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Contes humoristiques - Tome I

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Le mariage manqué

Boulevard Saint-Michel, Sapeck passait un dimanche soir, lorsqu'il fut accosté par un jeune potache qui lui demanda, le képi à la main:

—Pardon, monsieur, vous plairait-il de me rendre un petit service?

—Tel est le plus cher de mes vœux. De quoi s'agit-il?

—Tout simplement de me rentrer au lycée Saint-Louis. Devant le censeur, vous me ferez vos adieux comme si vous étiez mon oncle.

Les voilà partis, Sapeck et le potache; Sapeck grave, le potache enchanté.

Dans le parloir, devant le censeur qui préside à la rentrée des élèves, Sapeck redouble de gravité:

—Bonsoir, mon neveu.

—Bonsoir, mon oncle.

—Travaille bien, mon neveu, et ne sois pas collé dimanche. Que ta devise soit celle de Tacite: Laboremus et bene nos conduisemus, car, comme l'a très bien fait observer Lucrèce dans un vers immortel: Sine labore et bona conducta ad nihil advenimus. Et surtout sois poli et convenable avec tes maîtres: Maxima pionibus debetur reverentia.

Le pauvre potache, pendant ce discours, semblait un peu gêné de la latinité cuisinière de son oncle improvisé. Il risqua un: Bonsoir, mon oncle! timide.

Mais Sapeck ne l'entendait pas ainsi. Il venait d'apercevoir, luisant sur le gilet du lycéen, une superbe chaîne d'or.

—Comment! s'écria-t-il, petit malheureux, tu emportes ta montre au collège? Ne sais-tu donc pas qu'à Rome, à la porte de chaque école, se trouvait un fonctionnaire chargé de fouiller les petits élèves et de leur enlever les sabliers et les clepsydres qu'ils dissimulaient sous leur toge? On appelait cet homme le scholarius detrussator, et Salluste avait dit à cette époque: Chronometrum juvenibus discipulis procurat distractiones.

—Mais, mon oncle....

—Remets-moi ta montre.

Le censeur intervint:

—Remettez donc votre montre à monsieur votre oncle. D'ailleurs, vous n'en avez nul besoin au lycée.

Le potache commençait à éprouver de sérieuses inquiétudes pour son horlogerie, quand le bon Sapeck, dont le cœur est d'or, conclut avec une infinie mansuétude:

—Allons, mon enfant, garde ta montre, et qu'elle soit pour moi le symbole du temps qui passe et ne saurait se rattraper: Fugit irreparabile tempus.

Cette histoire de mon ami Sapeck m'est revenue au souvenir, ces jours-ci, à l'épilogue d'une aventure qui m'arriva l'année dernière, et dont le début présente quelque analogie avec la première.

Moi aussi, je fus accosté par un potache. C'était un dimanche après-midi, à la fête de Neuilly.

Comme à Sapeck, mon potache me demanda, le képi à la main:

—Pardon, monsieur, vous plairait-il de me rendre un petit service?

—Si cela ne me dérange en rien7, répondis-je poliment, je ne demande pas mieux. De quoi s'agit-il?

—Voici, monsieur.... Permettez-moi d'abord de vous présenter ma bonne amie, dont je suis éperdument amoureux.

Et il me présenta une manière de petite brune drôlichonne qui louchait un peu.

Êtes-vous comme moi? J'adore les petites brunes drôlichonnes qui louchent un peu.

Je m'inclinai.

—Je suis très désireux, reprit le potache, d'avoir le portrait de mademoiselle sur ma cheminée. Mais ma mère ne consentira jamais à laisser traîner un portrait de demoiselle sur ma cheminée. Aussi ai-je imaginé un subterfuge. Elle se fera photographier en votre compagnie, et je dirai à ma mère que c'est le portrait d'un de mes professeurs et de sa femme. Ça vous va-t-il?

Au fond, je suis bon; cela m'alla.

Nous entrâmes chez un photographe forain, qui nous livra en quelques minutes un pur chef-d'œuvre de ressemblance sur tôle, encadré richement, le tout pour 1 franc 75.

Tout dernièrement, j'ai été sur le point de me marier.

Un jour, mon ex-futur beau-père me demanda, non sans raideur:

—Au moins, avez-vous rompu définitivement?

—Rompu? fis-je. Rompu avec qui?

—Avec certaine petite brunette qui louchait un peu.

Je fouillai au plus profond de mes souvenirs. Aucun fantôme de brunette qui louche un peu.

Je niai carrément.

—Et ça? brandit mon beau-père.

Comment s'était-il procuré le malheureux portrait, je ne le sus jamais, mais il l'avait en sa possession.

—Qu'on ait des maîtresses, disait-il, je le comprends, et même je l'admets.... Mais qu'on s'affiche avec!...

Et il ne concluait même pas.

Il me refusa sa fille.

Ça m'est égal, j'ai appris depuis qu'elle avait des habitudes invétérées d'ivrognerie.

Le nommé Fabrice

—Hé! là-bas, le vieux rigolo! qu'est-ce que vous demandez?

Le vieux rigolo ainsi interpellé ne répondit pas, mais comme en proie à une indicible stupeur, il regardait les bâtiments neufs à peine terminés, une petite maisonnette en brique, les hangars, les écuries, une immense bascule destinée à peser les voitures de betteraves.

—Tout de même, fit-il, faut être bougrement effronté!

—De quoi donc, mon brave?

—Faut avei un rude toupet!

Fatigué sans doute de cette conversation, le contremaître demanda brusquement au paysan:

—Enfin, qui êtes-vous? Que voulez-vous?

—Qui que je sis? Vous me demandez qui que je sis? Je sis le nommé Fabrice, et je sis cheu mei, et vous n'êtes pas cheu vous!

—Comment, vous êtes chez vous?

—Je sis cheu mei, et vous allez me faire le plaisir de f... le camp, avec vos gens et toutes vos saloperies de bâtisses, et pis je vous demanderai trois mille francs de dommages et intérêts!

Sur ces entrefaites, l'architecte arrivait au chantier. La dernière phrase du vieux campagnard le fit légèrement pâlir.

Si c'était vrai, pourtant, qu'on eût bâti sur son champ!

Le plus comique, c'est que la chose était parfaitement exacte.

Le pauvre architecte s'était trompé de terrain et il avait construit sur le champ du nommé Fabrice pour cinquante mille francs de bâtiments au compte d'une grande sucrerie voisine.

On allait en faire, une tête, à l'administration, quand on apprendrait ça!

L'architecte esquissa le geste habituel des architectes qui n'en mènent pas large: il se gratta la tête et le nez alternativement.

L'indignation du campagnard allait croissant:

—Je sis le nommé Fabrice, et personne n'a le droit de construire sur mon bien, personne!

—Effectivement, balbutiait l'architecte, il y a erreur, mais elle est facilement réparable.... Nous allons vous donner l'autre champ, le nôtre. Il est d'égale surface, et....

—J' n'en veux point de votre champ. C'est le mien qu'il me faut. Vous n'avez pas le droit de bâtir sur mon bien, ni vous ni personne. J'vous donne huit jours pour démolir tout ça et remettre mon champ en état, et pis je demande trois mille francs de dommages et intérêts!

La discussion continua sur ce ton.

Le pauvre architecte, qui en menait de moins en moins large, s'efforçait de convaincre le nommé Fabrice. Le vieux paysan ne voulait rien savoir. Il lui fallait son champ débarrassé des saloperies de bâtisses, et, en plus, trois mille francs d'indemnité.

Le propriétaire de la sucrerie, informé de cet étrange malentendu, arriva vite et voulut transiger. Le nommé Fabrice était buté.

On marchanda: cinq mille francs d'indemnité!

—Non, ma terre!

—Dix mille!

—Non, ma terre!

—Vingt mille!

—Non, ma terre!

—Ah zut! nous plaiderons, alors!

Malgré la bonne volonté des juges, on ne put découvrir dans le Code le plus mince article de loi autorisant un sucrier à bâtir sur le champ d'autrui, même en l'indemnisant après.

Le sucrier fut condamné à remettre le bien du nommé Fabrice dans l'état où il l'avait pris.

Les considérants du jugement blâmaient la légèreté de l'architecte, et surtout la mauvaise foi évidente et la rapacité du nommé Fabrice.

Le nommé Fabrice riait sous cape. Il alla trouver le sucrier.

—Écoutez, fit-il, je ne sis pas un méchant homme. Donnez-moi votre champ et quarante mille francs... et j'vous fous la paix.

Plus tard, le caissier raconta que le nommé Fabrice, en signant son reçu de quarante mille francs, avait murmuré:

—C'est égal, faut avei un rude toupet tout de même!

On ne sut jamais si c'était de lui qu'il voulait parler ou d'un autre.

L'inespéré bonne fortune

Il m'est arrivé, voici peu de jours, une fort piquante aventure dont je vais avoir l'avantage de mettre mon élégante clientèle au courant.

Il n'était pas loin de six heures, je sortais du Palais où la plaidoirie de mon avocat m'avait si cruellement altéré que je constatai l'urgence d'entrer à la brasserie Dreher et d'y boire un de ces bocks dont elle a seule le secret.

J'étais installé depuis deux minutes quand je me sentis curieusement observé par un grand jeune homme pâle et triste, en face de moi.

 

Bientôt ce personnage se leva, se dirigea vers moi, et fort poliment:

—Vous plairait-il de m'accorder quelques instants de bienveillante attention?

—Volontiers, acquiesçai-je.

—Vous me faites l'effet, monsieur, d'un pour qui rien de ce qui est humain ne demeure étranger.

—Je suis cet un.

—Je l'avais deviné.... Alors, vous allez compatir. Voici la chose dépouillée de tout vain artifice: je suis éperdument amoureux d'une jeune fille qui passe tous les soirs vers six heures et demie place du Châtelet. Une incoercible timidité m'en prohibe l'abord, et cependant je me suis juré de lui causer ce soir, comme dit M. Francisque Sarcey dans son ignorance de la langue française.

—Si vous dites un mot de travers, comme dit Chincholle, sur M. Sarcey, je me retire!

—Restez.... Alors, j'ai imaginé, pour la conquête de la jeune personne en question, un truc vaudevillard et vieux comme le monde, mais qui pourrait d'autant mieux réussir.

—Parlez!

—Quand la jeune fille poindra à l'horizon du boulevard de Sébastopol, je vous la désignerai discrètement; vous lui emboîterez le pas, vous lui conterez les mille coutumières et stupides fadaises... À un moment, vous serez insolent.... La jeune vierge se rebiffera.... C'est alors que j'interviendrai.»Monsieur, m'indignerai-je, je vous prie de laisser mademoiselle tranquille, etc.!» Le reste ira tout seul.

—Bien imaginé.

—Vous vous retirerez plein d'une confusion apparente. Demain, je vous raconterai le reste, si vous voulez bien me permettre de vous offrir à déjeuner, ici même, sur le coup de midi.

—Entendu.

—Chut!... la voilà!

Elle était en effet très bien, la jeune personne, véritablement très bien.

Une sorte de Cléo de Mérode, avec à la fois plus de candeur et de distinction.

Fidèle au programme, je l'accompagnai: Mademoiselle, écoutez-moi donc! et tout ce qui s'ensuit.

Elle ne répondit rien.

Je devins pressant.

Égal mutisme.

Impatienté, je frisai la goujaterie.

Je n'y gagnai qu'à la faire croître en beauté, en candeur, en distinction.

C'est alors que le jeune homme pâle et triste crut devoir intervenir:

—Monsieur, je vous prie de laisser cette jeune fille en paix!

La demoiselle détourna la tête, s'empourpra de colère, et d'une voix enrouée et faubourienne:

—Eh ben quoi! cria-t-elle. Il est malade, çui-là! Qui qui lui prend?

S'adressant à moi:

—Monsieur, f...ez-lui donc sur la gueule pour y apprendre à se mêler de ce qui le regarde! En voilà un veau!

J'hésitais à frapper.

—F...ez-lui donc sur la gueule, que je vous dis, à c'daim-là!... Vous n'êtes donc pas un homme?

Ma foi, un peu piqué dans mon amour-propre, j'obéis.

Je décochai au jeune homme pâle et triste un formidable coup de poing, qu'il para fort habilement d'ailleurs avec son œil gauche.

Une heure après cet incident, la délicieuse enfant, véritable vierge de Vermicelli8, m'amenait en sa chambrette du boulevard Arago et me prodiguait ses plus intimes caresses.

Le lendemain à midi, exact au rendez-vous du jeune homme pâle et triste, je me trouvai chez Dreher.

Lui n'y vint pas.

Mesquine rancune? Simple oubli?

La valse

Le col de pardessus relevé, mes mains dans les poches, j'allais par les rues brumeuses et froides en cet état d'abrutissement vague qui tend à devenir un état normal chez moi, depuis quelque temps.

Tout à coup je fus tiré de ma torpeur par une petite main finement gantée qui s'avançait vers moi, et une voix fraîche qui disait:

—Comment, te voilà, grande gouape!

Je levai les yeux.

La personne qui m'interpellait aussi familièrement était une grosse, jeune, blonde, petite femme, jolie comme tout, mais que je ne connaissais aucunement.

—Je crains bien, madame, répondis-je poliment, de n'être point la grande gouape que vous croyez.

—Ah! par exemple, c'est trop fort!

Et elle me nomma.

—Comment, continua-t-elle, tu ne me reconnais pas? Je suis donc bien changée! Voyons, regarde-moi bien.

—Aussi longtemps que vous voudrez, madame, car cette opération n'a rien de déplaisant pour moi.

—Tu n'as pas changé, toi.... Tu ne te rappelles pas le Luxembourg?

—Lequel, madame? Le jardin ou le grand-duché?

—Imbécile!

J'avais beau la considérer avec la plus vive attention, impossible de trouver un nom ou même de rattacher le moindre souvenir.

À la fin, elle eut pitié de mon embarras.

—Nanette! dit-elle, en éclatant de rire.

—Comment, c'est toi, ma pauvre Nanette! Oh! combien engraissée!

—Oui, je suis devenue un peu forte!

Je l'avais connue, voilà sept ou huit ans. C'était, à cette époque, une gamine ébouriffée et toute menue. J'aurais pu, semblait-il, la fourrer dans la poche de mon ulster.

Apprentie dans je ne sais quel atelier de Montrouge, elle fréquentait plus assidûment le Luxembourg que sa boîte, et je ne me lassais pas d'admirer la longanimité de ses patrons qui acceptaient bénévolement d'aussi longues et fréquentes disparitions.

Et gaie avec cela, et maligne!

Un beau jour, elle avait disparu sans crier gare, et je ne l'avais jamais revue.

J'étais émerveillé de la retrouver ainsi changée, et surtout considérablement augmentée.

Je ne m'en cache pas, j'adore les jeunes femmes un peu fortes, mais je les préfère énormes et voici la raison:

J'ai un faible pour la peau humaine lorsqu'elle est tendue sur le corps d'une jolie femme; or, j'ai remarqué que les grosses personnes offrent infiniment plus de peau que les maigres. Voilà.

Mon amie était dans ce cas, et tandis qu'elle me racontait son histoire et sa métamorphose, je l'enveloppais d'un regard gourmand et convoiteur.

Elle en avait à me raconter, depuis le temps!

D'abord, elle était tombée amoureuse d'un jeune premier au Théâtre national des Gobelins. Premier collage, où le confortable était abondamment remplacé par des volées quotidiennes.

Un jour, la volée fut bi-quotidienne. Alors Nanette, outrée de ce procédé inqualifiable, lâcha le cabotin et devint la maîtresse d'un jeune sculpteur de Montparnasse.

Pas de coups avec cet artiste, mais une purée! Et tout le temps poser, tout le temps.

Heureusement qu'il vint une commande, un buste. Un jeune homme riche tenait à posséder ses traits en marbre.

Quand les traits furent terminés, le jeune homme riche emporta son buste... et Nanette.

Entre nous, je crois que le buste n'était qu'une frime imaginée par le jeune homme riche pour se rapprocher de l'objet de son amour.

Quoi qu'il en soit, Nanette prit un ascendant considérable sur son nouvel amant et, comme elle le disait un peu modernement, elle le menait par le bi, par le bout, par le bi du bout du nez.

Tout de suite, avec lui, elle s'était mise à engraisser, enchantée d'ailleurs.»Ça me donne un air sérieux», affirmait-elle.

—Et ton amant, demandai-je, joli garçon?

—Superbe!

—Intelligent?

—Un vrai daim, mon cher! Imagine-toi....

Et elle me conta force anecdotes tendant toutes à démontrer la parfaite stupidité du personnage.

—Et que fait-il?

—Rien, je te dis, il est riche. Pourtant, il a une prétention: composer de la musique. As-tu un livret d'opéra à mettre en musique?

—Non, pas pour le moment.

—Ah! une idée!

Elle frappa dans ses mains, en femme à qui il vient d'arriver une bonne idée.

—Tu as du talent? fit-elle.

—Dans quel genre?

—Écris les paroles d'une opérette, apporte-les-lui. Ça ne sera jamais joué, mais tu auras un prétexte pour venir à la maison. Tu verras comme il est bête!

Je n'eus garde, vous pensez bien, de manquer une si belle occasion. Je bâclai, le lendemain même, une ânerie qui ressemblait à une opérette comme l'Oeil crevé ressemble au Syllabus, et j'apportai la chose à mon compositeur.

Nanette n'avait pas menti. Il était encore plus bête que ça.

Il fut enchanté que j'eusse pensé à lui.

—Mais qui diable a pu vous parler de moi?

—C'est M. Saint-Saëns qui m'a donné votre adresse!

—Saint-Saëns! mais je ne le connais pas!

—Eh bien, lui vous connaît!

Nanette, qui se trouvait en peignoir, les cheveux sur le dos, plus jolie que jamais, se tenait les côtes. (Je me serais volontiers chargé de cette opération).

—Joue donc ta valse à monsieur, dit-elle.

Il se mit au piano et préluda.

Silencieusement, Nanette m'indiqua la pendule. Je regardai l'heure: 10 h 15.

Il jouait sa valse avec une conviction véritablement touchante. C'était une suite d'airs idiots, mille fois entendus. Mais quel feu dans l'exécution!

Le monde extérieur n'existait plus pour lui. Il se penchait, se relevait, se tortillait. La sueur ruisselait sur son front génial.

Nanette me regardait de son air le plus cocasse: «Crois-tu, hein!»

En effet, il fallait le voir pour le croire.

Je la contemplais goulûment. Crédieu, qu'elle était jolie en peignoir!

La valse marchait toujours. Nous étions assis à côté l'un de l'autre, sur un divan.

—À quoi penses-tu? fit-elle brusquement.

—Je suis en train de calculer la surface approximative de ton joli corps, et, divisant mentalement cette superficie par celle d'un baiser, je calcule combien de fois je pourrais t'embrasser sans t'embrasser à la même place!

—Et ça fait combien?

—C'est effrayant!... Tu ne le croirais pas.

La valse était finie. Il était 10 h 35. L'artiste s'épongeait.

—Superbe, superbe, superbe!

—Seulement, ajouta Nanette, monsieur ne la trouve pas assez longue. Monsieur me faisait remarquer avec raison qu'après le grand machin brillant, tu sais, ploum, ploum, ploum, pataploum, tu devrais reprendre la mélodie, tu sais, tra la la la, tra la la la la!

—C'est votre avis, monsieur?

—Je crois que ça ferait mieux!

Je pris congé. Il était temps. J'allais mourir de rire.

Mais je revins le lendemain.

Mon compositeur était sorti. Ce fut Nanette qui me reçut, en peignoir, les cheveux sur le dos, comme la veille.

Le divan était là-bas, large, tentant.

Je devins pressant.

Nanette se défendait mollement:

—Non, pas maintenant.... Quand il sera là!

—!!!!!...

—Oui, ce sera bien plus drôle.... Pendant sa valse!

Nature morte

Vous avez peut-être remarqué, au Salon de cette année, un petit tableau, à peu près grand comme une feuille, lequel représente tout simplement une boîte à sardines sur un coin de table.

Non pas une boîte pleine de sardines, mais une boîte vide, dans laquelle stagne un restant d'huile, une pauvre boîte prochainement vouée à la poubelle.

Malgré le peu d'intérêt du sujet, on ne peut pas, dès qu'on a aperçu ce tableautin, s'en détacher indifférent.

L'exécution en est tellement parfaite qu'on se sent cloué à cette contemplation avec le rire d'un enfant devant quelque merveilleux joujou. Le zinc avec sa luisance grasse, le fond huileux de la boîte reflétant onctueusement le couvercle déchiqueté, c'est tellement ça!

Les curieux qui consultent le livret apprennent que l'auteur de cette étrange merveille est M. Van der Houlen, né à Haarlem, et qui eut une mention honorable en 1831.

Une mention honorable en 1831! M. Van der Houlen n'est pas tout à fait un jeune homme.

 

Très intrigué, j'ai voulu connaître ce curieux peintre et, pas plus tard qu'hier, je me suis rendu chez lui.

C'est là-bas, au diable, derrière la butte Montmartre, dans un grand hangar où remisent de très vieilles voitures et dont l'artiste occupe le grenier.

Un vaste grenier inondé de lumière, tout rempli de toiles terminées; dans un coin, une manière de petite chambre à coucher. Le tout d'une irréprochable propreté.

Tous les tableaux sans exception représentent des natures mortes, mais d'un rendu si parfait, qu'en comparaison, les Vollon, les Bail et les Desgoffe ne sont que de tout petits garçons.

Le père Houlen, comme l'appellent ses voisins, était en train de faire son ménage, minutieusement.

C'est un petit vieux, en grande redingote autrefois noire, mais actuellement plutôt verte. Une grande casquette hollandaise est enfoncée sur ses cheveux d'argent.

Dès les premiers mots, je suis plongé dans une profonde stupeur. Impossible d'imaginer plus de naïveté, de candeur et même d'ignorance. Il ne sait rien de ce qui touche l'art et les artistes.

Comme je lui demande quelques renseignements sur sa manière de procéder, il ouvre de grands yeux et, dans l'impossibilité de formuler quoi que ce soit, il me dit:

—Regardez-moi faire.

Ayant bien essuyé ses grosses lunettes, il s'assied devant une toile commencée, et se met à peindre.

Peindre! je me demande si on peut appeler ça peindre.

Il s'agit de représenter un collier de perles enroulé autour d'un hareng saur. Sans m'étonner du sujet, je contemple attentivement le bonhomme.

Armé de petits pinceaux très fins, avec une incroyable sûreté d'œil et de patte et une rapidité de travail vertigineuse, il procède par petites taches microscopiques qu'il juxtapose sans jamais revenir sur une touche précédente.

Jamais, jamais il n'interrompt son ouvrage de patience pour se reculer et juger de l'effet. Sans s'arrêter, il travaille comme un forçat méticuleux.

Le seul mot qu'il finisse par trouver à propos de son art, c'est celui-ci:—La grande affaire, voyez-vous, c'est d'avoir des pinceaux bien propres.

Le soir montait. Méthodiquement, il rangea ses ustensiles, nettoya sa palette et jeta un regard circulaire chez lui pour s'assurer que tout était bien en ordre.

Nous sortîmes.

Quelques petits verres de curaçao (il adore le curaçao) lui délièrent la langue.

Comme je m'étonnais qu'avec sa grande facilité de travail il n'eût envoyé au Salon que le petit tableau dont j'ai parlé, il me répondit avec une grande tristesse:

—J'ai perdu toute mon année, cette année.

Et alors il me raconta la plus étrange histoire que j'entendis jamais.

De temps en temps, je le regardais attentivement, voulant m'assurer qu'il ne se moquait pas de moi, mais sa vieille honnête figure de vieillard navré répondait de sa bonne foi.

Il y a un an, un vieil amateur hollandais, fixé à Paris, lui commanda, en qualité de compatriote, un tableau représentant un dessus de cheminée avec une admirable pendule en ivoire sculpté, une merveille unique au monde.

Au bout d'un mois, c'était fini. L'amateur était enchanté, quand tout à coup sa figure se rembrunit:

—C'est très bien, mais il y a quelque chose qui n'est pas à sa place.

—Quoi donc?

—Les aiguilles de la pendule.

Van der Houlen rougit. Lui si exact s'était trompé.

En effet, dans l'original, la petite aiguille était sur quatre heures et la grande sur midi, tandis que dans le tableau, la petite était entre trois et quatre heures, et la grande sur six heures.

—Ce n'est rien, balbutia le vieil artiste, je vais corriger ça.

Et, pour la première fois, il revint sur une chose faite.

À partir de ce moment, commença une existence de torture et d'exaspération. Lui, jusqu'à présent si sûr de lui-même, ne pouvait pas arriver à mettre en place ces sacrées aiguilles.

Il les regardait bien avant de commencer, voyait bien leur situation exacte et se mettait à peindre. Il n'y avait pas cinq minutes qu'il était en train que, crac! il s'apercevait qu'il s'était encore trompé.

Et il ajoutait:

—À quoi dois-je attribuer cette erreur? Si je croyais aux sorts, je dirais qu'on m'en a jeté un. Ah! ces aiguilles, surtout la grande!

Et depuis un an, ce pauvre vieux travaille à sa pendule, car l'amateur ne veut prendre livraison de l'œuvre et la payer, que lorsque les aiguilles seront exactement comme dans l'original.

Le désespoir du bonhomme était si profond que je compris l'inutilité absolue de toute explication.

Comme un homme qui compatit à son malheur, je lui serrai la main et le quittai dans le petit cabaret où nous étions.

Au bout d'une vingtaine de pas, je m'aperçus que j'avais oublié mon parapluie. Je revins.

Mon vieux, attablé devant un nouveau curaçao, était en proie à un accès d'hilarité si vive qu'il ne me vit pas entrer.

Littéralement, il se tordait de rire.

Tout penaud, je m'éloignai en murmurant:

—Vieux fumiste, va!

77 Le caractère de M. Alphonse Allais est tout entier dans cette phrase. (Note de l'auteur).
88 Vermicelli, célèbre peintre italien qui florissait à Gennevilliers vers la fin du XIXe siècle.

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