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La Comédie humaine – Volume 08. Scènes de la vie de Province – Tome 04

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Lucien, la pièce jouée, courut à la rue Saint-Fiacre y faire son article sur la pièce. Sa critique fut, par calcul, âpre et mordante; il se plut à essayer son pouvoir. Le mélodrame valait mieux que celui du Panorama-Dramatique; mais il voulait savoir s'il pouvait, comme on le lui avait dit, tuer une bonne et faire réussir une mauvaise pièce. Le lendemain, en déjeunant avec Coralie, il déplia le journal, après lui avoir dit qu'il y éreintait l'Ambigu-Comique. Lucien ne fut pas médiocrement étonné de lire, après son article sur madame de Bargeton et sur Châtelet, un compte-rendu de l'Ambigu si bien édulcoré durant la nuit, que, tout en conservant sa spirituelle analyse, il en sortait une conclusion favorable. La pièce devait remplir la caisse du théâtre. Sa fureur ne saurait se décrire; il se proposa de dire deux mots à Lousteau. Il se croyait déjà nécessaire, et se promettait de ne pas se laisser dominer, exploiter comme un niais. Pour établir définitivement sa puissance, il écrivit l'article où il résumait et balançait toutes les opinions émises à propos du livre de Nathan pour la Revue de Dauriat et de Finot. Puis, une fois monté, il brocha l'un de ses articles Variétés dus au petit journal. Dans leur première effervescence, les jeunes journalistes pondent des articles avec amour et livrent ainsi très-imprudemment toutes leurs fleurs. Le directeur du Panorama-Dramatique donnait la première représentation d'un vaudeville, afin de laisser à Florine et à Coralie leur soirée. On devait jouer avant le souper. Lousteau vint chercher l'article de Lucien, fait d'avance sur cette petite pièce, dont il avait vu la répétition générale, afin de n'avoir aucune inquiétude relativement à la composition du numéro. Quand Lucien lui eut lu l'un de ces petits charmants articles sur les particularités parisiennes, qui firent la fortune du journal, Étienne l'embrassa sur les deux yeux et le nomma la providence des journaux.

– Pourquoi donc t'amuses-tu à changer l'esprit de mes articles? dit Lucien, qui n'avait fait ce brillant article que pour donner plus de force à ses griefs.

– Moi! s'écria Lousteau.

– Eh! bien, qui donc a changé mon article?

– Mon cher, répondit Étienne en riant, tu n'es pas encore au courant des affaires. L'Ambigu nous prend vingt abonnements, dont neuf seulement sont servis au directeur, au chef d'orchestre, au régisseur, à leurs maîtresses et à trois copropriétaires du théâtre. Chacun des théâtres du boulevard paye ainsi huit cents francs au journal. Il y a pour tout autant d'argent en loges données à Finot, sans compter les abonnements des acteurs et des auteurs. Le drôle se fait donc huit mille francs aux boulevards. Par les petits théâtres, juge des grands! Comprends-tu? Nous sommes tenus à beaucoup d'indulgence.

– Je comprends que je ne suis pas libre d'écrire ce que je pense…

– Eh! que t'importe, si tu y fais tes orges, s'écria Lousteau. D'ailleurs, mon cher, quel grief as-tu contre le théâtre? il te faut une raison pour échiner la pièce d'hier. Échiner pour échiner, nous compromettrions le journal. Quand le journal frapperait avec justice, il ne produirait plus aucun effet. Le directeur t'a-t-il manqué?

– Il ne m'avait pas réservé de place.

– Bon, fit Lousteau. Je montrerai ton article au directeur, je lui dirai que je t'ai adouci, tu t'en trouveras mieux que de l'avoir fait paraître. Demande-lui demain des billets, il t'en signera quarante en blanc tous les mois, et je te mènerai chez un homme avec qui tu t'entendras pour les placer; il te les achètera tous à cinquante pour cent de remise sur le prix des places. On fait sur les billets de spectacle le même trafic que sur les livres. Tu verras un autre Barbet, un chef de claque, il ne demeure pas loin d'ici, nous avons le temps, viens?

– Mais, mon cher, Finot fait un infâme métier à lever ainsi sur les champs de la pensée des contributions indirectes. Tôt ou tard…

– Ah! çà, d'où viens-tu? s'écria Lousteau. Pour qui prends-tu Finot? Sous sa fausse bonhomie, sous cet air Turcaret, sous son ignorance et sa bêtise, il y a toute la finesse du marchand de chapeaux dont il est issu. N'as-tu pas vu dans sa cage, au Bureau du journal, un vieux soldat de l'Empire, l'oncle de Finot? Cet oncle est non-seulement un honnête homme, mais il a le bonheur de passer pour un niais. Il est l'homme compromis dans toutes les transactions pécuniaires. A Paris, un ambitieux est bien riche quand il a près de lui une créature qui consent à être compromise. Il est en politique comme en journalisme une foule de cas où les chefs ne doivent jamais être mis en cause. Si Finot devenait un personnage politique, son oncle deviendrait son secrétaire et recevrait pour son compte les contributions qui se lèvent dans les bureaux sur les grandes affaires. Giroudeau, qu'au premier abord on prendrait pour un niais, a précisément assez de finesse pour être un compère indéchiffrable. Il est en vedette pour empêcher que nous ne soyons assommés par les criailleries, par les débutants, par les réclamations, et je ne crois pas qu'il y ait son pareil dans un autre journal.

– Il joue bien son rôle, dit Lucien, je l'ai vu à l'œuvre.

Étienne et Lucien allèrent dans la rue du Faubourg-du-Temple, où le rédacteur en chef s'arrêta devant une maison de belle apparence.

– Monsieur Braulard y est-il? demanda-t-il au portier.

– Comment monsieur? dit Lucien. Le chef des claqueurs est donc monsieur?

– Mon cher, Braulard a vingt mille livres de rente, il a la griffe des auteurs dramatiques du boulevard qui tous ont un compte courant chez lui, comme chez un banquier. Les billets d'auteur et de faveur se vendent. Cette marchandise, Braulard la place. Fais un peu de statistique, science assez utile quand on n'en abuse pas. A cinquante billets de faveur par soirée à chaque spectacle, tu trouveras deux cent cinquante billets par jour; si, l'un dans l'autre, ils valent quarante sous, Braulard paye cent vingt-cinq francs par jour aux auteurs et court la chance d'en gagner autant. Ainsi, les seuls billets des auteurs lui procurent près de quatre mille francs par mois, au total quarante-huit mille francs par an. Suppose vingt mille francs de perte, car il ne peut pas toujours placer ses billets.

– Pourquoi?

– Ah! les gens qui viennent payer leurs places au bureau passent concurremment avec les billets de faveur qui n'ont pas de places réservées. Enfin le théâtre garde ses droits de location. Il y a les jours de beau temps, et de mauvais spectacles. Ainsi, Braulard gagne peut-être trente mille francs par an sur cet article. Puis il a ses claqueurs, autre industrie. Florine et Coralie sont ses tributaires; si elles ne le subventionnaient pas, elles ne seraient point applaudies à toutes les entrées et leurs sorties.

Lousteau donnait cette explication à voix basse en montant l'escalier.

– Paris est un singulier pays, dit Lucien en trouvant l'intérêt accroupi dans tous les coins.

Une servante proprette introduisit les deux journalistes chez monsieur Braulard. Le marchand de billets, qui siégeait sur un fauteuil de cabinet, devant un grand secrétaire à cylindre, se leva en voyant Lousteau. Braulard, enveloppé d'une redingote de molleton gris, portait un pantalon à pied et des pantoufles rouges absolument comme un médecin ou comme un avoué. Lucien vit en lui l'homme du peuple enrichi: un visage commun, des yeux gris pleins de finesse, des mains de claqueur, un teint sur lequel les orgies avaient passé comme la pluie sur les toits, des cheveux grisonnants, et une voix assez étouffée.

– Vous venez, sans doute, pour mademoiselle Florine, et monsieur pour mademoiselle Coralie, dit-il, je vous connais bien. Soyez tranquille, monsieur, dit-il à Lucien, j'achète la clientèle du Gymnase, je soignerai votre maîtresse et je l'avertirai des farces qu'on voudrait lui faire.

– Ce n'est pas de refus, mon cher Braulard, dit Lousteau; mais nous venons pour les billets du journal à tous les théâtres des boulevards: moi comme rédacteur en chef, monsieur comme rédacteur de chaque théâtre.

– Ah, oui, Finot a vendu son journal. J'ai su l'affaire. Il va bien, Finot. Je lui donne à dîner à la fin de la semaine. Si vous voulez me faire l'honneur et le plaisir de venir, vous pouvez amener vos épouses, il y aura noces et festins, nous avons Adèle Dupuis, Ducange, Frédéric Du Petit-Méré, mademoiselle Millot ma maîtresse, nous rirons bien! nous boirons mieux!

– Il doit être gêné, Ducange, il a perdu son procès.

– Je lui ai prêté dix mille francs, le succès de Calas va me les rendre; aussi l'ai-je chauffé! Ducange est un homme d'esprit, il a des moyens… Lucien croyait rêver en entendant cet homme apprécier les talents des auteurs. – Coralie a gagné, lui dit Braulard de l'air d'un juge compétent. Si elle est bonne enfant, je la soutiendrai secrètement contre la cabale à son début au Gymnase. Écoutez? Pour elle, j'aurai des hommes bien mis aux galeries qui souriront et qui feront de petits murmures afin d'entraîner l'applaudissement. Voilà un manége qui pose une femme. Elle me plaît, Coralie, et vous devez être content d'elle, elle a des sentiments. Ah! je puis faire chuter qui je veux…

– Mais pour les billets? dit Lousteau.

– Hé! bien, j'irai les prendre chez monsieur, vers les premiers jours de chaque mois. Monsieur est votre ami, je le traiterai comme vous. Vous avez cinq théâtres, on vous donnera trente billets; ce sera quelque chose comme soixante-quinze francs par mois. Peut-être désirez-vous une avance? dit le marchand de billets en revenant à son secrétaire et tirant sa caisse pleine d'écus.

– Non, non, dit Lousteau, nous garderons cette ressource pour les mauvais jours…

– Monsieur, reprit Braulard en s'adressant à Lucien, j'irai travailler avec Coralie ces jours-ci, nous nous entendrons bien.

Lucien ne regardait pas sans un étonnement profond le cabinet de Braulard où il voyait une bibliothèque, des gravures, un meuble convenable. En passant par le salon, il en remarqua l'ameublement également éloigné de la mesquinerie et du trop grand luxe. La salle à manger lui parut être la pièce la mieux tenue, il en plaisanta.

 

– Mais Braulard est gastronome, dit Lousteau. Ses dîners, cités dans la littérature dramatique, sont en harmonie avec sa caisse.

– J'ai de bons vins, répondit modestement Braulard. Allons, voilà mes allumeurs, s'écria-t-il en entendant des voix enrouées et le bruit de pas singuliers dans l'escalier.

En sortant, Lucien vit défiler devant lui la puante escouade des claqueurs et des vendeurs de billets, tous gens à casquettes, à pantalons mûrs, à redingotes râpées, à figures patibulaires, bleuâtres, verdâtres, boueuses, rabougries, à barbes longues, aux yeux féroces et patelins tout à la fois, horrible population qui vit et foisonne sur les boulevards de Paris, qui, le matin, vend des chaînes de sûreté, des bijoux en or pour vingt-cinq sous, et qui claque sous les lustres le soir, qui se plie enfin à toutes les fangeuses nécessités de Paris.

– Voilà les Romains! dit Lousteau en riant, voilà la gloire des actrices et des auteurs dramatiques. Vu de près, ça n'est pas plus beau que la nôtre.

– Il est difficile, répondit Lucien en revenant chez lui, d'avoir des illusions sur quelque chose à Paris. Il y a des impôts sur tout, on y vend tout, on y fabrique tout, même le succès.

Les convives de Lucien étaient Dauriat, le directeur du Panorama, Matifat et Florine, Camusot, Lousteau, Finot, Nathan, Hector Merlin et madame du Val-Noble, Félicien Vernou, Blondet, Vignon, Philippe Bridau, Mariette, Giroudeau, Cardot et Florentine, Bixiou. Il avait invité ses amis du Cénacle. Tullia la danseuse, qui, disait-on, était peu cruelle pour du Bruel, fut aussi de la partie, mais sans son duc, ainsi que les propriétaires des journaux où travaillaient Nathan, Merlin, Vignon et Vernou. Les convives formaient une assemblée de trente personnes, la salle à manger de Coralie ne pouvait en contenir davantage.

Vers huit heures, au feu des lustres allumés, les meubles, les tentures, les fleurs de ce logis prirent cet air de fête qui prête au luxe parisien l'apparence d'un rêve. Lucien éprouva le plus indéfinissable mouvement de bonheur, de vanité satisfaite et d'espérance en se voyant le maître de ces lieux, il ne s'expliquait plus ni comment ni par qui ce coup de baguette avait été frappé. Florine et Coralie, mises avec la folle recherche et la magnificence artiste des actrices, souriaient au poète de province comme deux anges chargés de lui ouvrir les portes du palais des Songes. Lucien songeait presque. En quelques mois sa vie avait si brusquement changé d'aspect, il était si promptement passé de l'extrême misère à l'extrême opulence, que par moments il lui prenait des inquiétudes comme aux gens qui, tout en rêvant, se savent endormis. Son œil exprimait néanmoins à la vue de cette belle réalité une confiance à laquelle des envieux eussent donné le nom de fatuité. Lui-même, il avait changé. Heureux tous les jours, ses couleurs avaient pâli, son regard était trempé des moites expressions de la langueur; enfin, selon le mot de madame d'Espard, il avait l'air aimé. Sa beauté y gagnait. La conscience de son pouvoir et de sa force perçait dans sa physionomie éclairée par l'amour et par l'expérience. Il contemplait enfin le monde littéraire et la société face à face, en croyant pouvoir s'y promener en dominateur. A ce poète, qui ne devait réfléchir que sous le poids du malheur, le présent parut être sans soucis. Le succès enflait les voiles de son esquif, il avait à ses ordres les instruments nécessaires à ses projets: une maison montée, une maîtresse que tout Paris lui enviait, un équipage, enfin des sommes incalculables dans son écritoire. Son âme, son cœur et son esprit s'étaient également métamorphosés: il ne songeait plus à discuter les moyens en présence de si beaux résultats. Ce train de maison semblera si justement suspect aux économistes qui ont pratiqué la vie parisienne, qu'il n'est pas inutile de montrer la base, quelque frêle qu'elle fût, sur laquelle reposait le bonheur matériel de l'actrice et de son poète. Sans se compromettre, Camusot avait engagé les fournisseurs de Coralie à lui faire crédit pendant au moins trois mois. Les chevaux, les gens, tout devait donc aller comme par enchantement pour ces deux enfants empressés de jouir, et qui jouissaient de tout avec délices. Coralie vint prendre Lucien par la main et l'initia par avance au coup de théâtre de la salle à manger, parée de son couvert splendide, de ses candélabres chargés de quarante bougies, aux recherches royales du dessert, et au menu, l'œuvre de Chevet. Lucien baisa Coralie au front en la pressant sur son cœur.

– J'arriverai, mon enfant, lui dit-il, et je te récompenserai de tant d'amour et de tant de dévouement.

– Bah! dit-elle, es-tu content?

– Je serais bien difficile.

– Eh! bien, ce sourire paye tout, répondit-elle en apportant par un mouvement de serpent ses lèvres aux lèvres de Lucien.

Ils trouvèrent Florine, Lousteau, Matifat et Camusot en train d'arranger les tables de jeu. Les amis de Lucien arrivaient. Tous ces gens s'intitulaient déjà les amis de Lucien. On joua de neuf heures à minuit. Heureusement pour lui, Lucien ne savait aucun jeu; mais Lousteau perdit mille francs et les emprunta à Lucien qui ne crut pas pouvoir se dispenser de les prêter, car son ami les lui demanda. A dix heures environ, Michel, Fulgence et Joseph se présentèrent. Lucien, qui alla causer avec eux dans un coin, trouva leurs visages assez froids et sérieux, pour ne pas dire contraints. D'Arthez n'avait pu venir, il achevait son livre. Léon Giraud était occupé par la publication du premier numéro de sa Revue. Le Cénacle avait envoyé ses trois artistes qui devaient se trouver moins dépaysés que les autres au milieu d'une orgie.

– Eh! bien, mes enfants, dit Lucien en affichant un petit ton de supériorité, vous verrez que le petit farceur peut devenir un grand politique.

– Je ne demande pas mieux que de m'être trompé, dit Michel.

– Tu vis avec Coralie en attendant mieux? lui demanda Fulgence.

– Oui, reprit Lucien d'un air qu'il voulait rendre naïf. Coralie avait un pauvre vieux négociant qui l'adorait, elle l'a mis à la porte. Je suis plus heureux que ton frère Philippe qui ne sait comment gouverner Mariette, ajouta-t-il en regardant Joseph Bridau.

– Enfin, dit Fulgence, tu es maintenant un homme comme un autre, tu feras ton chemin.

– Un homme qui pour vous restera le même en quelque situation qu'il se trouve, répondit Lucien.

Michel et Fulgence se regardèrent en échangeant un sourire moqueur que vit Lucien, et qui lui fit comprendre le ridicule de sa phrase.

– Coralie est bien admirablement belle, s'écria Joseph Bridau. Quel magnifique portrait à faire!

– Et bonne, répondit Lucien. Foi d'homme, elle est angélique; mais tu feras son portrait; prends-la, si tu veux, pour modèle de ta Vénitienne amenée au vieillard.

– Toutes les femmes qui aiment sont angéliques, dit Michel Chrestien.

En ce moment Raoul Nathan se précipita sur Lucien avec une furie d'amitié, lui prit les mains et les lui serra.

– Mon bon ami, non-seulement vous êtes un grand homme, mais encore vous avez du cœur, ce qui est aujourd'hui plus rare que le génie, dit-il. Vous êtes dévoué à vos amis. Enfin, je suis à vous à la vie, à la mort, et n'oublierai jamais ce que vous avez fait cette semaine pour moi.

Lucien, au comble de la joie en se voyant pateliné par un homme dont s'occupait la Renommée, regarda ses trois amis du Cénacle avec une sorte de supériorité. Cette entrée de Nathan était due à la communication que Merlin lui avait faite de l'épreuve de l'article en faveur de son livre, et qui paraissait dans le journal du lendemain.

– Je n'ai consenti à écrire l'attaque, répondit Lucien à l'oreille de Nathan, qu'à la condition d'y répondre moi-même. Je suis des vôtres.

Il revint à ses trois amis du Cénacle, enchanté d'une circonstance qui justifiait la phrase de laquelle avait ri Fulgence.

– Vienne le livre de d'Arthez, et je suis en position de lui être utile. Cette chance seule m'engagerait à rester dans les journaux.

– Y es-tu libre? dit Michel.

– Autant qu'on peut l'être quand on est indispensable, répondit Lucien avec une fausse modestie.

Vers minuit, les convives furent attablés, et l'orgie commença. Les discours furent plus libres chez Lucien que chez Matifat, car personne ne soupçonna la divergence de sentiments qui existait entre les trois députés du Cénacle et les représentants des journaux. Ces jeunes esprits, si dépravés par l'habitude du Pour et du Contre, en vinrent aux prises, et se renvoyèrent les plus terribles axiomes de la jurisprudence qu'enfantait alors le journalisme. Claude Vignon, qui voulait conserver à la critique un caractère auguste, s'éleva contre la tendance des petits journaux vers la personnalité, disant que plus tard les écrivains arriveraient à se déconsidérer eux-mêmes. Lousteau, Merlin et Finot prirent alors ouvertement la défense de ce système, appelé dans l'argot du journalisme la blague, en soutenant que ce serait comme un poinçon à l'aide duquel on marquerait le talent.

– Tous ceux qui résisteront à cette épreuve seront des hommes réellement forts, dit Lousteau.

– D'ailleurs, s'écria Merlin, pendant les ovations des grands hommes, il faut autour d'eux, comme autour des triomphateurs romains, un concert d'injures.

– Eh! dit Lucien, tous ceux de qui l'on se moquera croiront à leur triomphe!

– Ne dirait-on pas que cela te regarde? s'écria Finot.

– Et nos sonnets! dit Michel Chrestien, ne nous vaudraient-ils pas le triomphe de Pétrarque?

– L'or (Laure) y est déjà pour quelque chose, dit Dauriat dont le calembour excita des acclamations générales.

– Faciamus experimentum in anima vili, répondit Lucien en souriant.

– Eh! malheur à ceux que le Journal ne discutera pas, et auxquels il jettera des couronnes à leur début! Ceux-là seront relégués comme des saints dans leur niche, et personne n'y fera plus la moindre attention, dit Vernou.

– On leur dira comme Champcenetz au marquis de Genlis, qui regardait trop amoureusement sa femme: – Passez, bonhomme, on vous a déjà donné, dit Blondet.

– En France, le succès tue, dit Finot. Nous y sommes trop jaloux les uns des autres pour ne pas vouloir oublier et faire oublier les triomphes d'autrui.

– C'est en effet la contradiction qui donne la vie en littérature, dit Claude Vignon.

– Comme dans la nature, où elle résulte de deux principes qui se combattent, s'écria Fulgence. Le triomphe de l'un sur l'autre est la mort.

– Comme en politique, ajouta Michel Chrestien.

– Nous venons de le prouver, dit Lousteau. Dauriat vendra cette semaine deux mille exemplaires du livre de Nathan. Pourquoi? Le livre attaqué sera bien défendu.

– Comment un article semblable, dit Merlin en prenant l'épreuve de son journal du lendemain, n'enlèverait-il pas une édition?

– Lisez-moi l'article? dit Dauriat. Je suis libraire partout, même en soupant.

Merlin lut le triomphant article de Lucien, qui fut applaudi par toute l'assemblée.

– Cet article aurait-il pu se faire sans le premier? demanda Lousteau.

Dauriat tira de sa poche l'épreuve du troisième article et le lut. Finot suivit avec attention la lecture de cet article destiné au second numéro de sa Revue; et, en sa qualité de rédacteur en chef, il exagéra son enthousiasme.

– Messieurs, dit-il, si Bossuet vivait dans notre siècle, il n'eût pas écrit autrement.

– Je le crois bien, dit Merlin. Bossuet aujourd'hui serait journaliste.

– A Bossuet II! dit Claude Vignon en élevant son verre et saluant ironiquement Lucien.

– A mon Christophe Colomb! répondit Lucien en portant un toast à Dauriat.

– Bravo! cria Nathan.

– Est-ce un surnom? demanda méchamment Merlin en regardant à la fois Finot et Lucien.

– Si vous continuez ainsi, dit Dauriat, nous ne pourrons pas vous suivre, et ces messieurs, ajouta-t-il en montrant Matifat et Camusot, ne vous comprendront plus. La plaisanterie est comme le coton qui filé trop fin, casse, a dit Bonaparte.

– Messieurs, dit Lousteau, nous sommes témoins d'un fait grave, inconcevable, inouï, vraiment surprenant. N'admirez-vous pas la rapidité avec laquelle notre ami s'est changé de provincial en journaliste?

– Il était né journaliste, dit Dauriat.

– Mes enfants, dit alors Finot en se levant, et tenant une bouteille de vin de Champagne à la main, nous avons protégé tous et tous encouragé les débuts de notre amphitryon dans la carrière où il a surpassé nos espérances. En deux mois il a fait ses preuves par les beaux articles que nous connaissons: je propose de le baptiser journaliste authentiquement.

 

– Une couronne de roses afin de constater sa double victoire, cria Bixiou en regardant Coralie.

Coralie fit un signe à Bérénice qui alla chercher de vieilles fleurs artificielles dans les cartons de l'actrice. Une couronne de roses fut bientôt tressée dès que la grosse femme de chambre eut apporté des fleurs avec lesquelles se parèrent grotesquement ceux qui se trouvaient les plus ivres. Finot, le grand-prêtre, versa quelques gouttes de vin de Champagne sur la belle tête blonde de Lucien en prononçant avec une délicieuse gravité ces paroles sacramentales: – Au nom du Timbre, du Cautionnement et de l'Amende, je le baptise journaliste. Que tes articles te soient légers!

– Et payés sans déduction des blancs! dit Merlin.

En ce moment Lucien aperçut les visages attristés de Michel Chrestien, de Joseph Bridau et de Fulgence Ridal qui prirent leurs chapeaux et sortirent au milieu d'un hurrah d'imprécations.

– Voilà de singuliers chrétiens? dit Merlin.

– Fulgence était un bon garçon, reprit Lousteau; mais ils l'ont perverti de morale.

– Qui? demanda Claude Vignon.

– Des jeunes hommes graves qui s'assemblent dans un musico philosophique et religieux de la rue des Quatre-Vents, où l'on s'inquiète du sens général de l'Humanité… répondit Blondet.

– Oh! oh! oh!

– … On y cherche à savoir si elle tourne sur elle-même, dit Blondet en continuant, ou si elle est en progrès. Ils étaient très-embarrassés entre la ligne droite et la ligne courbe, ils trouvaient un non-sens au triangle biblique, et il leur est alors apparu je ne sais quel prophète qui s'est prononcé pour la spirale.

– Des hommes réunis peuvent inventer des bêtises plus dangereuses, s'écria Lucien qui voulut défendre le Cénacle.

– Tu prends ces théories-là pour des paroles oiseuses, dit Félicien Vernou, mais il vient un moment où elles se transforment en coups de fusil ou en guillotine.

– Ils n'en sont encore, dit Bixiou, qu'à chercher la pensée providentielle du vin de Champagne, le sens humanitaire des pantalons et la petite bête qui fait aller le monde. Ils ramassent des grands hommes tombés, comme Vico, Saint-Simon, Fourier. J'ai bien peur qu'ils ne tournent la tête à mon pauvre Joseph Bridau.

– Y enseigne-t-on la gymnastique et l'orthopédie des esprits? demanda Merlin.

– Ça se pourrait, répondit Finot. Rastignac m'a dit que Bianchon donnait dans ces rêveries.

– Leur chef visible n'est-il pas d'Arthez, dit Nathan, un petit jeune homme qui doit nous avaler tous?

– C'est un homme de génie! s'écria Lucien.

– J'aime mieux un verre de vin de Xérès, dit Claude Vignon en souriant.

En ce moment, chacun expliquait son caractère à son voisin. Quand les gens d'esprit en arrivent à vouloir s'expliquer eux-mêmes, à donner la clef de leurs cœurs, il est sûr que l'ivresse les a pris en croupe. Une heure après, tous les convives, devenus les meilleurs amis du monde, se traitaient de grands hommes, d'hommes forts, de gens à qui l'avenir appartenait. Lucien, en qualité de maître de maison, avait conservé quelque lucidité dans l'esprit: il écouta des sophismes qui le frappèrent et achevèrent l'œuvre de sa démoralisation.

– Mes enfants, dit Finot, le parti libéral est obligé de raviver sa polémique, car il n'a rien à dire en ce moment contre le gouvernement, et vous comprenez dans quel embarras se trouve alors l'Opposition. Qui de vous veut écrire une brochure pour demander le rétablissement du droit d'aînesse, afin de faire crier contre les desseins secrets de la Cour? La brochure sera bien payée.

– Moi, dit Hector Merlin, c'est dans mes opinions.

– Ton parti dirait que tu le compromets, répliqua Finot. Félicien, charge-toi de cette brochure, Dauriat l'éditera, nous garderons le secret.

– Combien donne-t-on? dit Vernou.

– Six cents francs! Tu signeras: le comte C…

– Ça va! dit Vernou.

– Vous allez donc élever le canard jusqu'à la politique, reprit Lousteau.

– C'est l'affaire de Chabot transportée dans la sphère des idées, reprit Finot. On attribue des intentions au Gouvernement, et l'on déchaîne contre lui l'opinion publique.

– Je serai toujours dans le plus profond étonnement de voir un gouvernement abandonnant la direction des idées à des drôles comme nous autres, dit Claude Vignon.

– Si le Ministère commet la sottise de descendre dans l'arène, reprit Finot, on le mène tambour battant; s'il se pique, on envenime la question, on désaffectionne les masses. Le Journal ne risque jamais rien, là où le pouvoir a toujours tout à perdre.

– La France est annulée jusqu'au jour où le Journal sera mis hors la loi, reprit Claude Vignon. Vous faites d'heure en heure des progrès, dit-il à Finot. Vous serez les Jésuites, moins la foi, la pensée fixe, la discipline et l'union.

Chacun regagna les tables de jeu. Les lueurs de l'aurore firent bientôt pâlir les bougies.

– Tes amis de la rue des Quatre-Vents étaient tristes comme des condamnés à mort, dit Coralie à son amant.

– Ils étaient les juges, répondit le poète.

– Les juges sont plus amusants que ça, dit Coralie.

Lucien vit pendant un mois son temps pris par des soupers, des dîners, des déjeuners, des soirées, et fut entraîné par un courant invincible dans un tourbillon de plaisirs et de travaux faciles. Il ne calcula plus. La puissance du calcul au milieu des complications de la vie est le sceau des grandes volontés que les poètes, les gens faibles ou purement spirituels ne contrefont jamais. Comme la plupart des journalistes, Lucien vécut au jour le jour, dépensant son argent à mesure qu'il le gagnait, ne songeant point aux charges périodiques de la vie parisienne, si écrasantes pour ces bohémiens. Sa mise et sa tournure rivalisaient avec celles des dandies les plus célèbres. Coralie aimait, comme tous les fanatiques, à parer son idole; elle se ruina pour donner à son cher poète cet élégant mobilier des élégants qu'il avait tant désiré pendant sa première promenade aux Tuileries. Lucien eut alors des cannes merveilleuses, une charmante lorgnette, des boutons de diamants, des anneaux pour ses cravates du matin, des bagues à la chevalière, enfin des gilets mirifiques en assez grand nombre pour pouvoir assortir les couleurs de sa mise. Il passa bientôt dandy. Le jour où il se rendit à l'invitation du diplomate allemand, sa métamorphose excita une sorte d'envie contenue chez les jeunes gens qui s'y trouvèrent, et qui tenaient le haut du pavé dans le royaume de la fashion, tels que de Marsay, Vandenesse, Ajuda-Pinto, Maxime de Treilles, Rastignac, le duc de Maufrigneuse, Beaudenord, Manerville, etc. Les hommes du monde sont jaloux entre eux à la manière des femmes. La comtesse de Montcornet et la marquise d'Espard, pour qui le dîner se donnait, eurent Lucien entre elles, et le comblèrent de coquetteries.

– Pourquoi donc avez-vous quitté le monde! lui demanda la marquise, il était si disposé à vous bien accueillir, à vous fêter. J'ai une querelle à vous faire! vous me deviez une visite, et je l'attends encore. Je vous ai aperçu l'autre jour à l'Opéra, vous n'avez pas daigné venir me voir ni me saluer.

– Votre cousine, madame, m'a si positivement signifié mon congé…

– Vous ne connaissez pas les femmes, répondit madame d'Espard en interrompant Lucien. Vous avez blessé le cœur le plus angélique et l'âme la plus noble que je connaisse. Vous ignorez tout ce que Louise voulait faire pour vous, et combien elle mettait de finesse dans son plan. Oh! elle eût réussi, fit-elle à une muette dénégation de Lucien. Son mari qui maintenant est mort, comme il devait mourir, d'une indigestion, n'allait-il pas lui rendre, tôt ou tard, sa liberté? Croyez-vous qu'elle voulût être madame Chardon? Le titre de comtesse de Rubempré valait bien la peine d'être conquis. Voyez-vous? l'amour est une grande vanité qui doit s'accorder, surtout en mariage, avec toutes les autres vanités. Je vous aimerais à la folie, c'est-à-dire assez pour vous épouser, il me serait très-dur de m'appeler madame Chardon. Convenez-en? Maintenant, vous avez vu les difficultés de la vie à Paris, vous savez combien de détours il faut faire pour arriver au but; eh! bien, avouez que pour un inconnu sans fortune, Louise aspirait à une faveur presque impossible, elle devait donc ne rien négliger. Vous avez beaucoup d'esprit, mais quand nous aimons, nous en avons encore plus que l'homme le plus spirituel. Ma cousine voulait employer ce ridicule Châtelet… Je vous dois des plaisirs, vos articles contre lui m'ont fait bien rire! dit-elle en s'interrompant.

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