses sujets.

–Allons, allons! dit le roi, tout cela n'est point d'un homme ordinaire, et je vois que je n'avais pas trop fait pour lui en lui mettant sur le dos l'habit de lieutenant.

–Attendez, sire, répliqua Ruffo, car le meilleur me reste à vous raconter. Dans la journée, le bruit arriva à Montejasi que les princesses de France, qui voulaient se rendre à Trieste, repoussées par les vents contraires, venaient d'entrer dans le port de Brindisi. Il y avait un grand coup à risquer et qui fermerait la bouche aux plus sceptiques et aux plus incrédules: c'était d'aller faire une visite à Mesdames, de leur confier franchement la situation et de se faire reconnaître par elles. Elles aimaient assez le chef de leurs gardes et elles étaient assez dévouées à Leurs Majestés Siciliennes pour ne point hésiter un instant à charger leur conscience d'un mensonge qui pouvait servir à l'intérêt de la cause. Arrivé où il en était, de Cesare était décidé à pousser la chose jusqu'au bout. On partit le même soir pour Brindisi en annonçant que le prince royal allait faire une visite à ses respectables cousines Mesdames de France. Le lendemain, toute la ville de Brindisi savait l'arrivée du prince, et les autorités venaient le féliciter au palais de don Francesco Errico, à qui il avait fait l'honneur de descendre chez lui.

»Vers midi, au milieu d'un concours immense de peuple, nos sept jeunes gens s'acheminèrent vers le port, marchant derrière le prince royal et lui rendant tous les honneurs dus à son rang. Les princesses étaient à bord de leur felouque et n'avaient pas voulu débarquer.

»En voyant leurs sept gardes du corps, elles manifestèrent une grande joie, et de Cesare, ayant demandé à les entretenir en particulier, descendit près d'elles, tandis que ses six compagnons restaient sur le pont avec M. de Châtillon leur ancienne connaissance.

»Les vieilles princesses avaient appris la présence du prince héréditaire en Calabre; mais elles étaient loin de s'attendre que ce prince héréditaire ne fût autre que de Cesare. Celui-ci leur raconta les événements tels qu'ils s'étaient passés et leur demanda s'il devait ou non leur donner suite.

»Leur avis fut qu'il fallait profiter de la bonne chance que lui offrait le destin, et, sur l'observation que de Cesare leur fit que Votre Majesté trouverait peut-être mauvais qu'il se fît passer pour le prince héréditaire, et le prince héréditaire qu'il se fît passer pour lui, elles s'engagèrent à arranger la chose avec Votre Majesté et le duc de Calabre.

»De Cesare, au comble de la joie, demanda alors aux vieilles princesses une preuve d'estime qui pût confirmer aux yeux du public leur parenté. Leurs Altesses royales y consentirent, remontèrent avec lui sur le pont, lui donnèrent leurs mains à baiser, et reconduisirent l'illustre visiteur jusqu'à l'escalier de leur felouque. Là, de Cesare eut l'honneur de les embrasser toutes les deux.

–Mais vous savez, mon éminentissime, que c'est le brave des braves; votre de Cesare! dit le roi.

–Oui, sire, et la preuve, c'est que ses compagnons, n'osant poursuivre l'aventure, l'ont abandonné avec Boccheciampe, et se sont embarqués pour Corfou.

–De sorte que…?

–De sorte que de Cesare et Boccheciampe, c'est-à-dire le prince François et son grand écuyer sont à Tarente avec trois ou quatre cents hommes, et que toute la terre de Bari est soulevée en leur nom et au vôtre.

–Voilà de riches nouvelles, mon éminentissime! Est-ce qu'il n'y aurait pas moyen d'en profiter?

–Si fait, sire, et c'est pour cela que me voici.

–Et vous êtes le bienvenu, comme toujours… Voyons, si philosophe que je sois, je ne serais point fâché de chasser les Français de Naples et de faire pendre quelques jacobins sur la place du Mercato-Vecchio. Qu'y a-t-il à faire, mon cher cardinal, pour arriver à cela?.. Entends-tu, Jupiter, nous allons pendre des jacobins. Eh! eh! ce sera drôle.

–Ce qu'il y a à faire pour arriver à cela? demanda Ruffo.

–Oui, je désire le savoir.

–Eh bien, sire, il y a à me laisser achever ce que j'ai commencé: voilà tout.

–Achevez, mon éminentissime, achevez.

–Mais seul, sire!

–Comment, seul?

–Oui, c'est-à-dire sans le concours d'aucun Mack, d'aucun Pallavicini, d'aucun Maliterno, d'aucun Romana.

–Comment! tu veux reconquérir Naples seul?

–Oui, seul, avec de Cesare pour lieutenant, et mes bon Calabrais pour armée. Je suis né parmi eux, ils me connaissent; mon nom ou plutôt celui de mes aïeux est en vénération dans les chaumières les plus écartées. Dites seulement oui, donnez-moi les pouvoirs nécessaires, et, avant trois mois, je suis avec soixante mille hommes aux portes de Naples.

–Et, comment les réuniras-tu, tes soixante mille hommes?

–En prêchant la guerre sainte, en élevant le crucifix de la main gauche, l'épée de la main droite, en menaçant et en bénissant. Ce qu'on fait les Fra-Diavolo, les Mammone, les Pronio, dans les Abruzzes, dans la Campanie et dans la Terre de Labour, je le ferai bien, Dieu aidant, en Calabre et dans la Basilicate.

–Mais des armes?

–Nous n'en manquerons point, dussions-nous n'avoir que celles des jacobins qu'on enverra pour nous combattre. D'ailleurs, chaque Calabrais n'a-t-il pas un fusil?

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