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Tartarin de Tarascon

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XI. Des coups d’épée, messieurs, des coups d’épée !… mais pas de coups d’épingle !

Avait-il bien réellement l’intention de partir ?… Question délicate, et à laquelle l’historien de Tartarin serait fort embarrassé de répondre.

Toujours est-il que la ménagerie Mitaine avait quitté Tarascon depuis plus de trois mois, et le tueur de lions ne bougeait pas… Après tout, peut-être le candide héros, aveuglé par un nouveau mirage, se figurait-il de bonne foi qu’il était allé en Algérie. Peut-être qu’à force de raconter ses futures chasses, il s’imaginait les avoir faites, aussi sincèrement qu’il s’imaginait avoir hissé le drapeau consulaire et tiré sur les Tartares, pan ! pan ! à Shanghaï.

Malheureusement, si cette fois encore Tartarin de Tarascon fut victime du mirage, les Tarasconnais ne le furent pas. Lorsqu’au bout de trois mois d’attente, on s’aperçut que le chasseur n’avait pas encore fait une malle, on commença à murmurer.

« Ce sera comme pour Shanghaï ! » disait Costecalde en souriant. Et le mot de l’armurier fit fureur dans la ville ; car personne ne croyait plus en Tartarin.

Les naïfs, les poltrons, des gens comme Bézuquet, qu’une puce aurait mis en fuite et qui ne pouvaient pas tirer un coup de fusil sans fermer les yeux, ceux-là surtout étaient impitoyables. Au cercle, sur l’esplanade, ils abordaient le pauvre Tartarin avec de petits airs goguenards.

– Et autremain, pour quand ce voyage ?

Dans la boutique Costecalde, son opinion ne faisait plus foi. Les chasseurs de casquettes reniaient leur chef !

Puis les épigrammes s’en mêlèrent. Le président Ladevèze, qui faisait volontiers en ses heures de loisir deux doigts de cour à la muse provençale, composa dans la langue du cru une chanson qui eut beaucoup de succès. Il était question d’un certain grand chasseur appelé maître Gervais, dont le fusil redoutable devait exterminer jusqu’au dernier tous les lions d’Afrique. Par malheur ce diable de fusil était de complexion singulière : on le chargeait toujours, il ne partait jamais…

Il ne partait jamais ! vous comprenez l’allusion…

En un tour de main, cette chanson devint populaire et quand Tartarin passait, les portefaix du quai, les petits décrotteurs de devant sa porte chantaient en chœur :

 
Lou fùsioù de mestre Gervaï
Toujou lou cargon, toujou lou cargon,
Lou fùsioù de mestre Gervaï
Toujou lou cargon, part jamaï.
 

Seulement cela se chantait de loin, à cause des doubles muscles.

Ô fragilité des engouements de Tarascon !…

Le grand homme, lui, feignait de ne rien voir, de ne rien entendre ; mais au fond cette petite guerre sourde et venimeuse l’affligeait beaucoup ; il sentait Tarascon lui glisser dans la main, la faveur populaire aller à d’autres, et cela le faisait horriblement souffrir.

Ah ! la grande gamelle de la popularité, il fait bon s’asseoir devant, mais quel échaudement quand elle se renverse !…

En dépit de sa souffrance, Tartarin souriait et menait paisiblement sa même vie, comme si de rien n’était.

Quelquefois cependant ce masque de joyeuse insouciance, qu’il s’était par fierté collé sur le visage, se détachait subitement. Alors, au lieu du rire, on voyait l’indignation et la douleur…

C’est ainsi qu’un matin que les petits décrotteurs chantaient sous ses fenêtres : Lou fùsioù de mestre Gervaï, les voix de ces misérables arrivèrent jusqu’à la chambre du pauvre grand homme en train de se raser devant sa glace. (Tartarin portait toute sa barbe, mais, comme elle venait trop forte, il était obligé de la surveiller.)

Tout à coup la fenêtre s’ouvrit violemment et Tartarin apparut en chemise, en serre-tête, barbouillé de bon savon blanc, brandissant son rasoir et sa savonnette, et criant d’une voix formidable :

« Des coups d’épée, Messieurs, des coups d’épée !… Mais pas de coups d’épingle ! »

Belles paroles dignes de l’histoire, qui n’avaient que le tort de s’adresser à ces petits fouchtras, hauts comme leurs boîtes à cirage, et gentilshommes tout à fait incapables de tenir une épée !

XII. De ce qui fut dit dans la petite maison du baobab

Au milieu de la défection générale, l’armée seule tenait bon pour Tartarin.

Le brave commandant Bravida, ancien capitaine d’habillement, continuait à lui marquer la même estime : « C’est un lapin ! » s’entêtait-il à dire, et cette affirmation valait bien, j’imagine, celle du pharmacien Bézuquet… Pas une fois le brave commandant n’avait fait allusion au voyage en Afrique ; pourtant, quand la clameur publique devint trop forte, il se décida à parler.

Un soir, le malheureux Tartarin était seul dans son cabinet, pensant à des choses tristes, quand il vit entrer le commandant, grave, ganté de noir, boutonné jusqu’aux oreilles.

« Tartarin », fit l’ancien capitaine avec autorité :

« Tartarin, il faut partir ! » Et il restait debout dans l’encadrement de la porte – rigide et grand comme le devoir.

Tout ce qu’il y avait dans ce « Tartarin, il faut partir ! » Tartarin de Tarascon le comprit.

Très pâle, il se leva, regarda autour de lui d’un œil attendri ce joli cabinet, bien clos, plein de chaleur et de lumière douce, ce large fauteuil si commode, ses livres, son tapis, les grands stores blancs de ses fenêtres, derrière lesquels tremblaient les branches grêles du petit jardin ; puis, s’avançant vers le brave commandant, il lui prit la main, la serra avec énergie et, d’une voix où roulaient des larmes, stoïque cependant, il lui dit : « Je partirai, Bravida ! »

Et il partit comme il l’avait dit. Seulement pas encore tout de suite… il lui fallut le temps de s’outiller.

D’abord il commanda chez Bompard deux grandes malles doublées de cuivre, avec une longue plaque portant cette inscription :

TARTARIN DE TARASCON
CAISSE D’ARMES

Le doublage et la gravure prirent beaucoup de temps. Il commanda aussi chez Tastavin un magnifique album de voyage pour écrire son journal, ses impressions ; car enfin on a beau chasser le lion, on pense tout de même en route.

Puis il fit venir de Marseille toute une cargaison de conserves alimentaires, du pemmican en tablettes pour faire du bouillon, une tente-abri d’un nouveau modèle, se montant et se démontant à la minute, des bottes de marin, deux parapluies, un waterproof, des lunettes bleues pour prévenir les ophtalmies. Enfin le pharmacien Bézuquet lui confectionna une petite pharmacie portative bourrée de sparadrap, d’arnica, de camphre, de vinaigre des quatre-voleurs.

Pauvre Tartarin ! ce qu’il en faisait, ce n’était pas pour lui ; mais il espérait, à force de précautions et d’attentions délicates, apaiser la fureur de Tartarin-Sancho, qui, depuis que le départ était décidé, ne décolérait ni de jour ni de nuit.

XIII. Le Départ

Enfin il arriva, le jour solennel, le grand jour.

Dès l’aube, tout Tarascon était sur pied, encombrant le chemin d’Avignon et les abords de la petite maison du baobab.

Du monde aux fenêtres, sur les toits, sur les arbres ; des mariniers du Rhône, des portefaix, des décrotteurs, des bourgeois, des ourdisseuses, des taffetassières, le cercle, enfin toute la ville ; puis aussi des gens de Beaucaire qui avaient passé le pont, des maraîchers de la banlieue, des charrettes à grandes bâches, des vignerons hissés sur de belles mules attifées de rubans, de flots, de grelots, de nœuds, de sonnettes, et même, de loin en loin, quelques jolies filles d’Arles venues en croupe de leur galant, le ruban d’azur autour de la tête, sur de petits chevaux de Camargue gris de fer.

Toute cette foule se pressait, se bousculait devant la porte de Tartarin, ce bon M. Tartarin, qui s’en allait tuer des lions chez les Teurs.

Pour Tarascon, l’Algérie, l’Afrique, la Grèce, la Perse, la Turquie, la Mésopotamie, tout cela forme un grand pays très vague, presque mythologique, et cela s’appelle les Teurs (les Turcs).

Au milieu de cette cohue, les chasseurs de casquettes allaient et venaient, fiers du triomphe de leur chef, et traçant sur leur passage comme des sillons glorieux.

Devant la maison du baobab, deux grandes brouettes. De temps en temps, la porte s’ouvrait, laissait voir quelques personnes qui se promenaient gravement dans le petit jardin. Des hommes apportaient des malles, des caisses, des sacs de nuit, qu’ils empilaient sur les brouettes.

À chaque nouveau colis, la foule frémissait. On se nommait les objets à haute voix. « Ça, c’est la tente-abri… Ça, ce sont les conserves… la pharmacie… les caisses d’armes… » Et les chasseurs de casquettes donnaient des explications.

Tout à coup, vers dix heures, il se fit un grand mouvement dans la foule. La porte du jardin tourna sur ses gonds violemment.

– C’est lui !…c’est lui, criait-on.

C’était lui…

Quand il parut sur le seuil, deux cris de stupeur partirent de la foule :

– C’est un Teur !…

– Il a des lunettes !

Tartarin de Tarascon, en effet, avait cru de son devoir, allant en Algérie, de prendre le costume algérien. Large pantalon bouffant en toile blanche, petite veste collante à boutons de métal, deux pieds de ceinture rouge autour de l’estomac, le cou nu, le front rasé, sur sa tête une gigantesque chéchia (bonnet rouge) et un flot bleu d’une longueur !… Avec cela, deux lourds fusils, un sur chaque épaule, un grand couteau de chasse à la ceinture, sur le ventre une cartouchière, sur la hanche un revolver se balançant dans sa poche de cuir. C’est tout…

Ah ! pardon, j’oubliais les lunettes, une énorme paire de lunettes bleues qui venaient là bien à propos pour corriger ce qu’il y avait d’un peu trop farouche dans la tournure de notre héros !

« Vive Tartarin !… vive Tartarin ! » hurla le peuple. Le grand homme sourit, mais ne salua pas, à cause de ses fusils qui le gênaient. Du reste, il savait maintenant à quoi s’en tenir sur la faveur populaire ; peut-être même qu’au fond de son âme il maudissait ses terribles compatriotes, qui l’obligeaient à partir, à quitter son joli petit chez lui aux murs blancs, aux persiennes vertes… Mais cela ne se voyait pas.

 

Calme et fier, quoique un peu pâle, il s’avança sur la chaussée, regarda ses brouettes, et, voyant que tout était bien, prit gaillardement le chemin de la gare, sans même se retourner une fois vers la maison du baobab. Derrière lui marchaient le brave commandant Bravida, ancien capitaine d’habillement, le président Ladevèze, puis l’armurier Costecalde et tous les chasseurs de casquettes, puis les brouettes, puis le peuple.

Devant l’embarcadère, le chef de gare l’attendait – un vieil Africain de 1830, qui lui serra la main plusieurs fois avec chaleur.

L’express Paris-Marseille n’était pas encore arrivé. Tartarin et son état-major entrèrent dans les salles d’attente. Pour éviter l’encombrement, derrière eux le chef de gare fit fermer les grilles.

Pendant un quart d’heure, Tartarin se promena de long en large dans les salles, au milieu des chasseurs de casquettes. Il leur parlait de son voyage, de sa chasse, promettant d’envoyer des peaux. On s’inscrivait sur son carnet pour une peau comme pour une contredanse.

Tranquille et doux comme Socrate au moment de boire la ciguë, l’intrépide Tarasconnais avait un mot pour chacun, un sourire pour tout le monde. Il parlait simplement, d’un air affable ; on aurait dit qu’avant de partir, il voulait laisser derrière lui comme une traînée de charme, de regrets, de bons souvenirs. D’entendre leur chef parler ainsi, tous les chasseurs de casquettes avaient des larmes, quelques-uns même des remords, comme le président Ladevèze et le pharmacien Bézuquet.

Des hommes d’équipe pleuraient dans des coins. Dehors, le peuple regardait à travers les grilles, et criait : « Vive Tartarin ! »

Enfin la cloche sonna. Un roulement sourd, un sifflet déchirant ébranla les voûtes… En voiture ! en voiture !

– Adieu, Tartarin !… adieu, Tartarin !…

– Adieu, tous !… murmura le grand homme, et sur les joues du brave commandant Bravida il embrassa son cher Tarascon.

Puis il s’élança sur la voie, et monta dans un wagon plein de Parisiennes, qui pensèrent mourir de peur en voyant arriver cet homme étrange avec tant de carabines et de revolvers.

XIV. Le Port de Marseille. – Embarque ! embarque !

Le 1er décembre 186… à l’heure de midi, par un soleil d’hiver provençal, un temps clair, luisant, splendide, les Marseillais effarés virent déboucher sur la Canebière un Teur, oh mais un Teur !… Jamais ils n’en avaient vu un comme celui-là ; et pourtant, Dieu sait s’il en manque à Marseille, des Teurs !

Le Teur en question – ai-je besoin de vous le dire ? – c’était Tartarin, le grand Tartarin de Tarascon, qui s’en allait le long des quais, suivi de ses caisses d’armes, de sa pharmacie, de ses conserves, rejoindre l’embarcadère de la compagnie Touache, et le paquebot le Zouave, qui devait l’emporter là-bas.

L’oreille encore pleine des applaudissements tarasconnais, grisé par la lumière du ciel, l’odeur de la mer, Tartarin rayonnant marchait, ses fusils sur l’épaule, la tête haute, regardant de tous ses yeux ce merveilleux port de Marseille qu’il voyait pour la première fois, et qui l’éblouissait… Le pauvre homme croyait rêver. Il lui semblait qu’il s’appelait Sinbad le Marin, et qu’il errait dans une de ces villes fantastiques comme il y en a dans les Mille et une Nuits.

C’était à perte de vue un fouillis de mâts, de vergues, se croisant dans tous les sens. Pavillons de tous les pays, russes, grecs, suédois, tunisiens, américains… Les navires au ras du quai, les beauprés arrivant sur la berge comme des rangées de baïonnettes. Au-dessous les naïades, les déesses, les saintes vierges et autres, sculptures de bois peint qui donnent le nom au vaisseau ; tout cela mangé par l’eau de mer, dévoré, ruisselant, moisi… De temps en temps, entre les navires, un morceau de mer, comme une grande moire tachée d’huile… Dans l’enchevêtrement des vergues, des nuées de mouettes faisant de jolies taches sur le ciel bleu, des mousses qui s’appelaient dans toutes les langues.

Sur le quai, au milieu des ruisseaux qui venaient des savonneries, verts, épais, noirâtres, chargés d’huile et de soude, tout un peuple de douaniers, de commissionnaires, de portefaix avec leurs bogheys attelés de petits chevaux corses.

Des magasins de confections bizarres, des baraques enfumées où les matelots faisaient leur cuisine, des marchands de pipes, des marchands de singes, de perroquets, de cordes, de toiles à voiles, des bric-à-brac fantastiques où s’étalaient pêle-mêle de vieilles couleuvrines, de grosses lanternes dorées, de vieux palans, de vieilles ancres édentées, vieux cordages, vieilles poulies, vieux porte-voix, lunettes marines du temps de Jean Bart et de Duguay-Trouin. Des vendeuses de moules et de clovisses accroupies et piaillant à côté de leurs coquillages. Des matelots passant avec des pots de goudron, des marmites fumantes, de grands paniers pleins de poulpes qu’ils allaient laver dans l’eau blanchâtre des fontaines.

Partout, un encombrement prodigieux de marchandises de toute espèce ; soieries, minerais, trains de bois, saumons de plomb, draps, sucres, caroubes, colzas, réglisses, cannes à sucre. L’Orient et l’Occident pêle-mêle. De grands tas de fromages de Hollande que les Génoises teignaient en rouge avec leurs mains.

Là-bas, quai au blé ; les portefaix déchargeant leurs sacs sur la berge du haut de grands échafaudages. Le blé, torrent d’or, qui roulait au milieu d’une fumée blonde. Des hommes en fez rouge, le criblant à mesure dans de grands tamis de peau d’âne, et le chargeant sur des charrettes qui s’éloignaient suivies d’un régiment de femmes et d’enfants avec des balayettes et des paniers à glanes… Plus loin, le bassin de carénage, les grands vaisseaux couchés sur le flanc et qu’on flambait avec des broussailles pour les débarrasser des herbes de la mer, les vergues trempant dans l’eau, l’odeur de la résine, le bruit assourdissant des charpentiers doublant la coque des navires avec de grandes plaques de cuivre.

Parfois entre les mâts, une éclaircie. Alors Tartarin voyait l’entrée du port, le grand va-et-vient des navires, une frégate anglaise partant pour Malte, pimpante et bien lavée, avec des officiers en gants jaunes, ou bien un grand brick marseillais démarrant au milieu des cris, des jurons, et à l’arrière un gros capitaine en redingote et chapeau de soie, commandant la manœuvre en provençal. Des navires qui s’en allaient en courant, toutes voiles dehors. D’autres là-bas, bien loin, qui arrivaient lentement, dans le soleil, comme en l’air.

Et puis tout le temps un tapage effroyable, roulement de charrettes, « oh ! hisse » des matelots, jurons, chants, sifflets de bateaux à vapeur, les tambours et les clairons du fort Saint-Jean, du fort Saint-Nicolas, les cloches de la Major, des Accoules, de Saint-Victor ; par là-dessus le mistral qui prenait tous ces bruits, toutes ces clameurs, les roulait, les secouait, les confondait avec sa propre voix et en faisait une musique folle, sauvage, héroïque comme la grande fanfare du voyage, fanfare qui donnait envie de partir, d’aller loin, d’avoir des ailes. C’est au son de cette belle fanfare que l’intrépide Tartarin de Tarascon s’embarqua pour le pays des lions !…

Deuxième épisode. Chez les Teurs

  I. La Traversée. – Les Cinq Positions de la chéchia. – Le Soir du troisième jour. – Miséricorde

Je voudrais, mes chers lecteurs, être peintre et grand peintre pour mettre sous vos yeux, en tête de ce second épisode, les différentes positions que prit la chéchia (bonnet rouge) de Tartarin de Tarascon, dans ces trois jours de traversée qu’elle fit à bord du Zouave, entre la France et l’Algérie.

Je vous la montrerais d’abord au départ sur le pont, héroïque et superbe comme elle était, auréolant cette belle tête tarasconnaise. Je vous la montrerais ensuite à la sortie du port, quand le Zouave commence à caracoler sur les lames : je vous la montrerais frémissante, étonnée, et comme sentant déjà les premières atteintes de son mal.

Puis, dans le golfe du Lion, à mesure qu’on avance au large et que la mer devient plus dure, je vous la ferais voir aux prises avec la tempête, se dressant effarée sur le crâne du héros, et son grand flot de laine bleue qui se hérisse dans la brume de mer et la bourrasque… Quatrième position. Six heures du soir, en vue des côtes corses. L’infortunée chéchia se penche par-dessus le bastingage et lamentablement regarde et sonde la mer… Enfin, cinquième et dernière position, au fond d’une étroite cabine, dans un petit lit qui a l’air d’un tiroir de commode, quelque chose d’informe et de désolé roule en geignant sur l’oreiller. C’est la chéchia, l’héroïque chéchia du départ, réduite maintenant au vulgaire état de casque à mèche et s’enfonçant jusqu’aux oreilles d’une tête de malade blême et convulsionnée…

Ah ! si les Tarasconnais avaient pu voir leur grand Tartarin couché dans son tiroir de commode sous le jour blafard et triste qui tombait des hublots, parmi cette odeur fade de cuisine et de bois mouillé, l’écœurante odeur du paquebot ; s’ils l’avaient entendu râler à chaque battement de l’hélice, demander du thé toutes les cinq minutes et jurer contre le garçon avec une petite voix d’enfant, comme ils s’en seraient voulu de l’avoir obligé à partir… Ma parole d’historien ! le pauvre Teur faisait pitié. Surpris tout à coup par le mal, l’infortuné n’avait pas eu le courage de desserrer sa ceinture algérienne, ni de se défubler de son arsenal. Le couteau de chasse à gros manche lui cassait la poitrine, le cuir de son revolver lui meurtrissait les jambes. Pour l’achever, les bougonnements de Tartarin-Sancho, qui ne cessait de geindre et de pester :

« Imbécile, va !… Je te l’avais bien dit !… Ah ! tu as voulu aller en Afrique… Eh bien, té ! la voilà l’Afrique… Comment la trouves-tu ? »

Ce qu’il y avait de plus cruel, c’est que du fond de sa cabine et de ses gémissements, le malheureux entendait les passagers du grand salon rire, manger, chanter, jouer aux cartes. La société était aussi joyeuse que nombreuse à bord du Zouave. Des officiers qui rejoignaient leurs corps, des dames de l’Alkazar de Marseille, des cabotins, un riche musulman qui revenait de la Mecque, un prince monténégrin très farceur qui faisait des imitations de Ravel et de Gil Pérès… Pas un de ces gens-là n’avait le mal de mer, et leur temps se passait à boire du champagne avec le capitaine du Zouave, un bon gros vivant de Marseillais, qui avait ménage à Alger et à Marseille, et répondait au joyeux nom de Barbassou.

Tartarin de Tarascon en voulait à tous ces misérables. Leur gaieté redoublait son mal…

Enfin, dans l’après-midi du troisième jour, il se fit à bord du navire un mouvement extraordinaire qui tira notre héros de sa longue torpeur. La cloche de l’avant sonnait. On entendait les grosses bottes des matelots courir sur le pont.

« Machine en avant !… machine en arrière ! » criait la voix enrouée du capitaine Barbassou.

Puis : « Machine, stop ! » Un grand arrêt, une secousse, et plus rien… Rien que le paquebot se balançant silencieusement de droite à gauche, comme un ballon dans l’air…

Cet étrange silence épouvanta le Tarasconnais.

 « Miséricorde ! nous sombrons !… » cria-t-il d’une voix terrible, et, retrouvant ses forces par magie, il bondit de sa couchette, et se précipita sur le pont avec son arsenal.

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