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Les conteurs à la ronde

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II – L'HISTOIRE DE L'ENFANT

Il y avait une fois un voyageur, il y a de cela bien des années, et le voyageur partit pour un voyage. C'était un voyage magique, qui devait sembler très long lorsqu'il le commença et très court lorsqu'il eut fait la moitié du chemin.

Pendant quelque temps il voyagea le long d'un sentier assez sombre, sans rien rencontrer, jusqu'à ce qu'enfin il aperçût un joli petit enfant; le voyageur demanda à l'enfant: «Que fais-tu ici?» Et l'enfant répondit: «Je suis toujours à jouer, viens jouer avec moi.»

Le voyageur joua avec cet enfant toute la journée, et ils menèrent joyeuse vie tous les deux. Le ciel était si bleu, le soleil était si brillant, l'eau était si étincelante, les feuilles étaient si vertes, les fleurs étaient si fraîches, ils entendirent chanter tant d'oiseaux et virent tant de papillons, que tout leur paraissait superbe. C'était la saison du printemps. Quand il pleuvait, ils aimaient à regarder tomber les gouttes de la pluie et à respirer les odeurs des plantes. Quand il ventait, c'était charmant d'écouter le vent et d'imaginer qu'il se parlait à lui- même ou à ceux qui pouvaient le comprendre. D'où vient-il ainsi? se demandaient le voyageur et l'enfant, tandis qu'il sifflait, hurlait, poussait les nuages devant lui, courbait les arbres, tourbillonnait dans les cheminées, ébranlait la maison et soulevait les vagues d'une mer furieuse. Mais neigeait-il? encore mieux, car ils n'aimaient rien tant que de regarder descendre les flocons de neige semblables au duvet qui se détacherait de la poitrine d'une myriade d'oiseaux blancs, et quel plaisir de voir cette belle neige s'épaissir sur la terre, puis d'écouter le silence sur les routes et les sentiers de la campagne!

Ils avaient en abondance les plus beaux joujoux du monde et les plus admirables livres d'images, des livres qui étaient remplis de cimeterres, de babouches et de turbans, de nains, de génies et de fées, de Barbes-Bleues, de fèves merveilleuses, de trésors, de cavernes et de forêts, de Valentins et d'Orsons… toutes choses nouvelles et bien vraies!

Mais un jour, tout-à-coup, le voyageur perdit l'enfant. Il l'appela, l'appela encore, et il n'obtint aucune réponse. Alors il reprit sa route et chemina quelque temps sans rien rencontrer, jusqu'à ce qu'enfin il aperçût un beau jeune garçon; à ce jeune garçon le voyageur demanda: «Que fais-tu là?» Et le jeune garçon lui répondit: «Je suis toujours à apprendre. Viens apprendre avec moi.»

Le voyageur apprit, avec ce jeune garçon, ce qu'étaient Jupiter et Junon, les Grecs et les Romains, d'autres choses encore et plus que je n'en pourrais dire, ni lui non plus, car il en eut bientôt oublié beaucoup. Mais ils n'apprenaient pas toujours, ils avaient les jeux les plus amusants qu'on ait jamais joués, ils ramaient sur la rivière en été, ils patinaient sur la glace en hiver. Ils se promenaient à pied et ils se promenaient à cheval; ils jouaient à la paume et à tous les jeux de balle, aux barres, au cheval fondu, à saute-mouton, à plus de jeux que je n'en puis dire, et personne n'était plus fort qu'eux à ces jeux-là; ils avaient aussi des congés et des vacances, des gâteaux du jour des Rois, des bals où ils dansaient jusqu'à minuit, et de vrais théâtres où ils voyaient de vrais palais en vrai or et en vrai argent sortir de la terre; bref ils y voyaient tous les prodiges du monde en quelques heures. Quant à des amis, ils avaient de si tendres amis et un si grand nombre de ces amis que le temps me manque pour les compter. Ils étaient tous jeunes comme le jeune garçon et se promettaient de ne jamais rester étrangers l'un à l'autre pendant tout le reste de la vie.

Cependant, un jour, au milieu de tous ces plaisirs, le voyageur perdit le jeune garçon, comme il avait perdu l'enfant, et après l'avoir appelé en vain, il poursuivit son voyage. Il chemina pendant un peu de temps sans rien rencontrer, jusqu'à ce qu'enfin il vît un jeune homme. Il demanda donc au jeune homme: «Que faites-vous ici?» Et le jeune homme répondit: «Je suis toujours à faire l'amour. Viens faire l'amour avec moi.»

Le voyageur alla avec ce jeune homme, et ils s'en furent auprès d'une des plus jolies filles qu'on ait jamais vues, juste comme Fanny, là dans le coin, – elle avait les yeux comme Fanny, des cheveux comme Fanny, des fossettes aux joues comme Fanny, et elle riait et rougissait juste comme Fanny pendant que je parle d'elle. Alors le jeune homme devint tout de suite amoureux, – juste comme quelqu'un que je ne veux pas nommer, la première fois qu'il vint ici, devint amoureux de Fanny. Eh bien! il était taquiné quelquefois, juste comme quelqu'un était taquiné par Fanny; ils se querellaient quelquefois, juste comme quelqu'un et Fanny; puis ils se raccommodaient, allaient chuchoter dans les coins, s'écrivaient des lettres toute la journée, se disaient malheureux quand ils étaient loin l'un de l'autre, se cherchaient sans cesse en prétendant ne pas se chercher. Noël vint, ils furent fiancés, s'assirent l'un à côté de l'autre auprès du feu, et ils devaient bientôt se marier… exactement comme quelqu'un que je ne veux pas nommer et Fanny.

Mais le voyageur les perdit de vue un jour, comme il avait perdu l'enfant et le jeune garçon: il les appela, ils ne revinrent ni ne répondirent, et il reprit son chemin. Il voyagea donc pendant un peu de temps sans rien rencontrer, jusqu'à ce qu'il aperçût un homme d'un âge mûr, et il demanda à cet homme: «Que faites-vous ici!» Et la réponse fut: «Je suis toujours occupé, venez vous occuper avec moi.»

Il alla donc travailler avec cet homme, et, pour cela, ils se rendirent à la forêt. La forêt qu'ils parcoururent était longue; au commencement, les arbres étaient verts comme ceux d'un bois printanier; puis Ie feuillage s'épaissit comme un bois d'été; quelques-uns des petits arbres les plus pressés de verdir brunissaient aussi les premiers. L'homme n'était pas seul; il avait une femme du même âge que lui, qui était sa femme, et ils avaient des enfants qui étaient aussi avec eux. C'est ainsi qu'ils s'en allèrent tous ensemble à travers le bois, abattant les arbres, se frayant des sentiers entre les branches et les feuilles abattues, portant des fagots et travaillant sans cesse.

Quelquefois ils arrivaient à une longue avenue qui aboutissait à des taillis plus sombres, et alors ils entendaient une petite voix qui leur criait de loin: «Père, père, je suis un autre enfant, attendez-moi.» Et, au même instant, ils apercevaient une petite créature qui grandissait à mesure qu'ils avançaient et qui courait pour les rejoindre. Quand le nouveau-venu était auprès d'eux, ils s'empressaient tous autour de lui, le baisaient, le caressaient, et tous se remettaient en marche.

Quelquefois ils s'arrêtaient à quelque carrefour de la forêt d'où partaient différentes avenues, et l'un des enfants disait: «Père, je vais à la mer;» un autre: «Père, je vais aux Indes;» un autre: «Père, je vais aller chercher fortune où je pourrai;» un autre enfin: «Père, je vais au ciel.» C'est ainsi qu'après bien des larmes au moment de la séparation, chacun des ces enfants prenait une des avenues et il s'éloignait solitaire; mais l'enfant qui avait dit: «Je vais au ciel,» s'élevait dans l'air et y disparaissait.

Chaque fois qu'avait lieu une de ces séparations, le voyageur regardait le père qui levait les yeux au-dessus des arbres où le jour commençait à décliner et le soleil à descendre sur l'horizon. Il remarquait aussi que ses cheveux grisonnaient; mais ils ne pouvaient s'arrêter longtemps, car ils avaient un long voyage devant eux, et il leur fallait travailler sans cesse.

À la fin, il y avait eu tant de séparations qu'il ne restait plus un seul des enfants. Le père, la mère et le voyageur se trouvèrent seuls à continuer leur route. Le bois était devenu jaune, puis il avait bruni et déjà les feuilles tombaient d'elles-mêmes.

Ils arrivaient à une avenue plus sombre que les autres, et ils pressaient le pas sans y jeter un regard, quand la femme s'arrêta.

– Mon mari, dit-elle, on m'appelle.

Ils écoutèrent, et entendirent dans la sombre avenue une voix qui criait de loin: «Mère, mère!»

C'était la voix du premier enfant qui avait dit; «Je vais au ciel.» Et le père lui répondit: «Pas encore, je vous prie, pas encore; le soleil va se coucher, pas encore.»

Mais la voix répétait: «Mère, mère!» sans faire attention à ce qu'avait dit le père, quoique ses cheveux fussent alors tout à fait blancs, et quoiqu'il versât des larmes.

Alors la mère qui, déjà enveloppée à moitié des ombres de l'avenue, tenait encore son mari embrassé, lui dit: «Mon ami, il faut que je parte, je suis appelée.» Et elle partit, et le voyageur resta seul avec le père.

Ils reprirent leur chemin ensemble jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés presque à la limite de la forêt, de manière à apercevoir, au-delà, le soleil qui colorait l'horizon de sa flamme mourante.

Là encore, cependant, tandis qu'il s'ouvrait une voie à travers les branches, le voyageur perdit son compagnon. Il appela, il appela… point de réponse, et lorsqu'il eut franchi l'extrême lisière du bois, au moment où du soleil couchant il ne restait plus que la trace brillante dans un ciel de pourpre, il rencontra un vieillard assis sur un arbre abattu.» Que faites-vous ici?» demanda-t-il à ce vieillard; et le vieillard lui répondit avec un sourire paisible: «Je suis toujours à me souvenir. Venez-vous souvenir avec moi.»

Le voyageur alors s'assit auprès du vieillard, à la lueur d'un beau soleil couchant, et tous ses précédents compagnons de route vinrent doucement se placer debout devant lui: le joli enfant, le beau jeune garçon, le jeune amoureux, le père, la mère et tous leurs enfants; tous étaient là et il n'en avait perdu aucun. Donc il les aima tous, bon et indulgent pour tous, toujours charmé de les revoir, et eux ils l'honoraient et l'aimaient tous. Je crois que vous devez être ce voyageur, grand-papa; car c'est ce que vous faites pour nous, et c'est ce que nous faisons pour vous.

 

III – L'HISTOIRE DE QUELQU'UN ou LA LÉGENDE DES DEUX RIVIÈRES

On ferait une année entière des jours de Noël qui se sont succédé depuis qu'un riche tonnelier, nommé Jacob Elsen, fut élu syndic de la corporation des tonneliers de Stromthal, ville de l'Allemagne méridionale. Le nom de sa famille ne se retrouve peut-être nulle part aujourd'hui; la ville elle-même n'existe plus. À une époque postérieure, les habitants accusèrent injustement les Juifs d'avoir égorgé de petits enfants chrétiens. Ils les expulsèrent de la ville, et leur firent défense d'en franchir les portes; mais les Juifs prirent tranquillement leur revanche, car ils bâtirent une seconde ville à une certaine distance de la première, et ils y attirèrent tout le commerce, en sorte que la ville nouvelle vit graduellement croître ses richesses, tandis que l'ancienne se vit peu à peu réduite à rien.

Toutefois Jacob Elsen ne connut pas cette persécution. De son temps, les Juifs circulaient dans les rues sombres et tortueuses, trafiquaient sur la place du marché, tenaient des boutiques et jouissaient, comme tous les autres habitants, des privilèges de la bourgeoisie.

Une rivière coulait à travers la ville de Stromthal, rivière étroite, sinueuse, mais navigable pour les petits bateaux. On l'appelle encore la «Klar». Comme l'eau de la «Klar» est très pure, très agréable à boire, et que la rivière est fort utile au commerce, les habitants du pays l'avaient surnommée la «grande amie» de Stromthal. Ils lui attribuaient la propriété de guérir les maux de l'esprit aussi bien que ceux du corps, et de nos jours encore, bien que beaucoup de personnes, affligées des uns ou des autres, s'y soient plongées ou aient bu de son onde sans s'en trouver beaucoup mieux, leur foi reste la même. Ils lui donnent aussi des noms féminins, comme si c'était une femme, une déesse. La «Klar» est le sujet d'innombrables ballades et histoires qu'ils savent par coeur, ou plutôt qu'ils savaient du temps de Jacob Elsen, car il y avait alors très peu de livres et encore moins de lecteurs à Stromthal. On célébrait aussi une fête annuelle, nommée «la fête de la Klar,» pendant laquelle on jetait dans le courant des fleurs et des rubans qui flottaient à travers les prairies jusqu'à la grande rivière où la «Klar» se jette.

– La Klar, disait une de ces ballades populaires, n'est-elle pas une merveille entre les rivières? Les autres courants sont alimentés, goutte à goutte, par les rosées et les pluies; mais la «Klar» descend toute grande des montagnes.» Et ce n'était pas une invention des poètes, car personne ne connaissait la source de cette rivière. En vain le conseil municipal avait offert une récompense de cinq cents brins d'or à celui qui la découvrirait; tous ceux qui avaient essayé de remonter la «Klar» étaient arrivés à un certain endroit situé à un grand nombre de lieues au-dessus de Stromthal, où son onde s'échappait entre des rochers escarpés, et où son courant était si rapide, que ni voiles ni rames ne pouvaient lutter contre lui. Au-delà de ces rochers se trouvaient les montagnes nommées «Himmel-gebirge», et l'on supposait que la «Klar»prenait naissance dans ces régions inaccessibles.

Si les gens de Stromthal honoraient leur rivière, ils aimaient encore plus leur commerce. Au lieu de planter des promenades publiques sur les rives, ils avaient bâti la plupart de leurs maisons tout au bord de l'eau. Quelques habitations dans les faubourgs avaient bien des jardins, mais, au centre de la ville, le courant ne reflétait d'autres ombres que celles des magasins et des façades en surplomb des vieilles maisons de bois. La demeure de Jacob Elsen était de ce nombre. Elle s'ouvrait sur un petit embarcadère garni de pieux de bouleau, et ses fondements étaient creusés si près de l'eau, qu'en ouvrant la porte de l'atelier, on pouvait remplir une cruche à la rivière.

L'intérieur de Jacob Elsen se composait de trois personnes sans le compter; à savoir, sa fille Marguerite, son apprenti Carl et une vieille servante. Il avait des ouvriers, mais qui ne couchaient pas chez lui. Carl était un jeune homme de dix-huit ans, et la fille de son maître étant un peu plus jeune, il s'éprit d'elle comme tous les apprentis dans ce temps-là. L'amour de Carl pour Marguerite était pur et profond. Jacob la connaissait, mais il ne disait rien; il avait foi dans la prudence de sa fille.

Marguerite aimait-elle alors Carl? Elle seule le savait. Tous les dimanches, il allait avec elle à l'église; et là, tandis que ses prières devenaient quelquefois des sons insignifiants pour lui, parce qu'il pensait à elle et épiait tous ses mouvements, il l'entendait murmurer dévotement les siennes; ou, lorsque le prédicateur parlait et que la figure de Marguerite restait fixée sur la chaire, il était presque jaloux de voir qu'elle écoutait si bien. Assise à table avec lui, jamais elle ne perdait son calme, tandis qu'il se sentait toujours troublé et maladroit. Souvent elle semblait trop occupée pour penser à l'apprenti. À la fin, son apprentissage étant achevé, le temps vint pour Carl de quitter la maison d'Elsen pour voyager, comme tous les ouvriers allemands sont tenus de le faire par les lois de leur compagnonnage. Il résolut de parler de son amour à Marguerite avant de partir. Pouvait-il, pour cela, choisir un meilleur temps qu'une soirée d'été où Marguerite était venue par hasard dans l'atelier, après la sortie des compagnons? Il appela la jeune fille près de la porte qui donnait sur la rivière, pour regarder le coucher du soleil, et il lui parla longtemps de la «Klar» et de sa source mystérieuse. Lorsqu il commença à faire noir et qu'il n'y eut plus moyen de tarder davantage, son secret lui échappa, et Marguerite lui révéla à son tour le sien, qui était qu'elle l'aimait aussi: Mais, ajouta-t-elle, je dois le dire à mon père.

Ce soir-là même, après le souper, les deux jeunes gens racontèrent à Jacob Elsen ce qui s'était passé entre eux. Jacob était un homme dans toute la fleur de l'âge; il n'était pas avare, mais prudent en toutes choses. «Que Carl, dit-il, revienne après son temps de voyage avec cinquante florins d'or, et alors, ma fille, si vous voulez vous marier avec lui, je le ferai recevoir maître tonnelier.» Carl n'en demandait pas davantage. Il ne doutait pas de pouvoir rapporter cette somme, et il savait que la loi ne lui permettait pas de se marier avant son voyage pour se perfectionner dans son métier; il lui tardait donc de partir pour revenir bientôt, et le lendemain, de grand matin, il prit congé de Marguerite avant qu'il y eût encore aucun mouvement dans les rues.

Carl était plein d'espérance, mais Marguerite pleurait tandis qu'il se tenait sur le seuil. «Trois années, dit-elle, opèrent quelquefois de si grands changements en nous, que nous ne sommes plus les mêmes!

– Elles me feront vous aimer davantage, répondit Carl.

– Vous en rencontrerez de plus belles que moi dans les pays où vous irez; et je penserai encore à vous dans cette maison, longtemps après que vous l'aurez oubliée.

– Maintenant, je suis certain de votre affection, Marguerite, dit Carl avec joie, mais il ne faut pas douter de moi pendant mon absence; aussi certainement que je vous aime, je reviendrai, avec les cinquante florins d'or, réclamer de votre père l'accomplissement de sa promesse.»

Marguerite resta longtemps sur le seuil, et Carl regarda bien des fois en arrière avant de tourner l'angle de la rue. Malgré cette séparation, il se sentait le coeur assez léger, car il avait toujours envisagé ce voyage comme le moyen d'obtenir la main de la fille de son patron. «Il ne faut pas perdre de temps, pensait-il, et pourtant ce serait une grande chose, si je découvrais la source de notre rivière. Je fais justement route vers le Sud, j'essaierai!»

Le troisième jour, il prit un bateau dans un petit village et remonta le courant; mais, dans l'après-midi, il arriva près des rochers, et ce courant devint plus fort. Il continuait pourtant de ramer. Le double mur de roche grisâtre grandissait toujours sur l'une et l'autre rive, et lorsqu'il regardait en l'air, il ne voyait plus qu'une étroite bande du ciel. À la fin, toute la vigueur de ses bras suffisait à peine pour maintenir le bateau en place. De temps en temps, et par un effort soudain, il avançait bien de quelques brasses, mais il ne pouvait conserver l'espace qu'il avait gagné, et cédant à la lassitude, il fut obligé de se laisser aller à la dérive. Ainsi donc, pensa-t-il, ce qu'on disait des rochers et de l'impétuosité du courant est vrai, je puis au moins l'attester.»

Carl erra bien des jours avant de trouver de l'ouvrage, et quand il en trouva, cet ouvrage était mal payé et suffisait à peine à le faire vivre; il fut donc obligé de se remettre en route. Déjà la moitié du terme prescrit s'était écoulé, et quoiqu'il eût fait bien des centaines de lieues et travaillé dans bien des villes, il avait à peine épargné dix florins d'or. Force lui fut de chercher encore fortune ailleurs. Après plusieurs journées de marche, il arriva dans une petite ville située sur le bord d'une rivière, dont les eaux étaient si transparentes qu'elles le firent penser à celles de la «Klar.» La ville elle-même ressemblait tellement à Stromthal, qu'il pouvait presque s'imaginer être revenu à son point de départ, après un long circuit; mais il ne pouvait être encore question pour Carl de rentrer dans sa ville natale. Le terme n'était qu'à moitié expiré, et ses dix florins d'or, dont l'un venait de s'entamer en voyage, feraient, pensait-il, pauvre figure après qu'il s'était vanté d'en rapporter cinquante. Il ne se sentait plus le coeur aussi léger que le jour où il avait quitté Marguerite sur Ie seuil de la maison de son père. Combien le monde était différent de son attente! La dureté des étrangers avait aigri son coeur, et il éprouvait plutôt de la peine que du plaisir à se rappeler Stromthal ce jour-là. Sans la fatigue qui l'accablait, il aurait tourné le dos à la ville, et continué son chemin sans s'arrêter; mais le soir étant venu, il avait besoin de réparer ses forces. Il entra donc dans des rues tortueuses qui lui rappelaient de plus en plus Stromthal, et gagna la place du marché, au milieu de laquelle s'élevait une grande et blanche statue, représentant une fortune qui tenait une branche d'olivier à la main; sa tête, était nue: mais les plis d'une draperie l'enveloppaient de la ceinture aux pieds…

– Quelle est cette statue? demanda Carl à un passant.

Le passant répondit dans un dialecte étranger, qui fut pourtant compris de Carl:

– C'est la statue de notre rivière.

– Et comment nomme-t-on votre rivière?

– Le «Geber» (Le Bienfaiteur), parce qu'elle enrichit la ville et lui permet de trafiquer avec beaucoup de grandes cités.

– Et pourquoi cette statue a-t-elle la tête nue et les pieds cachés?

– Parce que nous savons où la rivière prend sa source; mais tout le monde ignore où elle aboutit.

– Ne peut-on savoir où aboutit le courant?

– C'est une entreprise dangereuse. Le courant devient très impétueux; resserré longtemps entre des rochers escarpés; il finit par se précipiter dans une profonde caverne où il se perd.

– C'est bien étrange, pensa Carl, que cette, ville ressemble sous tant de rapports à la mienne.»

Il n'était pas au bout de ses surprises.

Un peu plus loin, dans une rue étroite, il aperçut, une maison de bois avec un petit tonneau suspendu au-dessus de la porte en guise d'enseigne. Cette maison ressemblait tellement à celle de Jacob Elsen, que si les mots Peter Schonfuss, tonnelier du Duc, n'avaient pas été inscrits au-dessus de la porte, il aurait cru qu'il y avait de la magie.

Carl frappa, et une jeune femme vint ouvrir. Ici finissait la ressemblance, car il suffit d'un regard pour voir que Marguerite était cent fois plus belle.

– Je ne sais pas si mon père a besoin d'ouvriers, dit la jeune femme, mais si vous êtes un voyageur, vous pouvez vous reposer et vous rafraîchir en l'attendant.»

Carl la remercia et entra. La cuisine, au plafond très bas comme celle de Jacob Elsen, ne l'étonna point, car la plupart des maisons étaient ainsi bâties à cette époque. La fille du tonnelier mit une nappe blanche, lui donna de la viande et du pain, et lui apporta de l'eau pour se laver; mais tandis qu'il mangeait, elle lui fit beaucoup de questions sur le lieu d'où il venait et sur ceux qu'il avait déjà parcourus. Jamais elle n'avait entendu parler de Stromthal, et elle ne savait rien du pays situé au-delà du Himmelgebirge. Quand son père entra, Carl vit qu'il était beaucoup plus vieux que Jacob Elsen.

– Ainsi donc vous cherchez du travail? demanda le père.

 

Carl, qui se tenait debout le bonnet à la main, s'inclina.

En ce cas, suivez-moi. Le vieillard marcha devant lui et le fit entrer dans un atelier au fond duquel une, porte entr'ouverte laissait voir la rivière. Il mit les outils dans les mains de Carl, et lui dit de continuer une tonne à moitié faite. Carl maniait si habilement ces outils, que Peter Schonfuss le reconnut tout de suite pour un bon ouvrier, et lui offrit de meilleurs gages qu'il n'en avait eu jusqu'alors.

Carl resta chez son nouveau maître jusqu'à l'expiration des trois années; mais un jour il dit à Bertha Schonfuss:

– Mon temps est fini, Berthe; demain je retournerai dans mon pays.

– Je prierai Dieu de vous accorder un bon voyage, répondit Bertha, et de vous faire trouver la joie au logis.

– Voyez-vous, Bertha, dit Carl, j'ai épargné soixante-dix florins d'or; sans cette somme, je n'aurais jamais pu retourner au pays et épouser Marguerite, dont je vous ai tant parlé. Sans vous, je n'aurais pas gagné cela. Ne dois-je pas en être reconnaissant toute ma vie?

– Et revenir nous voir un jour, reprit Bertha; cela va sans dire.

– Sûrement, dit Carl, en nouant son argent dans le coin de son mouchoir.

– Attendez! S'écria Bertha. Il y a du danger à porter beaucoup d'argent sur soi dans cette partie du pays; les routes sont infestées de voleurs.

– Je fabriquerai une boîte pour mettre l'argent, dit Carl.

– Non, mettez-le plutôt dans le manche creux d'un de vos outils. Il est tout naturel, pour un ouvrier, de porter des outils; personne ne songera à y regarder.

– Aucun manche ne serait assez grand pour les contenir, répliqua Carl, Je vais fabriquer un maillet creux, et je les mettrai dans le corps du maillet.

– C'est une bonne idée, s'écria Bertha.

Carl se mit à l'oeuvre le lendemain et fit un large maillet, dans lequel il pratiqua un trou, bouché par une cheville, où il enferma cinquante pièces d'or. Le reste de son trésor lui sembla bon à garder pour les dépenses du voyage et l'achat d'habits et d'autres objets; car il pouvait maintenant se permettre quelques prodigalités. Quand tout fut prêt, il loua un bateau pour descendre la rivière et faire ainsi une partie de son voyage. Le vieillard lui dit adieu affectueusement sur le petit embarcadère de sa boutique; Carl embrassa Bertha, et Bertha lui recommanda d'avoir bien soin de son maillet.

Le batelier qui devait le conduire était bien le plus laid garçon qu'on puisse imaginer. Il avait les jambes très courtes et une très large carrure. On ne lui voyait guère de cou, mais ce cou portait une tête volumineuse, et sa grande figure ronde était percée de deux petits yeux étincelants. Ses cheveux étaient noirs et hérissés; ses bras très longs, comme ceux d'un singe. Carl n'aimait pas son air quand il avait fait marché avec lui, et il était sur le point d'en choisir un autre dans la foule des bateliers sur le port; mais, réfléchissant à l'injustice qu' il y aurait de refuser du travail au pauvre diable à cause de sa laideur, il retourna sur ses pas et loua son bateau.

Carl s'était assis près du gouvernail; le batelier se mit à ramer. Tour à tour il se penchait tellement en avant, que son visage touchait presque ses pieds; et il se rejetait presque à plat sur son dos, donnant de telles poussées aux rames avec ses longs bras, que le bateau volait comme un corbeau. Carl ne s'en plaignait pas, car il lui tardait d'arriver à Stromthal; mais la licence enhardissait l'étrange batelier: Tantôt il faisait de si horribles grimaces en passant près d'autres bateaux, que ses confrères lui jetaient toutes sortes de projectiles; tantôt il levait ses rames pour frapper un poisson jouant à la surface, et chaque fois Carl voyait monter sur l'eau le poisson mort et renversé sur le dos. En vain ordonnait-il au hideux garçon de ramer tranquillement, le drôle lui répliquait dans un langage bizarre, à peine compréhensible, et le moment d'après il recommençait ses tours. Une fois, Carl le vit, à son grand étonnement, s'élancer de sa place et courir le long de l'étroit rebord du bateau, comme s'il avait les pieds palmés.

– Continuez de ramer, vilain singe! s'écria Carl en lui donnant un léger coup.

L'étrange batelier s'assit d'un air sombre, se remit à ramer et ne fit plus de mauvais tours ce jour là. Carl chanta une des chansons inspirées par la «Klar,» pendant que le bateau poursuivait sa route à travers des prairies dont les rives étaient bordées de joncs, et souvent autour de petites îles, jusqu'à ce que la brume descendît du ciel. La surface de la rivière brillait d'une faible lueur blanchâtre; les arbres du bord devenaient de plus en plus sombres, et les étoiles se montraient à l'ouest. Carl regardait les poissons, qui faisaient des cercles dans le courant et, laissant pendre sa main au-dessus du bord, il sentait avec plaisir l'eau glisser rapidement entre ses doigts. La fatigue finit par le gagner; il s'enveloppa dans son manteau, plaça son maillet à côté de lui, s'étendit sur l'arrière du bateau et s'endormit. La ville où ils devaient s'arrêter cette nuit-là était plus loin qu'ils ne l'avaient cru. Carl dormit longtemps et eut un rêve; dans son sommeil, il entendit un bruit tout près de sa tête, comme le bruit d'un corps qui fait rejaillir l'eau en tombant, et il s'éveilla. D'abord il crut que c'était le batelier qui venait de tomber à la rivière, mais il le vit debout au milieu du bateau.

– Qu'y a-t-il donc? demanda Carl.

– J'ai laissé tomber votre maillet dans le courant, répondit le batelier.

– Misérable! s'écria Carl en s'élançant sur lui, qu'as-tu fait là?

– Épargnez-moi, maître, répondit le batelier avec une affreuse grimace; votre maillet s'est échappé de ma main au moment où je voulais frapper une chauve-souris qui volait autour de ma tête» Carl, furieux, porta plusieurs coups au batelier; mais celui-ci les évita, et, glissant sous son bras, il se mit de nouveau à courir sur le rebord du bateau. De plus en plus furieux, Carl finit par l'atteindre et par se jeter sur lui si violemment, que le bateau chavira et qu'ils tombèrent tous deux dans la rivière. S'apercevant alors que le batelier ne savait pas nager, Carl oublia son maillet pour saisir le pauvre diable et gagner la rive avec lui. Le courant était si fort, qu'il les entraîna bien plus loin; mais ils finirent par arriver à terre. On pouvait alors apercevoir les lumières de la ville, qui était proche. Carl se mit en marche, le coeur triste, après avoir ordonné au batelier de le suivre. Mais quand, arrivé près des portes, il se retourna, le batelier avait disparu. Il l'appela à haute voix et revint un peu sur ses pas pour l'appeler encore, sans recevoir aucune réponse. À la fin il se décida à gagner la ville, et il n'entendit plus jamais parler du batelier.

Comme on le pense bien, Carl ne ferma pas l'oeil cette nuit-là. Au point du jour, il offrit presque tout l'argent qui lui restait pour un bateau, et il descendit seul la rivière. Il pensait que son maillet avait pu flotter sur l'eau, malgré le poids des pièces d'or, et il espérait encore le rattraper. Mais il eut beau regarder de tous côtés et ramer tout le jour sans prendre de repos, il ne découvrit rien. Le Geber baignait maintenant des îles plus nombreuses. Ses deux rives prenaient un aspect tout-à-fait solitaire et désolé. Le vent tomba. L'eau devenait aussi noire que si le ciel était couvert d'une nuée orageuse, et la rivière courait toujours plus rapide, serpentant, comme la «Klar,» entre des rochers. Ces murailles grisâtres devenaient de plus en plus hautes, et le bateau allait de plus en plus vite, en sorte que Carl semblait descendre dans l'intérieur de la terre, quand il aperçut l'entrée de la caverne dont l'étranger lui avait parlé. Au même moment, il vit son maillet flottant à quelques brasses devant lui. Mais le bateau commençait à tournoyer dans un tourbillon. Carl sentait sa tête et son coeur tourner aussi. Cependant le maillet entrait dans la caverne et le bateau approchait de son embouchure. Alors, l'instinct de sa propre conservation l'emportant, Carl s'accrocha aux anfractuosités des rochers et s'arrêta. Plongeant les yeux dans les ténèbres, il vit plusieurs petites flammes flotter et reluire dans l'obscurité, mais il ne voyait rien de plus, et il entendait les eaux se précipiter, comme une cascade, avec de grands mugissements. Ce n'était pas tout de renoncer à la poursuite de son maillet, il fallait remonter le courant, et la tâche était difficile, les rames ne pouvant plus lui être d'aucun secours pour cela. Il serra cependant la rive où le courant était le plus faible, et, se cramponnant aux saillies des rochers, il parvint à rebrousser chemin. Durant toute la nuit il avança ainsi lentement, et un peu avant l'aube du jour il se trouva hors des murailles de pierre. Harassé de fatigue, il amarra son bateau, descendit sur la rive, se coucha sur la terre nue et s'endormit. À son réveil, il mangea un petit pain dont il s'était muni, et il poursuivit son voyage.

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