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Les Trois Mousquetaires

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 CHAPITRE XXXVII. LE SECRET DE MILADY

D’Artagnan était sorti de l’hôtel au lieu de monter tout de suite chez Ketty, malgré les instances que lui avait faites la jeune fille, et cela pour deux raisons : la première parce que de cette façon il évitait les reproches, les récriminations, les prières ; la seconde, parce qu’il n’était pas fâché de lire un peu dans sa pensée, et, s’il était possible, dans celle de cette femme.

Tout ce qu’il y avait de plus clair là-dedans, c’est que d’Artagnan aimait Milady comme un fou et qu’elle ne l’aimait pas le moins du monde. Un instant d’Artagnan comprit que ce qu’il aurait de mieux à faire serait de rentrer chez lui et d’écrire à Milady une longue lettre dans laquelle il lui avouerait que lui et de Wardes étaient jusqu’à présent absolument le même, que par conséquent il ne pouvait s’engager, sous peine de suicide, à tuer de Wardes. Mais lui aussi était éperonné d’un féroce désir de vengeance ; il voulait posséder à son tour cette femme sous son propre nom ; et comme cette vengeance lui paraissait avoir une certaine douceur, il ne voulait point y renoncer.

Il fit cinq ou six fois le tour de la place Royale, se retournant de dix pas en dix pas pour regarder la lumière de l’appartement de Milady, qu’on apercevait à travers les jalousies ; il était évident que cette fois la jeune femme était moins pressée que la première de rentrer dans sa chambre.

Enfin la lumière disparut.

Avec cette lueur s’éteignit la dernière irrésolution dans le coeur de d’Artagnan ; il se rappela les détails de la première nuit, et, le coeur bondissant, la tête en feu, il rentra dans l’hôtel et se précipita dans la chambre de Ketty.

La jeune fille, pâle comme la mort, tremblant de tous ses membres, voulut arrêter son amant ; mais Milady, l’oreille au guet, avait entendu le bruit qu’avait fait d’Artagnan : elle ouvrit la porte.

«Venez», dit-elle.

Tout cela était d’une si incroyable imprudence, d’une si monstrueuse effronterie, qu’à peine si d’Artagnan pouvait croire à ce qu’il voyait et à ce qu’il entendait. Il croyait être entraîné dans quelqu’une de ces intrigues fantastiques comme on en accomplit en rêve.

Il ne s’élança pas moins vers Milady, cédant à cette attraction que l’aimant exerce sur le fer. La porte se referma derrière eux.

Ketty s’élança à son tour contre la porte.

La jalousie, la fureur, l’orgueil offensé, toutes les passions enfin qui se disputent le coeur d’une femme amoureuse la poussaient à une révélation ; mais elle était perdue si elle avouait avoir donné les mains à une pareille machination ; et, par-dessus tout, d’Artagnan était perdu pour elle. Cette dernière pensée d’amour lui conseilla encore ce dernier sacrifice.

D’Artagnan, de son côté, était arrivé au comble de tous ses voeux : ce n’était plus un rival qu’on aimait en lui, c’était lui-même qu’on avait l’air d’aimer. Une voix secrète lui disait bien au fond du coeur qu’il n’était qu’un instrument de vengeance que l’on caressait en attendant qu’il donnât la mort, mais l’orgueil, mais l’amour-propre, mais la folie faisaient taire cette voix, étouffaient ce murmure. Puis notre Gascon, avec la dose de confiance que nous lui connaissons, se comparait à de Wardes et se demandait pourquoi, au bout du compte, on ne l’aimerait pas, lui aussi, pour lui-même.

Il s’abandonna donc tout entier aux sensations du moment. Milady ne fut plus pour lui cette femme aux intentions fatales qui l’avait un instant épouvanté, ce fut une maîtresse ardente et passionnée s’abandonnant tout entière à un amour qu’elle semblait éprouver elle-même. Deux heures à peu près s’écoulèrent ainsi.

Cependant les transports des deux amants se calmèrent ; Milady, qui n’avait point les mêmes motifs que d’Artagnan pour oublier, revint la première à la réalité et demanda au jeune homme si les mesures qui devaient amener le lendemain entre lui et de Wardes une rencontre étaient bien arrêtées d’avance dans son esprit.

Mais d’Artagnan, dont les idées avaient pris un tout autre cours, s’oublia comme un sot et répondit galamment qu’il était bien tard pour s’occuper de duels à coups d’épée.

Cette froideur pour les seuls intérêts qui l’occupassent effraya Milady, dont les questions devinrent plus pressantes.

Alors d’Artagnan, qui n’avait jamais sérieusement pensé à ce duel impossible, voulut détourner la conversation, mais il n’était plus de force.

Milady le contint dans les limites qu’elle avait tracées d’avance avec son esprit irrésistible et sa volonté de fer.

D’Artagnan se crut fort spirituel en conseillant à Milady de renoncer, en pardonnant à de Wardes, aux projets furieux qu’elle avait formés.

Mais aux premiers mots qu’il dit, la jeune femme tressaillit et s’éloigna.

«Auriez-vous peur, cher d’Artagnan ? dit-elle d’une voix aiguë et railleuse qui résonna étrangement dans l’obscurité.

– Vous ne le pensez pas, chère âme ! répondit d’Artagnan ; mais enfin, si ce pauvre comte de Wardes était moins coupable que vous ne le pensez ?

– En tout cas dit gravement Milady, il m’a trompée, et du moment où il m’a trompée il a mérité la mort.

– Il mourra donc, puisque vous le condamnez !» dit d’Artagnan d’un ton si ferme, qu’il parut à Milady l’expression d’un dévouement à toute épreuve.

Aussitôt elle se rapprocha de lui.

Nous ne pourrions dire le temps que dura la nuit pour Milady ; mais d’Artagnan croyait être près d’elle depuis deux heures à peine lorsque le jour parut aux fentes des jalousies et bientôt envahit la chambre de sa lueur blafarde.

Alors Milady, voyant que d’Artagnan allait la quitter, lui rappela la promesse qu’il lui avait faite de la venger de de Wardes.

«Je suis tout prêt, dit d’Artagnan, mais auparavant je voudrais être certain d’une chose.

– De laquelle ? demanda Milady.

– C’est que vous m’aimez.

– Je vous en ai donné la preuve, ce me semble.

– Oui, aussi je suis à vous corps et âme.

– Merci, mon brave amant ! mais de même que je vous ai prouvé mon amour, vous me prouverez le vôtre à votre tour, n’est-ce pas ?

– Certainement. Mais si vous m’aimez comme vous me le dites, reprit d’Artagnan, ne craignez-vous pas un peu pour moi ?

– Que puis-je craindre ?

– Mais enfin, que je sois blessé dangereusement, tué même.

– Impossible, dit Milady, vous êtes un homme si vaillant et une si fine épée.

– Vous ne préféreriez donc point, reprit d’Artagnan, un moyen qui vous vengerait de même tout en rendant inutile le combat.»

Milady regarda son amant en silence : cette lueur blafarde des premiers rayons du jour donnait à ses yeux clairs une expression étrangement funeste.

«Vraiment, dit-elle, je crois que voilà que vous hésitez maintenant.

– Non, je n’hésite pas ; mais c’est que ce pauvre comte de Wardes me fait vraiment peine depuis que vous ne l’aimez plus, et il me semble qu’un homme doit être si cruellement puni par la perte seule de votre amour, qu’il n’a pas besoin d’autre châtiment :

– Qui vous dit que je l’aie aimé ? demanda Milady.

– Au moins puis-je croire maintenant sans trop de fatuité que vous en aimez un autre, dit le jeune homme d’un ton caressant, et je vous le répète, je m’intéresse au comte.

– Vous ? demanda Milady.

– Oui moi.

– Et pourquoi vous ?

– Parce que seul je sais…

– Quoi ?

– Qu’il est loin d’être ou plutôt d’avoir été aussi coupable envers vous qu’il le paraît.

– En vérité ! dit Milady d’un air inquiet ; expliquez-vous, car je ne sais vraiment ce que vous voulez dire.»

Et elle regardait d’Artagnan, qui la tenait embrassée avec des yeux qui semblaient s’enflammer peu à peu.

«Oui, je suis galant homme, moi ! dit d’Artagnan décidé à en finir ; et depuis que votre amour est à moi, que je suis bien sûr de le posséder, car je le possède, n’est-ce pas ?…

– Tout entier, continuez.

– Eh bien, je me sens comme transporté, un aveu me pèse.

– Un aveu ?

– Si j’eusse douté de votre amour je ne l’eusse pas fait ; mais vous m’aimez, ma belle maîtresse ? n’est-ce pas, vous m’aimez ?

– Sans doute.

– Alors si par excès d’amour je me suis rendu coupable envers vous, vous me pardonnerez ?

– Peut-être !»

D’Artagnan essaya, avec le plus doux sourire qu’il pût prendre, de rapprocher ses lèvres des lèvres de Milady, mais celle-ci l’écarta.

«Cet aveu, dit-elle en pâlissant, quel est cet aveu ?

– Vous aviez donné rendez-vous à de Wardes, jeudi dernier, dans cette même chambre, n’est-ce pas ?

– Moi, non ! cela n’est pas, dit Milady d’un ton de voix si ferme et d’un visage si impassible, que si d’Artagnan n’eût pas eu une certitude si parfaite, il eût douté.

– Ne mentez pas, mon bel ange, dit d’Artagnan en souriant, ce serait inutile.

– Comment cela ? parlez donc ! vous me faites mourir !

– Oh ! rassurez-vous, vous n’êtes point coupable envers moi, et je vous ai déjà pardonné !

– Après, après ?

– De Wardes ne peut se glorifier de rien.

– Pourquoi ? Vous m’avez dit vous-même que cette bague…

– Cette bague, mon amour, c’est moi qui l’ai. Le comte de Wardes de jeudi et le d’Artagnan d’aujourd’hui sont la même personne.»

L’imprudent s’attendait à une surprise mêlée de pudeur, à un petit orage qui se résoudrait en larmes ; mais il se trompait étrangement, et son erreur ne fut pas longue.

Pâle et terrible, Milady se redressa, et, repoussant d’Artagnan d’un violent coup dans la poitrine, elle s’élança hors du lit.

Il faisait alors presque grand jour.

D’Artagnan la retint par son peignoir de fine toile des Indes pour implorer son pardon ; mais elle, d’un mouvement puissant et résolu, elle essaya de fuir. Alors la batiste se déchira en laissant à nu les épaules et sur l’une de ces belles épaules rondes et blanches, d’Artagnan avec un saisissement inexprimable, reconnut la fleur de lis, cette marque indélébile qu’imprime la main infamante du bourreau.

 

«Grand Dieu !» s’écria d’Artagnan en lâchant le peignoir.

Et il demeura muet, immobile et glacé sur le lit.

Mais Milady se sentait dénoncée par l’effroi même de d’Artagnan. Sans doute il avait tout vu : le jeune homme maintenant savait son secret, secret terrible, que tout le monde ignorait, excepté lui.

Elle se retourna, non plus comme une femme furieuse mais comme une panthère blessée.

«Ah ! misérable, dit-elle, tu m’as lâchement trahie, et de plus tu as mon secret ! Tu mourras !»

Et elle courut à un coffret de marqueterie posé sur la toilette, l’ouvrit d’une main fiévreuse et tremblante, en tira un petit poignard à manche d’or, à la lame aiguë et mince et revint d’un bond sur d’Artagnan à demi nu.

Quoique le jeune homme fût brave, on le sait, il fut épouvanté de cette figure bouleversée, de ces pupilles dilatées horriblement, de ces joues pâles et de ces lèvres sanglantes ; il recula jusqu’à la ruelle, comme il eût fait à l’approche d’un serpent qui eût rampé vers lui, et son épée se rencontrant sous sa main souillée de sueur, il la tira du fourreau.

Mais sans s’inquiéter de l’épée, Milady essaya de remonter sur le lit pour le frapper, et elle ne s’arrêta que lorsqu’elle sentit la pointe aiguë sur sa gorge.

Alors elle essaya de saisir cette épée avec les mains mais d’Artagnan l’écarta toujours de ses étreintes et, la lui présentant tantôt aux yeux, tantôt à la poitrine, il se laissa glisser à bas du lit, cherchant pour faire retraite la porte qui conduisait chez Ketty.

Milady, pendant ce temps, se ruait sur lui avec d’horribles transports, rugissant d’une façon formidable.

Cependant cela ressemblait à un duel, aussi d’Artagnan se remettait petit à petit.

«Bien, belle dame, bien ! disait-il, mais, de par Dieu, calmez-vous, ou je vous dessine une seconde fleur de lis sur l’autre épaule.

– Infâme ! infâme !» hurlait Milady.

Mais d’Artagnan, cherchant toujours la porte, se tenait sur la défensive.

Au bruit qu’ils faisaient, elle renversant les meubles pour aller à lui, lui s’abritant derrière les meubles pour se garantir d’elle, Ketty ouvrit la porte. D’Artagnan, qui avait sans cesse manoeuvré pour se rapprocher de cette porte, n’en était plus qu’à trois pas. D’un seul élan il s’élança de la chambre de Milady dans celle de la suivante, et, rapide comme l’éclair, il referma la porte, contre laquelle il s’appuya de tout son poids tandis que Ketty poussait les verrous.

Alors Milady essaya de renverser l’arc-boutant qui l’enfermait dans sa chambre, avec des forces bien au-dessus de celles d’une femme ; puis, lorsqu’elle sentit que c’était chose impossible, elle cribla la porte de coups de poignard, dont quelques-uns traversèrent l’épaisseur du bois.

Chaque coup était accompagné d’une imprécation terrible.

«Vite, vite, Ketty, dit d’Artagnan à demi-voix lorsque les verrous furent mis, fais-moi sortir de l’hôtel, ou si nous lui laissons le temps de se retourner, elle me fera tuer par les laquais.

– Mais vous ne pouvez pas sortir ainsi, dit Ketty, vous êtes tout nu.

– C’est vrai, dit d’Artagnan, qui s’aperçut alors seulement du costume dans lequel il se trouvait, c’est vrai ; habille-moi comme tu pourras, mais hâtons-nous ; comprends-tu, il y va de la vie et de la mort !»

Ketty ne comprenait que trop ; en un tour de main elle l’affubla d’une robe à fleurs, d’une large coiffe et d’un mantelet ; elle lui donna des pantoufles, dans lesquelles il passa ses pieds nus, puis elle l’entraîna par les degrés. Il était temps, Milady avait déjà sonné et réveillé tout l’hôtel. Le portier tira le cordon à la voix de Ketty au moment même où Milady, à demi nue de son côté, criait par la fenêtre :

«N’ouvrez pas !»

 CHAPITRE XXXVIII. COMMENT, SANS SE DÉRANGER, ATHOS TROUVA SON ÉQUIPEMENT

Le jeune homme s’enfuit tandis qu’elle le menaçait encore d’un geste impuissant. Au moment où elle le perdit de vue, Milady tomba évanouie dans sa chambre.

D’Artagnan était tellement bouleversé, que, sans s’inquiéter de ce que deviendrait Ketty, il traversa la moitié de Paris tout en courant, et ne s’arrêta que devant la porte d’Athos. L’égarement de son esprit, la terreur qui l’éperonnait, les cris de quelques patrouilles qui se mirent à sa poursuite, et les huées de quelques passants qui, malgré l’heure peu avancée, se rendaient à leurs affaires, ne firent que précipiter sa course.

Il traversa la cour, monta les deux étages d’Athos et frappa à la porte à tout rompre.

Grimaud vint ouvrir les yeux bouffis de sommeil. D’Artagnan s’élança avec tant de force dans l’antichambre qu’il faillit le culbuter en entrant.

Malgré le mutisme habituel du pauvre garçon, cette fois la parole lui revint.

«Hé, là, là ! s’écria-t-il, que voulez-vous, coureuse ? que demandez-vous, drôlesse ?»

D’Artagnan releva ses coiffes et dégagea ses mains de dessous son mantelet ; à la vue de ses moustaches et de son épée nue, le pauvre diable s’aperçut qu’il avait affaire à un homme.

Il crut alors que c’était quelque assassin.

«Au secours ! à l’aide ! au secours ! s’écria-t-il.

– Tais-toi, malheureux ! dit le jeune homme, je suis d’Artagnan, ne me reconnais-tu pas ? Où est ton maître ?

– Vous, monsieur d’Artagnan ! s’écria Grimaud épouvanté. Impossible.

– Grimaud, dit Athos sortant de son appartement en robe de chambre, je crois que vous vous permettez de parler.

– Ah ! monsieur ! c’est que…

– Silence.»

Grimaud se contenta de montrer du doigt d’Artagnan à son maître.

Athos reconnut son camarade, et, tout flegmatique qu’il était, il partit d’un éclat de rire que motivait bien la mascarade étrange qu’il avait sous les yeux : coiffes de travers, jupes tombantes sur les souliers ; manches retroussées et moustaches raides d’émotion.

«Ne riez pas, mon ami, s’écria d’Artagnan ; de par le Ciel ne riez pas, car, sur mon âme, je vous le dis, il n’y a point de quoi rire.»

Et il prononça ces mots d’un air si solennel et avec une épouvante si vraie qu’Athos lui prit aussitôt les mains en s’écriant :

«Seriez-vous blessé, mon ami ? vous êtes bien pâle !

– Non, mais il vient de m’arriver un terrible événement. Êtes-vous seul, Athos ?

– Pardieu ! qui voulez-vous donc qui soit chez moi à cette heure ?

– Bien, bien.»

Et d’Artagnan se précipita dans la chambre d’Athos.

«Hé, parlez ! dit celui-ci en refermant la porte et en poussant les verrous pour n’être pas dérangés. Le roi est-il mort ? avez-vous tué M. le cardinal ? vous êtes tout renversé ; voyons, voyons, dites, car je meurs véritablement d’inquiétude.

– Athos, dit d’Artagnan se débarrassant de ses vêtements de femme et apparaissant en chemise, préparez-vous à entendre une histoire incroyable, inouïe.

– Prenez d’abord cette robe de chambre», dit le mousquetaire à son ami.

D’Artagnan passa la robe de chambre, prenant une manche pour une autre tant il était encore ému.

«Eh bien ? dit Athos.

– Eh bien, répondit d’Artagnan en se courbant vers l’oreille d’Athos et en baissant la voix, Milady est marquée d’une fleur de lis à l’épaule.

– Ah ! cria le mousquetaire comme s’il eût reçu une balle dans le coeur.

– Voyons, dit d’Artagnan, êtes-vous sûr que l’autre soit bien morte ?

– L’autre ? dit Athos d’une voix si sourde, qu’à peine si d’Artagnan l’entendit.

– Oui, celle dont vous m’avez parlé un jour à Amiens.»

Athos poussa un gémissement et laissa tomber sa tête dans ses mains.

«Celle-ci, continua d’Artagnan, est une femme de vingt-six à vingt-huit ans.

– Blonde, dit Athos, n’est-ce pas ?

– Oui.

– Des yeux clairs, d’une clarté étrange, avec des cils et sourcils noirs ?

– Oui.

– Grande, bien faite ? Il lui manque une dent près de l’oeillère gauche.

– Oui.

– La fleur de lis est petite, rousse de couleur et comme effacée par les couches de pâte qu’on y applique.

– Oui.

– Cependant vous dites qu’elle est anglaise !

– On l’appelle Milady, mais elle peut être française. Malgré cela, Lord de Winter n’est que son beau-frère.

– Je veux la voir, d’Artagnan.

– Prenez garde, Athos, prenez garde ; vous avez voulu la tuer, elle est femme à vous rendre la pareille et à ne pas vous manquer.

– Elle n’osera rien dire, car ce serait se dénoncer elle-même.

– Elle est capable de tout ! L’avez-vous jamais vue furieuse ?

– Non, dit Athos.

– Une tigresse, une panthère ! Ah ! mon cher Athos ! j’ai bien peur d’avoir attiré sur nous deux une vengeance terrible !»

D’Artagnan raconta tout alors : la colère insensée de Milady et ses menaces de mort.

«Vous avez raison, et, sur mon âme, je donnerais ma vie pour un cheveu, dit Athos. Heureusement, c’est après-demain que nous quittons Paris ; nous allons, selon toute probabilité, à La Rochelle, et une fois partis…

– Elle vous suivra jusqu’au bout du monde, Athos, si elle vous reconnaît ; laissez donc sa haine s’exercer sur moi seul.

– Ah ! mon cher ! que m’importe qu’elle me tue ! dit Athos ; est-ce que par hasard vous croyez que je tiens à la vie ?

– Il y a quelque horrible mystère sous tout cela, Athos ! cette femme est l’espion du cardinal, j’en suis sûr !

– En ce cas, prenez garde à vous. Si le cardinal ne vous a pas dans une haute admiration pour l’affaire de Londres, il vous a en grande haine ; mais comme, au bout du compte, il ne peut rien vous reprocher ostensiblement, et qu’il faut que haine se satisfasse, surtout quand c’est une haine de cardinal, prenez garde à vous ! Si vous sortez, ne sortez pas seul ; si vous mangez, prenez vos précautions : méfiez-vous de tout enfin, même de votre ombre.

– Heureusement, dit d’Artagnan, qu’il s’agit seulement d’aller jusqu’à après-demain soir sans encombre, car une fois à l’armée nous n’aurons plus, je l’espère, que des hommes à craindre.

– En attendant, dit Athos, je renonce à mes projets de réclusion, et je vais partout avec vous : il faut que vous retourniez rue des Fossoyeurs, je vous accompagne.

– Mais si près que ce soit d’ici, reprit d’Artagnan, je ne puis y retourner comme cela.

– C’est juste», dit Athos. Et il tira la sonnette.

Grimaud entra.

Athos lui fit signe d’aller chez d’Artagnan, et d’en rapporter des habits.

Grimaud répondit par un autre signe qu’il comprenait parfaitement et partit.

«Ah çà ! mais voilà qui ne nous avance pas pour l’équipement cher ami, dit Athos ; car, si je ne m’abuse, vous avez laissé toute votre défroque chez Milady, qui n’aura sans doute pas l’attention de vous la retourner. Heureusement que vous avez le saphir.

– Le saphir est à vous, mon cher Athos ! ne m’avez-vous pas dit que c’était une bague de famille ?

– Oui, mon père l’acheta deux mille écus, à ce qu’il me dit autrefois ; il faisait partie des cadeaux de noces qu’il fit à ma mère ; et il est magnifique. Ma mère me le donna, et moi, fou que j’étais, plutôt que de garder cette bague comme une relique sainte, je la donnai à mon tour à cette misérable.

– Alors, mon cher, reprenez cette bague, à laquelle je comprends que vous devez tenir.

– Moi, reprendre cette bague, après qu’elle a passé par les mains de l’infâme ! jamais : cette bague est souillée, d’Artagnan.

– Vendez-la donc.

– Vendre un diamant qui vient de ma mère ! je vous avoue que je regarderais cela comme une profanation.

– Alors engagez-la, on vous prêtera bien dessus un millier d’écus. Avec cette somme vous serez au-dessus de vos affaires, puis, au premier argent qui vous rentrera, vous la dégagerez, et vous la reprendrez lavée de ses anciennes taches, car elle aura passé par les mains des usuriers.»

Athos sourit.

«Vous êtes un charmant compagnon, dit-il, mon cher d’Artagnan ; vous relevez par votre éternelle gaieté les pauvres esprits dans l’affliction. Eh bien, oui, engageons cette bague, mais à une condition !

– Laquelle ?

– C’est qu’il y aura cinq cents écus pour vous et cinq cents écus pour moi.

– Y songez-vous, Athos ? je n’ai pas besoin du quart de cette somme, moi qui suis dans les gardes, et en vendant ma selle je me la procurerai. Que me faut-il ? Un cheval pour Planchet, voilà tout. Puis vous oubliez que j’ai une bague aussi.

– À laquelle vous tenez encore plus, ce me semble, que je ne tiens, moi, à la mienne ; du moins j’ai cru m’en apercevoir.

– Oui, car dans une circonstance extrême elle peut nous tirer non seulement de quelque grand embarras mais encore de quelque grand danger ; c’est non seulement un diamant précieux, mais c’est encore un talisman enchanté.

 

Je ne vous comprends pas, mais je crois à ce que vous me dites. Revenons donc à ma bague, ou plutôt à la vôtre, vous toucherez la moitié de la somme qu’on nous donnera sur elle ou je la jette dans la Seine, et je doute que, comme à Polycrate, quelque poisson soit assez complaisant pour nous la rapporter.

– Eh bien, donc, j’accepte !» dit d’Artagnan.

En ce moment Grimaud rentra accompagné de Planchet ; celui-ci, inquiet de son maître et curieux de savoir ce qui lui était arrivé, avait profité de la circonstance et apportait les habits lui-même.

D’Artagnan s’habilla, Athos en fit autant : puis quand tous deux furent prêts à sortir, ce dernier fit à Grimaud le signe d’un homme qui met en joue ; celui-ci décrocha aussitôt son mousqueton et s’apprêta à accompagner son maître.

Athos et d’Artagnan suivis de leurs valets arrivèrent sans incident à la rue des Fossoyeurs. Bonacieux était sur la porte, il regarda d’Artagnan d’un air goguenard.

«Eh, mon cher locataire ! dit-il, hâtez-vous donc, vous avez une belle jeune fille qui vous attend chez vous, et les femmes, vous le savez, n’aiment pas qu’on les fasse attendre !

– C’est Ketty !» s’écria d’Artagnan.

Et il s’élança dans l’allée.

Effectivement, sur le carré conduisant à sa chambre, et tapie contre sa porte, il trouva la pauvre enfant toute tremblante. Dès qu’elle l’aperçut :

«Vous m’avez promis votre protection, vous m’avez promis de me sauver de sa colère, dit-elle ; souvenez-vous que c’est vous qui m’avez perdue !

– Oui, sans doute, dit d’Artagnan, sois tranquille, Ketty. Mais qu’est-il arrivé après mon départ ?

– Le sais-je ? dit Ketty. Aux cris qu’elle a poussés les laquais sont accourus elle était folle de colère ; tout ce qu’il existe d’imprécations elle les a vomies contre vous. Alors j’ai pensé qu’elle se rappellerait que c’était par ma chambre que vous aviez pénétré dans la sienne, et qu’alors elle songerait que j’étais votre complice ; j’ai pris le peu d’argent que j’avais, mes hardes les plus précieuses, et je me suis sauvée.

– Pauvre enfant ! Mais que vais-je faire de toi ? Je pars après-demain.

– Tout ce que vous voudrez, Monsieur le chevalier, faites-moi quitter Paris, faites-moi quitter la France.

– Je ne puis cependant pas t’emmener avec moi au siège de La Rochelle, dit d’Artagnan.

– Non ; mais vous pouvez me placer en province, chez quelque dame de votre connaissance : dans votre pays, par exemple.

– Ah ! ma chère amie ! dans mon pays les dames n’ont point de femmes de chambre. Mais, attends, j’ai ton affaire. Planchet, va me chercher Aramis : qu’il vienne tout de suite. Nous avons quelque chose de très important à lui dire.

– Je comprends, dit Athos ; mais pourquoi pas Porthos ? Il me semble que sa marquise…

– La marquise de Porthos se fait habiller par les clercs de son mari, dit d’Artagnan en riant. D’ailleurs Ketty ne voudrait pas demeurer rue aux Ours, n’est-ce pas, Ketty ?

– Je demeurerai où l’on voudra, dit Ketty, pourvu que je sois bien cachée et que l’on ne sache pas où je suis.

– Maintenant, Ketty, que nous allons nous séparer, et par conséquent que tu n’es plus jalouse de moi…

– Monsieur le chevalier, de loin ou de près, dit Ketty, je vous aimerai toujours.»

«Où diable la constance va-t-elle se nicher ?» murmura Athos.

«Moi aussi, dit d’Artagnan, moi aussi, je t’aimerai toujours, sois tranquille. Mais voyons, réponds-moi. Maintenant j’attache une grande importance à la question que je te fais : n’aurais-tu jamais entendu parler d’une jeune dame qu’on aurait enlevée pendant une nuit.

– Attendez donc… Oh ! mon Dieu ! monsieur le chevalier, est-ce que vous aimez encore cette femme ?

– Non, c’est un de mes amis qui l’aime. Tiens, c’est Athos que voilà.

– Moi ! s’écria Athos avec un accent pareil à celui d’un homme qui s’aperçoit qu’il va marcher sur une couleuvre.

– Sans doute, vous ! fit d’Artagnan en serrant la main d’Athos. Vous savez bien l’intérêt que nous prenons tous à cette pauvre petite Mme Bonacieux. D’ailleurs Ketty ne dira rien : n’est-ce pas, Ketty ? Tu comprends, mon enfant, continua d’Artagnan, c’est la femme de cet affreux magot que tu as vu sur le pas de la porte en entrant ici.

– Oh ! mon Dieu ! s’écria Ketty, vous me rappelez ma peur ; pourvu qu’il ne m’ait pas reconnue !

– Comment, reconnue ! tu as donc déjà vu cet homme ?

– Il est venu deux fois chez Milady.

– C’est cela. Vers quelle époque ?

– Mais il y a quinze ou dix-huit jours à peu près.

– Justement.

– Et hier soir il est revenu.

– Hier soir.

– Oui, un instant avant que vous vinssiez vous-même.

– Mon cher Athos, nous sommes enveloppés dans un réseau d’espions ! Et tu crois qu’il t’a reconnue, Ketty ?

– J’ai baissé ma coiffe en l’apercevant, mais peut-être était-il trop tard.

– Descendez, Athos, vous dont il se méfie moins que de moi, et voyez s’il est toujours sur sa porte.»

Athos descendit et remonta bientôt.

«Il est parti, dit-il, et la maison est fermée.

– Il est allé faire son rapport, et dire que tous les pigeons sont en ce moment au colombier.

– Eh bien, mais, envolons-nous, dit Athos, et ne laissons ici que Planchet pour nous rapporter les nouvelles.

– Un instant ! Et Aramis que nous avons envoyé chercher !

– C’est juste, dit Athos, attendons Aramis.

En ce moment Aramis entra.

On lui exposa l’affaire, et on lui dit comment il était urgent que parmi toutes ses hautes connaissances il trouvât une place à Ketty.

Aramis réfléchit un instant, et dit en rougissant :

«Cela vous rendra-t-il bien réellement service, d’Artagnan.

– Je vous en serai reconnaissant toute ma vie.

– Eh bien, Mme de Bois-Tracy m’a demandé, pour une de ses amies qui habite la province, je crois, une femme de chambre sûre ; et si vous pouvez, mon cher d’Artagnan, me répondre de mademoiselle…

– Oh ! monsieur, s’écria Ketty, je serai toute dévouée, soyez-en certain, à la personne qui me donnera les moyens de quitter Paris.

– Alors, dit Aramis, cela va pour le mieux.»

Il se mit à une table et écrivit un petit mot qu’il cacheta avec une bague, et donna le billet à Ketty.

«Maintenant, mon enfant, dit d’Artagnan, tu sais qu’il ne fait pas meilleur ici pour nous que pour toi. Ainsi séparons-nous. Nous nous retrouverons dans des jours meilleurs.

– Et dans quelque temps que nous nous retrouvions et dans quelque lieu que ce soit, dit Ketty, vous me retrouverez vous aimant encore comme je vous aime aujourd’hui.»

«Serment de joueur», dit Athos pendant que d’Artagnan allait reconduire Ketty sur l’escalier.

Un instant après, les trois jeunes gens se séparèrent en prenant rendez-vous à quatre heures chez Athos et en laissant Planchet pour garder la maison.

Aramis rentra chez lui, et Athos et d’Artagnan s’inquiétèrent du placement du saphir.

Comme l’avait prévu notre Gascon, on trouva facilement trois cents pistoles sur la bague. De plus, le juif annonça que si on voulait la lui vendre, comme elle lui ferait un pendant magnifique pour des boucles d’oreilles, il en donnerait jusqu’à cinq cents pistoles.

Athos et d’Artagnan, avec l’activité de deux soldats et la science de deux connaisseurs, mirent trois heures à peine à acheter tout l’équipement du mousquetaire. D’ailleurs Athos était de bonne composition et grand seigneur jusqu’au bout des ongles. Chaque fois qu’une chose lui convenait, il payait le prix demandé sans essayer même d’en rabattre. D’Artagnan voulait bien là-dessus faire ses observations, mais Athos lui posait la main sur l’épaule en souriant, et d’Artagnan comprenait que c’était bon pour lui, petit gentilhomme gascon, de marchander, mais non pour un homme qui avait les airs d’un prince.

Le mousquetaire trouva un superbe cheval andalou, noir comme du jais, aux narines de feu, aux jambes fines et élégantes, qui prenait six ans. Il l’examina et le trouva sans défaut. On le lui fit mille livres.

Peut-être l’eût-il eu pour moins ; mais tandis que d’Artagnan discutait sur le prix avec le maquignon, Athos comptait les cent pistoles sur la table.

Grimaud eut un cheval picard, trapu et fort, qui coûta trois cents livres.

Mais la selle de ce dernier cheval et les armes de Grimaud achetées, il ne restait plus un sou des cent cinquante pistoles d’Athos. D’Artagnan offrit à son ami de mordre une bouchée dans la part qui lui revenait, quitte à lui rendre plus tard ce qu’il lui aurait emprunté.

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