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LVI. Comment d'Artagnan et Porthos gagnèrent, l'un deux cent dix- neuf, et l'autre deux cent quinze louis, à vendre de la paille

Mazarin voulait partir à l'instant même pour Saint-Germain, mais la reine déclara qu'elle attendrait les personnes auxquelles elle avait donné rendez-vous. Seulement, elle offrit au cardinal la place de Laporte. Le cardinal accepta et passa d'une voiture dans l'autre.

Ce n'était pas sans raison que le bruit s'était répandu que le roi devait quitter Paris dans la nuit: dix ou douze personnes étaient dans le secret de cette fuite depuis six heures du soir, et, si discrètes qu'elles eussent été, elles n'avaient pu donner leurs ordres de départ sans que la chose transpirât quelque peu. D'ailleurs, chacune de ces personnes en avait une ou deux autres auxquelles elle s'intéressait; et comme on ne doutait point que la reine ne quittât Paris avec de terribles projets de vengeance, chacun avait averti ses amis ou ses parents; de sorte que la rumeur de ce départ courut comme une traînée de poudre par les rues de la ville.

Le premier carrosse qui arriva après celui de la reine fut le carrosse de M. le Prince; il contenait M. de Condé, madame la princesse et madame la princesse douairière. Toutes deux avaient été réveillées au milieu de la nuit et ne savaient pas de quoi il était question.

Le second contenait M. le duc d'Orléans, madame la duchesse, la grande Mademoiselle et l'abbé de La Rivière, favori inséparable et conseiller intime du prince.

Le troisième contenait M. de Longueville et M. le prince de Conti, frère et beau-frère de M. le Prince. Ils mirent pied à terre, s'approchèrent du carrosse du roi et de la reine, et présentèrent leurs hommages à Sa Majesté.

La reine plongea son regard jusqu'au fond du carrosse, dont la portière était restée ouverte, et vit qu'il était vide.

– Mais où est donc madame de Longueville? dit-elle.

– En effet, où est donc ma soeur? demanda M. le Prince.

– Madame de Longueville est souffrante, madame, répondit le duc, et elle m'a chargé de l'excuser près de Votre Majesté.

Anne lança un coup d'oeil rapide à Mazarin, qui répondit par un signe imperceptible de tête.

– Qu'en dites-vous? demanda la reine.

– Je dis que c'est un otage pour les Parisiens, répondit le cardinal.

– Pourquoi n'est-elle pas venue? demanda tout bas M. le Prince à son frère.

– Silence! répondit celui-ci; sans doute elle a ses raisons.

– Elle nous perd, murmura le prince.

– Elle nous sauve, dit Conti.

Les voitures arrivaient en foule. Le maréchal de La Meilleraie, le maréchal de Villeroy, Guitaut, Villequier, Comminges, vinrent à la file; les deux mousquetaires arrivèrent à leur tour, tenant les chevaux de d'Artagnan et de Porthos en main. D'Artagnan et Porthos se mirent en selle. Le cocher de Porthos remplaça d'Artagnan sur le siège du carrosse royal, Mousqueton remplaça le cocher, conduisant debout, pour raison à lui connue, et pareil à l'Automédon antique.

La reine, bien qu'occupée de mille détails, cherchait des yeux d'Artagnan, mais le Gascon s'était déjà replongé dans la foule avec sa prudence accoutumée.

– Faisons l'avant-garde, dit-il à Porthos, et ménageons-nous de bons logements à Saint-Germain, car personne ne songera à nous. Je me sens fort fatigué.

– Moi, dit Porthos, je tombe véritablement de sommeil. Dire que nous n'avons pas eu la moindre bataille. Décidément les Parisiens sont bien sots.

– Ne serait-ce pas plutôt que nous sommes bien habiles? dit d'Artagnan.

– Peut-être.

– Et votre poignet, comment va-t-il?

– Mieux; mais croyez-vous que nous les tenons cette fois-ci?

– Quoi?

– Vous, votre grade; et moi, mon titre?

– Ma foi! oui, je parierais presque. D'ailleurs, s'ils ne se souviennent pas, je les ferai souvenir.

– On entend la voix de la reine, dit Porthos. Je crois qu'elle demande à monter à cheval.

– Oh! elle le voudrait bien, elle; mais…

– Mais quoi?

– Mais le cardinal ne veut pas, lui. Messieurs, continua d'Artagnan s'adressant aux deux mousquetaires, accompagnez le carrosse de la reine, et ne quittez pas les portières. Nous allons faire préparer les logis.

Et d'Artagnan piqua vers Saint-Germain accompagné de Porthos.

– Partons, messieurs! dit la reine.

Et le carrosse royal se mit en route, suivi de tous les autres carrosses et de plus de cinquante cavaliers.

On arriva à Saint-Germain sans accident; en descendant du marchepied, la reine trouva M. le Prince qui attendait debout et découvert pour lui offrir la main.

– Quel réveil pour les Parisiens! dit Anne d'Autriche radieuse.

– C'est la guerre, dit le prince.

– Eh bien! la guerre, soit. N'avons-nous pas avec nous le vainqueur de Rocroy, de Nordlingen et de Lens?

Le prince s'inclina en signe de remerciement.

Il était trois heures du matin. La reine entra la première dans le château; tout le monde la suivit: deux cents personnes à peu près l'avaient accompagnée dans sa fuite.

– Messieurs, dit la reine en riant, logez-vous dans le château, il est vaste et la place ne vous manquera point; mais, comme on ne comptait pas y venir, on me prévient qu'il n'y a en tout que trois lits, un pour le roi, un pour moi…

– Et un pour Mazarin, dit tout bas M. le Prince.

– Et moi, je coucherai donc sur le plancher? dit Gaston d'Orléans avec un sourire très inquiet…

– Non, Monseigneur, dit Mazarin, car le troisième lit est destiné à Votre Altesse.

– Mais vous? demanda le prince.

– Moi, je ne me coucherai pas, dit Mazarin, j'ai à travailler.

Gaston se fit indiquer la chambre où était le lit, sans s'inquiéter de quelle façon se logeraient sa femme et sa fille.

– Eh bien, moi, je me coucherai, dit d'Artagnan. Venez avec moi,

Porthos.

Porthos suivit d'Artagnan avec cette profonde confiance qu'il avait dans l'intellect de son ami.

Ils marchaient l'un à côté de l'autre sur la place du château, Porthos regardant avec des yeux ébahis d'Artagnan, qui calculait sur ses doigts.

– Quatre cents à une pistole la pièce, quatre cents pistoles.

– Oui, disait Porthos, quatre cents pistoles; mais qu'est-ce qui fait quatre cents pistoles?

– Une pistole n'est pas assez, continua d'Artagnan; cela vaut un louis.

– Qu'est-ce qui vaut un louis?

– Quatre cents, à un louis, font quatre cents louis.

– Quatre cents? dit Porthos.

– Oui, ils sont deux cents; et il en faut au moins deux par personne. À deux par personne, cela fait quatre cents.

– Mais quatre cents quoi?

– Écoutez, dit d'Artagnan.

Et comme il y avait là toutes sortes de gens qui regardaient dans l'ébahissement l'arrivée de la cour, il acheva sa phrase tout bas à l'oreille de Porthos.

– Je comprends, dit Porthos, je comprends à merveille, par ma foi! Deux cents louis chacun, c'est joli; mais que dira-t-on?

– On dira ce qu'on voudra; d'ailleurs saura-t-on que c'est nous?

– Mais qui se chargera de la distribution?

– Mousqueton n'est-il pas là?

– Et ma livrée! dit Porthos, on reconnaîtra ma livrée.

– Il retournera son habit.

– Vous avez toujours raison, mon cher, s'écria Porthos, mais où diable puisez-vous donc toutes les idées que vous avez?

D'Artagnan sourit.

Les deux amis prirent la première rue qu'ils rencontrèrent; Porthos frappa à la porte de la maison de droite, tandis que d'Artagnan frappait à la porte de la maison de gauche.

– De la paille! dirent-ils.

– Monsieur, nous n'en avons pas, répondirent les gens qui vinrent ouvrir, mais adressez-vous au marchand de fourrages.

– Et où est-il, le marchand de fourrages?

– La dernière grand'porte de la rue.

– À droite ou à gauche?

– À gauche.

– Et y a-t-il encore à Saint-Germain d'autres gens chez lesquels on en pourrait trouver?

– Il y a l'aubergiste du Mouton-Couronné, et Gros-Louis le fermier.

– Où demeurent-ils?

– Rue des Ursulines.

– Tous deux?

– Oui.

– Très bien.

Les deux amis se firent indiquer la seconde et la troisième adresse aussi exactement qu'ils s'étaient fait indiquer la première; puis d'Artagnan se rendit chez le marchand de fourrages et traita avec lui de cent cinquante bottes de paille qu'il possédait, moyennant la somme de trois pistoles. Il se rendit ensuite chez l'aubergiste, où il trouva Porthos qui venait de traiter de deux cents bottes pour une somme à peu près pareille. Enfin le fermier Louis en mit cent quatre-vingts à leur disposition. Cela faisait un total de quatre cent trente.

Saint-Germain n'en avait pas davantage.

Toute cette rafle ne leur prit pas plus d'une demi-heure. Mousqueton, dûment éduqué, fut mis à la tête de ce commerce improvisé. On lui recommanda de ne pas laisser sortir de ses mains un fétu de paille au-dessous d'un louis la botte; on lui en confiait pour quatre cent trente louis.

Mousqueton secouait la tête et ne comprenait rien à la spéculation des deux amis.

D'Artagnan, portant trois bottes de paille, s'en retourna au château, où chacun, grelottant de froid et tombant de sommeil, regardait envieusement le roi, la reine et Monsieur sur leurs lits de camp.

L'entrée de d'Artagnan dans la grande salle produisit un éclat de rire universel; mais d'Artagnan n'eut pas même l'air de s'apercevoir qu'il était l'objet de l'attention générale et se mit à disposer avec tant d'habileté, d'adresse et de gaieté sa couche de paille que l'eau en venait à la bouche à tous ces pauvres endormis qui ne pouvaient dormir.

– De la paille! s'écrièrent-ils, de la paille! où trouve-t-on de la paille?

– Je vais vous conduire, dit Porthos.

Et il conduisit les amateurs à Mousqueton, qui distribuait généreusement les bottes à un louis la pièce. On trouva bien que c'était un peu cher; mais quand on a bien envie de dormir, qui est-ce qui ne paierait pas deux ou trois louis quelques heures de bon sommeil?

 

D'Artagnan cédait à chacun son lit, qu'il recommença dix fois de suite; et comme il était censé avoir payé comme les autres sa botte de paille un louis, il empocha ainsi une trentaine de louis en moins d'une demi-heure. À cinq heures du matin, la paille valait quatre-vingts livres la botte, et encore n'en trouvait-on plus.

D'Artagnan avait eu le soin d'en mettre quatre bottes de côté pour lui. Il prit dans sa poche la clef du cabinet où il les avait cachées, et, accompagné de Porthos, s'en retourna compter avec Mousqueton, qui, naïvement et comme un digne intendant qu'il était, leur remit quatre cent trente louis et garda encore cent louis pour lui.

Mousqueton, qui ne savait rien de ce qui s'était passé au château, ne comprenait pas comment l'idée de vendre de la paille ne lui était pas venue plus tôt.

D'Artagnan mit l'or dans son chapeau, et tout en revenant fit son compte avec Porthos. Il leur revenait à chacun deux cent quinze louis.

Porthos alors seulement s'aperçut qu'il n'avait pas de paille pour son compte, il retourna auprès de Mousqueton; mais Mousqueton avait vendu jusqu'à son dernier fétu, ne gardant rien pour lui- même.

Il revint alors trouver d'Artagnan, lequel, grâce à ses quatre bottes de paille, était en train de confectionner, et en le savourant d'avance avec délices, un lit si moelleux, si bien rembourré à la tête, si bien couvert au pied, que ce lit eût fait envie au roi lui-même, si le roi n'eût si bien dormi dans le sien.

D'Artagnan, à aucun prix, ne voulut déranger son lit pour Porthos; mais moyennant quatre louis que celui-ci lui compta, il consentit à ce que Porthos couchât avec lui.

Il rangea son épée à son chevet, posa ses pistolets à son côté, étendit son manteau à ses pieds, plaça son feutre sur son manteau, et s'étendit voluptueusement sur la paille qui craquait. Déjà il caressait les doux rêves qu'engendre la possession de deux cent dix-neuf louis gagnés en un quart d'heure, quand une voix retentit à la porte de la salle et le fit bondir.

– Monsieur d'Artagnan! criait-elle, monsieur d'Artagnan!

– Ici, dit Porthos, ici!

Porthos comprenait que si d'Artagnan s'en allait, le lit lui resterait à lui tout seul.

Un officier s'approcha.

D'Artagnan se souleva sur son coude.

– C'est vous qui êtes monsieur d'Artagnan? dit-il.

– Oui, monsieur; que me voulez-vous?

– Je viens vous chercher.

– De quelle part?

– De la part de Son Éminence.

– Dites à Monseigneur que je vais dormir et que je lui conseille en ami d'en faire autant.

– Son Éminence ne s'est pas couchée et ne se couchera pas, et elle vous demande à l'instant même.

– La peste étouffe le Mazarin, qui ne sait pas dormir à propos! murmura d'Artagnan. Que me veut-il? Est-ce pour me faire capitaine? En ce cas je lui pardonne.

Et le mousquetaire se leva tout en grommelant, prit son épée, son chapeau, ses pistolets et son manteau, puis suivit l'officier, tandis que Porthos, resté seul unique possesseur du lit, essayait d'imiter les belles dispositions de son ami.

– Monsou d'Artagnan, dit le cardinal en apercevant celui qu'il venait d'envoyer chercher si mal à propos, je n'ai point oublié avec quel zèle vous m'avez servi, et je vais vous en donner une preuve.

– Bon! pensa d'Artagnan, cela s'annonce bien.

Mazarin regardait le mousquetaire et vit sa figure s'épanouir.

– Ah! Monseigneur…

– Monsieur d'Artagnan, dit-il, avez-vous bien envie d'être capitaine?

– Oui, Monseigneur.

– Et votre ami désire-t-il toujours être baron?

– En ce moment-ci, Monseigneur, il rêve qu'il l'est!

– Alors, dit Mazarin, tirant d'un portefeuille la lettre qu'il avait déjà montrée à d'Artagnan, prenez cette dépêche et portez-la en Angleterre.

D'Artagnan regarda l'enveloppe: il n'y avait point d'adresse.

– Ne puis-je savoir à qui je dois la remettre?

– En arrivant à Londres, vous le saurez; à Londres seulement vous déchirerez la double enveloppe.

– Et quelles sont mes instructions?

– D'obéir en tout point à celui à qui cette lettre est adressée.

D'Artagnan allait faire de nouvelles questions, lorsque Mazarin ajouta:

– Vous partez pour Boulogne; vous trouverez, aux Armes d'Angleterre, un jeune gentilhomme nommé M. Mordaunt.

– Oui, Monseigneur, et que dois-je faire de ce gentilhomme?

– Le suivre jusqu'où il vous mènera.

D'Artagnan regarda le cardinal d'un air stupéfait.

– Vous voilà renseigné, dit Mazarin; allez!

– Allez! c'est bien facile à dire, reprit d'Artagnan; mais pour aller il faut de l'argent et je n'en ai pas.

– Ah! dit Mazarin en se grattant l'oreille, vous dites que vous n'avez pas d'argent?

– Non, Monseigneur.

– Mais ce diamant que je vous donnai hier soir?

– Je désire le conserver comme un souvenir de votre Éminence.

Mazarin soupira.

– Il fait cher vivre en Angleterre, Monseigneur, et surtout comme envoyé extraordinaire.

– Hein! fit Mazarin, c'est un pays fort sobre et qui vit de simplicité depuis la révolution; mais n'importe.

Il ouvrit un tiroir et prit une bourse.

– Que dites-vous de ces mille écus?

D'Artagnan avança la lèvre inférieure d'une façon démesurée.

– Je dis, Monseigneur, que c'est peu, car je ne partirai certainement pas seul.

– J'y compte bien, répondit Mazarin, M. du Vallon vous accompagnera, le digne gentilhomme; car, après vous, mon cher monsou d'Artagnan, c'est bien certainement l'homme de France que j'aime et estime le plus.

– Alors, Monseigneur, dit d'Artagnan en montrant la bourse que Mazarin n'avait point lâchée; alors, si vous l'aimez et l'estimez tant, vous comprenez…

– Soit! à sa considération, j'ajouterai deux cents écus.

– Ladre! murmura d'Artagnan… Mais à notre retour, au moins, ajouta-t-il tout haut, nous pourrons compter, n'est-ce pas, M. Porthos sur sa baronnie et moi sur mon grade?

– Foi de Mazarin!

– J'aimerais mieux un autre serment, se dit tout bas d'Artagnan; puis tout haut: Ne puis-je, dit-il, présenter mes respects à Sa Majesté la reine?

– Sa Majesté dort, répondit vivement Mazarin, et il faut que vous partiez sans délai; allez donc, monsieur.

– Encore un mot, Monseigneur: si on se bat où je vais, me battrai-je?

– Vous ferez ce que vous ordonnera la personne à laquelle je vous adresse.

– C'est bien, Monseigneur, dit d'Artagnan en allongeant la main pour recevoir le sac, et je vous présente tous mes respects.

D'Artagnan mit lentement le sac dans sa large poche et, se retournant vers l'officier:

– Monsieur, lui dit-il, voulez-vous bien aller réveiller à son tour M. du Vallon de la part de Son Éminence et lui dire que je l'attends aux écuries?

L'officier partit aussitôt avec un empressement qui parut à d'Artagnan avoir quelque chose d'intéressé.

Porthos venait de s'étendre à son tour dans son lit, et il commençait à ronfler harmonieusement, selon son habitude, lorsqu'il sentit qu'on fui frappait sur l'épaule.

Il crut que c'était d'Artagnan et ne bougea point.

– De la part du cardinal, dit l'officier.

– Hein! dit Porthos en ouvrant de grands yeux, que dites-vous?

– Je dis que Son Éminence vous envoie en Angleterre, et que

M. d'Artagnan vous attend aux écuries.

Porthos poussa un profond soupir, se leva, prit son feutre, ses pistolets, son épée et son manteau, et sortit en jetant un regard de regret sur le lit dans lequel il s'était promis de si bien dormir.

À peine avait-il tourné le dos que l'officier y était installé, et il n'avait point passé le seuil de la porte que son successeur, à son tour, ronflait à tout rompre. C'était bien naturel, il était seul dans toute cette assemblée, avec le roi, la reine et Monseigneur Gaston d'Orléans, qui dormît gratis.

LVII. On a des nouvelles d'Aramis

D'Artagnan s'était rendu droit aux écuries. Le jour venait de paraître; il reconnut son cheval et celui de Porthos attachés au râtelier, mais au râtelier vide. Il eut pitié de ces pauvres animaux, et s'achemina vers un coin de l'écurie où il voyait reluire un peu de paille échappée sans doute à la razzia de la nuit; mais en rassemblant cette paille avec le pied, le bout de sa botte rencontra un corps rond qui, touché sans doute à un endroit sensible, poussa un cri et se releva sur ses genoux en se frottant les yeux. C'était Mousqueton, qui, n'ayant plus de paille pour lui-même, s'était accommodé de celle des chevaux.

– Mousqueton, dit d'Artagnan, allons, en route! en route!

Mousqueton, en reconnaissant la voix de l'ami de son maître, se leva précipitamment, et en se levant laissa choir quelques-uns des louis gagnés illégalement pendant la nuit.

– Oh! oh! dit d'Artagnan en ramassant un louis et en le flairant, voilà de l'or qui a une drôle d'odeur, il sent la paille.

Mousqueton rougit si honnêtement et parut si fort embarrassé, que le Gascon se mit à rire et lui dit:

– Porthos se mettrait en colère, mon cher monsieur Mousqueton, mais moi je vous pardonne; seulement rappelons-nous que cet or doit nous servir de topique pour notre blessure, et soyons gai, allons!

Mousqueton prit à l'instant même une figure des plus hilares, sella avec activité le cheval de son maître et monta sur le sien sans trop faire de grimace. Sur ces entrefaites, Porthos arriva avec une figure fort maussade, et fut on ne peut plus étonné de trouver d'Artagnan résigné et Mousqueton presque joyeux.

– Ah, çà, dit-il, nous avons donc, vous votre grade, et moi ma baronnie?

– Nous allons en chercher les brevets, dit d'Artagnan, et à notre retour maître Mazarini les signera.

– Et où allons-nous? demanda Porthos.

– À Paris d'abord, répondit d'Artagnan; j'y veux régler quelques affaires.

– Allons à Paris, dit Porthos.

Et tous deux partirent pour Paris.

En arrivant aux portes ils furent étonnés de voir l'attitude menaçante de la capitale. Autour d'un carrosse brisé en morceaux le peuple vociférait des imprécations, tandis que les personnes qui avaient voulu fuir étaient prisonnières, c'est-à-dire un vieillard et deux femmes.

Lorsque au contraire d'Artagnan et Porthos demandèrent l'entrée, il n'est sortes de caresses qu'on ne leur fît. On les prenait pour des déserteurs du parti royaliste, et on voulait se les attacher.

– Que fait le roi? demanda-t-on.

– Il dort.

– Et l'espagnole?

– Elle rêve.

– Et l'italien maudit?

– Il veille. Ainsi tenez-vous fermes; car s'ils sont partis, c'est bien certainement pour quelque chose. Mais comme, au bout du compte, vous êtes les plus forts, continua d'Artagnan, ne vous acharnez pas après des femmes et des vieillards, et prenez-vous-en aux causes véritables.

Le peuple entendit ces paroles avec plaisir et laissa aller les dames, qui remercièrent d'Artagnan par un éloquent regard.

– Maintenant, en avant! dit d'Artagnan.

Et ils continuèrent leur chemin, traversant les barricades, enjambant les chaînes, poussés, interrogés, interrogeant.

À la place du Palais-Royal, d'Artagnan vit un sergent qui faisait faire l'exercice à cinq ou six cents bourgeois: c'était Planchet qui utilisait au profit de la milice urbaine ses souvenirs du régiment de Piémont.

En passant devant d'Artagnan, il reconnut son ancien maître.

– Bonjour, monsieur d'Artagnan, dit Planchet d'un air fier.

– Bonjour, monsieur Dulaurier, répondit d'Artagnan.

Planchet s'arrêta court, fixant sur d'Artagnan de grands yeux ébahis; le premier rang, voyant son chef s'arrêter, s'arrêta à son tour, ainsi de suite jusqu'au dernier.

– Ces bourgeois sont affreusement ridicules, dit d'Artagnan à

Porthos.

Et il continua son chemin.

Cinq minutes après, il mettait pied à terre à l'hôtel de_ La

Chevrette._

La belle Madeleine se précipita au-devant de d'Artagnan.

– Ma chère madame Turquaine, dit d'Artagnan, si vous avez de l'argent, enfouissez-le vite, si vous avez des bijoux, cachez-les promptement, si vous avez des débiteurs, faites-vous payer; si vous avez des créanciers, ne les payez pas.

– Pourquoi cela? demanda Madeleine.

– Parce que Paris va être réduit en cendres ni plus ni moins que

Babylone, dont vous avez sans doute entendu parler.

– Et vous me quittez dans un pareil moment?

– À l'instant même, dit d'Artagnan.

– Et où allez-vous?

 

– Ah! si vous pouvez me le dire, vous me rendrez un véritable service.

– Ah! mon Dieu! mon Dieu!

– Avez-vous des lettres pour moi? demanda d'Artagnan en faisant signe de la main à son hôtesse qu'elle devait s'épargner les lamentations, attendu que les lamentations seraient superflues.

– Il y en a une qui vient justement d'arriver.

Et elle donna la lettre à d'Artagnan.

– D'Athos! s'écria d'Artagnan en reconnaissant l'écriture ferme et allongée de leur ami.

– Ah! fit Porthos, voyons un peu quelles choses il dit.

D'Artagnan ouvrit la lettre et lut:

«Cher d'Artagnan, cher du Vallon, mes bons amis, peut-être recevez-vous de mes nouvelles pour la dernière fois. Aramis et moi nous sommes bien malheureux; mais Dieu, notre courage et le souvenir de notre amitié nous soutiennent. Pensez bien à Raoul. Je vous recommande les papiers qui sont à Blois, et dans deux mois et demi, si vous n'avez pas reçu de nos nouvelles, prenez-en connaissance. Embrassez le vicomte de tout votre coeur pour votre ami dévoué,

«ATHOS.»

– Je le crois pardieu bien, que je l'embrasserai, dit d'Artagnan, avec cela qu'il est sur notre route, et s'il a le malheur de perdre notre pauvre Athos, de ce jour, il devient mon fils.

– Et moi, dit Porthos, je le fais mon légataire universel.

– Voyons, que dit encore Athos?

«Si vous rencontrez par les routes un M. Mordaunt, défiez-vous-en.

Je ne puis vous en dire davantage dans ma lettre.»

– M. Mordaunt! dit avec surprise d'Artagnan.

– M. Mordaunt, c'est bon, dit Porthos, on s'en souviendra. Mais voyez donc, il y a un post-scriptum d'Aramis.

– En effet, dit d'Artagnan.

Et il lut:

«Nous vous cachons le lieu de notre séjour, chers amis, connaissant votre dévouement fraternel, et sachant bien que vous viendriez mourir avec nous.»

– Sacrebleu! interrompit Porthos avec une explosion de colère qui fit bondir Mousqueton à l'autre bout de la chambre, sont-ils donc en danger de mort?

D'Artagnan continua:

«Athos vous lègue Raoul, et moi je vous lègue une vengeance. Si vous mettez par bonheur la main sur un certain Mordaunt, dites à Porthos de l'emmener dans un coin et de lui tordre le cou. Je n'ose vous en dire davantage dans une lettre.

«ARAMIS.»

– Si ce n'est que cela, dit Porthos, c'est facile à faire.

– Au contraire, dit d'Artagnan d'un air sombre, c'est impossible.

– Et pourquoi cela?

– C'est justement ce M. Mordaunt que nous allons rejoindre à

Boulogne et avec lequel nous passons en Angleterre.

– Eh bien! si au lieu d'aller rejoindre ce M. Mordaunt, nous allions rejoindre nos amis? dit Porthos avec un geste capable d'épouvanter une armée.

– J'y ai bien pensé, dit d'Artagnan; mais la lettre n'a ni date ni timbre.

– C'est juste, dit Porthos.

Et il se mit à errer dans la chambre comme un homme égaré, gesticulant et tirant à tout moment son épée au tiers du fourreau.

Quant à d'Artagnan, il restait debout comme un homme consterné, et la plus profonde affliction se peignait sur son visage.

– Ah! c'est mal, disait-il; Athos nous insulte; il veut mourir seul, c'est mal.

Mousqueton, voyant ces deux grands désespoirs, fondait en larmes dans son coin.

– Allons, dit d'Artagnan, tout cela ne mène à rien. Partons, allons embrasser Raoul comme nous avons dit, et peut-être aura-t- il reçu des nouvelles d'Athos.

– Tiens, c'est une idée, dit Porthos; en vérité, mon cher d'Artagnan, je ne sais pas comment vous faites, mais vous êtes plein d'idées. Allons embrasser Raoul.

– Gare à celui qui regarderait mon maître de travers en ce moment, dit Mousqueton, je ne donnerais pas un denier de sa peau.

On monta à cheval et l'on partit. En arrivant à la rue Saint-

Denis, les amis trouvèrent un grand concours de peuple. C'était

M. de Beaufort qui venait d'arriver du Vendômois et que le coadjuteur montrait aux Parisiens émerveillés et joyeux.

Avec M. de Beaufort, ils se regardaient désormais comme invincibles.

Les deux amis prirent par une petite rue pour ne pas rencontrer le prince et gagnèrent la barrière Saint-Denis.

– Est-il vrai, dirent les gardes aux deux cavaliers, que

M. de Beaufort est arrivé dans Paris?

– Rien de plus vrai, dit d'Artagnan et la preuve, c'est qu'il nous envoie au-devant de M. de Vendôme, son père, qui va arriver à son tour.

– Vive M. de Beaufort! crièrent les gardes.

Et ils s'écartèrent respectueusement pour laisser passer les envoyés du grand prince.

Une fois hors barrière, la route fut dévorée par ces gens qui ne connaissaient ni fatigue ni découragement; leurs chevaux volaient, et eux ne cessaient de parler d'Athos et d'Aramis.

Mousqueton souffrait tous les tourments imaginables, mais l'excellent serviteur se consolait en pensant que ses deux maîtres éprouvaient bien d'autres souffrances. Car il était arrivé à regarder d'Artagnan comme son second maître et lui obéissait même plus promptement et plus correctement qu'à Porthos.

Le camp était entre Saint-Omer et Lambres; les deux amis firent un crochet jusqu'au camp et apprirent en détail à l'armée la nouvelle de la fuite du roi et de la reine, qui était arrivée sourdement jusque-là. Ils trouvèrent Raoul près de sa tente, couché sur une botte de foin dont son cheval tirait quelques bribes à la dérobée. Le jeune homme avait les yeux rouges et semblait abattu. Le maréchal de Grammont et le comte de Guiche étaient revenus à Paris, et le pauvre enfant se trouvait isolé.

Au bout d'un instant Raoul leva les yeux et vit les deux cavaliers qui le regardaient; il les reconnut et courut à eux les bras ouverts.

– Oh! c'est vous, chers amis! s'écria-t-il, me venez-vous chercher? m'emmenez-vous avec vous? m'apportez-vous des nouvelles de mon tuteur?

– N'en avez-vous donc point reçu? demanda d'Artagnan au jeune homme.

– Hélas! non, monsieur, et je ne sais en vérité ce qu'il est devenu. De sorte, oh! de sorte que je suis inquiet à en pleurer.

Et effectivement deux grosses larmes roulaient sur les joues brunies du jeune homme.

Porthos détourna la tête pour ne pas laisser voir sur sa bonne grosse figure ce qui se passait dans son coeur.

– Que diable! dit d'Artagnan plus remué qu'il ne l'avait été depuis bien longtemps, ne vous désespérez point, mon ami; si vous n'avez point reçu de lettres du comte, nous avons reçu, nous… une…

– Oh! vraiment? s'écria Raoul.

– Et bien rassurante même, dit d'Artagnan en voyant la joie que cette nouvelle causait au jeune homme.

– L'avez-vous? demanda Raoul.

– Oui; c'est-à-dire je l'avais, dit d'Artagnan en faisant semblant de chercher; attendez, elle doit être là, dans ma poche; il me parle de son retour, n'est-ce pas, Porthos?

Tout Gascon qu'il était, d'Artagnan ne voulait pas prendre à lui seul le fardeau de ce mensonge.

– Oui, dit Porthos en toussant.

– Oh! donnez-la-moi, dit le jeune homme.

– Eh! je la lisais encore tantôt. Est-ce que je l'aurai perdue!

Ah! pécaïre, ma poche est percée.

– Oh! oui, monsieur Raoul, dit Mousqueton, et la lettre était même très consolante; ces messieurs me l'ont lue et j'en ai pleuré de joie.

– Mais au moins, monsieur d'Artagnan, vous savez où il est? demanda Raoul à moitié rasséréné.

– Ah! voilà, dit d'Artagnan, certainement que je le sais, pardieu! mais c'est un mystère.

– Pas pour moi, je l'espère.

– Non, pas pour vous, aussi je vais vous dire où il est.

Porthos regardait d'Artagnan avec ses gros yeux étonnés.

– Où diable vais-je dire qu'il est pour qu'il n'essaye pas d'aller le rejoindre? murmurait d'Artagnan.

– Eh bien! où est-il, monsieur? demanda Raoul de sa voix douce et caressante.

– Il est à Constantinople!

– Chez les Turcs! s'écria Raoul effrayé. Bon dieu! que me dites- vous là?

– Eh bien! cela vous fait peur? dit d'Artagnan. Bah! qu'est-ce que les Turcs pour des hommes comme le comte de La Fère et l'abbé d'Herblay?

– Ah! son ami est avec lui? dit Raoul, cela me rassure un peu.

– A-t-il de l'esprit, ce démon de d'Artagnan! disait Porthos tout émerveillé de la ruse de son ami.

– Maintenant, dit d'Artagnan pressé de changer le sujet de la conversation, voilà cinquante pistoles que M. le comte vous envoyait par le même courrier. Je présume que vous n'avez plus d'argent et qu'elles sont les bienvenues.

– J'ai encore vingt pistoles, monsieur.

– Eh bien! prenez toujours, cela vous en fera soixante-dix.

– Et si vous en voulez davantage… dit Porthos mettant la main à son gousset.

– Merci, dit Raoul en rougissant, merci mille fois, monsieur.

En ce moment, Olivain parut à l'horizon.

– À propos, dit d'Artagnan de manière que le laquais l'entendît, êtes-vous content d'Olivain?

– Oui, assez comme cela.

Olivain fit semblant de n'avoir rien entendu et entra dans la tente.

– Que lui reprochez-vous, à ce drôle-là?

– Il est gourmand, dit Raoul.

– Oh! monsieur! dit Olivain reparaissant à cette accusation.

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