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Les Quarante-Cinq — Tome 1

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Puis, essayant de reprendre sa gaîté:

— Mais enfin, dit-il, toujours est-il qu'elle marche, qu'elle pleure et qu'elle donne très bien des baisers; toi-même me l'as dit, et c'est, ce me semble, d'un assez bon augure cela, cher ami. Mais ce n'est pas tout: voyons, après, après?

— Après, il y a peu de chose. Je la suivis donc, elle n'essaya point de se dérober à moi, de changer de chemin, de faire fausse route; elle ne semblait même point songer à cela.

— Eh bien! où demeurait-elle?

— Du côté de la Bastille, dans la rue de Lesdiguières; à sa porte, son compagnon se retourna et me vit.

— Tu lui fis alors quelque signe pour lui donner à entendre que tu désirais lui parler?

— Je n'osai pas; c'est ridicule ce que je vais te dire, mais le serviteur m'imposait presque autant que la maîtresse.

— N'importe, tu entras dans la maison?

— Non, mon frère.

— En vérité, Henri, j'ai bien envie de te renier pour un Joyeuse; mais au moins tu revins le lendemain?

— Oui, mais inutilement, inutilement à la Gypecienne, inutilement à la rue de Lesdiguières.

— Elle avait disparu?

— Comme une ombre qui se serait envolée.

— Mais enfin tu t'informas?

— La rue a peu d'habitants, nul ne put me satisfaire; je guettais l'homme pour le questionner, il ne reparut pas plus que la femme; cependant une lumière, que je voyais briller le soir à travers les jalousies, me consolait en m'indiquant qu'elle était toujours là. J'usai de cent moyens pour pénétrer dans la maison: lettres, messages, fleurs, présents, tout échoua. Un soir la lumière disparut à son tour et ne reparut plus; la dame, fatiguée de mes poursuites sans doute, avait quitté la rue de Lesdiguières; nul ne savait sa nouvelle demeure.

— Cependant tu l'as retrouvée, cette belle sauvage?

— Le hasard l'a permis; je suis injuste, mon frère, c'est la Providence qui ne veut pas que l'on traîne la vie. Écoutez: en vérité, c'est étrange. Je passais dans la rue de Bussy, il y a quinze jours, à minuit; vous savez, mon frère, que les ordonnances pour le feu sont sévèrement exécutées; eh bien! non seulement je vis du feu aux vitres d'une maison, mais encore un incendie véritable qui éclatait au deuxième étage.

Je frappai vigoureusement à la porte, un homme parut à la fenêtre.

— Vous avez le feu chez vous! lui criai-je.

— Silence, par pitié! me dit-il, silence, je suis occupé à l'éteindre.

— Voulez-vous que j'appelle le guet?

— Non, non au nom du ciel, n'appelez personne!

— Mais cependant si l'on peut vous aider.

— Le voulez-vous? alors venez, et vous me rendrez un service dont je vous serai reconnaissant toute ma vie.

— Et comment voulez-vous que je vienne?

— Voici la clef de la porte.

Et il me jeta la clef par la fenêtre. Je montai rapidement les escaliers et j'entrai dans la chambre théâtre de l'incendie.

C'était le plancher qui brûlait: j'étais dans le laboratoire d'un chimiste. En faisant je ne sais quelle expérience, une liqueur inflammable s'était répandue à terre: de là l'incendie.

Quand j'entrai, il était déjà maître du feu, ce qui fit que je pus le regarder.

C'était un homme de vingt-huit à trente ans; du moins il me parut avoir cet âge: une effroyable cicatrice lui labourait la moitié de la joue, une autre lui sillonnait le crâne; sa barbe touffue cachait le reste de son visage.

— Je vous remercie; mais, vous le voyez, tout est fini maintenant; si vous êtes aussi galant homme que vous en avez l'air, ayez la bonté de vous retirer, car ma maîtresse pourrait entrer d'un moment à l'autre, et elle s'irriterait en voyant à cette heure un étranger chez moi, ou plutôt chez elle.

Le son de cette voix me frappa d'inertie et presque d'épouvante. J'ouvris la bouche pour lui crier: Vous êtes l'homme de la Gypecienne, l'homme de la rue de Lesdiguières, l'homme de la dame inconnue; car vous vous rappelez, mon frère, qu'il était couvert d'un froc, que je n'avais pas vu son visage, que j'avais entendu sa voix seulement. J'allais lui dire cela, l'interroger, le supplier, quand tout à coup une porte s'ouvrit et une femme entra.

— Qu'y a-t-il donc, Rémy? demanda-t-elle en s'arrêtant majestueusement sur le seuil de la porte, et pourquoi ce bruit?

Oh! mon frère, c'était elle, plus belle encore au feu mourant de l'incendie qu'elle ne m'avait apparu aux rayons de la lune! c'était elle, c'était cette femme dont le souvenir incessant me rongeait le coeur!

Au cri que je poussai, le serviteur me regarda plus attentivement à son tour.

— Merci, monsieur, me dit-il encore une fois, merci; mais, vous le voyez, le feu est éteint. Sortez, je vous en supplie, sortez.

— Mon ami, lui dis-je, vous me congédiez bien durement.

— Madame, dit le serviteur, c'est lui.

— Qui, lui? demanda-t-elle.

— Ce jeune cavalier que nous avons rencontré dans le jardin de la Gypecienne, et qui nous a suivis rue de Lesdiguières.

Elle arrêta alors son regard sur moi, et à ce regard je compris qu'elle me voyait pour la première fois.

— Monsieur, dit-elle, par grâce, éloignez-vous!

J'hésitais, je voulais parler, prier; mais les paroles manquaient à mes lèvres; je restais immobile et muet, occupé à la regarder,

— Prenez garde, monsieur, dit le serviteur avec plus de tristesse que de sévérité, prenez garde, vous forceriez madame à fuir une seconde fois.

— Oh! qu'à Dieu ne plaise! répondis-je en m'inclinant; mais, madame, je ne vous offense point cependant.

Elle ne me répondit point. Aussi insensible, aussi muette, aussi glacée que si elle ne m'eût point entendu, elle se retourna, et je la vis disparaître graduellement dans l'ombre, descendant les marches d'un escalier sur lequel son pas ne retentissait pas plus que ne l'eût fait le pas d'un fantôme.

— Et voilà tout? demanda Joyeuse.

— Voilà tout. Alors le serviteur me conduisit jusqu'à la porte, en me disant:

— Oubliez, monsieur, au nom de Jésus et de la Vierge Marie, je vous en supplie, oubliez!

Je m'enfuis, éperdu, égaré, stupide, serrant ma tête entre mes deux mains, et me demandant si je ne devenais pas fou.

Depuis, je vais chaque soir dans cette rue, et voilà pourquoi, en sortant de l'Hôtel-de-Ville, mes pas se sont dirigés tout naturellement de ce côté; chaque soir, disais-je, je vais dans cette rue, je me cache à l'angle d'une maison qui est en face de la sienne, sous un petit balcon dont l'ombre m'enveloppe entièrement; une fois sur dix, je vois passer de la lumière dans la chambre qu'elle habite: c'est là ma vie, c'est là mon bonheur.

— Quel bonheur! s'écria Joyeuse.

— Hélas! je le perds si j'en désire un autre.

— Mais si tu te perds toi-même avec cette résignation?

— Mon frère, dit Henri avec un triste sourire, que voulez-vous, je me trouve heureux ainsi.

— C'est impossible.

— Que veux-tu, le bonheur est relatif; je sais qu'elle est là, qu'elle vit là, qu'elle respire là; je la vois à travers la muraille, ou plutôt il me semble la voir; si elle quittait cette maison, si je passais encore quinze jours comme ceux que je passai quand je l'eus perdue, mon frère, je deviendrais fou ou je me ferais moine.

— Non pas, mordieu! il y a déjà bien assez d'un fou et d'un moine dans la famille; restons-en là maintenant, mon cher ami.

— Pas d'observations, Anne, pas de railleries; les observations seraient inutiles, les railleries ne feraient rien.

— Et qui te parle d'observations et de railleries?

— A la bonne heure. Mais...

— Laisse-moi seulement te dire une chose.

— Laquelle?

— C'est que tu t'y es pris comme un franc écolier.

— Je n'ai fait ni combinaisons ni calculs, je ne m'y suis pas pris, je me suis abandonné à quelque chose de plus fort que moi. Quand un courant vous emporte, mieux vaut suivre le courant que de lutter contre lui.

— Et s'il conduit à quelque abîme?

— Il faut s'y engloutir, mon frère.

— C'est ton avis?

— Oui.

— Ce n'est pas le mien, et à ta place...

— Qu'eussiez-vous fait, Anne?

— Assez, certainement, pour savoir son nom, son âge; à ta place...

— Anne, Anne, vous ne la connaissez pas.

— Non, mais je te connais. Comment, Henri, vous aviez cinquante mille écus que je vous ai donnés sur les cent mille dont le roi m'a fait cadeau à sa fête...

— Ils sont encore dans mon coffre, Anne: pas un ne manque.

— Mordieu! tant pis; s'ils n'étaient pas dans votre coffre, la femme serait dans votre alcôve.

— Oh! mon frère.

— Il n'y a pas de: oh! mon frère; un serviteur ordinaire se vend pour dix écus, un bon pour cent, un excellent pour mille, un merveilleux pour trois mille. Voyons maintenant, supposons le phénix des serviteurs; rêvons le dieu de la fidélité, et moyennant vingt mille écus, par le pape, il sera à vous! Donc il vous restait cent trente mille livres pour payer le phénix des serviteurs. Henri, mon ami, vous êtes un niais.

— Anne, dit Henri en soupirant, il y a des gens qui ne se vendent pas; il y a des coeurs qu'un roi même n'est pas assez riche pour acheter.

Joyeuse se calma.

— Eh bien, je l'admets, dit-il; mais il n'en est pas qui ne se donnent.

— A la bonne heure.

— Eh bien! qu'avez-vous fait pour que le coeur de cette belle insensible se donnât à vous?

 

— J'ai la conviction, Anne, d'avoir fait tout ce que je pouvais faire.

— Allons donc, comte du Bouchage, vous voyez une femme triste, enfermée, gémissante, et vous vous faites plus triste, plus reclus, plus gémissant, c'est-à-dire plus assommant qu'elle-même! En vérité, vous parliez des façons vulgaires de l'amour, et vous êtes banal comme un quartenier. Elle est seule, faites-lui compagnie; elle est triste, soyez gai; elle regrette, consolez-la, et remplacez.

— Impossible, mon frère.

— As-tu essayé?

— Pourquoi faire?

— Dame! ne fût-ce que pour essayer. Tu es amoureux, dis-tu?

— Je ne connais pas de mot pour exprimer mon amour.

— Eh bien! dans quinze jours, tu auras ta maîtresse.

— Mon frère!

— Foi de Joyeuse. Tu n'as pas désespéré, je pense?

— Non, car je n'ai jamais espéré.

— A quelle heure la vois-tu?

— A quelle heure je la vois?

— Sans doute.

— Mais je vous ai dit que je ne la voyais pas, mon frère.

— Jamais?

— Jamais.

— Pas même à sa fenêtre?

— Pas même son ombre, vous dis-je.

— Il faut que cela finisse. Voyons, a-t-elle un amant?

— Je n'ai jamais vu un homme entrer dans sa maison, excepté ce Remy dont je vous ai parlé.

— Comment est la maison?

— Deux étages, petite porte sur un degré, terrasse au-dessus de la deuxième fenêtre.

— Mais par cette terrasse, ne peut-on entrer?

— Elle est isolée des autres maisons.

— Et en face, qu'y a-t-il?

— Une autre maison à peu près pareille, quoique plus élevée, ce me semble.

— Par qui est habitée cette maison?

— Par une espèce de bourgeois.

— De méchante ou de bonne humeur?

— De bonne humeur, car parfois je l'entends rire tout seul.

— Achète-lui sa maison.

— Qui vous dit qu'elle soit à vendre?

— Offre-lui-en le double de ce qu'elle vaut.

— Et si la dame m'y voit?

— Eh bien?

— Elle disparaîtra encore, tandis qu'en dissimulant ma présence, j'espère qu'un jour ou l'autre je la reverrai.

— Tu la reverras ce soir.

— Moi?

— Va te camper sous son balcon à huit heures.

— J'y serai comme j'y suis chaque jour, mais sans plus d'espoir que les autres jours.

— A propos! l'adresse au juste?

— Entre la porte Bussy et l'hôtel Saint-Denis, presque au coin de la rue des Augustins, à vingt pas d'une grande hôtellerie ayant enseigne; A l'Épée du fier Chevalier.

— Très bien, à huit heures, ce soir.

— Mais que ferez-vous?

— Tu le verras, tu l'entendras. En attendant, retourne chez toi, endosse tes plus beaux habits, prends tes plus riches joyaux, verse sur tes cheveux tes plus fines essences; ce soir tu entres dans la place.

— Dieu vous entende, mon frère!

— Henri, quand Dieu est sourd, le diable ne l'est pas. Je te quitte, ma maîtresse m'attend; non, je veux dire la maîtresse de M. de Mayenne. Par le pape! celle-là n'est point une bégueule.

— Mon frère!

— Pardon, beau servant d'amour; je ne fais aucune comparaison entre ces deux dames, sois-en bien persuadé, quoique, d'après ce que tu me dis, j'aime mieux la mienne, ou plutôt la nôtre. Mais elle m'attend, et je ne veux pas la faire attendre. Adieu, Henri, à ce soir.

— A ce soir, Anne.

Les deux frères se serrèrent la main et se séparèrent.

L'un, au bout de deux cents pas, souleva hardiment et laissa retomber avec bruit le heurtoir d'une belle maison gothique sise au parvis Notre-Dame.

L'autre s'enfonça silencieusement dans une des rues tortueuses qui aboutissent au Palais.

VII
EN QUOI L'ÉPÉE DU FIER CHEVALIER EUT RAISON SUR LE ROSIER D'AMOUR

Pendant la conversation que nous venons de rapporter, la nuit était venue, enveloppant de son humide manteau de brumes la ville si bruyante deux heures auparavant.

En outre, Salcède mort, les spectateurs avaient songé à regagner leurs gîtes, et l'on ne voyait plus que des pelotons éparpillés dans les rues, au lieu de cette chaîne non interrompue de curieux qui dans la journée étaient descendus ensemble vers un même point.

Jusqu'aux quartiers les plus éloignés de la Grève, il y avait des restes de tressaillements bien faciles à comprendre après la longue agitation du centre.

Ainsi du côté de la porte Bussy, par exemple, où nous devons nous transporter à cette heure pour suivre quelques-uns des personnages que nous avons mis en scène au commencement de cette histoire, et pour faire connaissance avec des personnages nouveaux; à cette extrémité, disons- nous, on entendait bruire, comme une ruche au coucher du soleil, certaine maison teintée en rose et relevée de peintures bleues et blanches, qui s'appelait la Maison de l'Épée du fier Chevalier, et qui cependant n'était qu'une hôtellerie de proportions gigantesques, récemment installée dans ce quartier neuf.

En ce temps-là Paris ne comptait pas une seule bonne hôtellerie qui n'eût sa triomphante enseigne. L'Épée du fier Chevalier était une de ces magnifiques exhibitions destinées à rallier tous les goûts, à résumer toutes les sympathies.

On voyait peint sur l'entablement le combat d'un archange ou d'un saint contre un dragon, lançant, comme le monstre d'Hippolyte, des torrents de flamme et de fumée. Le peintre, animé d'un sentiment héroïque et pieux tout à la fois, avait mis dans les mains du fier chevalier, armé de toutes pièces, non pas une épée, mais une immense croix avec laquelle il tranchait en deux, mieux qu'avec la lame la mieux acérée, le malheureux dragon dont les morceaux saignaient sur la terre.

On voyait au fond de l'enseigne, ou plutôt du tableau, car l'enseigne méritait bien certainement ce nom, on voyait des quantités de spectateurs levant leurs bras en l'air, tandis que, dans le ciel, des anges étendaient sur le casque du fier chevalier des lauriers et des palmes.

Enfin au premier plan, l'artiste, jaloux de prouver qu'il peignait tous les genres, avait groupé des citrouilles, des raisins, des scarabées, des lézards, un escargot sur une rose; enfin deux lapins, l'un blanc, l'autre gris, lesquels, malgré la différence des couleurs, ce qui eût pu indiquer une différence d'opinions, se grattaient tous les deux le nez, en réjouissance probablement de la mémorable victoire remportée par le fier chevalier sur le dragon parabolique qui n'était autre que Satan.

Assurément, ou le propriétaire de l'enseigne était d'un caractère bien difficile, ou il devait être satisfait de la conscience du peintre. En effet, son artiste n'avait pas perdu une ligne de l'espace, et s'il eût fallu ajouter un ciron au tableau, la place eût manqué.

Maintenant avouons une chose, et cet aveu, quoique pénible, est imposé à notre conscience d'historien: il ne résultait pas de cette belle enseigne que le cabaret s'emplit comme elle aux bons jours; au contraire, par des raisons que nous allons expliquer tout à l'heure et que le public comprendra, nous l'espérons, il y avait, nous ne dirons pas même parfois, mais presque toujours, de grands vides à l'hôtellerie du Fier Chevalier.

Cependant, comme on dirait de nos jours, la maison était grande et confortable; bâtie carrément, cramponnée au sol par de larges bases, elle étendait superbement, au-dessus de son enseigne, quatre tourelles contenant chacune sa chambre octogone; le tout bâti, il est vrai, en pans de bois; mais coquet et mystérieux comme doit l'être toute maison qui veut plaire aux hommes et surtout aux femmes; mais là gisait le mal.

On ne peut pas plaire à tout le monde. Telle n'était pas cependant la conviction de dame Fournichon, hôtesse du Fier Chevalier. En conséquence de cette conviction, elle avait engagé son époux à quitter une maison de bains dans laquelle ils végétaient, rue Saint-Honoré, pour faire tourner la broche et mettre le vin en perce au profit des amoureux du carrefour Bussy, et même des autres quartiers de Paris. Malheureusement pour les prétentions de dame Fournichon, son hôtellerie était située un peu bien voisinement du Pré-aux-Clercs, de sorte qu'il venait, attirés à la fois par le voisinage et l'enseigne, à l'Épée du fier Chevalier, tant de couples prêts à se battre, que les autres couples moins belliqueux fuyaient comme peste la pauvre hôtellerie, dans la crainte du bruit et des estocades. Ce sont gens paisibles et qui n'aiment point à être dérangés que les amoureux, de sorte que, dans ces petites tourelles si galantes, force était de ne loger que des soudards, et que tous les Cupidons, peints intérieurement sur les panneaux de bois par le peintre de l'enseigne, avaient été ornés de moustaches et d'autres appendices plus ou moins décents par le charbon des habitués.

Aussi, dame Fournichon prétendait-elle, non sans raison jusque-là, il faut bien le dire, que l'enseigne avait porté malheur à la maison, et elle affirmait que si on avait voulu s'en rapporter à son expérience, et peindre au-dessus de la porte, et au lieu de ce fier chevalier et de ce hideux dragon qui repoussaient tout le monde, quelque chose de galant, comme par exemple, le Rosier d'Amour, avec des coeurs enflammés au lieu de roses, toutes les âmes tendres eussent élu domicile dans son hôtellerie.

Malheureusement, maître Fournichon, incapable d'avouer qu'il se repentait de son idée et de l'influence que cette idée avait eue sur son enseigne, ne tenait aucun compte des observations de sa ménagère, et répondait en haussant les épaules que lui, ancien porte-hocqueton de M. Danville, devait naturellement rechercher la clientèle des gens de guerre; il ajoutait qu'un reître, qui n'a à penser qu'à boire, boit comme six amoureux et que ne payât-il que la moitié de l'écot, on y gagne encore, puisque les amoureux les plus prodigues ne paient jamais comme trois reîtres.

D'ailleurs, concluait-il, le vin est plus moral que l'amour.

A ces paroles, dame Fournichon haussait à son tour des épaules assez dodues pour qu'on interprétât malignement ses idées en matière de moralité.

Les choses en étaient dans le ménage Fournichon à cet état de schisme, et les deux époux végétaient au carrefour Bussy, comme ils avaient végété rue Saint-Honoré, quand une circonstance imprévue vint changer la face des choses et faire triompher les opinions de maître Fournichon, à la plus grande gloire de cette digne enseigne, où chaque règne de la nature avait son représentant.

Un mois avant le supplice de Salcède, à la suite de quelques exercices militaires qui avaient eu lieu dans le Pré-aux-Clercs, dame Fournichon et son époux étaient installés, selon leur habitude, chacun à une tourelle angulaire de leur établissement, oisifs, rêveurs et froids, parce que toutes les tables et toutes les chambres de l'hôtellerie du Fier Chevalier étaient complètement vides.

Ce jour-là le Rosier d'Amour n'avait pas donné de roses.

Ce jour-là, l'Épée du fier Chevalier avait frappé dans l'eau.

Les deux époux regardaient donc tristement la plaine d'où disparaissaient, s'embarquant dans le bac de la tour de Nesle pour retourner au Louvre, les soldats qu'un capitaine venait de faire manoeuvrer, et tout en les regardant et en gémissant sur le despotisme militaire qui forçait de rentrer à leur corps de garde des soldats qui devaient naturellement être si altérés, ils virent ce capitaine mettre son cheval au trot et s'avancer, avec un seul homme d'ordonnance, dans la direction de la porte Bussy.

Cet officier tout emplumé, tout fier sur son cheval blanc, et dont l'épée au fourreau doré relevait un beau manteau de drap de Flandre, fut en dix minutes en face de l'hôtellerie.

Mais comme ce n'était pas à l'hôtellerie qu'il se rendait, il allait passer outre, sans avoir même admiré l'enseigne, car il paraissait soucieux et préoccupé, ce capitaine, quand maître Fournichon, dont le coeur défaillait à l'idée de ne pas étrenner ce jour-là, se pencha hors de sa tourelle en disant:

— Vois donc, femme, le beau cheval!

Ce à quoi madame Fournichon, saisissant la réplique en hôtelière accorte, ajouta:

— Et le beau cavalier donc!

Le capitaine, qui ne paraissait pas insensible aux éloges, de quelque part qu'ils lui vinssent, leva la tête comme s'il se réveillait en sursaut. Il vit l'hôte, l'hôtesse et l'hôtellerie, arrêta son cheval et appela son ordonnance.

 

Puis, toujours en selle, il regarda fort attentivement la maison et le quartier.

Fournichon avait dégringolé quatre à quatre les marches de son escalier et se tenait à la porte, son bonnet roulé entre ses deux mains.

Le capitaine, ayant réfléchi quelques instants, descendit de cheval.

— N'y a-t-il personne ici? demanda-t-il.

— Pour le moment, non, monsieur, répondit l'hôte humilié.

Et il s'apprêtait à ajouter:

— Ce n'est cependant pas l'habitude de la maison.

Mais dame Fournichon, comme presque toutes les femmes, était plus perspicace que son mari; elle se hâta, en conséquence, de crier du haut de sa fenêtre:

— Si monsieur cherche la solitude, il sera parfaitement chez nous.

Le cavalier leva la tête, et voyant cette bonne figure, après avoir entendu cette bonne réponse, il répliqua:

— Pour le moment, oui; c'est justement ce que je cherche, ma bonne femme.

Dame Fournichon se précipita aussitôt à la rencontre du voyageur, en se disant:

— Pour cette fois, c'est le Rosier d'Amour qui étrenne, et non l'Épée du fier Chevalier.

Le capitaine qui, à cette heure, attirait l'attention des deux époux, et qui mérite d'attirer en même temps celle du lecteur, ce capitaine était un homme de trente à trente-cinq ans, qui paraissait en avoir vingt-huit, tant il avait soin de sa personne. Il était grand, bien fait, d'une physionomie expressive et fine; peut-être, en l'examinant bien, eût-on trouvé quelque affectation dans son grand air; affecté ou non, son air était grand.

Il jeta aux mains de son compagnon la bride d'un magnifique cheval qui battait d'un pied la terre, et lui dit:

— Attends-moi ici, en promenant les chevaux.

Le soldat reçut la bride et obéit.

Une fois entré dans la grande salle de l'hôtellerie, il s'arrêta, et jetant un regard de satisfaction autour de lui.

— Oh! oh! dit-il, une si grande salle et pas un buveur! très bien!

Maître Fournichon le regardait avec étonnement, tandis que madame Fournichon lui souriait avec intelligence.

— Mais, continua le capitaine, il y a donc quelque chose dans votre conduite ou dans votre maison qui éloigne de chez vous les consommateurs?

— Ni l'un ni l'autre, monsieur, Dieu merci, répliqua madame Fournichon; seulement le quartier est neuf, et, quant aux clients, nous choisissons.

— Ah! fort bien, dit le capitaine.

Maître Fournichon daignait pendant ce temps approuver de la tête les réponses de sa femme.

— Par exemple, ajouta-t-elle avec un certain clignement d'yeux, qui révélait l'auteur du projet du Rosier d'Amour, par exemple, pour un client comme Votre Seigneurie, on en laisserait volontiers aller douze.

— C'est poli, ma belle hôtesse, merci.

— Monsieur veut-il goûter le vin? dit Fournichon de sa moins rauque voix.

— Monsieur veut-il visiter les logis? dit madame Fournichon de sa voix la plus douce.

— L'un et l'autre, s'il vous plaît, répondit le capitaine.

Fournichon descendit au cellier, tandis que sa femme indiquait à son hôte l'escalier conduisant aux tourelles, sur lequel déjà, retroussant son jupon coquet, elle le précédait, en faisant craquer à chaque marche un vrai soulier de Parisienne.

— Combien pouvez-vous loger de personnes ici? demanda le capitaine lorsqu'il fut arrivé au premier.

— Trente personnes, dont dix maîtres.

— Ce n'est point assez, belle hôtesse, répondit le capitaine.

— Pourquoi cela, monsieur?

— J'avais un projet, n'en parlons plus.

— Ah! monsieur, vous ne trouverez certainement pas mieux que l'hôtellerie du Rosier d'Amour.

— Comment! du Rosier d'Amour?

— Du Fier Chevalier, je veux dire, et à moins d'avoir le Louvre et ses dépendances...

L'étranger attacha sur elle un singulier regard.

— Vous avez raison, dit-il, et à moins d'avoir le Louvre...

Puis à part:

— Pourquoi pas, continua-t-il; ce serait plus commode et moins cher.

Vous dites donc, ma bonne dame, reprit-il tout haut, que vous pourriez à demeure recevoir ici trente personnes?

— Oui, sans doute.

— Mais pour un jour?

— Oh! pour un jour, quarante et même quarante-cinq.

— Quarante-cinq? parfandious! c'est juste mon compte.

— Vraiment! voyez donc comme c'est heureux!

— Et sans que cela fasse esclandre au dehors?

— Quelquefois, le dimanche, nous avons ici quatre-vingts soldats.

— Et pas de foule devant la maison, pas d'espion parmi les voisins?

— Oh! mon Dieu, non; nous n'avons pour voisin qu'un digne bourgeois qui ne se mêle des affaires de personne, et pour voisine qu'une dame qui vit si retirée que depuis trois semaines qu'elle habite le quartier, je ne l'ai pas encore vue; tous les autres sont de petites gens.

— Voilà qui me convient à merveille.

— Oh! tant mieux, fit madame Fournichon.

— Et d'ici en un mois, continua le capitaine, retenez bien ceci, madame, d'ici en un mois...

— Le 26 octobre alors?

— Précisément, le 26 octobre.

— Eh bien?

— Eh bien, le 26 octobre, je loue votre hôtellerie.

— Tout entière?

— Tout entière. Je veux faire une surprise à quelques compatriotes, officiers, ou tout au moins gens d'épée pour la plupart, qui viennent à Paris chercher fortune; d'ici là ils auront reçu avis de descendre chez vous.

— Et comment auront-ils reçu cet avis, si c'est une surprise que vous leur faites? demanda imprudemment madame Fournichon.

— Ah! répondit le capitaine, visiblement contrarié par la question; ah! si vous êtes curieuse ou indiscrète, parfandious!..

— Non, non, monsieur, se hâta de dire madame Fournichon effrayée.

Fournichon avait entendu; aux mots: officiers ou gens d'épée, son coeur avait battu d'aise.

Il accourut.

— Monsieur, s'écria-t-il, vous serez le maître ici, le despote de la maison, et sans questions, mon Dieu! Tous vos amis seront les bienvenus.

— Je n'ai pas dit mes amis, mon brave, dit le capitaine avec hauteur; j'ai dit mes compatriotes.

— Oui, oui, les compatriotes de Sa Seigneurie; c'est moi que me trompais.

Dame Fournichon tourna le dos avec humeur: les roses d'amour venaient de se changer en buissons de hallebardes.

— Vous leur donnerez à souper, continua le capitaine.

— Très bien.

— Vous les ferez même coucher au besoin, si je n'avais pu encore préparer leurs logements.

— A merveille.

— En un mot, vous vous mettrez à leur entière discrétion, sans le moindre interrogatoire.

— C'est dit.

— Voilà trente livres d'arrhes.

— C'est marché fait, monseigneur; vos compatriotes seront traités en rois, et si vous voulez vous en assurer en goûtant le vin...

— Je ne bois jamais; merci.

Le capitaine s'approcha de la fenêtre et appela le gardien des chevaux.

Maître Fournichon pendant ce temps avait fait une réflexion.

— Monseigneur, dit-il (depuis la réception des trois pistoles si généreusement payées à l'avance, maître Fournichon appelait l'étranger monseigneur), monseigneur, comment reconnaître-je ces messieurs?

— C'est vrai, parfandious! j'oubliais; donnez-moi de la cire, du papier et de la lumière.

Dame Fournichon apporta tout.

Le capitaine appuya sur la cire bouillante le chaton d'une bague qu'il portait à la main gauche.

— Tenez, dit-il, vous voyez cette figure?

— Une belle femme, ma foi.

— Oui, c'est une Cléopâtre; eh bien! chacun de mes compatriotes vous apportera une empreinte pareille; vous hébergerez donc le porteur de cette empreinte; c'est entendu, n'est-ce pas?

— Combien de temps?

— Je ne sais point encore; vous recevrez mes ordres à ce sujet.

— Nous les attendrons.

Le beau capitaine descendit l'escalier, se remit en selle et partit au trot de son cheval.

En attendant son retour, les époux Fournichon empochèrent leurs trente livres d'arrhes, à la grande joie de l'hôte qui ne cessait de répéter:

— Des gens d'épée! allons, décidément l'enseigne n'a pas tort, et c'est par l'épée que nous ferons fortune.

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