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Le vicomte de Bragelonne, Tome II.

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Fouquet fit un geste d'assentiment.

– Mais, poursuivit Colbert, il serait digne de votre magnificence, monseigneur, d'offrir à Sa Majesté une fête dans vos merveilleux jardins… dans ces jardins qui vous ont coûté soixante millions.

– Soixante-douze, dit Fouquet.

– Raison de plus, reprit Colbert. Voilà qui serait vraiment magnifique.

– Mais, croyez-vous, monsieur, dit Fouquet, que Sa Majesté daigne accepter mon invitation?

– Oh! je n'en doute pas, s'écria vivement Colbert, et je m'en porterai caution.

– C'est fort aimable à vous, dit Fouquet. J'y puis donc compter?

– Oui, monseigneur, oui, certainement.

– Alors, je me consulterai, dit Fouquet.

– Acceptez, acceptez, dit tout bas et vivement Aramis.

– Vous vous consulterez? répéta Colbert.

– Oui, répondit Fouquet, pour savoir quel jour je pourrai faire mon invitation au roi.

– Oh! dès ce soir, monseigneur, dès ce soir.

– Accepté, fit le surintendant. Messieurs, je voudrais vous faire mes invitations; mais vous savez que, partout où va le roi, le roi est chez lui, c'est donc à vous de vous faire inviter par Sa Majesté.

Il y eut une rumeur joyeuse dans la foule.

Fouquet salua et partit.

– Misérable orgueilleux! dit Colbert, tu acceptes, et tu sais que cela te coûtera dix millions.

– Vous m'avez ruiné, dit tout bas Fouquet à Aramis.

– Je vous ai sauvé, répliqua celui-ci, tandis que Fouquet montait les degrés du perron et faisait demander au roi s'il était encore visible.

Chapitre CXXI – Le commis d'ordre

Le roi, pressé de se retrouver seul avec lui-même pour étudier ce qui se passait dans son propre coeur, s'était retiré chez lui, où M. de Saint-Aignan était venu le retrouver après sa conversation avec Madame.

Nous avons rapporté la conversation.

Le favori, fier de sa double importance, et sentant que, depuis deux heures, il était devenu le confident du roi, commençait, tout respectueux qu'il était, à traiter d'un peu haut les affaires de cour, et, du point où il s'était mis, ou plutôt où le hasard l'avait placé, il ne voyait qu'amour et guirlandes autour de lui.

L'amour du roi pour Madame, celui de Madame pour le roi, celui de de Guiche pour Madame, celui de La Vallière pour le roi, celui de Malicorne pour Montalais, celui de Mlle de Tonnay-Charente pour lui, Saint-Aignan, n'était-ce pas véritablement plus qu'il n'en fallait pour faire tourner une tête de courtisan?

Or, Saint-Aignan était le modèle des courtisans passés, présents et futurs.

Au reste, Saint-Aignan se montra si bon narrateur et appréciateur si subtil, que le roi l'écouta en marquant beaucoup d'intérêt, surtout quand il conta la façon passionnée avec laquelle Madame avait recherché sa conversation à propos des affaires de Mlle de La Vallière.

Quand le roi n'eût plus rien ressenti pour Madame Henriette de ce qu'il avait éprouvé, il y avait dans cette ardeur de Madame à se faire donner ces renseignements une satisfaction d'amour-propre qui ne pouvait échapper au roi. Il éprouva donc cette satisfaction, mais voilà tout, et son coeur ne fut point un seul instant alarmé de ce que Madame pouvait penser ou ne point penser de toute cette aventure.

Seulement, lorsque Saint-Aignan eut fini, le roi, tout en se préparant à sa toilette de nuit, demanda:

– Maintenant, Saint-Aignan, tu sais ce que c'est que Mlle de La

Vallière, n'est-ce pas?

– Non seulement ce qu'elle est, mais ce qu'elle sera.

– Que veux-tu dire?

– Je veux dire qu'elle est tout ce qu'une femme peut désirer d'être, c'est-à-dire aimée de Votre Majesté; je veux dire qu'elle sera tout ce que Votre Majesté voudra qu'elle soit.

– Ce n'est pas cela que je demande… Je ne veux pas savoir ce qu'elle est aujourd'hui ni ce qu'elle sera demain: tu l'as dit, cela me regarde, mais ce qu'elle était hier. Répète-moi donc ce qu'on dit d'elle.

– On dit qu'elle est sage.

– Oh! fit le roi en souriant, c'est un bruit.

– Assez rare à la cour, Sire, pour qu'il soit cru quand on le répand.

– Vous avez peut-être raison, mon cher… Et de bonne naissance?

– Excellente; fille du marquis de La Vallière et belle-fille de cet excellent M. de Saint-Remy.

– Ah! oui, le majordome de ma tante… Je me rappelle cela, et je me souviens maintenant: je l'ai vue en passant à Blois. Elle a été présentée aux reines. J'ai même à me reprocher, à cette époque, de n'avoir pas fait à elle toute l'attention qu'elle méritait.

– Oh! Sire, je m'en rapporte à Votre Majesté pour réparer le temps perdu.

– Et le bruit serait donc, dites-vous, que Mlle de La Vallière n'aurait pas d'amant?

– En tout cas, je ne crois pas que Votre Majesté s'effrayât beaucoup de la rivalité.

– Attends donc, s'écria tout à coup le roi avec un accent des plus sérieux.

– Plaît-il, Sire?

– Je me souviens.

– Ah!

– Si elle n'a pas d'amant, elle a un fiancé.

– Un fiancé!

– Comment! tu ne sais pas cela, comte?

– Non.

– Toi, l'homme aux nouvelles.

– Votre Majesté m'excusera. Et le roi connaît ce fiancé?

– Pardieu! son père est venu me demander de signer au contrat; c'est…

Le roi allait sans doute prononcer le nom du vicomte de

Bragelonne, quand il s'arrêta en fronçant le sourcil.

– C'est?.. répéta Saint-Aignan.

– Je ne me rappelle plus, répondit Louis XIV, essayant de cacher une émotion qu'il dissimulait avec peine.

– Puis-je mettre Votre Majesté sur la voie? demanda le comte de

Saint Aignan.

– Non; car je ne sais plus moi-même de qui je voulais parler, non, en vérité; je me rappelle bien vaguement qu'une des filles d'honneur devait épouser… mais le nom m'échappe.

– Était-ce Mlle de Tonnay-Charente qu'il devait épouser? demanda

Saint Aignan.

– Peut-être, fit le roi.

– Alors le futur était de M. de Montespan; mais Mlle de Tonnay- Charente n'en a point parlé, ce me semble, de manière à effrayer les prétentions.

– Enfin, dit le roi, je ne sais rien, ou presque rien, sur Mlle de La Vallière. Saint-Aignan, je te charge d'avoir des renseignements sur elle.

– Oui, Sire, et quand aurai-je l'honneur de revoir Votre Majesté pour les lui fournir?

– Quand tu les auras.

– Je les aurai vite, si les renseignements vont aussi vite que mon désir de revoir le roi.

– Bien parlé! À propos, est-ce que Madame a témoigné quelque chose contre cette pauvre fille?

– Rien, Sire.

– Madame ne s'est point fâchée?

– Je ne sais; seulement, elle a toujours ri.

– Très bien; mais j'entends du bruit dans les antichambres, ce me semble; on me vient sans doute annoncer quelque courrier.

– En effet, Sire.

– Informe-toi, Saint-Aignan.

Le comte courut à la porte et échangea quelques mots avec l'huissier.

– Sire, dit-il en revenant, c'est M. Fouquet qui arrive à l'instant même sur un ordre du roi à ce qu'il dit. Il s'est présenté, mais l'heure avancée fait qu'il n'insiste pas même pour avoir audience ce soir; il se contente de constater sa présence.

– M. Fouquet! Je lui ai écrit à trois heures en l'invitant à être à Fontainebleau le lendemain matin; il arrive à Fontainebleau à deux heures, c'est du zèle! s'écria le roi radieux de se voir si bien obéi. Eh bien! au contraire, M. Fouquet aura son audience. Je l'ai mandé, je le recevrai. Qu'on l'introduise. Toi, comte, aux recherches, et à demain!

Le roi mit un doigt sur ses lèvres, et Saint-Aignan s'esquiva la joie dans le coeur, en donnant l'ordre à l'huissier d'introduire M. Fouquet.

Fouquet fit alors son entrée dans la chambre royale. Louis XIV se leva pour le recevoir.

– Bonsoir, monsieur Fouquet, dit-il avec un aimable sourire. Je vous félicite de votre ponctualité; mon message a dû vous arriver tard cependant?

– À neuf heures du soir, Sire.

– Vous avez beaucoup travaillé ces jours-ci, monsieur Fouquet, car on m'a assuré que vous n'aviez pas quitté votre cabinet de Saint-Mandé depuis trois ou quatre jours.

– Je me suis, en effet, enfermé trois jours, Sire, répliqua

Fouquet en s'inclinant.

– Savez-vous, monsieur Fouquet, que j'avais beaucoup de choses à vous dire? continua le roi de son air le plus gracieux.

– Votre Majesté me comble, et, puisqu'elle est si bonne pour moi, me permet-elle de lui rappeler une promesse d'audience qu'elle m'avait faite?

– Ah! oui, quelqu'un d'Église qui croit avoir à me remercier, n'est-ce pas?

– Justement, Sire. L'heure est peut-être mal choisie, mais le temps de celui que j'amène est précieux, et comme Fontainebleau est sur la route de son diocèse…

– Qui donc déjà?

– Le dernier évêque de Vannes, que Votre Majesté, à ma recommandation, a daigné investir il y a trois mois.

– C'est possible, dit le roi, qui avait signé sans lire, et il est là?

– Oui, Sire; Vannes est un diocèse important: les ouailles de ce pasteur ont besoin de sa parole divine; ce sont des sauvages qu'il importe de toujours polir en les instruisant, et M. d'Herblay n'a pas son égal pour ces sortes de missions.

– M. d'Herblay! dit le roi en cherchant au fond de ses souvenirs, comme si ce nom, entendu depuis longtemps, ne lui était cependant pas inconnu.

– Oh! fit vivement Fouquet, Votre Majesté ne connaît pas ce nom obscur d'un de ses plus fidèles et de ses plus précieux serviteurs?

– Non, je l'avoue… Et il veut repartir?

– C'est-à-dire qu'il a reçu aujourd'hui des lettres qui nécessiteront peut-être son départ; de sorte qu'avant de se remettre en route pour le pays perdu qu'on appelle la Bretagne, il désirerait présenter ses respects à Votre Majesté.

– Et il attend?

– Il est là, Sire.

– Faites-le entrer.

Fouquet fit un signe à l'huissier, qui attendait derrière la tapisserie. La porte s'ouvrit, Aramis entra.

 

Le roi lui laissa dire son compliment, et attacha un long regard sur cette physionomie que nul ne pouvait oublier après l'avoir vue.

– Vannes! dit-il: vous êtes évêque de Vannes, monsieur?

– Oui, Sire.

– Vannes est en Bretagne?

Aramis s'inclina.

– Près de la mer?

Aramis s'inclina encore.

– À quelques lieues de Belle-Île?

– Oui, Sire, répondit Aramis; à six lieues, je crois.

– Six lieues, c'est un pas, fit Louis XIV.

– Non pas pour nous autres, pauvres Bretons, Sire, dit Aramis; six lieues, au contraire, c'est une distance, si ce sont six lieues de terre; si ce sont six lieues de mer, c'est une immensité. Or, j'ai eu l'honneur de le dire au roi, on compte six lieues de mer de la rivière à Belle-Île

– On dit que M. Fouquet a là une fort belle maison? demanda le roi.

– Oui, on le dit, répondit Aramis en regardant tranquillement

Fouquet.

– Comment, on le dit? s'écria le roi.

– Oui, Sire.

– En vérité, monsieur Fouquet, une chose m'étonne, je vous l'avoue.

– Laquelle?

– Comment, vous avez à la tête de vos paroisses un homme tel que

M. d'Herblay, et vous ne lui avez pas montré Belle-Île?

– Oh! Sire, répliqua l'évêque sans donner à Fouquet le temps de répondre, nous autres, pauvres prélats bretons, nous pratiquons la résidence.

– Monsieur de Vannes, dit le roi, je punirai M. Fouquet de son insouciance.

– Et comment cela, Sire?

– Je vous changerai.

Fouquet se mordit la lèvre. Aramis sourit.

– Combien rapporte Vannes? continua le roi.

– Six mille livres, Sire, dit Aramis.

– Ah! mon Dieu! si peu de chose! Mais vous avez du bien, monsieur de Vannes?

– Je n'ai rien, Sire; seulement, M. Fouquet me compte douze cents livres par an pour son banc d'oeuvre.

– Allons, allons, monsieur d'Herblay, je vous promets mieux que cela.

– Sire…

– Je songerai à vous.

Aramis s'inclina.

De son côté, le roi le salua presque respectueusement, comme c'était, au reste, son habitude de faire avec les femmes et avec les gens Église

Aramis comprit que son audience était finie; il prit congé par une phrase des plus simples, par une véritable phrase de pasteur campagnard, et disparut.

– Voilà une remarquable figure, dit le roi en le suivant des yeux aussi longtemps qu'il put le voir, et même en quelque sorte lorsqu'il ne le voyait plus.

– Sire, répondit Fouquet, si cet évêque avait l'instruction première, nul prélat en ce royaume ne mériterait comme lui les premières distinctions.

– Il n'est pas savant?

– Il a changé l'épée pour la chasuble, et cela un peu tard. Mais n'importe; si Votre Majesté me permet de lui reparler de M. de Vannes en temps et lieu…

– Je vous en prie. Mais, avant de parler de lui, parlons de vous, monsieur Fouquet.

– De moi, Sire?

– Oui, j'ai mille compliments à vous faire.

– Je ne saurais, en vérité, exprimer à Votre Majesté la joie dont elle me comble.

– Oui, monsieur Fouquet, je comprends. Oui, j'ai eu contre vous des préventions.

– Alors j'étais bien malheureux, Sire.

– Mais elles sont passées. Ne vous êtes-vous pas aperçu?..

– Si fait, Sire; mais j'attendais avec résignation le jour de la vérité. Il paraît que ce jour est venu?

– Ah! vous saviez être en ma disgrâce?

– Hélas! oui, Sire.

– Et savez-vous pourquoi?

– Parfaitement; le roi me croyait un dilapidateur.

– Oh! non.

– Ou plutôt un administrateur médiocre. Enfin, Votre Majesté croyait que, les peuples n'ayant pas d'argent, le roi n'en aurait pas non plus.

– Oui, je l'ai cru; mais je suis détrompé.

Fouquet s'inclina.

– Et pas de rébellions, pas de plaintes?

– Et de l'argent, dit Fouquet.

– Le fait est que vous m'en avez prodigué le mois dernier.

– J'en ai encore, non seulement pour tous les besoins, mais pour tous les caprices de Votre Majesté.

– Dieu merci! monsieur Fouquet, répliqua le roi sérieusement, je ne vous mettrai point à l'épreuve. D'ici à deux mois, je ne veux rien vous demander.

– J'en profiterai pour amasser au roi cinq ou six millions qui lui serviront de premiers fonds en cas de guerre.

– Cinq ou six millions!

– Pour sa maison seulement, bien entendu.

– Vous croyez donc à la guerre, monsieur Fouquet?

– Je crois que, si Dieu a donné à l'aigle un bec et des serres, c'est pour qu'il s'en serve à montrer sa royauté.

Le roi rougit de plaisir.

– Nous avons beaucoup dépensé tous ces jours-ci, monsieur

Fouquet; ne me gronderez-vous pas?

– Sire, Votre Majesté a encore vingt ans de jeunesse et un milliard à dépenser pendant ces vingt ans.

– Un milliard! c'est beaucoup, monsieur Fouquet, dit le roi.

– J'économiserai, Sire… D'ailleurs, Votre Majesté a en M. Colbert et en moi deux hommes précieux. L'un lui fera dépenser son argent, et ce sera moi, si toutefois mon service agrée toujours à Sa Majesté; l'autre le lui économisera, et ce sera M. Colbert.

– M. Colbert? reprit le roi étonné.

– Sans doute, Sire; M. Colbert compte parfaitement bien.

À cet éloge fait de l'ennemi par l'ennemi lui-même, le roi se sentit pénétré de confiance et d'admiration.

C'est qu'en effet il n'y avait ni dans la voix ni dans le regard de Fouquet rien qui détruisît une lettre des paroles qu'il avait prononcées; il ne faisait point un éloge pour avoir le droit de placer deux reproches.

Le roi comprit, et, rendant les armes à tant de générosité et d'esprit:

– Vous louez M. Colbert? dit-il.

– Oui, Sire, je le loue; car, outre que c'est un homme de mérite, je le crois très dévoué aux intérêts de Votre Majesté.

– Est-ce parce que souvent il a heurté vos vues? dit le roi en souriant.

– Précisément, Sire.

– Expliquez-moi cela?

– C'est bien simple. Moi, je suis l'homme qu'il faut pour faire entrer l'argent, lui l'homme qu'il faut pour l'empêcher de sortir.

– Allons, allons, monsieur le surintendant, que diable! vous me direz bien quelque chose qui corrige toute cette bonne opinion?

– Administrativement, Sire?

– Oui.

– Pas le moins du monde, Sire.

– Vraiment?

– Sur l'honneur, je ne connais pas en France un meilleur commis que M. Colbert.

Ce mot commis n'avait pas, en 1661, la signification un peu subalterne qu'on lui donne aujourd'hui; mais, en passant par la bouche de Fouquet que le roi venait d'appeler M. le surintendant, il prit quelque chose d'humble et de petit qui mettait admirablement Fouquet à sa place et Colbert à la sienne.

– Eh bien! dit Louis XIV, c'est cependant lui qui, tout économe qu'il est, a ordonné mes fêtes de Fontainebleau; et je vous assure, monsieur Fouquet, qu'il n'a pas du tout empêché mon argent de sortir.

Fouquet s'inclina, mais sans répondre.

– N'est-ce pas votre avis? dit le roi.

– Je trouve, Sire, répondit-il, que M. Colbert a fait les choses avec infiniment d'ordre, et mérite, sous ce rapport, toutes les louanges de Votre Majesté.

Ce mot ordre fit le pendant du mot commis.

Nulle organisation, plus que celle du roi, n'avait cette vive sensibilité, cette finesse de tact qui perçoit et saisit l'ordre des sensations avant les sensations mêmes.

Louis XIV comprit donc que le commis avait eu pour Fouquet trop d'ordre, c'est-à-dire que les fêtes si splendides de Fontainebleau eussent pu être plus splendides encore.

Le roi sentit, en conséquence, que quelqu'un pouvait reprocher quelque chose à ses divertissements; il éprouva un peu de dépit de ce provincial qui, paré des plus sublimes habits de sa garde-robe, arrive à Paris, où l'homme élégant le regarde trop ou trop peu.

Cette partie de la conversation, si sobre, mais si fine de Fouquet, donna encore au roi plus d'estime pour le caractère de l'homme et la capacité du ministre.

Fouquet prit congé à deux heures du matin, et le roi se mit au lit un peu inquiet, un peu confus de la leçon voilée qu'il venait de recevoir; et deux bons quarts d'heure furent employés par lui à se remémorer les broderies, les tapisseries, les menus des collations, les architectures des arcs de triomphe, les dispositions d'illuminations et d'artifices imaginés par l'ordre du commis Colbert.

Il résulta que le roi, repassant sur tout ce qui s'était passé depuis huit jours, trouva quelques taches à ses fêtes.

Mais Fouquet, par sa politesse, par sa bonne grâce et par sa générosité, venait d'entamer Colbert plus profondément que celui- ci, avec sa fourbe, sa méchanceté, sa persévérante haine, n'avait jamais réussi à entamer Fouquet.

Chapitre CXXII – Fontainebleau à deux heures du matin

Comme nous l'avons vu, de Saint-Aignan avait quitté la chambre du roi au moment où le surintendant y faisait son entrée.

De Saint-Aignan était chargé d'une mission pressée; c'est dire que de Saint-Aignan allait faire tout son possible pour tirer bon parti de son temps.

C'était un homme rare que celui que nous avons introduit comme l'ami du roi; un de ces courtisans précieux dont la vigilance et la netteté d'intention faisaient dès cette époque ombrage à tout favori passé ou futur, et balançait par son exactitude la servilité de Dangeau.

Aussi Dangeau n'était-il pas le favori, c'était le complaisant du roi.

De Saint-Aignan s'orienta donc.

Il pensa que les premiers renseignements qu'il avait à recevoir lui devaient venir de de Guiche.

Il courut donc après de Guiche.

De Guiche, que nous avons vu disparaître à l'aile du château et qui avait tout l'air de rentrer chez lui, de Guiche n'était pas rentré.

De Saint-Aignan se mit en quête de de Guiche.

Après avoir bien tourné, viré, cherché, de Saint-Aignan aperçut quelque chose comme une forme humaine appuyée à un arbre.

Cette forme avait l'immobilité d'une statue et paraissait fort occupée à regarder une fenêtre, quoique les rideaux de cette fenêtre fussent hermétiquement fermés.

Comme cette fenêtre était celle de Madame, de Saint-Aignan pensa que cette forme devait être celle de de Guiche.

Il s'approcha doucement et vit qu'il ne se trompait point.

De Guiche avait emporté de son entretien avec Madame une telle charge de bonheur, que toute sa force d'âme ne pouvait suffire à la porter.

De son côté, de Saint-Aignan savait que de Guiche avait été pour quelque chose dans l'introduction de La Vallière chez Madame; un courtisan sait tout et se souvient de tout. Seulement, il avait toujours ignoré à quel titre et à quelles conditions de Guiche avait accordé sa protection à La Vallière. Mais comme, en questionnant beaucoup, il est rare que l'on n'apprenne point un peu, de Saint-Aignan comptait apprendre peu ou prou en questionnant de Guiche avec toute la délicatesse et en même temps avec toute l'insistance dont il était capable.

Le plan de Saint-Aignan était celui-ci:

Si les renseignements étaient bons, dire avec effusion au roi qu'il avait mis la main sur une perle, et réclamer le privilège d'enchâsser cette perle dans la couronne royale.

Si les renseignements étaient mauvais, chose possible après tout, examiner à quel point le roi tenait à La Vallière, et diriger le compte rendu de façon à expulser la petite fille pour se faire un mérite de cette expulsion près de toutes les femmes qui pouvaient avoir des prétentions sur le coeur du roi, à commencer par Madame et à finir par la reine.

Au cas où le roi se montrerait tenace dans son désir, dissimuler les mauvaises notes; faire savoir à La Vallière que ces mauvaises notes, sans aucune exception, habitent un tiroir secret de la mémoire du confident; étaler ainsi de la générosité aux yeux de la malheureuse fille, et la tenir perpétuellement suspendue par la reconnaissance et la crainte de manière à s'en faire une amie de cour, intéressée comme une complice à faire la fortune de son complice tout en faisant sa propre fortune.

Quant au jour où la bombe du passé éclaterait, en supposant que cette bombe éclatât jamais, de Saint-Aignan se promettait bien d'avoir pris toutes les précautions et de faire l'ignorant près du roi.

Auprès de La Vallière, il aurait encore ce jour-là même un superbe rôle de générosité.

C'est avec toutes ces idées, écloses en une demi-heure au feu de la convoitise, que de Saint-Aignan, le meilleur fils du monde, comme eût dit La Fontaine, s'en allait avec l'intention bien arrêtée de faire parler de Guiche, c'est-à-dire de le troubler dans son bonheur qu'au reste de Saint Aignan ignorait.

Il était une heure du matin quand de Saint-Aignan aperçut de Guiche debout, immobile, appuyé au tronc d'un arbre, et les yeux cloués sur cette fenêtre lumineuse.

 

Une heure du matin: c'est-à-dire l'heure la plus douce de la nuit, celle que les peintres couronnent de myrtes et de pavots naissants, l'heure aux yeux battus, au coeur palpitant, à la tête alourdie, qui jette sur le jour écoulé un regard de regret, qui adresse un salut amoureux au jour nouveau.

Pour de Guiche, c'était l'aurore d'un ineffable bonheur: il eût donné un trésor au mendiant dressé sur son chemin pour obtenir qu'il ne le dérangeât point en ses rêves.

Ce fut justement à cette heure que Saint-Aignan, mal conseillé, l'égoïsme conseille toujours mal, vint lui frapper sur l'épaule au moment où il murmurait un mot ou plutôt un nom.

– Ah! s'écria-t-il lourdement, je vous cherchais.

– Moi? dit de Guiche tressaillant.

– Oui, et je vous trouve rêvant à la lune. Seriez-vous atteint, par hasard, du mal de poésie, mon cher comte, et feriez-vous des vers?

Le jeune homme força sa physionomie à sourire, tandis que mille et mille contradictions grondaient contre Saint-Aignan au plus profond de son coeur.

– Peut-être, dit-il. Mais quel heureux hasard?

– Ah! voilà qui me prouve que vous m'avez mal entendu.

– Comment cela?

– Oui, j'ai débuté par vous dire que je vous cherchais.

– Vous me cherchiez?

– Oui, et je vous y prends.

– À quoi, je vous prie?

– Mais à chanter Philis.

– C'est vrai, je n'en disconviens pas, dit de Guiche en riant; oui, mon cher comte, je chante Philis.

– Cela vous est acquis.

– À moi?

– Sans doute, à vous. À vous, l'intrépide protecteur de toute femme belle et spirituelle.

– Que diable me venez-vous conter là.

– Des vérités reconnues, je le sais bien. Mais attendez, je suis amoureux.

– Vous?

– Oui.

– Tant mieux, cher comte. Venez et contez-moi cela.

Et de Guiche, craignant un peu tard peut-être que Saint-Aignan ne remarquât cette fenêtre éclairée; prit le bras du comte et essaya de l'entraîner.

– Oh! dit celui-ci en résistant, ne me menez point du côté de ces bois noirs, il fait trop humide par là. Restons à la lune, voulez- vous?

Et, tout en cédant à la pression du bras de de Guiche, il demeura dans les parterres qui avoisinaient le château.

– Voyons, dit de Guiche résigné, conduisez-moi où il vous plaira, et demandez-moi ce qui vous est agréable.

– On n'est pas plus charmant.

Puis, après une seconde de silence:

– Cher comte, continua de Saint-Aignan, je voudrais que vous me disiez deux mots sur une certaine personne que vous avez protégée.

– Et que vous aimez?

– Je ne dis ni oui ni non, très cher… Vous comprenez qu'on ne place pas ainsi son coeur à fonds perdu, et qu'il faut bien prendre à l'avance ses sûretés.

– Vous avez raison, dit de Guiche avec un soupir; c'est précieux, un coeur.

– Le mien surtout, il est tendre, et je vous le donne comme tel.

– Oh! vous êtes connu, comte. Après?

– Voici. Il s'agit tout simplement de Mlle de Tonnay-Charente.

– Ah çà! mon cher Saint-Aignan, vous devenez fou, je présume!

– Pourquoi cela?

– Je n'ai jamais protégé Mlle de Tonnay-Charente, moi!

– Bah!

– Jamais!

– Ce n'est pas vous qui avez fait entrer Mlle de Tonnay-Charente chez Madame?

– Mlle de Tonnay-Charente, et vous devez savoir cela mieux que personne, mon cher comte, est d'assez bonne maison pour qu'on la désire, à plus forte raison pour qu'on l'admette.

– Vous me raillez.

– Non, sur l'honneur, je ne sais ce que vous voulez dire.

– Ainsi, vous n'êtes pour rien dans son admission?

– Non.

– Vous ne la connaissez pas?

– Je l'ai vue pour la première fois le jour de sa présentation à Madame. Ainsi, comme je ne l'ai pas protégée, comme je ne la connais pas, je ne saurais vous donner sur elle, mon cher comte, les éclaircissements que vous désirez.

Et de Guiche fit un mouvement pour quitter son interlocuteur.

– Là! là! dit Saint-Aignan, un instant, mon cher comte; vous ne m'échapperez point ainsi.

– Pardon, mais il me semblait qu'il était l'heure de rentrer chez soi.

– Vous ne rentriez pas cependant, quand je vous ai, non pas rencontré, mais trouvé.

– Aussi, mon cher comte, du moment où vous avez encore quelque chose à me dire, je me mets à votre disposition.

– Et vous faites bien, pardieu! Une demi-heure de plus ou de moins, vos dentelles n'en seront ni plus ni moins fripées. Jurez- moi que vous n'aviez pas de mauvais rapports à me faire sur son compte, et que ces mauvais rapports que vous eussiez pu me faire ne sont point la cause de votre silence.

– Oh! la chère enfant, je la crois pure comme un cristal.

– Vous me comblez de joie. Cependant, je ne veux pas avoir l'air près de vous d'un homme si mal renseigné que je parais. Il est certain que vous avez fourni la maison de la princesse de dames d'honneur. On a même fait une chanson sur cette fourniture.

– Vous savez, mon cher ami, que l'on fait des chansons sur tout.

– Vous la connaissez?

– Non; mais chantez-la-moi, je ferai sa connaissance.

– Je ne saurais vous dire comment elle commence, mais je me rappelle comment elle finit.

– Bon! c'est déjà quelque chose.

Des demoiselles d'honneur, Guiche est nommé fournisseur.

– L'idée est faible et la rime pauvre.

– Ah! que voulez-vous, mon cher, ce n'est ni de Racine ni de Molière, c'est de La Feuillade, et un grand seigneur ne peut pas rimer comme un croquant.

– C'est fâcheux, en vérité, que vous ne vous souveniez que de la fin.

– Attendez, attendez, voilà le commencement du second couplet qui me revient.

– J'écoute.

Il a rempli la volière, Montalais et…

– Pardieu! et La Vallière! s'écria de Guiche impatienté et surtout ignorant complètement où Saint-Aignan en voulait venir.

– Oui, oui, c'est cela, La Vallière. Vous avez trouvé la rime, mon cher.

– Belle trouvaille, ma foi!

– Montalais et La Vallière, c'est cela. Ce sont ces deux petites filles que vous avez protégées.

Et Saint-Aignan se mit à rire.

– Donc, vous ne trouvez pas dans la chanson Mlle de Tonnay-

Charente? dit de Guiche.

– Non, ma foi!

– Vous êtes satisfait, alors?

– Sans doute; mais j'y trouve Montalais, dit Saint-Aignan en riant toujours.

– Oh! vous la trouverez partout. C'est une demoiselle fort remuante.

– Vous la connaissez?

– Par intermédiaire. Elle était protégée par un certain Malicorne que protège Manicamp; Manicamp m'a fait demander un poste de demoiselle d'honneur pour Montalais dans la maison de Madame, et une place d'officier pour Malicorne dans la maison de Monsieur. J'ai demandé; vous savez bien que j'ai un faible pour ce drôle de Manicamp.

– Et vous avez obtenu?

– Pour Montalais, oui; pour Malicorne, oui et non, il n'est encore que toléré. Est-ce tout ce que vous vouliez savoir?

– Reste la rime.

– Quelle rime?

– La rime que vous avez trouvée.

– La Vallière?

– Oui.

Et de Saint-Aignan reprit son air qui agaçait tant de Guiche.

– Eh bien! dit ce dernier, je l'ai fait entrer chez Madame, c'est vrai.

– Ah! ah! ah! fit de Saint-Aignan.

– Mais, continua de Guiche de son air le plus froid, vous me ferez très heureux, cher comte, si vous ne plaisantez point sur ce nom. Mlle La Baume Le Blanc de La Vallière est une personne parfaitement sage.

– Parfaitement sage?

– Oui.

– Mais vous ne savez donc pas le nouveau bruit? s'écria Saint-

Aignan.

– Non, et même vous me rendrez service, mon cher comte, en gardant ce bruit pour vous et pour ceux qui le font courir.

– Ah! bah, vous prenez la chose si sérieusement?

– Oui; Mlle de La Vallière est aimée par un de mes bons amis.

Saint-Aignan tressaillit.

– Oh! oh! fit-il.

– Oui, comte, continua de Guiche. Par conséquent, vous comprenez, vous l'homme le plus poli de France, je ne puis laisser faire à mon ami une position ridicule.

– Oh! à merveille.

Et Saint-Aignan se rongeait les doigts, moitié dépit, moitié curiosité déçue.

De Guiche lui fit un beau salut.

– Vous me chassez, dit Saint-Aignan qui mourait d'envie de savoir le nom de l'ami.

– Je ne vous chasse point, très cher… J'achève mes vers à

Philis.

– Et ces vers?..

– Sont un quatrain. Vous comprenez, n'est-ce pas? un quatrain, c'est sacré.

– Ma foi! oui.

– Et comme, sur quatre vers dont il doit naturellement se composer, il me reste encore trois vers et un hémistiche à faire, j'ai besoin de toute ma tête.

– Cela se comprend. Adieu, comte!

– Adieu!

– À propos…

– Quoi?

– Avez-vous de la facilité?

– Énormément.

– Aurez-vous bien fini vos trois vers et demi demain matin?

– Je l'espère.

– Eh bien! à demain.

– À demain; adieu!

Force était à Saint-Aignan d'accepter le congé; il l'accepta et disparut derrière la charmille.

La conversation avait entraîné de Guiche et Saint-Aignan assez loin du château.

Tout mathématicien, tout poète et tout rêveur a ses distractions; Saint-Aignan se trouvait donc, quand le quitta de Guiche, aux limites du quinconce, à l'endroit où les communes commencent et où, derrière de grands bouquets d'acacias et de marronniers croisant leurs grappes sous des monceaux de clématite et de vigne vierge, s'élève le mur de séparation entre les bois et la cour des communs.

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