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Vingt ans après

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Anne rougit et cacha sa tête dans ses deux mains.

– Je ne veux point humilier Votre Majesté, reprit Mazarin, revenant à un ton plus calme, mais en même temps d'une fermeté étrange. Je veux qu'on respecte la reine et qu'on respecte son ministre, puisque aux yeux de tous je ne suis que cela. Votre Majesté sait, elle, que je ne suis pas, comme beaucoup de gens le disent, un pantin venu d'Italie; il faut que tout le monde le sache comme Votre Majesté.

– Eh bien donc, que dois-je faire? dit Anne d'Autriche courbée sous cette voix dominatrice.

– Vous devez chercher dans votre souvenir le nom de ces hommes fidèles et dévoués qui ont passé la mer malgré M. de Richelieu, en laissant des traces de leur sang tout le long de la route, pour rapporter à Votre Majesté certaine parure qu'elle avait donnée à M. de Buckingham.

Anne se leva majestueuse et irritée comme si un ressort d'acier l'eût fait bondir, et, regardant le cardinal avec cette hauteur et cette dignité qui la rendaient si puissante aux jours de sa jeunesse:

– Vous m'insultez, monsieur! dit-elle.

– Je veux enfin, continua Mazarin, achevant la pensée qu'avait tranchée par le milieu le mouvement de la reine, je veux que vous fassiez aujourd'hui pour votre mari ce que vous avez fait autrefois pour votre amant.

– Encore cette calomnie! s'écria la reine. Je la croyais cependant bien morte et bien étouffée, car vous me l'aviez épargnée jusqu'à présent; mais voilà que vous m'en parlez à votre tour. Tant mieux! car il en sera question cette fois entre nous, et tout sera fini, entendez-vous bien?

– Mais, Madame, dit Mazarin étonné de ce retour de force, je ne demande pas que vous me disiez tout.

– Et moi je veux tout vous dire, répondit Anne d'Autriche. Écoutez donc. Je veux vous dire qu'il y avait effectivement à cette époque quatre coeurs dévoués, quatre âmes loyales, quatre épées fidèles, qui m'ont sauvé plus que la vie, monsieur, qui m'ont sauvé l'honneur.

– Ah! vous l'avouez, dit Mazarin.

– N'y a-t-il donc que les coupables dont l'honneur soit en jeu, monsieur, et ne peut-on pas déshonorer quelqu'un, une femme surtout, avec des apparences! Oui, les apparences étaient contre moi et j'allais être déshonorée, et cependant, je le jure, je n'étais pas coupable. Je le jure…

La reine chercha une chose sainte sur laquelle elle pût jurer; et tirant d'une armoire perdue dans la tapisserie un petit coffret de bois de rose incrusté d'argent, et le posant sur l'autel:

– Je le jure, reprit-elle, sur ces reliques sacrées, j'aimais

M. de Buckingham, mais M. de Buckingham n'était pas mon amant!

– Et quelles sont ces reliques sur lesquelles vous faites ce serment, Madame? dit en souriant Mazarin; car je vous en préviens, en ma qualité de Romain je suis incrédule: il y a relique et relique.

La reine détacha une petite clef d'or de son cou et la présenta au cardinal.

– Ouvrez, monsieur, dit-elle, et voyez vous-même.

Mazarin étonné prit la clef et ouvrit le coffret, dans lequel il ne trouva qu'un couteau rongé par la rouille et deux lettres dont l'une était tachée de sang.

– Qu'est-ce que cela? demanda Mazarin.

– Qu'est-ce que cela, monsieur? dit Anne d'Autriche avec son geste de reine et en étendant sur le coffret ouvert un bras resté parfaitement beau malgré les années, je vais vous le dire. Ces deux lettres sont les deux seules lettres que je lui aie jamais écrites. Ce couteau, c'est celui dont Felton l'a frappé. Lisez ces lettres, monsieur, et vous verrez si j'ai menti.

Malgré la permission qui lui était donnée, Mazarin, par un sentiment naturel, au lieu de lire les lettres, prit le couteau que Buckingham mourant avait arraché de sa blessure, et qu'il avait, par Laporte, envoyé à la reine; la lame en était toute rongée; car le sang était devenu de la rouille; puis après un instant d'examen, pendant lequel la reine était devenue aussi blanche que la nappe de l'autel sur lequel elle était appuyée, il le replaça dans le coffret avec un frisson involontaire.

– C'est bien, Madame, dit-il, je m'en rapporte à votre serment.

– Non, non! lisez, dit la reine en fronçant le sourcil; lisez, je le veux, je l'ordonne, afin, comme je l'ai résolu, que tout soit fini de cette fois, et que nous ne revenions plus sur ce sujet. Croyez-vous, ajouta-t-elle avec un sourire terrible, que je sois disposée à rouvrir ce coffret à chacune de vos accusations à venir?

Mazarin, dominé par cette énergie, obéit presque machinalement et lut les deux lettres. L'une était celle par laquelle la reine redemandait les ferrets à Buckingham; c'était celle qu'avait portée d'Artagnan, et qui était arrivée à temps. L'autre était celle que Laporte avait remise au duc, dans laquelle la reine le prévenait qu'il allait être assassiné et qui était arrivée trop tard.

– C'est bien, Madame, dit Mazarin, et il n'y a rien à répondre à cela.

– Si, monsieur, dit la reine en refermant le coffret et en appuyant sa main dessus; si, il y a quelque chose à répondre: c'est que j'ai toujours été ingrate envers ces hommes qui m'ont sauvée, moi, et qui ont fait tout ce qu'ils ont pu pour le sauver, lui; c'est que je n'ai rien donné à ce brave d'Artagnan, dont vous me parliez tout à l'heure, que ma main à baiser, et ce diamant.

La reine étendit sa belle main vers le cardinal et lui montra une pierre admirable qui scintillait à son doigt.

– Il l'a vendu, à ce qu'il paraît, reprit-elle, dans un moment de gêne; il l'a vendu pour me sauver une seconde fois, car c'était pour envoyer un messager au duc et pour le prévenir qu'il devait être assassiné.

– D'Artagnan le savait donc?

– Il savait tout. Comment faisait-il? Je l'ignore. Mais enfin il l'a vendu à M. des Essarts, au doigt duquel je l'ai vu, et de qui je l'ai racheté; mais ce diamant lui appartient, Monsieur, rendez- le-lui donc de ma part, et, puisque vous avez le bonheur d'avoir près de vous un pareil homme, tâchez de l'utiliser.

– Merci, Madame! dit Mazarin, je profiterai du conseil.

– Et maintenant, dit la reine comme brisée par l'émotion, avez- vous autre chose à me demander?

– Rien, Madame, répondit le cardinal de sa voix la plus caressante, que de vous supplier de me pardonner mes injustes soupçons; mais je vous aime tant, qu'il n'est pas étonnant que je sois jaloux, même du passé.

Un sourire d'une indéfinissable expression passa sur les lèvres de la reine.

– Eh bien, alors, monsieur, dit-elle, si vous n'avez rien autre chose à me demander, laissez-moi; vous devez comprendre qu'après une pareille scène j'ai besoin d'être seule.

Mazarin s'inclina.

– Je me retire, Madame, dit-il; me permettez-vous de revenir?

– Oui, mais demain; je n'aurai pas trop de tout ce temps pour me remettre.

Le cardinal prit la main de la reine et la lui baisa galamment, puis il se retira.

À peine fut-il sorti que la reine passa dans l'appartement de son fils et demanda à Laporte si le roi était couché. Laporte lui montra de la main l'enfant qui dormait.

Anne d'Autriche monta sur les marches du lit, approcha ses lèvres du front plissé de son fils et y déposa doucement un baiser; puis elle se retira silencieuse comme elle était venue, se contentant de dire au valet de chambre.

– Tâchez donc, mon cher Laporte, que le roi fasse meilleure mine à M. le cardinal, auquel lui et moi avons de si grandes obligations.

V. Gascon et Italien

Pendant ce temps le cardinal était revenu dans son cabinet, à la porte duquel veillait Bernouin, à qui il demanda si rien ne s'était passé de nouveau et s'il n'était venu aucune nouvelle du dehors. Sur sa réponse négative il lui fit signe de se retirer.

Resté seul, il alla ouvrir la porte du corridor, puis celle de l'antichambre; d'Artagnan, fatigué, dormait sur une banquette.

– Monsieur d'Artagnan! dit-il d'une voix douce.

D'Artagnan ne broncha point.

– Monsieur d'Artagnan! dit-il plus haut.

D'Artagnan continua de dormir.

Le cardinal s'avança vers lui et lui toucha l'épaule du bout du doigt.

Cette fois d'Artagnan tressaillit, se réveilla, et, en se réveillant, se trouva tout debout et comme un soldat sous les armes.

– Me voilà, dit-il; qui m'appelle?

– Moi, dit Mazarin avec son visage le plus souriant.

– J'en demande pardon à Votre Éminence, dit d'Artagnan, mais j'étais si fatigué…

– Ne me demandez pas pardon, monsieur, dit Mazarin, car vous vous êtes fatigué à mon service.

D'Artagnan admira l'air gracieux du ministre.

– Ouais! dit-il entre ses dents, est-il vrai le proverbe qui dit que le bien vient en dormant?

– Suivez-moi, monsieur! dit Mazarin.

– Allons, allons, murmura d'Artagnan, Rochefort m'a tenu parole; seulement, par où diable est-il passé?

Et il regarda jusque dans les moindres recoins du cabinet mais il n'y avait plus de Rochefort.

– Monsieur d'Artagnan, dit Mazarin en s'asseyant et en s'accommodant sur son fauteuil, vous m'avez toujours paru un brave et galant homme.

«C'est possible, pensa d'Artagnan, mais il a mis le temps à me le dire.»

Ce qui ne l'empêcha pas de saluer Mazarin jusqu'à terre pour répondre à son compliment.

– Eh bien, continua Mazarin, le moment est venu de mettre à profit vos talents et votre valeur!

Les yeux de l'officier lancèrent comme un éclair de joie qui s'éteignit aussitôt, car il ne savait pas où Mazarin en voulait venir.

– Ordonnez, Monseigneur, dit-il, je suis prêt à obéir à Votre

Éminence.

– Monsieur d'Artagnan, continua Mazarin, vous avez fait sous le dernier règne certains exploits…

– Votre Éminence est trop bonne de se souvenir… C'est vrai, j'ai fait la guerre avec assez de succès.

– Je ne parle pas de vos exploits guerriers, dit Mazarin car, quoiqu'ils aient fait quelque bruit, ils ont été surpassés par les autres.

 

D'Artagnan fit l'étonné.

– Eh bien, dit Mazarin, vous ne répondez pas?

– J'attends, reprit d'Artagnan, que Monseigneur me dise de quels exploits il veut parler.

– Je parle de l'aventure… Hé! vous savez bien ce que je veux dire.

– Hélas! non, Monseigneur, répondit d'Artagnan tout étonné.

– Vous êtes discret, tant mieux. Je veux parler de cette aventure de la reine, de ces ferrets, de ce voyage que vous avez fait avec trois de vos amis.

– Hé! hé! pensa le Gascon, est-ce un piège? Tenons-nous ferme.

Et il arma ses traits d'une stupéfaction que lui eût enviée

Mondori ou Bellerose, les deux meilleurs comédiens de l'époque.

– Fort bien! dit Mazarin en riant, bravo! on m'avait bien dit que vous étiez l'homme qu'il me fallait. Voyons, là, que feriez-vous bien pour moi?

– Tout ce que Votre Éminence m'ordonnera de faire, dit d'Artagnan.

– Vous feriez pour moi ce que vous avez fait autrefois pour une reine?

– Décidément, se dit d'Artagnan à lui-même, on veut me faire parler; voyons-le venir. Il n'est pas plus fin que le Richelieu, que diable!.. Pour une reine, Monseigneur! je ne comprends pas.

– Vous ne comprenez pas que j'ai besoin de vous et de vos trois amis?

– De quels amis, Monseigneur?

– De vos trois amis d'autrefois.

– Autrefois, Monseigneur, répondit d'Artagnan, je n'avais pas trois amis, j'en avais cinquante. À vingt ans, on appelle tout le monde ses amis.

– Bien, bien, monsieur l'officier! dit Mazarin, la discrétion est une belle chose; mais aujourd'hui vous pourriez vous repentir d'avoir été trop discret.

– Monseigneur, Pythagore faisait garder pendant cinq ans le silence à ses disciples pour leur apprendre à se taire.

– Et vous l'avez gardé vingt ans, monsieur. C'est quinze ans de plus qu'un philosophe pythagoricien, ce qui me semble raisonnable. Parlez donc aujourd'hui, car la reine elle-même vous relève de votre serment.

– La reine! dit d'Artagnan avec un étonnement, qui, cette fois, n'était pas joué.

– Oui, la reine! et pour preuve que je vous parle en son nom, c'est qu'elle m'a dit de vous montrer ce diamant qu'elle prétend que vous connaissez, et qu'elle a racheté de M. des Essarts.

Et Mazarin étendit la main vers l'officier, qui soupira en reconnaissant la bague que la reine lui avait donnée le soir du bal de l'Hôtel de Ville.

– C'est vrai! dit d'Artagnan, je reconnais ce diamant, qui a appartenu à la reine.

– Vous voyez donc bien que je vous parle en son nom. Répondez-moi donc sans jouer davantage la comédie. Je vous l'ai déjà dit, et je vous le répète, il y va de votre fortune.

– Ma foi, Monseigneur! j'ai grand besoin de faire fortune. Votre

Éminence m'a oublié si longtemps!

– Il ne faut que huit jours pour réparer cela. Voyons, vous voilà, vous, mais où sont vos amis?

– Je n'en sais rien, Monseigneur.

– Comment, vous n'en savez rien?

– Non; il y a longtemps que nous nous sommes séparés, car tous trois ont quitté le service.

– Mais où les retrouverez-vous?

– Partout où ils seront. Cela me regarde.

– Bien! Vos conditions?

– De l'argent, Monseigneur, tant que nos entreprises en demanderont. Je me rappelle trop combien parfois nous avons été empêchés, faute d'argent, et sans ce diamant, que j'ai été obligé de vendre, nous serions restés en chemin.

– Diable! de l'argent, et beaucoup! dit Mazarin; comme vous y allez, monsieur l'officier! Savez-vous bien qu'il n'y en a pas, d'argent, dans les coffres du roi?

– Faites comme moi, alors, Monseigneur, vendez les diamants de la couronne; croyez-moi, ne marchandons pas, on fait mal les grandes choses avec de petits moyens.

– Eh bien! dit Mazarin, nous verrons à vous satisfaire.

– Richelieu, pensa d'Artagnan, m'eût déjà donné cinq cents pistoles d'arrhes.

– Vous serez donc à moi?

– Oui, si mes amis le veulent.

– Mais, à leur refus, je pourrais compter sur vous?

– Je n'ai jamais rien fait de bon seul, dit d'Artagnan en secouant la tête.

– Allez donc les trouver.

– Que leur dirai-je pour les déterminer à servir Votre Éminence?

– Vous les connaissez mieux que moi. Selon leurs caractères vous promettrez.

– Que promettrai-je?

– Qu'ils me servent comme ils ont servi la reine, et ma reconnaissance sera éclatante.

– Que ferons-nous?

– Tout, puisqu'il paraît que vous savez tout faire.

– Monseigneur, lorsqu'on a confiance dans les gens et qu'on veut qu'ils aient confiance en nous, on les renseigne mieux que ne fait Votre Éminence.

– Lorsque le moment d'agir sera venu, soyez tranquille, reprit

Mazarin, vous aurez toute ma pensée.

– Et jusque-là!

– Attendez et cherchez vos amis.

– Monseigneur, peut-être ne sont-ils pas à Paris, c'est probable même, il va falloir voyager. Je ne suis qu'un lieutenant de mousquetaires fort pauvre et les voyages sont chers.

– Mon intention, dit Mazarin, n'est pas que vous paraissiez avec un grand train, mes projets ont besoin de mystère et souffriraient d'un trop grand équipage.

– Encore, Monseigneur, ne puis-je voyager avec ma paye, puisque l'on est en retard de trois mois avec moi; et je ne puis voyager avec mes économies, attendu que depuis vingt-deux ans que je suis au service je n'ai économisé que des dettes.

Mazarin resta un instant pensif, comme si un grand combat se livrait en lui; puis allant à une armoire fermée d'une triple serrure, il en tira un sac, et le pesant dans sa main deux ou trois fois avant de le donner à d'Artagnan:

– Prenez donc ceci, dit-il avec un soupir, voilà pour le voyage.

– Si ce sont des doublons d'Espagne ou même des écus d'or, pensa d'Artagnan, nous pourrons encore faire affaire ensemble.

Il salua le cardinal et engouffra le sac dans sa large poche.

– Eh bien, c'est donc dit, répondit le cardinal, vous allez voyager…

– Oui, Monseigneur.

– Écrivez-moi tous les jours pour me donner des nouvelles de votre négociation.

– Je n'y manquerai pas, Monseigneur.

– Très bien. À propos, le nom de vos amis?

– Le nom de mes amis? répéta d'Artagnan avec un reste d'inquiétude.

– Oui; pendant que vous cherchez de votre côté, moi, je m'informerai du mien et peut-être apprendrai-je quelque chose.

– M. le comte de La Fère, autrement dit Athos; M. du Vallon, autrement dit Porthos, et M. le chevalier d'Herblay, aujourd'hui l'abbé d'Herblay, autrement dit Aramis.

Le cardinal sourit.

– Des cadets, dit-il, qui s'étaient engagés aux mousquetaires sous de faux noms pour ne pas compromettre leurs noms de famille. Longues rapières, mais bourses légères; on connaît cela.

– Si Dieu veut que ces rapières-là passent au service de Votre Éminence, dit d'Artagnan, j'ose exprimer un désir, c'est que ce soit à son tour la bourse de Monseigneur qui devienne légère et la leur qui devienne lourde; car avec ces trois hommes et moi, Votre Éminence remuera toute la France et même toute l'Europe, si cela lui convient.

– Ces Gascons, dit Mazarin en riant, valent presque les Italiens pour la bravade.

– En tout cas, dit d'Artagnan avec un sourire pareil à celui du cardinal, ils valent mieux pour l'estocade.

Et il sortit après avoir demandé un congé qui lui fut accordé à l'instant et signé par Mazarin lui-même.

À peine dehors il s'approcha d'une lanterne qui était dans la cour et regarda précipitamment dans le sac.

– Des écus d'argent! fit-il avec mépris; je m'en doutais. Ah! Mazarin, Mazarin! tu n'as pas confiance en moi! tant pis! cela te portera malheur!

Pendant ce temps le cardinal se frottait les mains.

– Cent pistoles, murmura-t-il, cent pistoles! pour cent pistoles j'ai eu un secret que M. de Richelieu aurait payé vingt mille écus. Sans compter ce diamant, en jetant amoureusement les yeux sur la bague qu'il avait gardée, au lieu de la donner à d'Artagnan; sans compter ce diamant, qui vaut au moins dix mille livres.

Et le cardinal rentra dans sa chambre tout joyeux de cette soirée dans laquelle il avait fait un si beau bénéfice, plaça la bague dans un écrin garni de brillants de toute espèce, car le cardinal avait le goût des pierreries, et il appela Bemouin pour le déshabiller, sans davantage se préoccuper des rumeurs qui continuaient de venir par bouffées battre les vitres, et des coups de fusil qui retentissaient encore dans Paris, quoiqu'il fût plus de onze heures du soir.

Pendant ce temps d'Artagnan s'acheminait vers la rue Tiquetonne, où il demeurait à l'hôtel de La Chevrette

Disons en peu de mots comment d'Artagnan avait été amené à faire choix de cette demeure.

VI. D'Artagnan à quarante ans

Hélas! depuis l'époque où, dans notre roman des Trois Mousquetaires, nous avons quitté d'Artagnan, rue des Fossoyeurs, 12, il s'était passé bien des choses, et surtout bien des années.

D'Artagnan n'avait pas manqué aux circonstances, mais les circonstances avaient manqué à d'Artagnan. Tant que ses amis l'avaient entouré, d'Artagnan était resté dans sa jeunesse et sa poésie; c'était une de ces natures fines et ingénieuses qui s'assimilent facilement les qualités des autres. Athos lui donnait de sa grandeur, Porthos de sa verve, Aramis de son élégance. Si d'Artagnan eût continué de vivre avec ces trois hommes, il fût devenu un homme supérieur. Athos le quitta le premier, pour se retirer dans cette petite terre dont il avait hérité du côté de Blois; Porthos, le second, pour épouser sa procureuse; enfin, Aramis, le troisième, pour entrer définitivement dans les ordres et se faire abbé. À partir de ce moment, d'Artagnan, qui semblait avoir confondu son avenir avec celui de ses trois amis, se trouva isolé et faible, sans courage pour poursuivre une carrière dans laquelle il sentait qu'il ne pouvait devenir quelque chose qu'à la condition que chacun de ses amis lui céderait, si cela peut se dire, une part du fluide électrique qu'il avait reçu du ciel.

Ainsi, quoique devenu lieutenant de mousquetaires, d'Artagnan ne s'en trouva que plus isolé; il n'était pas d'assez haute naissance, comme Athos, pour que les grandes maisons s'ouvrissent devant lui; il n'était pas assez vaniteux, comme Porthos, pour faire croire qu'il voyait la haute société; il n'était pas assez gentilhomme, comme Aramis, pour se maintenir dans son élégance native, en tirant son élégance de lui-même. Quelque temps le souvenir charmant de madame Bonacieux avait imprimé à l'esprit du jeune lieutenant une certaine poésie; mais comme celui de toutes les choses de ce monde, ce souvenir périssable s'était peu à peu effacé; la vie de garnison est fatale, même aux organisations aristocratiques. Des deux natures opposées qui composaient l'individualité de d'Artagnan, la nature matérielle l'avait peu à peu emporté, et tout doucement, sans s'en apercevoir lui-même, d'Artagnan, toujours en garnison, toujours au camp, toujours à cheval, était devenu (je ne sais comment cela s'appelait à cette époque) ce qu'on appelle de nos jours un véritable troupier.

Ce n'est point que pour cela d'Artagnan eût perdu de sa finesse primitive; non pas. Au contraire, peut-être, cette finesse s'était augmentée, ou du moins paraissait doublement remarquable sous une enveloppe un peu grossière; mais cette finesse il l'avait appliquée aux petites et non aux grandes choses de la vie; au bien-être matériel, au bien-être comme les soldats l'entendent, c'est-à-dire à avoir bon gîte, bonne table, bonne hôtesse.

Et d'Artagnan avait trouvé tout cela depuis six ans rue

Tiquetonne, à l'enseigne de La Chevrette.

Dans les premiers temps de son séjour dans cet hôtel, la maîtresse de la maison, belle et fraîche Flamande de vingt-cinq à vingt-six ans, s'était singulièrement éprise de lui; et après quelques amours fort traversées par un mari incommode, auquel dix fois d'Artagnan avait fait semblant de passer son épée au travers du corps, ce mari avait disparu un beau matin, désertant à tout jamais, après avoir vendu furtivement quelques pièces de vin et emporté l'argent et les bijoux. On le crut mort; sa femme surtout, qui se flattait de cette douce idée qu'elle était veuve, soutenait hardiment qu'il était trépassé. Enfin, après trois ans d'une liaison que d'Artagnan s'était bien gardé de rompre, trouvant chaque année son gîte et sa maîtresse plus agréables que jamais, car l'une faisait crédit de l'autre, la maîtresse eut l'exorbitante prétention de devenir femme, et proposa à d'Artagnan de l'épouser.

– Ah! fi! répondit d'Artagnan. De la bigamie, ma chère! Allons donc, vous n'y pensez pas!

– Mais il est mort, j'en suis sûre.

 

– C'était un gaillard très contrariant et qui reviendrait pour nous faire pendre.

– Eh bien, s'il revient, vous le tuerez; vous êtes si brave et si adroit!

– Peste! ma mie! autre moyen d'être pendu.

– Ainsi vous repoussez ma demande?

– Comment donc! mais avec acharnement!

La belle hôtelière fut désolée. Elle eût fait bien volontiers de M. d'Artagnan non seulement son mari, mais encore son Dieu: c'était un si bel homme et une si fière moustache!

Vers la quatrième année de cette liaison vint l'expédition de Franche-Comté. D'Artagnan fut désigné pour en être et se prépara à partir. Ce furent de grandes douleurs, des larmes sans fin, des promesses solennelles de rester fidèle; le tout de la part de l'hôtesse, bien entendu. D'Artagnan était trop grand seigneur pour rien promettre; aussi promit-il seulement de faire ce qu'il pourrait pour ajouter encore à la gloire de son nom.

Sous ce rapport, on connaît le courage de d'Artagnan; il paya admirablement de sa personne, et, en chargeant à la tête de sa compagnie, il reçut au travers de la poitrine une balle qui le coucha tout de son long sur le champ de bataille. On le vit tomber de son cheval, on ne le vit pas se relever, on le crut mort, et tous ceux qui avaient espoir de lui succéder dans son grade dirent à tout hasard qu'il l'était. On croit facilement ce qu'on désire; or, à l'armée depuis les généraux de division qui désirent la mort du général en chef, jusqu'aux soldats qui désirent la mort des caporaux, tout le monde désire la mort de quelqu'un.

Mais d'Artagnan n'était pas homme à se laisser tuer comme cela. Après être resté pendant la chaleur du jour évanoui sur le champ de bataille, la fraîcheur de la nuit le fit revenir à lui; il gagna un village, alla frapper à la porte de la plus belle maison, fut reçu comme le sont partout et toujours les Français, fussent- ils blessés; il fut choyé, soigné, guéri, et, mieux portant que jamais, il reprit un beau matin le chemin de la France, une fois en France la route de Paris, et une fois à Paris la direction de la rue Tiquetonne.

Mais d'Artagnan trouva sa chambre prise par un portemanteau d'homme complet, sauf l'épée, installé contre la muraille.

– Il sera revenu, dit-il; tant pis et tant mieux!

Il va sans dire que d'Artagnan songeait toujours au mari.

Il s'informa: nouveau garçon, nouvelle servante; la maîtresse était allée à la promenade.

– Seule! demanda d'Artagnan.

– Avec monsieur.

– Monsieur est donc revenu?

– Sans doute, répondit naïvement la servante.

– Si j'avais de l'argent, se dit d'Artagnan à lui-même, je m'en irai; mais je n'en ai pas, il faut demeurer et suivre les conseils de mon hôtesse, en traversant les projets conjugaux de cet importun revenant.

Il achevait ce monologue, ce qui prouve que dans les grandes circonstances rien n'est plus naturel que le monologue, quand la servante, qui guettait à la porte, s'écria tout à coup:

– Ah, tenez! justement voici madame qui revient avec monsieur.

D'Artagnan jeta les yeux au loin dans la rue et vit en effet, au tournant de la rue Montmartre, l'hôtesse qui revenait suspendue au bras d'un énorme Suisse, lequel se dandinait en marchant avec des airs qui rappelèrent agréablement Porthos à son ancien ami.

– C'est là monsieur? se dit d'Artagnan. Oh! oh! il a fort grandi, ce me semble!

Et il s'assit dans la salle, dans un endroit parfaitement en vue.

L'hôtesse en entrant aperçut tout d'abord d'Artagnan et jeta un petit cri.

À ce petit cri, d'Artagnan se jugeant reconnu se leva, courut à elle et l'embrassa tendrement.

Le Suisse regardait d'un air stupéfait l'hôtesse qui demeurait toute pâle.

– Ah! c'est vous, monsieur! Que me voulez-vous. demanda-t-elle dans le plus grand trouble.

– Monsieur est votre cousin? Monsieur est votre frère? dit d'Artagnan sans se déconcerter aucunement dans le rôle qu'il jouait.

Et, sans attendre qu'elle répondît, il se jeta dans les bras de l'Helvétien, qui le laissa faire avec une grande froideur.

– Quel est cet homme? demanda-t-il.

L'hôtesse ne répondit que par des suffocations.

– Quel est ce Suisse? demanda d'Artagnan.

– Monsieur va m'épouser, répondit l'hôtesse entre deux spasmes.

– Votre mari est donc mort enfin?

– Que vous imborde? répondit le Suisse.

– Il m'imborde beaucoup, répondit d'Artagnan, attendu que vous ne pouvez épouser madame sans mon consentement et que…

– Et gue?.. demanda le Suisse.

– Et gue… je ne le donne pas, dit le mousquetaire.

Le Suisse devint pourpre comme une pivoine; il portait son bel uniforme doré, d'Artagnan était enveloppé d'une espèce de manteau gris; le Suisse avait six pieds, d'Artagnan n'en avait guère plus de cinq; le Suisse se croyait chez lui, d'Artagnan lui sembla un intrus.

– Foulez-vous sordir d'izi? demanda le Suisse en frappant violemment du pied comme un homme qui commence sérieusement à se fâcher.

– Moi? pas du tout! dit d'Artagnan.

– Mais il n'y a qu'à aller chercher main-forte, dit un garçon qui ne pouvait comprendre que ce petit homme disputât la place à cet homme si grand.

– Toi, dit d'Artagnan que la colère commençait à prendre aux cheveux et en saisissant le garçon par l'oreille, toi, tu vas commencer par te tenir à cette place, et ne bouge pas ou j'arrache ce que je tiens. Quant à vous, illustre descendant de Guillaume Tell, vous allez faire un paquet de vos habits qui sont dans ma chambre et qui me gênent, et partir vivement pour chercher une autre auberge.

Le Suisse se mit à rire bruyamment.

– Moi bardir! dit-il, et bourguoi?

– Ah! c'est bien! dit d'Artagnan, je vois que vous comprenez le français. Alors, venez faire un tour avec moi, et je vous expliquerai le reste.

L'hôtesse, qui connaissait d'Artagnan pour une fine lame, commença à pleurer et à s'arracher les cheveux.

D'Artagnan se retourna du côté de la belle éplorée.

– Alors, renvoyez-le, madame, dit-il.

– Pah! répliqua le Suisse, à qui il avait fallu un certain temps pour se rendre compte de la proposition que lui avait faite d'Artagnan; pah! qui êtes fous, t'apord, pour me broboser t'aller faire un tour avec fous!

– Je suis lieutenant aux mousquetaires de Sa Majesté, dit d'Artagnan, et par conséquent votre supérieur en tout; seulement, comme il ne s'agit pas de grade ici, mais de billet de logement, vous connaissez la coutume. Venez chercher le vôtre; le premier de retour ici reprendra sa chambre.

D'Artagnan emmena le Suisse malgré les lamentations de l'hôtesse, qui, au fond, sentait son coeur pencher pour l'ancien amour, mais qui n'eût pas été fâchée de donner une leçon à cet orgueilleux mousquetaire, qui lui avait fait l'affront de refuser sa main.

Les deux adversaires s'en allèrent droit aux fossés Montmartre, il faisait nuit quand ils y arrivèrent; d'Artagnan pria poliment le Suisse de lui céder la chambre et de ne plus revenir; celui-ci refusa d'un signe de tête et tira son épée.

– Alors, vous coucherez ici, dit d'Artagnan; c'est un vilain gîte, mais ce n'est pas ma faute et c'est vous qui l'aurez voulu.

Et à ces mots il tira le fer à son tour et croisa l'épée avec son adversaire.

Il avait affaire à un rude poignet, mais sa souplesse était supérieure à toute force. La rapière de l'Allemand ne trouvait jamais celle du mousquetaire. Le Suisse reçut deux coups d'épée avant de s'en être aperçu, à cause du froid; cependant, tout à coup, la perte de son sang et la faiblesse qu'elle lui occasionna le contraignirent de s'asseoir.

– Là! dit d'Artagnan, que vous avais-je prédit? vous voilà bien avancé, entêté que vous êtes! Heureusement que vous n'en avez que pour une quinzaine de jours. Restez-là, et je vais vous envoyer vos habits par le garçon. Au revoir. À propos, logez-vous rue Montorgueil, Au Chat qui pelote, on y est parfaitement nourri, si c'est toujours la même hôtesse. Adieu.

Et là-dessus il revint tout guilleret au logis, envoya en effet les hardes au Suisse, que le garçon trouva assis à la même place où l'avait laissé d'Artagnan, et tout consterné encore de l'aplomb de son adversaire.

Le garçon, l'hôtesse et toute la maison eurent pour d'Artagnan les égards que l'on aurait pour Hercule s'il revenait sur la terre pour y recommencer ses douze travaux.

Mais lorsqu'il fut seul avec l'hôtesse:

– Maintenant, belle Madeleine, dit-il, vous savez la distance qu'il y a d'un Suisse à un gentilhomme; quant à vous, vous vous êtes conduite comme une cabaretière. Tant pis pour vous, car à cette conduite vous perdez mon estime et ma pratique. J'ai chassé le Suisse pour vous humilier; mais je ne logerai plus ici; je ne prends pas gîte là où je méprise. Holà, garçon! qu'on emporte ma valise au Muid d'amour, rue des Bourdonnais. Adieu, madame.

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