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Histoires grotesques et sérieuses

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Il n'y a donc pas lieu de douter que le théâtre de cet abominable outrage n'ait été enfin découvert.»

Aussitôt après cette découverte, un nouveau témoin parut. Madame Deluc raconta qu'elle tenait une auberge au bord de la route, non loin de la berge de la rivière opposée à la barrière du Roule. Les environs sont solitaires, – très-solitaires. C'est là, le dimanche, le rendez-vous ordinaire des mauvais sujets de la ville, qui traversent la rivière en canot. Vers trois heures environ, dans l'après-midi du dimanche en question, une jeune fille était arrivée à l'auberge, accompagnée par un jeune homme au teint brun. Ils y étaient restés tous deux pendant quelque temps. Après leur départ, ils firent route vers quelque bois épais du voisinage. L'attention de madame Deluc fut attirée par la toilette que portait la jeune fille, à cause de sa ressemblance avec celle d'une de ses parentes défunte. Elle remarqua particulièrement une écharpe. Aussitôt après le départ du couple, une bande de mécréants parut, qui firent un tapage affreux, burent et mangèrent sans payer, suivirent la même route que le jeune homme et la jeune fille, revinrent vers l'auberge à la brune, puis repassèrent la rivière en grande hâte.

Ce fut peu après la tombée de la nuit, dans la même soirée, que madame Deluc, ainsi que son fils aîné, entendit des cris de femme dans le voisinage de l'auberge. Les cris furent violents, mais ne durèrent pas longtemps. Madame Deluc reconnut non seulement l'écharpe trouvée dans le fourré, mais aussi la robe qui habillait le cadavre. Un conducteur d'omnibus, Valence14, déposa également alors qu'il avait vu Marie Roget traverser la Seine en bateau, dans ce dimanche en question, en compagnie d'un jeune homme d'une figure brune. Lui, Valence, connaissait Marie et ne pouvait pas se tromper sur son identité. Les objets trouvés dans le bosquet furent parfaitement reconnus par les parents de Marie.

Cette masse de dépositions et d'informations que je récoltai ainsi dans les journaux, à la demande de Dupin, comprenait encore un point, – mais c'était un point de la plus haute importance. Il parait qu'immédiatement après la découverte des objets ci-dessus indiqués, on trouva, dans le voisinage du lieu que l'on croyait maintenant avoir été le théâtre du crime, le corps inanimé ou presque inanimé de Saint-Eustache, le fiancé de Marie. Une fiole vide portant l'étiquette «laudanum» était auprès de lui. Son baleine accusait le poison. Il mourut sans prononcer une parole. On trouva sur lui une lettre racontant brièvement son amour pour Marie et son dessein arrêté de suicide.

«Je ne crois pas avoir besoin de vous dire, – dit Dupin, comme il achevait la lecture de mes notes, – que c'est là un cas beaucoup plus compliqué que celui de la rue Morgue, duquel il diffère en un point très-important. C'est là un exemple de crime atroce, mais ordinaire. Nous n'y trouvons rien de particulièrement outré. Observez, je vous prie, que c'est la raison pour laquelle le mystère a paru simple; quoique ce soit justement la même raison qui aurait dû le faire considérer comme plus difficile à résoudre. C'est pourquoi on a d'abord jugé superflu d'offrir une récompense. Les mirmidons de G… étaient assez forts pour comprendre comment et pourquoi une telle atrocité pouvait avoir été commise. Leur imagination pouvait se figurer un mode, – plusieurs modes, – un motif, – plusieurs motifs; et parce qu'il n'était pas impossible que l'un de ces nombreux modes et motifs fut l'unique réel, ils ont considéré comme démontré que le réel devait être un de ceux-là. Mais l'aisance avec laquelle ils avaient conçu ces idées diverses, et même le caractère plausible dont chacune était revêtue, auraient dû être pris pour des indices de la difficulté plutôt que de la facilité attachée à l'explication de l'énigme. Je vous ai déjà fait observer que c'est par des saillies au-dessus du plan ordinaire des choses, que la raison doit trouver sa voie, ou jamais, dans sa recherche de la vérité, et que dans des cas tels que celui-là, l'important n'est pas tant de se dire: «Quels sont les faits qui se présentent?» que de se dire: «Quels sont les faits qui se présentent, qui ne se sont jamais présentés auparavant?». Dans les investigations faites chez madame L'Espanaye15, les agents de G… furent découragés et confondus par cette étrangeté même qui eût été, pour une intelligence bien faite, le plus sûr présage de succès; et cette même intelligence eût été plongée dans le désespoir par le caractère ordinaire de tous les faits qui s'offrent à l'examen dans le cas de la jeune parfumeuse et qui n'ont encore rien révélé de positif, si ce n'est la présomption des fonctionnaires de la Préfecture.

«Dans le cas de madame L'Espanaye et de sa fille, dès le commencement de notre investigation, il n'y avait pour nous aucun doute qu'un meurtre avait été commis. L'idée de suicide se trouvait tout d'abord exclue. Dans le cas présent, nous avons également à éliminer toute idée de suicide. Le corps trouvé à la barrière du Roule a été trouvé dans des circonstances qui ne nous permettent aucune hésitation sur ce point important. Mais on a insinué que le cadavre trouvé n'est pas celui de la Marie Roget dont l'assassin ou les assassins sont à découvrir, pour la découverte desquels une récompense est offerte, et qui sont l'unique objet de notre traité avec le préfet. Vous et moi, nous connaissons assez bien ce gentleman. Nous ne devons pas trop nous fier à lui. Soit que, prenant le corps trouvé pour point de départ, et suivant la piste d'un assassin, nous découvrions que ce corps est celui d'une autre personne que Marie; soit que, prenant pour point de départ la Marie encore vivante, nous la retrouvions non assassinée, – dans les deux cas, nous perdons notre peine, puisque c'est avec M. G… que nous avons affaire. Donc, pour notre propre but, si ce n'est pour le but de la justice, il est indispensable que notre premier pas soit la constatation de l'identité du cadavre avec la Marie Roget disparue.

«Les arguments de l'Étoile ont trouvé crédit dans le public; et le journal lui-même est convaincu de leur importance, ainsi qu'il résulte de la manière dont il commence un de ses articles sur le sujet en question: «Quelques-uns des journaux du matin, – dit-il, – parlent de l'article concluant de l'Étoile dans son numéro de lundi.» Pour moi cet article ne me paraît guère concluant que relativement au zèle du rédacteur. Nous devons ne pas oublier qu'en général le but de nos feuilles publiques est de créer une sensation, de faire du piquant plutôt que de favoriser la cause de la vérité. Ce dernier but n'est poursuivi que quand il semble coïncider avec le premier. Le journal qui s'accorde avec l'opinion ordinaire (quelque bien fondée que soit d'ailleurs cette opinion) n'obtient pas de crédit parmi la foule. La masse du peuple considère comme profond celui-là seul qui émet des contradictions piquantes de l'idée générale. En logique aussi bien qu'en littérature, c'est l'épigramme qui est le genre le plus immédiatement et le plus universellement apprécié. Dans les deux cas, c'est le genre le plus bas selon l'ordre du mérite.

«Je veux dire que c'est le caractère mêlé d'épigramme et de mélodrame de cette idée, – que Marie Roget est encore vivante, – qui l'a suggérée à l'Étoile, plutôt qu'aucun véritable caractère plausible, et qui lui a assuré un accueil favorable auprès du public. Examinons les points principaux de l'argumentation de ce journal, et prenons bien garde à l'incohérence avec laquelle elle se produit dès le principe.

«L'écrivain vise d'abord à nous prouver, par la brièveté de l'intervalle compris entre la disparition de Marie et la découverte du corps flottant, que ce corps ne peut pas être celui de Marie. Réduire cet intervalle à la dimension la plus petite possible devient tout d'abord chose capitale pour l'argumentateur. Dans la recherche inconsidérée de ce but, il se précipite dès son début dans la pure supposition. «C'est une folie, – dit-il, – de supposer que le meurtre, si un meurtre a été commis sur cette personne, ait pu être consommé assez vite pour permettre aux meurtriers de jeter le corps dans la rivière avant minuit.» Nous demandons tout de suite, et très-naturellement, pourquoi. Pourquoi est-ce une folie de supposer que le meurtre a été commis cinq minutes après que la jeune fille a quitté le domicile de sa mère? Pourquoi est-ce une folie de supposer que le meurtre a été commis à un moment quelconque de la journée? Il s'est commis des assassinats à toutes les heures. Mais, que le meurtre ait eu lieu à un moment quelconque entre neuf heures du matin, dimanche, et minuit moins un quart, il serait toujours resté bien assez de temps pour jeter le cadavre dans la rivière avant minuit. Cette supposition se réduit donc à cela: que le meurtre n'a pu être commis le dimanche; et si nous permettons à l'Étoile de supposer cela, nous pouvons lui accorder toutes les libertés possibles. On peut imaginer que le paragraphe commençant par: «C'est une folie de supposer que le meurtre, etc.,» quoiqu'il ait été imprimé sous cette forme par l'Étoile, avait été réellement conçu dans le cerveau du rédacteur sous cette autre forme: «C'est une folie de supposer que le meurtre, si un meurtre a été commis sur cette personne, ait pu être consommé assez vite pour permettre aux meurtriers de jeter le corps dans la rivière avant minuit; c'est une folie, disons-nous, de supposer cela, et en même temps de supposer (comme nous voulons bien le supposer) que le corps n'a été jeté à l'eau que passé minuit;» opinion passablement mal déduite, mais qui n'est pas aussi complètement déraisonnable que celle imprimée.

 

«Si j'avais eu simplement pour but, – continua Dupin, – de réfuter ce passage de l'argumentation de l'Étoile, j'aurais pu tout aussi bien le laisser où il est. Mais ce n'est pas de l'Étoile que nous avons affaire, mais bien de la vérité. La phrase en question, dans le cas actuel, n'a qu'un sens, et ce sens, je l'ai nettement établi; mais il est essentiel que nous pénétrions derrière les mots pour chercher une idée que ces mots donnent évidemment à entendre, sans l'exprimer positivement. Le dessein du journaliste était de dire qu'il était improbable, à quelque moment de la journée ou de la nuit de dimanche que le meurtre eût été commis, que les assassins se fussent hasardés à porter le corps à la rivière avant minuit. C'est justement là que gît la supposition dont je me plains. On suppose que le meurtre a été commis à un tel endroit et dans de telles circonstances, qu'il est devenu nécessaire de porter le corps à la rivière. Or, l'assassinat pourrait avoir eu lieu sur le bord de la rivière, ou sur la rivière même; et ainsi le lançage du corps à l'eau, auquel on a eu recours, à n'importe quel moment du jour ou de la nuit, se serait présenté comme le mode d'action le plus immédiat, le plus sous la main. Vous comprenez que je ne suggère ici rien qui me paraisse plus probable ou qui coïncide avec ma propre opinion. Jusqu'à présent je n'ai pas en vue les éléments mêmes de la cause. Je désire simplement vous mettre en garde contre le ton général des suggestions de l'Étoile et appeler votre attention sur le caractère de parti pris qui s'y manifeste tout d'abord.

«Ayant ainsi prescrit une limite accommodée à ses idées préconçues, ayant supposé que, si ce corps était celui de Marie, il n'aurait pu rester dans l'eau que pendant un laps de temps très-court, le journal en vient à dire:

«L'expérience prouve que les corps noyés, ou jetés à l'eau immédiatement après une mort violente, ont besoin d'un temps comme de six à dix jours pour qu'une décomposition suffisante les ramène à la surface des eaux. Un cadavre sur lequel on tire le canon, et qui s'élève avant que l'immersion ait duré au moins cinq ou six jours, ne manque pas de replonger, si on l'abandonne à lui-même.»

«Ces assertions ont été acceptées tacitement par tous les journaux de Paris, à l'exception du Moniteur16. Cette dernière feuille s'efforce de combattre la partie du paragraphe qui a trait seulement aux corps des noyés, en citant cinq ou six cas dans lesquels les corps de personnes notoirement noyées ont été trouvés flottants après un laps de temps moindre que celui fixé par l'Étoile. Mais il y a quelque chose d'excessivement antiphilosophique dans cette tentative que fait le Moniteur, de repousser l'affirmation générale de l'Étoile par une citation de cas particuliers militant contre cette affirmation. Quand même il eût été possible d'alléguer cinquante cas, au lieu de cinq, de cadavres trouvés à la surface des eaux au bout de deux ou trois jours, ces cinquante exemples auraient pu être légitimement considérés comme de pures exceptions à la règle de l'Étoile, jusqu'à ce que la règle elle-même fût définitivement réfutée. Cette règle admise (et le Moniteur ne la nie pas, il insiste seulement sur les exceptions), l'argumentation de l'Étoile reste en possession de toute sa force; car cette argumentation ne prétend pas impliquer plus qu'une question de probabilité relativement à un corps pouvant s'élever à la surface en moins de trois jours; et cette probabilité sera en faveur de l'Étoile jusqu'à ce que les exemples, si puérilement allégués, soient en nombre suffisant pour constituer une règle contraire.

«Vous comprenez tout de suite que toute argumentation de ce genre doit être dirigée contre la règle elle-même, et, dans ce but, nous devons faire l'analyse raisonnée de la règle. Or, le corps humain n'est, en général, ni beaucoup plus léger, ni beaucoup plus lourd que l'eau de la Seine; c'est-à-dire que la pesanteur spécifique du corps humain, dans sa condition naturelle, est à peu près égale au volume d'eau douce qu'il déplace. Les corps des individus gras et charnus, avec de petits os, et généralement des femmes, sont plus légers que ceux des individus maigres, à gros os, et généralement des hommes; et la pesanteur spécifique de l'eau d'une rivière est quelque peu influencée par la présence du flux de la mer. Mais, en faisant abstraction de la marée, on peut affirmer que très-peu de corps humains seront submergés, même dans l'eau douce, spontanément, par leur propre nature. Presque tous, tombant dans une rivière, seront aptes à flotter, s'ils laissent s'établir un équilibre convenable entre la pesanteur spécifique de l'eau et leur pesanteur propre, c'est-à-dire s'ils se laissent submerger tout entiers, en exceptant le moins de parties possible. La meilleure position pour celui qui ne sait pas nager est la position verticale de l'homme qui marche sur la terre, la tête complètement renversée et submergée, la bouche et les narines restant seules au-dessus du niveau de l'eau. Dans de telles conditions, nous pourrons tous flotter sans difficulté et sans effort. Il est évident, toutefois, que les pesanteurs du corps et du volume d'eau déplacé sont alors très-rigoureusement balancées, et qu'un rien suffira pour donner à l'un ou à l'autre la prépondérance. Un bras, par exemple, élevé au-dessus de l'eau, et conséquemment privé de son support, est un poids additionnel suffisant pour faire plonger toute la tête, tandis que le secours accidentel du plus petit morceau de bois nous permettra de lever suffisamment la tête pour regarder autour de nous. Or, dans les efforts d'une personne qui n'a pas la pratique de la natation, les bras se jettent invariablement en l'air, et il y a en même temps obstination à conserver à la tête sa position verticale ordinaire. Le résultat est l'immersion de la bouche et des narines, et, par suite des efforts pour respirer sous l'eau, l'introduction de l'eau dans les poumons. L'estomac en absorbe aussi une grande quantité, et tout le corps s'appesantit de toute la différence de pesanteur entre l'air qui primitivement distendait ces cavités et le liquide qui les remplit maintenant. C'est une règle générale, que cette différence suffit pour faire plonger le corps; mais elle ne suffit pas dans le cas des individus qui ont de petits os et une quantité anormale de matière flasque et graisseuse. Ceux-là flottent même après qu'ils sont noyés.

«Le cadavre, que nous supposerons au fond de la rivière, y restera jusqu'à ce que, d'une manière quelconque, sa pesanteur spécifique devienne de nouveau moindre que celle du volume d'eau qu'il déplace. Cet effet est amené soit par la décomposition, soit autrement. La décomposition a pour résultat la génération du gaz qui distend tous les tissus cellulaires et donne aux cadavres cet aspect bouffi qui est si horrible à voir. Quand cette distension est arrivée à ce point que le volume du corps est sensiblement accru sans un accroissement correspondant de matière solide ou de poids, sa pesanteur spécifique devient moindre que celle de l'eau déplacée, et il fait immédiatement son apparition à la surface. Mais la décomposition peut être modifiée par d'innombrables circonstances; elle peut être hâtée ou retardée par d'innombrables agents; par la chaleur ou le froid de la saison, par exemple; par l'imprégnation minérale ou la pureté de l'eau; par sa plus ou moins grande profondeur; par le courant ou la stagnation plus ou moins marqués; et puis par le tempérament originel du corps, selon qu'il était déjà infecté ou pur de maladie avant la mort. Ainsi il est évident que nous ne pouvons, avec exactitude, fixer une époque où le corps devra s'élever par suite de la décomposition. Dans de certaines conditions, ce résultat peut être amené en une heure; dans d'autres, il peut ne pas avoir lieu du tout. Il y a des infusions chimiques qui peuvent préserver à tout jamais de corruption tout le système animal, par exemple le bichlorure de mercure. Mais, à part la décomposition, il peut y avoir et il y a ordinairement une génération de gaz dans l'estomac, par la fermentation acétique de la matière végétale (ou par d'autres causes dans d'autres cavités), suffisante pour créer une distension qui ramène le corps à la surface de l'eau. L'effet produit par le coup de canon est un effet de simple vibration. Il peut dégager le corps du limon ou de la vase molle où il est enseveli, lui permettant ainsi de s'élever, quand d'autres agents l'y ont déjà préparé; ou bien il peut vaincre l'adhérence de quelques parties putréfiées du système cellulaire, et faciliter la distension des cavités sous l'influence du gaz.

«Ayant ainsi devant nous toute la philosophie du sujet, nous pouvons vérifier les assertions de l'Étoile. «L'expérience prouve, – dit cette feuille, – que les corps noyés, ou jetés à l'eau immédiatement après une mort violente, ont besoin d'un temps comme de six à dix jours, pour qu'une décomposition suffisante les ramène à la surface des eaux. Un cadavre sur lequel on tire le canon, et qui s'élève avant que l'immersion ait duré au moins cinq ou six jours, ne manque pas de replonger si on l'abandonne à lui-même.»

«Tout le paragraphe nous apparaît maintenant comme un tissu d'inconséquences et d'incohérences. L'expérience ne montre pas toujours que les corps des noyés ont besoin de cinq ou six jours pour qu'une décomposition suffisante leur permette de revenir à la surface. La science et l'expérience réunies prouvent que l'époque de leur réapparition est et doit être nécessairement indéterminée. En outre, si un corps est ramené à la surface de l'eau par un coup de canon, il ne replongera pas de nouveau, même abandonné à lui-même, toutes les fois que la décomposition sera arrivée au degré nécessaire pour permettre le dégagement des gaz engendrés. Mais je désire appeler votre attention sur la distinction faite entre les corps des noyés et les corps des personnes jetées à l'eau immédiatement après une mort violente. Quoique le rédacteur admette cette distinction, cependant il enferme les deux cas dans la même catégorie. J'ai montré comment le corps d'un homme qui se noie acquiert une pesanteur spécifique plus considérable que le volume d'eau déplacé, et j'ai prouvé qu'il ne s'enfoncerait pas du tout, sans les mouvements par lesquels il jette ses bras au-dessus de l'eau, et les efforts de respiration qu'il fait sous l'eau, qui permettent au liquide de prendre la place de l'air dans les poumons. Mais ces mouvements et ces efforts n'auront pas lieu dans un corps jeté à l'eau immédiatement après une mort violente. Ainsi, dans ce dernier cas, la règle générale est que le corps ne doit pas du tout s'enfoncer, – fait que l'Étoile ignore évidemment. Quand la décomposition est arrivée à un point très-avancé, quand la chair a, en grande partie, quitté les os, – alors seulement, mais pas avant, nous voyons le corps disparaître sous l'eau.

«Et maintenant que penserons-nous de ce raisonnement, – que le cadavre trouvé ne peut pas être celui de Marie Roget, parce que ce cadavre a été trouvé flottant après un laps de trois jours seulement? Si elle a été noyée, elle a pu ne pas s'enfoncer, étant une femme; si elle s'est enfoncée, elle a pu reparaître au bout de vingt-quatre heures, ou même moins. Mais personne ne suppose qu'elle a été noyée; et étant morte avant d'être jetée à la rivière, elle aurait flotté et aurait pu être retrouvée à n'importe quelle époque postérieure.

«Mais, – dit l'Étoile, – si le corps est resté sur le rivage dans son état de détérioration jusqu'à la nuit de mardi, on a dû trouver sur ce rivage quelque trace des meurtriers.»

«Ici il est difficile de saisir tout d'abord l'intention du raisonneur. Il cherche à prévenir ce qu'il imagine pouvoir être une objection à sa théorie, – à savoir que le corps, étant resté deux jours sur le rivage, a dû subir une décomposition rapide, —plus rapide que s'il avait été plongé dans l'eau. Il suppose que, si tel a été le cas, le corps aurait pu reparaître à la surface le mercredi, et pense que, dans ces conditions-là seulement, il aurait pu reparaître. Il est donc très-pressé de prouver que le corps n'est pas resté sur le rivage; car, dans ce cas, on aurait trouvé sur ce rivage quelque trace des meurtriers. Je présume que cette conséquence vous fera sourire. Vous ne pouvez pas comprendre comme le séjour plus ou moins long du corps sur le rivage aurait pu multiplier les traces des assassins. Ni moi non plus.»

 

Le journal continue: «Et enfin, il est excessivement improbable que les malfaiteurs qui ont commis un meurtre tel que celui qui est supposé, aient jeté le corps à l'eau sans un poids pour l'entraîner, quand il était si facile de prendre cette précaution.»

«Observez ici la risible confusion d'idées! Personne, pas même l'Étoile, ne conteste qu'un meurtre a été commis sur le corps trouvé. Les traces de violence sont trop évidentes. Le but de notre raisonneur est simplement de montrer que ce corps n'est pas celui de Marie. Il désire prouver que Marie n'est pas assassinée, – mais non pas que ce cadavre n'est pas celui d'une personne assassinée. Cependant son observation ne prouve que ce dernier point. Voilà un corps auquel aucun poids n'avait été attaché. Des assassins, le jetant à l'eau, n'auraient pas manqué d'y attacher un poids. Donc, il n'a pas été jeté par des assassins. Voilà tout ce qui est prouvé, si quelque chose peut l'être. La question d'identité n'est même pas abordée, et l'Étoile est très en peine pour contredire maintenant ce qu'elle admettait tout à l'heure. «Nous sommes parfaitement convaincus, – dit-elle, – que le cadavre trouvé est celui d'une femme assassinée.»

«Et ce n'est pas le seul cas, même dans cette partie de son sujet, où notre raisonneur raisonne, sans s'en apercevoir, contre lui-même. Son but évident, je l'ai déjà dit, est de réduire, autant que possible, l'intervalle de temps compris entre la disparition de Marie et la découverte du corps. Cependant nous le voyons insister sur ce point, que personne n'a vu la jeune fille depuis le moment où elle a quitté la maison de sa mère. «Nous n'avons, – dit-il, – aucune déposition prouvant que Marie Roget fût encore sur la terre des vivants passé neuf heures, dimanche 22 juin.»

Comme son raisonnement est évidemment entaché de parti pris, il aurait mieux fait d'abandonner ce côté de la question; car, si l'on trouvait quelqu'un qui eût vu Marie, soit lundi, soit mardi, l'intervalle en question serait très-réduit, et, d'après sa manière de raisonner, la probabilité que ce corps puisse être celui de la grisette se trouverait diminuée d'autant. Il est toutefois amusant d'observer que l'Étoile insiste là-dessus avec la ferme conviction qu'elle va renforcer son argumentation générale.

«Maintenant, examinez de nouveau cette partie de l'argumentation qui a trait à la reconnaissance du corps par Beauvais. Relativement au poil sur le bras, l'Étoile montre évidemment de la mauvaise foi. M. Beauvais, n'étant pas un idiot, n'aurait jamais, pour constater l'identité d'un corps, argué simplement de poil sur le bras. Il n'y a pas de bras sans poil. La généralité des expressions de l'Étoile est une simple perversion des phrases du témoin. Il a dû nécessairement parler de quelque particularité dans ce poil; particularité dans la couleur, la quantité, la longueur ou la place.

«Le journal dit: Son pied était petit; – il y a des milliers de petits pieds. Sa jarretière n'est pas du tout une preuve, non plus que son soulier; car les jarretières et les souliers se vendent par ballots. On peut en dire autant des fleurs de son chapeau. Un fait sur lequel M. Beauvais insiste fortement est que l'agrafe de la jarretière avait été reculée pour rendre celle-ci plus étroite. Cela ne prouve rien; car la plupart des femmes emportent chez elles une paire de jarretières et les accommodent à la grosseur de leurs jambes plutôt que de les essayer dans la boutique où elles les achètent.

«Ici il est difficile de supposer le raisonneur dans son bon sens. Si M. Beauvais, à la recherche du corps de Marie, a découvert un cadavre ressemblant, par les proportions générales et l'aspect, à la jeune fille disparue, il a pu légitimement croire (même en laissant de côté la question de l'habillement) qu'il avait abouti au but de sa recherche. Si, outre ce point de proportions générales et de contour, il a trouvé sur le bras une apparence velue déjà observée sur le bras de Marie vivante, son opinion a pu être justement renforcée, et a dû l'être en proportion de la particularité ou du caractère insolite de cette marque velue. Si, le pied de Marie étant petit, les pieds du cadavre se trouvent également petits, la probabilité que ce cadavre est celui de Marie doit croître dans une proportion, non pas simplement arithmétique, mais singulièrement géométrique ou accumulative. Ajoutez à tout cela des souliers tels qu'on lui en avait vu porter le jour de sa disparition, et, bien que les souliers se vendent par ballots, vous sentirez la probabilité s'augmenter jusqu'à confiner à la certitude. Ce qui, par soi-même, ne serait pas un signe d'identité devient, par sa position corroborative, la preuve la plus sûre. Accordez-nous, enfin, les fleurs du chapeau correspondant à celles que portait la jeune fille perdue, et nous n'avons plus rien à désirer. Une seule de ces fleurs, et nous n'avons plus rien à désirer; – mais que dirons-nous donc, si nous en avons deux, ou trois, ou plus encore? Chaque unité successive est un témoignage multiple, – une preuve non pas ajoutée à la preuve précédente, mais multipliée par cent ou par mille. Nous découvrons maintenant sur la défunte des jarretières semblables à celles dont usait la personne vivante; en vérité, il y a presque folie à continuer l'enquête. Mais il se trouve que ces jarretières sont resserrées par le reculement de l'agrafe, juste comme Marie avait fait pour les siennes, peu de temps avant de quitter la maison. Douter encore, c'est démence ou hypocrisie. Ce que l'Étoile dit relativement à ce raccourcissement qui doit, selon elle, être considéré comme un cas journalier, ne prouve pas autre chose que son opiniâtreté dans l'erreur. La nature élastique d'une jarretière à agrafe suffit pour démontrer le caractère exceptionnel de ce raccourcissement. Ce qui est fait pour bien s'ajuster ne doit avoir besoin d'un perfectionnement que dans des cas rares. Ce doit avoir été par suite d'un accident, dans le sens le plus strict, que ces jarretières de Marie ont eu besoin du raccourcissement en question. Elles seules auraient largement suffi pour établir son identité. Mais l'important n'est pas que le cadavre ait les jarretières de la jeune fille perdue, ou ses souliers, ou son chapeau, ou les fleurs de son chapeau, ou ses pieds, ou une marque particulière sur le bras, ou son aspect et ses proportions générales; – l'important est que le cadavre a chacune de ces choses, et les a toutes collectivement. S'il était prouvé que l'Étoile a réellement, dans de pareilles circonstances, conçu un doute, il n'y aurait, pour son cas, aucun besoin d'une commission de lunatico inquirendo. Elle a cru faire preuve de sagacité en se faisant l'écho des bavardages des hommes de loi, qui, pour la plupart, se contentent de se faire eux-mêmes l'écho des préceptes rectangulaires des cours criminelles. Je vous ferai observer, en passant, que beaucoup de ce qu'une cour refuse d'admettre comme preuve est pour l'intelligence ce qu'il y a de meilleur en fait de preuves. Car, se guidant d'après les principes généraux en matière de preuves, les principes reconnus et inscrits dans les livres, la cour répugne à dévier vers les raisons particulières. Et cet attachement opiniâtre au principe, avec ce dédain rigoureux pour l'exception contradictoire, est un moyen sûr d'atteindre, dans une longue suite de temps, le maximum de vérité auquel il est permis d'atteindre; la pratique, en masse, est donc philosophique; mais il n'est pas moins certain qu'elle engendre de grandes erreurs dans des cas spéciaux17.

«Quant aux insinuations dirigées contre Beauvais, vous n'aurez qu'à souffler dessus pour les dissiper. Vous avez déjà pénétré le véritable caractère de ce brave gentleman. C'est un officieux, avec un esprit très-tourné au romanesque et peu de jugement. Tout homme ainsi constitué sera facilement porté, dans un cas d'émotion réelle, à se conduire de manière à se rendre suspect aux yeux des personnes trop subtiles ou enclines à la malveillance. M. Beauvais, comme il résulte de vos notes, a eu quelques entrevues personnelles avec l'éditeur de l'Étoile, et il l'a choqué en osant exprimer cette opinion, que, nonobstant la théorie de l'éditeur, le cadavre était positivement celui de Marie. «Il persiste, – dit le journal, – à affirmer que le corps est celui de Marie, mais il ne peut pas ajouter une circonstance à celles que nous avons déjà commentées, pour faire partager aux autres cette croyance.» Or, sans revenir sur ce point, qu'il eût été impossible, pour faire partager aux autres cette croyance, de fournir une preuve plus forte que celles déjà connues, observons ceci: c'est qu'il est facile de concevoir un homme parfaitement convaincu, dans un cas de cette espèce, mais cependant incapable de produire une seule raison pour convaincre une seconde personne. Rien n'est plus vague que les impressions relatives à l'identité d'un individu. Chaque homme reconnaît son voisin, et pourtant il y a bien peu de cas où le premier venu sera tout prêt à donner une raison de cette reconnaissance. L'éditeur de l'Étoile n'a donc pas le droit d'être choqué de la croyance non raisonnée de M. Beauvais.

14Adam.
15Voir Double assassinat dans la rue Morgue.
16The New-York Commercial Advertiser, édité par Col. Stone.
17Une théorie basée sur les qualités d'un objet ne peut pas avoir le développement total demandé par tous les objets auxquels elle doit s'appliquer; et celui qui arrange des faits par rapport à leurs causes perd la faculté de les estimer selon leurs résultats. Ainsi la jurisprudence de toutes les nations montre que la Loi, quand elle devient une science et un système, cesse d'être la justice. Les erreurs, dans lesquelles une dévotion aveugle aux principes de classification a jeté le droit commun, sont faciles à vérifier si l'on veut observer combien de fois la puissance législative a été obligé d'intervenir pour rétablir l'esprit d'équité qui avait disparu de ses formules. – LANDOR.
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