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Contes à Ninon

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Il se tut, les yeux humides, tâchant vainement de rire. Antoinette ne raillait plus; elle l'avait écouté, toute sérieuse; puis, s'écartant de ses voisins, regardant Léon en face, elle vint poser la main sur son épaule,

– Vous êtes un enfant, lui dit-elle simplement.

V

Un dernier rayon qui glissait sur la rivière, la changeait en un ruban d'or et de moire. Nous attendions la première étoile pour descendre le courant à la fraîcheur du soir. Les paniers avaient été reportés dans la barque. Nous nous étions couchés dans l'herbe, à l'aventure, chacun selon son gré.

Antoinette et Léon s'étaient placés sous un grand églantier, qui allongeait ses bras au-dessus de leurs têtes. Les branches vertes les cachaient à demi; comme ils me tournaient le dos, je ne pouvais voir s'ils riaient ou s'ils pleuraient. Ils parlaient bas, paraissait se quereller. Moi, j'avais choisi un petit tertre, semé d'une herbe fine; paresseusement étendu, je voyais à la fois le ciel et la pelouse où se posaient mes pieds. Les deux galants, appréciant sans doute le charme de mon attitude, étaient venus se coucher, l'un à ma gauche, l'autre à ma droite.

Ils abusaient de leur position pour me parler tous deux à la fois.

Celui qui se trouvait à ma gauche, me touchait légèrement au bras, lorsqu'il voyait que je ne l'écoutais plus.

– Monsieur, me disait-il, j'ai rarement rencontré une femme plus capricieuse que mademoiselle Antoinette. Vous ne sauriez croire comme sa tête tourne au moindre souffle. Pour citer un exemple, lorsque nous vous avons rencontrés, ce matin, nous allions dîner à deux lieues d'ici. A peine aviez-vous disparu, qu'elle nous a fait revenir sur nos pas; la contrée lui plaisait, disait-elle. C'est à perdre l'esprit. Moi, j'aime les choses qui s'expliquent.

Celui qui était à ma gauche disait en même temps, me forçant aussi à l'écouter:

– Monsieur, je désire depuis ce matin vous parler en particulier. Nous croyons, mon compagnon et moi, vous devoir des explications. Nous avons remarqué votre grande amitié pour mademoiselle Antoinette, et nous regrettons vivement de vous gêner dans vos projets, Si nous avions connu votre amour une semaine plus tôt, nous nous serions retirés, pour ne pas causer le moindre chagrin à un galant homme; mais, aujourd'hui, il est un peu tard: nous ne nous sentons plus la force du sacrifice. D'ailleurs, je veux être franc: Antoinette m'aime. Je vous plains, et je me mets à votre disposition.

Je me hâtai de le rassurer. Mais j'eus beau lui jurer que je n'avais jamais été et que je ne serais jamais l'amant d'Antoinette, il n'en continua pas moins à me prodiguer les plus tendres consolations. Il lui était trop doux de penser qu'il m'avait volé ma maîtresse.

L'autre, fâché de l'attention accordée à son camarade, se pencha vers moi. Pour m'obliger à prêter l'oreille, il me fit une grosse confidence.

– Je veux être franc avec vous, me dit-il: Antoinette m'aime. Je plains sincèrement ses autres adorateurs.

A ce moment, j'entendis un bruit singulier; il partait du buisson sous lequel Léon et Antoinette s'abritaient. Je ne sus si c'était un baiser ou le petit cri d'une fauvette effarouchée. Cependant, mon voisin de droite avait surpris mon voisin de gauche me disant qu'Antoinette l'aimait. Il se souleva, le regarda d'un air menaçant. Je me laissai glisser entre eux, je gagnai sournoisement une haie derrière laquelle je me blottis. Alors, ils se trouvèrent face à face.

Ma broussaille était admirablement choisie. Je voyais Antoinette et Léon, sans entendre toutefois leurs paroles. Ils se querellaient toujours; seulement, ils paraissaient plus près l'un de l'autre. Quant aux amoureux, ils se trouvaient au-dessus de moi, et je pus suivre leur dispute. La jeune femme leur tournant le dos, ils étaient furieux tout à leur aise.

– Vous avez mal agi, disait l'un; voici deux jours que vous auriez dû vous retirer. N'avez-vous pas l'esprit de le voir? c'est moi qu'Antoinette préfère.

– En effet, répondit l'autre, je n'ai point cet esprit-là. Mais vous avez la sottise, vous, de prendre comme vous appartenant les sourires et les regards qu'on m'adresse.

– Soyez certain, mon pauvre monsieur, qu'Antoinette m'aime.

– Soyez certain, mon heureux monsieur, qu'Antoinette m'adore.

Je regardai Antoinette. Décidément, il n'y avait pas de fauvette dans le buisson.

– Je suis las de tout ceci, reprit l'un des soupirants. N'êtes-vous pas de mon avis, il est temps que l'un de nous disparaisse?

– J'allais vous proposer de nous couper la gorge, répondit l'autre.

Ils avaient élevé la voix; ils gesticulaient, se levant, s'asseyant dans leur colère. La jeune femme, distraite par le bruit croissant de la querelle, tourna la tête. Je la vis s'étonner, puis sourire. Elle attira sur les deux jeunes gens l'attention de Léon, auquel elle dit quelques mots qui le mirent en gaieté.

Il se leva, s'approchant de la rive, entraînant sa compagne. Ils étouffaient leurs éclats de rire et marchaient en évitant de faire rouler les pierres. Je pensai qu'ils allaient se cacher, pour se faire chercher ensuite.

Les deux galants criaient plus fort; faute d'épées, ils préparaient leurs poings. Cependant, Léon avait gagné la barque; il y fit entrer Antoinette, et se mit à en dénouer tranquillement l'amarre; puis, il y sauta lui-même.

Comme l'un des amoureux allait lever le bras sur l'autre, il vit le canot au milieu de la rivière. Stupéfait, oubliant de frapper, il le montra à son compagnon.

– Eh bien! eh bien! cria-t-il en courant à la rive, que veut dire cette plaisanterie?

On m'avait parfaitement oublié derrière ma broussaille. Le bonheur et le malheur rendent égoïste. Je me levai.

– Messieurs, dis-je aux pauvres garçons béants et effarés, vous souvient-il de certaine fable? Cette plaisanterie veut dire ceci: On vous vole Antoinette, que vous pensiez m'avoir volée. – La comparaison est galante! me cria Léon. Ces messieurs sont des larrons et madame est un…

Madame l'embrassait. Le baiser étouffa le vilain mot.

– Frères, ajoutai-je en me tournant vers mes compagnons de naufrage, nous voici sans vivres et sans toit pour abriter nos têtes. Bâtissons une hutte, vivons de baies sauvages, en attendant qu'il plaise à un navire de nous venir tirer de notre île déserte.

VI

Et puis?

Et puis, que sais-je, moi! Tu m'en demandes trop long, Ninette. Voici deux mois qu'Antoinette et Léon vivent dans le nid couleur du ciel. Antoinette est restée une bonne et franche fille, Léon médit des femmes avec plus de verve que jamais. Ils s'adorent.

SOEUR-DES-PAUVRES

I

A dix ans, elle paraissait si chétive, la pauvre enfant, que c'était pitié de la voir travailler autant qu'une servante de ferme. Elle avait les grands yeux étonnés, le sourire triste des gens qui souffrent sans se plaindre. Les riches fermiers qui, le soir, la rencontraient au sortir du bois, mal vêtue, chargée d'un lourd fardeau, lui offraient parfois, lorsque le grain s'était bien vendu, de lui acheter un bon jupon de grosse futaine. Et alors elle répondait: "Je sais, sous le porche de l'église, un pauvre vieux qui n'a qu'une blouse, par ce grand froid de décembre; achetez-lui une veste de drap, et j'aurai chaud demain, à le voir si bien couvert." Ce qui lui avait fait donner le surnom de Soeur-des-Pauvres; et les uns la nommaient ainsi, en dérision de ses mauvaises jupes; les autres, en récompense de son bon coeur. Soeur avait eu jadis un fin berceau de dentelle et des jouets à remplir une chambre. Puis, un matin, sa mère ne vint pas l'embrasser au lever. Comme elle pleurait de ne point la voir, on lui dit qu'une sainte du bon Dieu l'avait emmenée au paradis, ce qui sécha ses larmes. Un mois auparavant, son père était ainsi parti. La chère petite pensa qu'il venait d'appeler sa mère dans le ciel, et que, réunis tous deux, ne pouvant vivre sans leur fille, ils lui enverraient bientôt un ange pour l'emporter à son tour.

Elle ne se rappelait plus comment elle avait perdu ses jouets et son berceau. De riche demoiselle elle devint pauvre fille, cela sans que personne en parût étonné: sans doute des méchants étaient venus qui l'avaient dépouillée en honnêtes gens. Elle se souvenait seulement d'avoir vu, un matin, auprès de sa couche, son oncle Guillaume et sa tante Guillaumette. Elle eut grand peur, parce qu'ils ne l'embrassèrent point. Guillaumette la vêtit à la hâte d'une étoffe grossière; Guillaume, la tenant par la main, l'emmena dans la misérable cabane où elle vivait maintenant. Puis, c'était tout. Elle se sentait bien lasse chaque soir. Guillaume et Guillaumette, eux aussi, avaient possédé de grandes richesses, autrefois. Mais Guillaume aimait les joyeux convives, les nuits passées à boire, sans songer aux tonneaux qui s'épuisent; Guillaumette aimait les rubans, les robes de soie, les longues heures perdues à tâcher vainement de se faire jeune et belle; si bien qu'un jour le vin manqua à la cave, et que le miroir fut vendu pour acheter du pain. Jusqu'alors, ils avaient eu cette bonté de certains riches, qui souvent n'est qu'un effet du bien-être et du contentement de soi; ils sentaient plus profondément le bonheur en le partageant avec autrui et mêlant ainsi beaucoup d'égoïsme à leur charité. Aussi ne surent-ils pas souffrir et rester bons; regrettant les biens qu'ils avaient perdus, n'ayant plus de larmes que pour leur misère, ils devinrent durs envers le pauvre monde.

Ils oubliaient que leur pauvreté était leur oeuvre, ils accusaient chacun de leur ruine, et se sentaient au coeur un grand besoin de vengeance, exaspérés de leur pain noir, cherchant à se consoler en voyant une plus grande souffrance que la leur.

Aussi se plaisaient-ils aux haillons de Soeur-des-Pauvres, à ses petites joues amincies, toutes blanches de larmes. Ils ne s'avouaient pas la joie mauvaise qu'ils prenaient à la faiblesse de cet enfant, lorsque, au retour de la fontaine, elle chancelait, tenant à deux mains la lourde cruche. Ils la battaient pour une goutte d'eau versée, disant qu'il fallait corriger les mauvais caractères; et ils frappaient avec tant de hâte et de rancune qu'on voyait aisément que ce n'était pas là une juste correction.

 

Soeur-des-Pauvres souffrait toute leur misère. Ils la chargeaient des travaux les plus fatigants, l'envoyaient glaner au soleil de midi, et ramasser du bois mort par les temps de neige. Puis, aussitôt rentrée, elle avait à balayer, à laver, à mettre chaque chose en ordre dans la cabane. La chère petite ne se plaignait plus. Les jours de bonheur étaient si loin d'elle, qu'elle ne savait pas qu'on peut vivre sans pleurer. Elle ne songeait jamais qu'il y avait des demoiselles rieuses et caressées; dans son ignorance des jouets et des baisers, elle acceptait les coups et le pain sec de chaque soir, comme faisant également partie de la vie. Et cela surprenait les hommes sages, de voir une enfant de dix ans montrer une grande pitié pour toutes les souffrances, sans paraître songer à sa propre infortune.

Or, un soir, je ne sais quel saint fêtaient Guillaume et Guillaumette, ils lui donnèrent un beau sou neuf en lui permettant d'aller jouer le restant du jour. Soeur-des-Pauvres descendit lentement à la ville, bien embarrassée de son sou, ne sachant que faire pour jouer. Elle arriva ainsi dans la grande rue. Il y avait là, à gauche, près de l'église, une boutique pleine de bonbons et de poupées, si belle la nuit aux lumières, que les enfants de la contrée en rêvaient comme d'un paradis. Ce soir-là, un groupe de marmots, bouche béante, muets d'admiration, se tenait sur le trottoir, les mains appuyées aux vitres, le plus près possible des merveilles de l'étalage. Soeur-des-Pauvres envia leur audace. Elle s'arrêta au milieu de la rue, laissant pendre ses petits bras, ramenant ses haillons que le vent écartait. Un peu fière d'être riche, elle serrait bien fort son beau sou neuf et choisissait du regard le jouet qu'elle allait acheter. Enfin elle se décida pour une poupée qui avait des cheveux comme une grande personne; cette poupée, qui était bien haute comme elle, portait une robe de soie blanche, pareille à celle de la sainte Vierge.

La fillette avança de quelques pas. Honteuse, comme elle regardait autour d'elle, avant d'entrer, elle aperçut sur un banc de pierre, en face de la belle boutique, une femme mal vêtue, berçant dans ses bras un enfant qui pleurait. Elle s'arrêta de nouveau, tournant le dos à la poupée. Aux cris de l'enfant, ses mains se croisèrent de pitié; et, sans honte cette fois, elle s'approcha rapidement pour donner son beau sou neuf à la pauvre femme.

Cette dernière, depuis quelques instants, regardait Soeur-des-Pauvres. Elle l'avait vue s'arrêter, puis s'avancer vers les jouets; de sorte que, lorsque l'enfant vint à elle, elle comprit son bon coeur. Elle prit le sou, les yeux humides; puis, elle retint dans la sienne la petite main qui le lui donnait.

– Ma fille, dit-elle, j'accepte ton aumône, parce que je vois bien qu'un refus te chagrinerait. Mais, toi-même, ne désires-tu rien? Toute mal vêtue que je suis, je puis contenter un de les voeux.

Pendant qu'elle parlait ainsi, les yeux de la pauvresse brillaient, pareils à des étoiles, tandis que, autour de sa tête, courait une flamme, comme une couronne faite d'un rayon de soleil. L'enfant, maintenant endormi sur ses genoux, souriait divinement dans son repos.

Soeur-des-Pauvres secoua sa tête blonde.

– Non, madame, répondit-elle, je n'ai aucun désir. Je voulais acheter cette poupée que vous voyez en face, mais ma tante Guillaumette me l'aurait brisée. Puisque vous ne voulez pas de mon sou pour rien, j'aime mieux que vous me donniez un bon baiser en échange.

La mendiante se pencha et la baisa au front. A cette caresse, Soeur-des-Pauvres se sentit soulevée de terre; il lui sembla que son éternelle fatigue s'en était allée; en même temps, il lui vint au coeur une plus grande bonté.

– Ma fille, ajouta l'inconnue, je ne veux pas que ton aumône reste sans récompense. J'ai, comme toi, un sou dont je ne savais que faire, avant de te rencontrer. Des princes, des grandes dames, m'ont jeté des bourses d'or, et je ne les ai pas jugés dignes de le posséder. Prends-le. Quoi qu'il arrive, agis selon ton coeur.

Et elle le lui donna. C'était un vieux sou de cuivre jaune, rongé sur les bords, percé au milieu d'un trou large comme une grosse lentille. Il était si usé, qu'on ne pouvait savoir de quel pays il venait, si ce n'est qu'on voyait encore, sur une des faces, une couronne de rayons à demi effacée. C'était peut-être là quelque monnaie des cieux.

Soeur-des-Pauvres, le voyant si mince, tendit la main, comprenant qu'un tel cadeau ne portait point préjudice à la mendiante, et le considérant comme un souvenir d'amitié qu'elle lui laissait.

– Hélas! pensait-elle, la pauvre femme ne sait ce qu'elle dit. Les princes, les belles dames n'ont que faire de son sou. Il est si laid qu'il ne payerait pas seulement une once de pain. Je ne vais pas même pouvoir le donner à un pauvre.

La femme, dont les yeux brillaient de plus en plus, sourit, comme si l'enfant eût parlé tout haut. Elle lui dit doucement:

– Prends-le toujours, et tu verras.

Alors Soeur-des-Pauvres l'accepta, pour ne pas la désobliger. Elle baissa la tête, afin de le mettre dans la poche de sa jupe; lorsqu'elle la releva, le banc était vide. Elle fut grandement étonnée et s'en revint, toute songeuse de la rencontre qu'elle venait de faire.

II

Soeur-des-Pauvres couchait au grenier, dans une sorte de soupente, où gisaient pêle-mêle des débris de vieux meubles. Les jours de lune, grâce à une étroite lucarne, elle voyait clair à se mettre au lit. Les autres jours, elle gagnait sa couche à tâtons, pauvre couche faite de quatre planches mal jointes et d'une paillasse dont les toiles se touchaient par endroits.

Or, ce soir-là, la lune était dans son plein. Une raie lumineuse s'allongeait sur les poutres, emplissant le grenier de clarté.

Lorsque Guillaume et Guillaumette furent couchés, Soeur-des-Pauvres monta. Par les nuits sombres, elle avait parfois grand'peur des subits gémissements, des bruits de pas qu'elle croyait entendre, et qui n'étaient autre chose que les craquements des charpentes et que les courses rapides des souris. Aussi aimait-elle d'un amour fervent le bel astre dont les rayons amis dissipaient ses frayeurs. Les soirs où il brillait, elle ouvrait la lucarne, elle le remerciait dans ses prières d'être revenu la voir.

Elle fut toute satisfaite de trouver de la lumière chez elle. Elle était fatiguée, elle allait dormir bien tranquille, se sentant gardée par sa bonne amie la lune. Souvent elle l'avait sentie, dans son sommeil, se promener ainsi par la chambre, silencieuse et douce, mettant en fuite les vilains songes des nuits d'hiver.

Elle alla vite s'agenouiller sur un vieux coffre, en plein dans la blonde clarté. Là, elle pria le bon Dieu. Puis, s'approchant du lit, elle dégrafa sa jupe.

La jupe glissa à terre, mais voilà qu'elle laissa échapper par la poche entr'ouverte une pluie de gros sous. Soeur-des-Pauvres les regarda rouler, immobile, effrayée.

Elle se baissa, les ramassa un à un, les prenant du bout des doigts. Elle les empilait sur le vieux coffre, sans chercher à connaître leur nombre, car elle ne savait compter que jusqu'à cinquante, et elle voyait bien qu'il y en avait là plusieurs centaines. Quand elle n'en trouva plus sur le sol, ayant soulevé la jupe, elle comprit à son poids que la poche était encore pleine. Pendant un grand quart d'heure, elle en tira des poignées de sous, désespérant de jamais trouver le fond. Enfin elle n'en sentit plus qu'un. L'ayant pris, elle le reconnut: c'était le sou que la mendiante lui avait donné le soir même.

Elle se dit alors que le bon Dieu venait de faire un miracle, et que ce vilain sou qu'elle avait dédaigné, était un sou comme les riches n'en ont pas. Elle le sentait frémir entre ses doigts, prêt à se multiplier encore. Aussi tremblait-elle qu'il ne lui prit fantaisie d'emplir le grenier de richesses. Elle ne savait déjà que faire de ces piles de monnaie neuve qui brillaient au clair de lune. Troublée, elle regardait autour d'elle.

En bonne travailleuse, elle avait toujours du fil et une aiguille dans la poche de son tablier. Elle chercha un morceau de vieille toile pour faire un sac. Elle le fit si étroit, que sa petite main pouvait à peine entrer dedans; l'étoffe manquait; d'ailleurs, Soeur-des-Pauvres était pressée. Puis, ayant mis tout au fond le sou de la pauvresse, elle commença, pile par pile, à glisser dans la bourse les pièces qui couvraient le coffre. Chaque pile en tombant emplissait le sac, et aussitôt le sac redevenait vide. Les centaines de gros sous y tinrent fort à l'aise. Il était facile de voir qu'il en aurait contenu quatre fois davantage.

Après quoi, Soeur-des-Pauvres fatiguée le cacha sous la paillasse, et s'endormit. Elle riait dans ses rêves, songeant aux grandes aumônes qu'elle allait pouvoir distribuer le lendemain.

III

Le matin, en s'éveillant, Soeur-des-Pauvres pensa avoir rêvé. Il lui fallut toucher son trésor pour croire à sa réalité. Il était un peu plus lourd que la veille, ce qui fit comprendre à l'enfant que le sou merveilleux avait encore travaillé pendant la nuit.

Elle se vêtit à la hâte, elle descendit, ses sabots à la main, pour ne point faire de bruit. Elle avait caché le sac sous son fichu, le serrant contre sa poitrine. Guillaume et Guillaumette, profondément endormis, ne l'entendirent pas. Elle dut passer devant leur lit, elle faillit tomber de peur de les savoir aussi près d'elle; puis elle se prit à courir, ouvrit la porte toute grande, et s'enfuit, oubliant de la refermer.

On était en hiver, aux matinées les plus froides de décembre. Le jour naissait à peine. Le ciel, aux pâles clartés de cette aurore, semblait de même couleur que la terre, couverte de neige. Cette blancheur universelle qui emplissait l'horizon, avait un grand calme. Soeur-des-Pauvres marchait vite, suivant le sentier qui conduisait à la ville. Elle n'entendait que le craquement de ses sabots dans la neige. Bien que grandement préoccupée, elle choisissait par amusement les ornières les plus profondes.

Comme elle approchait, elle se souvint que, dans sa hâte, elle avait oublié de prier Dieu. Elle s'agenouilla sur le bord du sentier. Là, seule, perdue dans cette immense et triste sérénité de la nature endormie, elle dit son oraison avec cette voix d'enfant, si douce, que Dieu ne sait la distinguer de celle des anges. Elle se dressa bientôt. Le froid l'ayant saisie, elle pressa le pas.

Il y avait grande misère dans le pays, surtout cette année-là, où l'hiver était rude et le pain si cher, que les riches seuls en pouvaient acheter. Les pauvres gens, ceux qui vivent de soleil et de pitié, sortaient dès le matin pour voir si le printemps ne venait pas, ramenant avec lui des aumônes plus larges. Ils allaient par les routes ou s'asseyaient sur les bornes, aux portes des villes, implorant les passants; car il faisait si froid, dans leurs greniers, qu'autant valait loger au grand chemin. Et ils étaient en si grand nombre, qu'on aurait pu en peupler un gros village.

Soeur-des-Pauvres avait ouvert le petit sac. En entrant dans la ville, elle vit venir à elle un aveugle conduit par une petite fille qui la regardait tristement, la prenant pour une soeur, à la voir si mal vêtue.

– Mon père, dit-elle au pauvre vieux, tendez vos mains. Jésus m'envoie vers vous.

Elle s'adressait au bonhomme, parce que les doigts de la fillette étaient trop mignons et qu'ils n'auraient guère contenu qu'une dizaine de gros sous. Aussi, pour emplir les mains que l'aveugle lui tendit, il lui fallut puiser sept fois dans le sac tant elles étaient longues et larges. Puis, avant de s'éloigner, elle dit à la petite de prendre une dernière poignée de monnaie.

Elle avait hâte d'arriver devant l'église, près des bancs de pierre, où les pauvres se réunissaient le matin; la maison de Dieu les abritait des vents du nord; le soleil, à son lever, donnait en plein sous le porche. Elle dut encore s'arrêter. Au coin d'une ruelle, elle trouva une jeune femme qui avait sans doute passé la nuit là, tant elle était transie et grelottante; les yeux fermés, les bras serrés sur la poitrine, elle paraissait dormir, n'espérant plus que dans la mort. Soeur-des-Pauvres se tenait devant elle, la main pleine de sous, ne sachant comment lui donner son aumône. Elle pleurait, pensant être venue trop tard.

 

– Bonne femme, disait-elle, et elle la touchait doucement à l'épaule, – tenez, prenez cet argent. Il vous faut aller déjeuner à l'auberge et dormir devant un grand feu.

A cette voix douce, la bonne femme ouvrit les yeux, les mains tendues. Elle croyait peut-être dormir encore et songer qu'un ange était descendu vers elle.

Soeur-des-Pauvres gagna vite la grand'place. Il y avait foule, sous le porche, pour le premier rayon. Les mendiants, assis aux pieds des saints, tremblaient de froid, les uns auprès des autres, sans se parler. Ils roulaient doucement la tête, comme font les mourants. Ils se pressaient dans les coins, afin de ne rien perdre du soleil, lorsqu'il allait paraître.

Soeur-des-Pauvres commença par la droite, jetant des poignées de sous dans les chapeaux de feutre et dans les tabliers, cela de si bon coeur, que bien des pièces roulaient sur les dalles. Elle ne comptait pas, la chère enfant. Le petit sac faisait merveilles; il ne désemplissait pas, il se gonflait tellement à chaque nouvelle poignée prise par la fillette, qu'il versait comme un vase trop plein. Les pauvres gens restaient ébahis de cette pluie joyeuse: ils ramassaient les sous tombés, oubliant le soleil qui se levait, disant des: "Dieu vous le rende!" à la hâte. L'aumône était si large, que de bons vieux croyaient que les saints de pierre leur jetaient cette fortune; ils le croient même encore.

L'enfant riait de leur joie. Elle fit trois fois le tour, afin de donner à chacun la même somme; puis elle s'arrêta, non pas que le petit sac se trouvât vide, mais parce qu'elle avait beaucoup à faire avant le soir. Comme elle allait s'éloigner, elle aperçut dans un coin un vieillard infirme qui, ne pouvant s'approcher, tendait les mains vers elle. Triste de ne point l'avoir vu, elle s'avança, pencha le sac, pour lui donner davantage. Les sous se mirent à couler de cette méchante bourse comme l'eau d'une fontaine, sans s'arrêter, si abondamment, que Soeur-des-Pauvres ferma bientôt l'ouverture avec le poing, car le tas aurait monté en peu d'instants aussi haut que l'église. Le pauvre vieux n'avait que faire de tant d'argent, et peut-être les riches seraient-ils venus le voler.

IV

Alors, ceux de la grand'place ayant les poches pleines, elle marcha vers la campagne. Les mendiants, oubliant de soulager leurs souffrances, se mirent à la suivre; ils la regardaient avec étonnement et respect, entraînés dans un élan de fraternité. Elle, seule, regardant autour d'elle, s'avançait la première. La foule venait ensuite.

L'enfant vêtue d'une indienne en lambeaux, était bien soeur des pauvres gens de sa suite, soeur par les haillons, soeur par la tendre pitié. Elle se trouvait là en famille, donnant à ses frères, s'oubliant elle-même; elle marchait gravement de toute la force de ses petits pieds, heureuse de faire là grande fille; et cette blondine de dix ans rayonnait d'une naïve majesté, suivie de son escorte de vieillards.

L'étroite bourse à la main, elle allait de village en village, distribuant des aumônes à toute la contrée. Elle allait devant elle, sans choisir les chemins, prenant les routes des plaines et les sentiers des coteaux; puis elle s'écartait, traversant les champs, pour voir si quelque vagabond ne s'abritait pas au pied des haies ou dans le creux des fossés. Elle se haussait, regardant à l'horizon, regrettant de ne pouvoir jeter un appel à toutes les misères du pays. Elle soupirait en songeant qu'elle laissait peut-être derrière quelque souffrance; cette crainte faisait qu'elle revenait parfois sur ses pas pour visiter un buisson. Et, soit qu'elle ralentît sa marche aux coudes des chemins, soit qu'elle courût à la rencontre d'un indigent, son cortège la suivait dans chacun de ses détours.

Or, il arriva, comme elle traversait un pré, qu'une bande de pierrots vint s'abattre devant elle. Les pauvres petits, perdus dans la neige, chantaient d'une façon lamentable, demandant une nourriture qu'ils avaient cherchée en vain. Soeur-des-Pauvres s'arrêta, interdite de rencontrer des misérables auxquels ses gros sous n'étaient d'aucun secours; elle regardait son sac avec colère, maudissant cet argent qui se refusait à la charité. Cependant les pierrots l'entouraient; ils se disaient de la famille, ils lui réclamaient leur part dans ses bienfaits. Près d'éclater en sanglots, ne sachant que faire, elle prit dans le sac une poignée de sous, car elle ne pouvait se décider à les renvoyer sans aumône. La chère enfant avait sûrement perdu la tête, s'imaginant que les gros sous sont monnaie de pierrots, et que ces enfants du bon Dieu ont meuniers pour moudre et boulangers pour pétrir le pain de chaque jour. Je ne sais ce qu'elle pensait faire, mais ce que personne n'ignore, c'est que l'aumône, jetée poignée de sous, tomba poignée de blé sur la terre.

Soeur-des-Pauvres ne parut pas étonnée. Elle servit un vrai festin aux pierrots, leur offrant toutes sortes de graines, en telle quantité que, le printemps venu, le pré se couvrit d'une herbe épaisse et haute comme une forêt. Depuis ce temps, ce coin de terre appartient aux oiseaux du ciel; ils y trouvent, en toute saison, une nourriture abondante, bien qu'ils y viennent par milliers, de plus de vingt lieues à la ronde.

Soeur-des-Pauvres reprit sa marche, heureuse de son nouveau pouvoir. Elle ne se contentait plus de distribuer de gros sous; elle donnait, selon la rencontre, de bonnes blouses bien chaudes, de lourds jupons de laine, ou encore des souliers si légers et si forts, qu'ils pesaient à peine une once et usaient les cailloux. Tout cela sortait d'une fabrique inconnue; les étoffes étaient merveilleuses de solidité et de souplesse; les coutures se trouvaient si finement piquées, que, dans le trou qu'aurait fait une de nos aiguilles, les aiguilles magiques avaient aisément trouvé place pour trois de leurs points; et, ce qui n'était pas le moindre prodige, chaque vêtement prenait la taille du pauvre qui s'en couvrait. Sans doute un atelier de bonnes fées venait de s'établir au fond du sac, apportant les fins ciseaux d'or qui coupent dix robes de chérubin dans la feuille d'une rose. C'était, pour sûr, besogne du ciel, tant l'ouvrage était parfait et promptement cousu. Le petit sac ne se montrait pas plus fier pour cela. Les bords en étaient légèrement usés, et la main de Soeur-des-Pauvres les avait peut-être un peu élargis; maintenant, il pouvait bien être gros comme deux nids de fauvette. Pour que tu ne m'accuses pas de mensonge, il me faut te dire comment en sortaient les grands vêtements, tels que les jupes, les manteaux, amples de quatre ou cinq mètres. La vérité est qu'ils s'y trouvaient pliés sur eux-mêmes, comme les feuilles du coquelicot quand il ne s'est pas échappé du calice; pliés avec tant d'art, qu'ils n'étaient guère plus gros que le bouton de cette fleur. Alors Soeur-des-Pauvres prenait le paquet entre deux doigts, le secouant à petits coups; l'étoffe se dépliait, s'allongeait et devenait vêtement, non plus bon pour des anges, mais propre à couvrir de larges épaules. Quant aux souliers, je n'ai pu savoir jusqu'à ce jour sous quelle forme ils sortaient du sac; j'ai ouï dire cependant, mais je n'affirme rien, que chaque paire était contenue dans une fève qui éclatait en touchant la terre. Tout cela, bien entendu, sans préjudice des poignées de gros sous qui tombaient dru comme grêle de mars. Soeur-des-Pauvres marchait toujours. Elle ne sentait point la fatigue, bien qu'elle eût fait près de vingt lieues depuis le matin, cela sans boire ni manger. A la voir passer sur le bord des routes, laissant à peine trace, on eût dit qu'elle était emportée par des ailes invisibles. On l'avait aperçue, dans ce jour, aux quatre points du pays. Tu n'aurais pas trouvé dans la contrée un coin de terre, plaine ou montagne, dont la neige ne portât la légère empreinte de ses petits pieds. Vraiment, Guillaume et Guillaumette, s'ils la poursuivaient, risquaient de courir une bonne semaine avant que de l'atteindre; non pas qu'il y eût à hésiter sur le chemin qu'elle prenait, car elle laissait foule derrière elle, comme font les rois à leur passage; mais parce qu'elle marchait si gaillardement qu'elle-même, en d'autres temps, n'aurait pu faire un pareil voyage en moins de six grandes semaines.

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