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Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome II

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§ VI.
Dynastie Piche-Dâd

Si les Kêaniens ont été les Mèdes, leurs prédécesseurs devraient être les Assyriens de Ninive. Nos romanciers ne citent et ne connaissent pas un seul de ces noms, et cependant ils disent que leurs monuments sont anciens. Kéomors fut, selon eux, le premier homme ou roi. Nous saurons bientôt qu’en penser.

Le cinquième des Piche-dâd fixe d’abord notre attention; nous croyons le reconnaître dans tous ses traits et même dans son nom. Écoutons les chroniques:

«Djem-Chid régnait depuis 5 ou 600 ans sur la Perse (les années ne coûtent rien): il résidait à Estakar, qu’il avait embellie; il y avait «fait une entrée triomphale à l’équinoxe du printemps, le jour où le soleil entrait au bélier; et de là vint le Naurouz des Perses.... Il avait divisé la nation en trois classes, les guerriers, les laboureurs, les artisans; il avait composé ou soumis sept provinces. Son règne était glorieux, lorsque Dieu, pour le punir d’avoir voulu se faire adorer, suscita contre lui un ennemi puissant, qui le renversa.

«Cet ennemi fut Zohâk, qui, selon quelques auteurs, fut son parent; mais qui, de l’avis de tous, fut un prince Tâzi, c’est-à-dire arabe. Les uns le disent fils immédiat de Cheddâd, fils d’Aâd, ancien roi d’Iémen: d’autres disent seulement qu’il en descendait par Olouân ou Olouïan. Zohâk, à la tête d’une puissante armée, chassa Djemchid, qui disparut, et voyagea incognito pendant 100 ans sur toute la terre.... Devenu roi, Zohâk fut un tyran très-cruel; ce fut lui qui inventa divers supplices, entre autres celui de mettre en croix et d’écorcher vif: on lui donna divers surnoms, tels que Piour-asp, c’est-à-dire, en pehlevi, l’homme aux dix mille chevaux, parce qu’il marchait toujours escorté de dix mille chevaux arabes brillants d’or et d’argent (il est évident que ce fut un corps de cavalerie d’élite). On le nomma aussi tantôt Homairi, c’est-à-dire Homérite; tantôt Qaislohoub, c’est-à-dire le Qaisi aux armes étincelantes57; tantôt ajdehâc et mâr, c’est-à-dire serpent, par la raison qu’il avait sur les épaules deux serpens attachés à deux ulcères que le diable y avait imprimés par deux baisers. Pour remède, il avait conseillé à Zohâk d’y appliquer des cervelles d’hommes et d’enfants: on remplissait les prisons de victimes destinées à cette œuvre exécrable. Les geôliers, touchés de pitié, en laissèrent échapper quelques-uns, qui se réfugièrent dans les montagnes, et devinrent la souche des Kurdes. Deux enfants d’un forgeron de la capitale du Pars (la Perse) ayant été saisis, leur père, appelé Gao ou Kao, ameuta le peuple par ses cris, et devint chef d’abord d’une sédition, puis d’une armée régulière, dont l’étendard principal fut le tablier de cuir que Gao avait élevé au bout d’une perche. Ce tablier, qui ne cessa depuis d’être l’étendard royal, fut successivement enrichi de tant de pierreries, que lorsque les Arabes s’en emparèrent à la bataille de Qadesia (l’an 652 de notre ère), il fit la fortune du corps arabe qui le prit.

«Gao, devenu général, ne voulut point accepter la royauté; il la déféra à un descendant des anciens rois d’Aderbidjân (la Médie), qui menait une vie retirée dans ce pays-là. Ce nouveau roi, appelé Fridon ou Feridon, secondé de Gao, battit Zohâk, parvint à le saisir, le tua, selon les uns, ou, selon d’autres, l’enferma dans les cavernes du mont Demaouend (en Hyrcanie). Or Zohâk avait régné dix générations ou dix siècles (car l’on n’est pas bien d’accord sur ce point).»

Voilà les contes populaires que débitent sérieusement, et que croient dévotement la plupart des historiens musulmans et parsis: certainement nous avons ici bien des fables; mais, sous leur broderie, nous avons aussi un fond de vérités historiques. Essayons de les démêler.

La Perse proprement dite (ayant pour capitale Estakar), envahie et subjuguée par un roi étranger, reporte nos idées vers l’Assyrien Ninus et le Mède Phraortes, seuls conquérans que lui connaisse l’histoire. Mais cet étranger, nous dit-on, fut un arabe, un Homairi, c’est-à-dire un roi sabéen. Nous en connaissons plusieurs; recherchons celui-ci: son père, ou l’un de ses pères, était le célèbre Cheddâd, fils d’Aâd, l’un et l’autre anciens rois d’Iémen; nous avons vu ces noms dans les traditions arabes de Schultens. Aboulfeda, parlant de Haret Arraies, nous a dit qu’il était fils de Cheddâd, fils d’Aâd58, anciens rois d’Iémen; Haret serait donc le Zohâk des Perses, comme il est, dans Ktésias, l’Arraïos allié de Ninus et coopérateur de ses conquêtes: or la Perse fut précisément l’une de ces conquêtes. D’autres circonstances viennent appuyer ces analogies: par exemple, le corps de dix mille chevaux arabes brillants d’or et d’argent, d’où, vient l’épithète de qaislohoub. En effet, plusieurs auteurs font Haret, fils ou partisan de Qais, nom qui, chez les Arabes, fut de toute antiquité celui d’un parti distingué par le drapeau rouge, en opposition au Iamani distingué par son drapeau blanc: enfin, l’invention du supplice en croix rappelle la cruauté de Ninus envers Pharnus, roi de Médie, et lie ensemble les récits de Ktésias, de Mirkond et d’Aboulfeda. Mais, selon Ktésias, la Perse, fut assujettie à l’empire assyrien, et non aux rois Tobbas, arabes; il faut donc supposer que Haret, en ayant fait la conquête comme lieutenant et allié de Ninus, l’ayant peut-être gouvernée quelque temps, a porté tout l’odieux de l’invasion, et qu’ensuite l’ayant remise aux Assyriens, le nom de Zohâk, que nous allons voir désigner tout être puissant malfaisant, a passé collectivement, selon le style oriental, à la dynastie entière de Ninus: de là ce règne de 1,000 ans, attribué à Zohâk, durée qui a quelque analogie avec les 1,070 que Velleïus attribue aux rois d’Assyrie59.

 

Si notre manière de voir est juste, Féridoun, vainqueur de Zohâk et libérateur de l’Irân, doit être Arbâk, vainqueur de Sardanapale et libérateur des Perses amenés par Gaô au secours des Mèdes; et réellement, ainsi qu’Arbâk, Féridoun est Mède de naissance; il vit en Aderbidjân ou Médie; il est de race royale, mais il vit en simple particulier. Il devient roi par élection, promu par Gaô, comme Arbâk l’est par Bélésys; il règne à Ourmi, ancienne capitale de la Médie propre; enfin il abdique, et tout indique qu’Arbâk dut abdiquer.

Ferdousi ajoute que la ville où Zohâk fut attaqué par Féridoun, s’appelait la Forte Nevehet, ou Nuhet; et c’est le nom oriental de Nin-nuh ou Nin-Nevet (séjour de Ninus), où Sardanapale fut attaqué par Arbâk. Quant à ce que le poète ajoute de son chef, que Nevehet est Aïlia, c’est-à-dire Jérusalem, on voit là l’ignorance historique et géographique du musulman, puisque le nom d’Aïlia ne fut introduit qu’au temps d’Adrien. C’est par suite de cette fausse interprétation que, décrivant la marche de Féridoun, Ferdousi lui fait traverser le Tigre, au bord duquel l’action se passa.

Un écrivain antérieur à ceux que nous copions, l’arménien Moïse de Chorène, a connu au 5e siècle (vers 450) toutes ces traditions perso-mèdes, et en nous présentant les noms de Zohâk et de Fridoun, sous une forme plus ancienne, il nous fournit d’utiles renseignements.

«Comment vous amusez-vous (dit-il à son ami Isaac Bagratou), comment vous amusez-vous des plates fables populaires sur Biour-asp-Azdahâk? Et comment m’imposez-vous la tâche de vous répéter les contes absurdes sur son bienfait-méfait, sur les démons qui le servent? de vous raconter comment Hrodan (ou Vrodan) le lia avec des chaînes d’airain, et l’emmena au mont Dembaouend? Comment Hrodan s’étant endormi en route, Biourasp l’entraînait vers une colline, lorsque Hrodan réveillé le conduisit à la caverne, où il l’enferma?… etc.» (p. 77).

Ici notre épithète connue de Piourasp, jointe à Azdehâk, nous prouve que ce dernier nom est la véritable forme ancienne de celui de Zohâk, et que les Persans modernes lui ont fait une mauvaise étymologie, en l’expliquant deh-âq, ou dix hontes. Moïse de Chorène est plus autorisé et mieux instruit qu’eux, lorsqu’il nous dit que, dans la langue arménienne [analogue en plusieurs points à l’ancien mède]60, le mot Azdehâk signifie draco, grand serpent; ce qui est le sens même du mot persan mâr, que nous avons vu être une épithète de Zohâk, ayant pour type fondamental le Draco borealis, génie de l’hiver et de tous ses maux, dont Zoroastre fit sa grande couleuvre, Ahrimân.

D’autre part, l’arménien Mosès nous dit, pag. 38, que le nom arménien et mède d’Astyag, fils de Kyaxar, était Azdehâk, qui n’en diffère que par l’échange des consonnes fortes avec les consonnes faibles (aSTuaG aZDehâK); d’où il résulte qu’Astyag, roi méchant et fourbe, fut aussi un Zohâk61; et ce nom dut être appliqué par les Arméniens et les Perses à toute la dynastie mède; car, d’une part, Mosès ajoute que dans les vieilles chansons des paysans de son temps, la race d’Astyag était appelée race des Dragons: et d’autre part, si nous analysons le nom de Dêïôk dans sa prononciation grecque, nous y trouvons nettement Dohâk, synonyme incontestable de Zohâk.

Alors que les rois mèdes, et spécialement Astyag, ont, comme les Assyriens et Sardanapale, reçu des peuples opprimés le nom de Zohâk ou de génies du mal, leur libérateur Féridoun devra se trouver Kyrus, qui effectivement le fut comme Arbâk. Dans les récits de Moïse de Chorène, Hrodan ou Urodan est le mot même de Fridoun ou Féridoun, attendu que les Arméniens ne prononçant pas f, ils le remplacent par H, comme font les Espagnols dans les mots hijo, hacer, hierro, etc., pour fijo, facere, ferro. Ce qu’ajoute une autre tradition persane, «que Féridoun, après avoir vaincu Zohâk, envoya en Abissinie une armée contre Koûs-Fil-Dendan, c’est-à-dire contre l’Éthiopien aux dents d’éléphant, frère de Zohâk»; ce récit, qui porte un caractère antique dans ses expressions, ne peut convenir à Arbâk, et convient très-bien à Kyrus, dont le fils Cambyses fit la guerre aux Éthiopiens, que nous savons être une race fraternelle des Homérites; enfin cet entraînement d’Azdebâk au mont Dembaouend; convient encore à Kyrus, qui, selon Ktésias62, confina Astyag chez les Barcaniens ou Hyrcaniens, dans le pays desquels se trouve le mont Dembaouend: ceci nous expliquerait un fait historique cité par Mirkoud:

«63Vers l’an 1000 de notre ère, dit-il, lorsque Mahmoud Sebecteghin détruisit la dynastie des princes de Gaur, la tradition du pays était qu’ils descendaient des enfants de Zohâk, auxquels Féridoun laissa la vie, en transportant leur père au Dembaouend.»

Or Ktésias dit qu’Astyag64, pour sauver ses enfants et ses petits-enfants, se livra lui-même à Kyrus.

Un autre fait paradoxal cité par un écrivain grec, se trouve redressé en prenant encore Astyag pour Zohâk Clitarque, cité par Athénée65, prétendait, contre-tous les autres historiens, que Sardanapale, après avoir perdu son trône, n’avait point perdu la vie, mais qu’il avait vécu jusqu’à une grande vieillesse. Clitarque aura entendu les Perses dire cela de Zohâk; et comme Sardanapale est aussi un Zohâk, cet auteur s’est mépris dans l’application, et il a attribué au dernier roi assyrien ce qui appartenait au dernier roi mède; l’un et l’autre vaincus par un Féridoun, avec des circonstances très-ressemblantes.

Selon les anciens romanciers persans, Féridoun, vainqueur de Zohâk, épousa une de ses filles dont il eut deux fils, Tour et Salem. Rien de tel ne peut se dire d’Arbâk, vis-à-vis de Sardanapale; mais, selon Ktésias, Kyrus, vainqueur d’Astuigas-Azdehak, épousa sa fille, et en eut deux fils, Cambyses et Tanyo-Xarcès66. Féridoun épousa une autre femme de sang perse, dont il eut Iredj: leur ayant partagé l’empire, il abdiqua. Nous ne connaissons point d’abdication à Kyrus; mais nos auteurs sont sujets à ces fictions: d’ailleurs le récit de Ktésias a ici quelque analogie.

 

«Kyrus mourant, nomma pour son successeur Cambyses, son fils aîné; en même temps il établit Tanioxarcès souverain indépendant des Bactriens, des Choramniens, des Parthes et des Kermaniens (c’est-à-dire de la partie orientale de son empire); et de plus il donna aux deux petits-fils d’Astuigas les deux satrapies des Derbikes et des Barkaniens.»

Voilà une sorte de partage tripartite. Ktésias67 ajoute que Cambyses fit périr son frère Tanyo-Xarcès, et les romanciers disent qu’Iredj fut tué par ses frères. Quant à ce qu’ils ajoutent, qu’Iredj donna son nom à l’Iran, et Tour au Tour-an, ils oublient, ou plutôt ils ignorent que, dès la plus haute antiquité, l’histoire nous présente la Médie sous le nom d’Aria et d’Ériéné, et le pays montueux de l’ouest et du nord, sous le nom générique de Taur et Tour; ils confondent tout, et leurs récits ressemblent à un jeu de cartes brouillé.

Ce fils d’Iredj, nommé Manutchehr, venge sa mort, en faisant à ses oncles une guerre où ils périssent: ce dernier trait ne ressemble à rien de connu. Quant aux actions de Manutchehr, pendant son règne de 50 ans, elles ressemblent à celles de Dêïôk et de Kyaxarès. Phraortes est toujours supprimé. Manutchehr, comme Déïokès, rétablit l’ordre public, divise l’empire en provinces, crée des gouverneurs, institue des chefs de bourgade indépendants des gouverneurs, de peur que ceux-ci n’eussent trop de moyens de se révolter: il fait creuser des canaux par tout l’Aderbidjan, c’est-à-dire par toute la Médie; il élève des remparts autour des villes (allusion aux remparts d’Ekbatane), et se livre uniquement à l’administration: comme Kyaxarès, il est troublé par une irruption de Turks (les Scythes) que conduit Afrasiab: il se réfugie dans les montagnes près de la mer Caspienne; il y est assiégé long-temps inutilement, et finit par expulser les Turks, en négociant avec eux. Il y a deux ou trois successeurs, Nouder, Zou et Kershasp, qui n’ont que des règnes très-courts troublés par Afrasiab, ennemi opiniâtre, vainqueur et possesseur final de la Perse et de tout l’Iran… Alors s’élève Kê Qobad et la dynastie des Kêaniens, que nous avons vu n’être réellement que la copie défigurée des quatre rois mèdes d’Hérodote: Mahutchehr ne serait-il point le Mandaukès de Ktésias, que plusieurs dialectes prononceraient Mandautchehr? Et ses insignifiants successeurs seraient des doublures du même Ktésias; en sorte que le système persan établi au temps de cet auteur, serait devenu la base de ces récits parthiques ou pasaniens; et réellement ils nous présentent le même système de doublement et de répétition que nous avons vu dans Ktésias. En remontant au premier roi de la dynastie Pichedâd, Kéomors lui-même semble en être une preuve nouvelle: tout ce qui en est rapporté convient à Déïokès et à Kê Qobâd. D’abord son titre de est mède, et l’associe aux Kêaniens; ensuite sa qualité de premier roi, et son épithète de Pishdâd, c’est-à-dire donneur de (lois) justes, caractérise spécialement le premier roi mède d’Hérodote.

«Selon Kondemir,68 Kéomors était né dans l’Aderbidjan, c’est-à-dire en Médie; ce fut là, et non en Perse, qu’il résida et régna. Il était fils de simple particulier: les habitants du pays éprouvant les tristes effets de l’anarchie, résolurent d’établir un chef unique, dont la volonté fût la loi générale. Les vertus de Kéomors le firent choisir: on le revêtit de la robe royale, on lui plaça le Tâdj (la tiare) sur la tête. Il fut le premier roi à qui on baisa les pieds. Il érigea des tribunaux de justice; il ordonna de construire des villages et de vivre en société; il inventa (ou introduisit) des fabriques de toile, de draps et de coton. Le bonheur dont jouirent ses sujets, engagea ses voisins, de proche en proche, à le reconnaître aussi pour roi. Plusieurs assurent qu’il fut aussi de la religion des mages.»

Tout cela n’est-il pas exactement ce qu’Hérodote nous a déjà dit69 de Déïokès? La dernière phrase, absurde dans le système persan, qui fait naître Zerdoust bien des siècles plus tard, est au contraire, dans notre système, et lumineuse et vraie.

Désormais il devient superflu d’analyser les quatre successeurs de Kéomors, dont l’un, tué à la guerre, ressemble à Phraortes; il suffira d’avoir démontré que ces prétendues histoires anciennes, compilées par les Perses modernes, ne sont que des copies défigurées des mêmes histoires originales que nous ont fait connaître les écrivains grecs, plus voisins des temps, et plus raisonnables: il est arrivé ici au sens moral, ce qui arrive au sens physique, lorsque d’un tableau ou d’un portrait primitif, l’on fait tirer par des mains peu habiles plusieurs copies l’une sur l’autre: dès la seconde, on voit s’altérer la ressemblance, et à la troisième ou quatrième, le modèle n’est plus reconnaissable que par l’analogie des traits principaux. Malgré tout ce que l’amour des choses nouvelles ou merveilleuses a dicté d’éloges à quelques partisans outrés de la littérature orientale, on peut assurer que, dans le genre historique spécialement, les fruits qu’elle rend ne valent pas, à beaucoup près, la peine qu’ils coûtent. Notre conclusion n’est pas qu’il faille entièrement la négliger; nous pensons, au contraire, qu’une gratitude particulière est due à ceux qui exploitent cette mine pénible et peu abondante; mais nous ajoutons qu’il est nécessaire que, dans le choix des matériaux, ils portent un genre d’esprit très-différent de celui des vrais-croyants, pour qui la critique est un art inconnu. L’article suivant, où nous traitons des Babyloniens, en nous fournissant à chaque pas l’occasion d’exercer cet art, va nous donner de nouvelles preuves de son importance.


CHRONOLOGIE

DES

BABYLONIENS.

LA chronologie, c’est-à-dire la succession des faits historiques chez les Babyloniens, a toujours été considérée par les savans critiques, comme l’un des sujets les plus épineux et les plus obscurs de l’histoire ancienne: le lecteur va s’en convaincre par le nombre et la complication des difficultés que nous allons passer en revue; nous espérons que sa patience trouvera quelque indemnité dans la concision de notre travail, dans la clarté, et même dans la nouveauté de nos résultats.

Commençons par la fondation de Babylone dont l’époque divise d’opinion les auteurs anciens, comme nous le dit Quinte-Curce70 en cette phrase: «Babylone fut bâtie par Sémiramis, ou, comme la plupart le croient, par Bélus, dont on y voit le palais.»

CHAPITRE I.
Fondation de Babylone

EFFECTIVEMENT, la première de ces opinions est ou paraît être celle de Ktésias, c’est-à-dire celle des livres assyriens, dont cet auteur s’autorise, et qui attribuent la fondation de cette grande cité à Sémiramis, avec des détails empreints d’un cachet particulier d’information locale et même officielle: néanmoins le prêtre babylonien Bérose, homme très-instruit, postérieur d’un siècle seulement à Ktésias, ne craignit pas dans son Histoire des antiquités chaldaïques, présentée au roi Antiochus, de démentir l’écrivain grec, et d’assurer que Babylone avait été fondée par Bélus, dieu ou roi du pays, bien des siècles avant Sémiramis, et cela en invoquant et citant les traditions et les monuments publics de sa nation. Hérodote, de qui nous devions attendre ici quelque lumière, ne nous en fournit aucune; mais un autre historien judicieux et assez souvent bien instruit, Ammien-Marcellin, qui a pu et dû lire Bérose et Ktésias, semble nous donner le nœud de la question quand il dit71: «Sémiramis entoura de murs Babylone, mais la citadelle avait été bâtie auparavant par le très-ancien roi Bélus.» Ce terme moyen qui concilie les deux avis, se trouve d’ailleurs appuyé par une phrase de Ktésias que l’on n’a pas assez remarquée. Cet historien dit:

«Lorsque Ninus attaqua la Babylonie, la ville de Babylone qui existe aujourd’hui, n’était pas encore bâtie.» Ces mots Babylon quæ nunc est, ne semblent-ils pas indiquer qu’il en existait une autre; et si, comme l’atteste Bérose, l’antique Bélus était dès long-temps le dieu tutélaire du pays; si, comme l’on en convient, le nom oriental Babel, pour Babylon, signifie la porte, c’est-à-dire, le palais de Bel ou Bélus, il devait exister dès lors une Babel ou Babylone primitive, que Sémiramis engloba dans ses vastes constructions et qu’elle orna, comme nous le verrons: ainsi ce serait faute d’avoir bien déterminé le sens du mot fondation, que les anciens se seraient disputés dans le cas présent comme dans beaucoup d’autres. Prenons de ce mot une idée claire.

En général, ces grandes réunions de maisons que l’on appelle villes, ont eu deux manières d’être fondées: 1° la première par un concours lent et progressif d’habitants que des motifs de défense commune, de facilité de commerce, d’aisances de la vie ont appelés et fixés autour d’un premier noyau d’habitation: à ce premier genre de ville, l’on ne saurait presque désigner de fondateur, ni d’époque de fondation.

La seconde manière se fait par un concours subit de colons que leur propre volonté ou celle d’un gouvernement, engagent ou contraignent à bâtir une ville, comme un particulier bâtit une maison: ici appartient et s’applique le nom de fondation, parce que la date est aussi précise que le fait est remarquable.

Mais si, comme il est souvent arrivé, le lieu choisi pour une telle fondation avait déjà une habitation antérieure, soit village, soit bourgade;72 si même il y existait déja une ville du premier genre, c’est-à-dire sans fondateur connu, actuellement ruinée par la guerre ou par d’autres accidens, cette seconde fondation pourra devenir un sujet de controverse, parce que l’habitation antérieure suppose une fondation originelle, après laquelle il ne doit plus y avoir que restauration. Enfin, si des princes et des rois avaient, par vanité, fait ou simulé de telles fondations, pour donner leur nom à des villes qui déja avaient un fondateur connu; si les peuples ou leurs agens municipaux avaient, par adulation, provoqué de telles fondations fictives, on sent que le mot et la chose seraient tombés dans un désordre assez difficile à éclaircir. Voilà ce qui est arrivé à une foule de villes anciennes, spécialement dans les pays dont nous traitons, dans l’Asie-mineure, la Mésopotamie, la Syrie, etc., où les géographes trouvent quantité de villes fondées, c’est-à-dire rebâties, restaurées par des rois grecs, par des empereurs romains dont elles prirent le nom, quand néanmoins il est certain qu’elles existaient long-temps auparavant, qu’elles avaient par conséquent une fondation première, véritable, connue ou inconnue.

Appliquant ce raisonnement à Babylone, nous pensons que Ktésias et les livres perso-assyriens ont eu raison de dire que Sémiramis fonda cette grande cité, parce qu’en effet il paraît que cette reine fit bâtir, par les fondements, les murs et les ouvrages gigantesques qui, même dans leur déclin, étonnèrent l’armée d’Alexandre73. L’assentiment des meilleurs auteurs, du géographe Strabon entre autres, qui eut en main toutes les pièces du procès, ne laisse pas de doute à cet égard; mais d’un autre côté, Bérose nous semble également fondé à soutenir que long-temps avant Sémiramis, il existait une Babel ou Babylone, c’est-à-dire, un palais, un temple du dieu Bel, de qui le pays avait formé son nom Babylonia, et dont le temple, selon l’usage de l’ancienne Asie, était le lieu de ralliement, le pélerinage, la métropole de toute la population soumise à ses lois; en même temps que ce temple était l’asile, la forteresse des prêtres de la nation, et le séminaire antique et sans doute originel de ces études astronomiques, de cette astrologie judiciaire, qui rendirent ces prêtres si célèbres sous le nom de Chaldéens, à une époque dont on ne sait plus mesurer l’antiquité. Ktésias lui-même et ses livres perso-assyriens fournissent un argument à l’appui de cette opinion; car puisque Ninus, plus de 30 ans avant Sémiramis, trouva un peuple agricole et pacifique, par conséquent industrieux et riche; puisqu’il trouva un roi, une cour et plusieurs bonnes villes, il existait donc dès lors un royaume puissant, un état civilisé et tout ce qui en dépend. Ktésias ne nous donne point les limites de ce royaume; mais puisque, chez les anciens comme chez les modernes, les royaumes réduits en provinces conservaient les limites qu’ils avaient avant d’être conquis; puisque la Babylonie, dès avant les rois perses Darius et Kyrus, nous est dépeinte comme s’étendant du désert de Syrie jusqu’aux monts de la Perse, et du golfe Persique jusqu’au nord du pays74 d’Arbèles, on peut dire que c’étaient là ses limites dès le temps de Ninus; d’où il résulte que ce royaume avait une surface de 3000 lieues carrées, d’un sol que les anciens comparent, pour la fertilité, à celui de l’Égypte, et qui par conséquent comporte une population probable de près de 3,000,000 d’habitans. Enfin, si la nation babylonienne nous est peinte comme divisée de tout temps en 4 castes, à la manière de l’Égypte et de l’Inde, division qui elle seule est une preuve de haute antiquité, l’on a le droit de dire que dès avant Ninus existait la caste des prêtres chaldéens, semblable en tout à celle des brahmes de l’Inde; ce qui suppose tout le système politique indiqué par le récit de nos deux historiens.

Quant à la prétention ultérieure de Bérose, qui veut enlever à Sémiramis, reine assyrienne, la construction des grands ouvrages de Babylone, pour la donner à Nabukodonosor, roi chaldéen, nous allons rechercher, par la discussion exacte des textes originaux, quel fondement peut avoir cette opinion, et si, par un cas naturel, elle n’a pas pour motif l’antipathie nationale d’un Babylonien contre un peuple étranger, oppresseur de son pays, ou la partialité systématique d’un prêtre chaldéen élevé dans l’école réformatrice de Nabonasar, ce brûleur des livres historiques des rois qui l’avaient précédé. Écoutons d’abord le récit des livres assyriens cités par Ktésias, où se trouvent des détails très intéressans et circonstanciés. Cet historien, à la suite du fragment conservé par Diodore, continue ainsi l’histoire de Ninus et de son épouse75.

57La racine lahab manque dans l’arabe (Voyez Golius), mais elle subsiste dans l’hébreu, qui, en plusieurs cas, explique très-bien le vieil arabe.
58Il est évident que ce nom d’Aâd fut, chez les anciens Arabes, le nom de beaucoup d’individus, en même temps qu’il était celui d’une tribu. Ainsi, chez les Hébreux, Manassé, Siméon, Éphraïm, noms de tribus, sont aussi des noms d’individus. Parmi les merveilles du monde, les Arabes citent le puits de Moattala chez les Madianites, issus d’Aâd, tribu expulsée de l’Iémen. Les Madianites sont cités avant Moïse: donc l’expulsion des Aâdites date de bien plus loin. Dans leurs récits mêlés de fables, les auteurs arabes citent, relativement à Cheddâd, plusieurs faits d’une exactitude vraiment historique et très-instructifs. Par exemple, Chehab-el-din, dans son livre El-Djoman (les Perles), rapporte que289. Voyez Notice des manuscrits orientaux, tome II, pag. 139. Extrait par M. de Sacy., «Aâd eut un grand nombre d’enfants dont trois régnèrent après lui (savoir): Mondâr, Cheddâd, et Loqman. Cheddâd ayant succédé à Mondâr, fit de grandes conquêtes dans l’Afrique jusqu’à l’Océan. Après 200 ans d’absence, revenu en Iémen, il ne voulut point résider au château de Mâreb, et il acheva le château appelé El Mocheyâd, commencé par son frère Mondâr. Il y employa avec profusion l’or, l’argent et les pierres précieuses (qu’il avait rapportées de ses conquêtes). Les murs étaient ornés intérieurement des pierres les plus rares, et le pavé était de marbre de diverses couleurs (c’était une mosaïque). Cheddâd avait reçu de la nature une force de corps prodigieuse (son nom en dérive: chedid signifie fort); il pliait le fer avec les doigts, et l’éclat de sa voix eût pu tuer un lion… Il vécut très-âgé, et vit sa postérité se multiplier à l’infini… Le jardin nommé Aram-Zât-el-èmâd (Aram aux colonnes), est encore un ouvrage de ce prince. Ayant lu dans (certains) livres révélés la description du paradis, dont les «colonnes sont d’or et d’argent, la poussière de musc et d’ambre, les gazons de safran et d’iris, les cailloux d’hyacinthe et d’émeraude, etc., il voulut imiter cette magnificence… Il choisit une plaine délicieuse, coupée de 1000 ruisseaux, et il y bâtit un palais enchanté, etc. «Dans son livre des merveilles de Dieu290. Notice des manuscrits orientaux, tome II, pag. 393., Iaqouti s’exprime plus historiquement sur cet ouvrage: Aram aux colonnes, dit-il, est une ville située entre Sanaà et Hadramaut: elle a été bâtie par Cheddâd, fils d’Aâd, ancien roi des Arabes; elle avait de longueur 12 parasanges, et autant de largeur (c’est presque la dimension de Moscou); elle renfermait un nombre infini d’édifices merveilleux, etc.» Il faut laisser à l’écart toutes les fables que les écrivains ont brodées sur ce riche canevas: les 200 ans de Cheddâd ne doivent pas être de leur invention: leur analogie avec les âges prodigieux des antiquités juives, prouve seulement qu’alors les années n’étaient pas composées de 12 mois, comme nous l’avons vu dans la Chronologie des Hébreux. En ne prenant que l’essence des faits rapportés dans l’article ci-dessus, nous y trouvons une indication claire… que dès avant le temps de Haret et de Ninus, et en remontant jusqu’à celui de Sésostris, les Arabes d’Iémen avaient déja fait en Afrique ces grandes expéditions qu’ils répétèrent au temps de Salomon: ils avaient pu déja, bien antérieurement, établir cette colonie d’Éthiopiens-Abissins, dont l’origine, suivant le savant Ludolf, se perd dans la haute antiquité, et qui, différant totalement de la race nègre par leurs cheveux longs, leur figure ovale et leur idiome tout-à-fait arabique, attestent une invasion étrangère qui expulsa les naturels du riche pays qu’arrosent les affluents du Haut-Nil. On conçoit comment un prince doué de moyens éminents comme Cheddâd, put faire des expéditions dont ses prédécesseurs lui avaient ouvert les voies, et ensuite déployer un luxe dont le royaume de Thèbes lui offrait les modèles: il est à remarquer que le mot Aram, qui dans les langues arabiques ne signifie rien, dans le sanscrit signifie jardin; et que le paradis décrit par certains livres révélés, est le paradis indou, tel que le décrivent les Pouranas: en sorte que nous avons ici l’indication évidente de la diffusion du brahmisme dès ce temps reculé; et ce nom d’Aram, jardin, donné au riche pays de la Mésopotamie, prouve, avec bien d’autres noms géographiques, que le système indien s’étendit jadis, comme l’a très-bien vu Wilford, dans tout le continent de l’Asie. Pour des yeux libres, l’horizon de l’antiquité s’éloigne et s’étend à mesure que l’observateur avance; mais pour qui porte les lunettes juives, dès quelques pas au-delà d’Abraham, l’horizon est obstrué par le mont Ararat et par les ténèbres chaldéennes, où l’imagination fascinée n’aperçoit que des figures gigantesques et des êtres fantastiques dans des nuages bizarrement dessinés.
59La qualité de parent de Djemchid se trouve même en harmonie avec la tradition citée par Maseoudi, que l’une des 4 tribus arabes primitives possédèrent la Perse, et furent une portion alliée de ses habitants; l’une de ces tribus portait le nom d’Aâd, qui a dû faire équivoque avec le père de Cheddâd.
289Voyez Notice des manuscrits orientaux, tome II, pag. 139. Extrait par M. de Sacy.
290Notice des manuscrits orientaux, tome II, pag. 393.
60On trouve dans l’ancienne Arménie le mont Capotes, qui est un mot pur sanscrit, signifiant le Lingam (Phallus); l’Araxès perce une montagne à un lieu appelé Ordovar, et le Gange en fait autant au lieu appelé Héridvâr, etc.
61Si l’on observe qu’en parlant de la défaite d’Astyag par Tigrane et Kyrus, Mosès fait mention de sa maison (militaire) de 10,000 ames, l’on pensera qu’il a voulu désigner le corps des 10,000 cavaliers devenu partie constituante de l’état militaire des Assyriens, puis des Mèdes, puis des Perses, où nous le trouvons sous le nom des 10,000 immortels. Déïôkes et Kyrus ne firent que copier Ninus: par suite d’imitation, les Tartares ont copié les Perses dans leur Touman de 10,000 cavaliers.
62Ktésias dans Photuis, p. 110.
63Voyez d’Herbelot, Biblioth. orient., au mot Sâm ben Souri. En général le lecteur trouvera les traditions que nous citons, soit dans la Bibliothèque orientale, soit dans le livre I de l’Histoire universelle, tom. IV, in-4°, dans lequel est inséré un extrait de Mirkond.
64Ktésias en Photius, pag. 107.
65Athénée, lib. XII, édit. de Schweighauser, tome IV, page 468.
66Hérodote est d’accord; seulement il donne à ce second le nom de Smerdis.
67Hérodote dit la même chose de Smerdis.
68Voyez l’Histoire universelle, in-4°, tome IV, page 5 et suivante.
69Voyez tome IV, page 414, et ci-devant, pag. 77.
70Quint. Curt., lib. V, cap. I.
71Lib. XXIII, pag. 351. De bello persico.
72Par exemple, le fort de Rhacotis où les rois d’Égypte entretenaient une garnison sur le lieu où fut bâtie Alexandrie. Voyez Strabon, lib. XVII, p. 792.
73330 ans avant notre ère, 8 siècles et demi après la fondation.
74Voyez le récit de Ktésias en Diodore, dont le lecteur trouvera une traduction littérale dans la Chronologie d’Hérodote, pag. 97. Comparez aussi Strabon, lib. XVI, au début.
75Diod. Sicul., lib. II, p. 120, édit. de Wesseling.
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