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La Terre

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– Ah! bien sûr que moi, je ne ferai du tort à personne. Le papier est en règle, il y a beau temps; et chacun sa part, je ne mourrais pas tranquille, si j'avantageais quelqu'un, Hyacinthe y est, toi aussi, Fanny. J'ai quatre-vingt-dix ans. Ça viendra, ça viendra un jour!

– Mais elle n'en croyait pas un mot, résolue à ne finir jamais, dans son obstination à posséder. Elle les enterrerait tous. Encore un, son frère, qu'elle voyait partir. Ce qu'on faisait là, ce mort apporté, cette fosse ouverte, cette cérémonie dernière, avait l'air d'être pour les voisins, pas pour elle. Haute et maigre, sa canne sous le bras, elle restait plantée au milieu des tombes, sans aucune émotion, avec la seule curiosité de cet ennui de mourir qui arrivait aux autres.

Le prêtre bredouillait le dernier verset du psaume.

– Et ipse redimet Israel ex omnibus iniquitatibus ejus.

Il prit l'aspersoir dans le bénitier, le secoua sur le cercueil, en élevant la voix.

– Requiescat in pace.

– Amen, répondirent les deux enfants de choeur.

Et la bière fut descendue. Le fossoyeur avait attaché les cordes, deux hommes suffirent, ça ne pesait pas plus que le corps d'un petit enfant. Puis, le défilé recommença, de nouveau l'aspersoir passa de main en main, chacun l'agitait en croix, au-dessus de la fosse.

Jean, qui s'était approché, le reçut de la main de M. Charles, et ses yeux plongèrent au fond du trou. Il était tout ébloui d'avoir longtemps regardé l'immense Beauce, les semeurs enfouissant le pain futur, d'un bout à l'autre de la plaine, jusqu'aux vapeurs lumineuses de l'horizon, où leurs silhouettes se perdaient. Pourtant, dans la terre, il distingua le cercueil, diminué encore, avec son étroit couvercle de sapin, de la couleur blonde du blé; et des mottes grasses coulaient, le recouvraient à moitié, il ne voyait plus qu'une tache pâle, comme une poignée de ce blé que les camarades, là-bas, jetaient aux sillons. Il agita l'aspersoir, il le passa à Jésus-Christ.

– Monsieur le curé! monsieur le curé! appela discrètement Delhomme.

Il courait après l'abbé Godard, qui, la cérémonie finie, s'en allait de son pas de tempête, en oubliant ses deux enfants de choeur.

– Quoi encore? demanda le prêtre.

– C'est pour vous remercier de votre obligeance… Dimanche, alors, on sonnera la messe à neuf heures, comme d'habitude, n'est-ce pas?

Puis, le curé le regardant fixement, sans répondre, il se hâta d'ajouter:

– Nous avons une pauvre femme bien malade, et toute seule, et pas un liard… Rosalie, la rempailleuse, vous la connaissez… Je lui ai envoyé du bouillon, mais je ne peux pas tout faire.

Le visage de l'abbé Godard s'était détendu, un frisson de charité émue en avait emporté la violence. Il se fouilla, avec désespoir, ne trouva que sept sous.

– Prêtez-moi cinq francs, je vous les rendrai dimanche… A dimanche!

Et il partit, suffoqué par une nouvelle hâte. Sûrement, le bon Dieu qu'on le forçait à rapporter, les enverrait tous rôtir en enfer, ces damnés de Rognes; seulement, quoi? ce n'était pas une raison pour les laisser trop souffrir dans cette vie.

Lorsque Delhomme retourna près des autres, il tomba au milieu d'une terrible querelle. D'abord, l'assistance s'était intéressée à suivre des yeux les pelletées de terre que le fossoyeur jetait sur le cercueil. Mais, le hasard ayant mis, au bord du trou, Macqueron coude à coude avec Lengaigne, celui-ci venait carrément d'apostropher le premier, au sujet de la question des terrains. Et la famille qui se disposait à s'éloigner, resta, se passionna bientôt, elle aussi, dans la bataille, que les pelletées accompagnaient de coups profonds et réguliers.

– T'avais pas le droit, criait Lengaigne, t'avais beau être maire, fallait suivre le rang; et c'est donc pour m'embêter que t'es venu te coller près de papa?.. Mais, nom de Dieu, tu n'y es pas encore!

Macqueron répondait:

– Va-tu me lâcher!.. J'ai payé, je suis chez moi. Et j'y viendrai, ce n'est pas un sale cochon de ton espèce qui m'empêchera d'y être.

Tous deux s'étaient poussés, ils se trouvaient devant leurs concessions, les quelques pieds de terre où ils devaient dormir.

– Mais, sacré lâche, ça ne te fait donc rien, l'idée que nous serions là, voisins de carcasse, comme une paire de vrais amis? Moi, ça me brûle le sang… On se serait mangé toute la vie, et l'on ferait la paix là-dessous, l'un allongé à côté de l'autre, tranquilles!.. Ah! non, ah! non, pas de raccommodement, jamais!

– Ce que je m'en fous! Je t'ai trop quelque part, pour m'inquiéter de savoir si tu pourris aux environs.

Ce mépris acheva d'exaspérer Lengaigne. Il bégaya que, s'il claquait le dernier, il viendrait plutôt la nuit déterrer les os de Macqueron. Et l'autre répondait en ricanant qu'il voudrait voir ça, lorsque les femmes s'en mêlèrent. Coelina, maigre et noire, furieuse, se mit contre son mari.

– T'as pas raison, je te l'ai dit, que tu manquais de coeur là-dessus… Si tu t'obstines, tu y resteras seul, dans ton trou. Moi, j'irai ailleurs, je ne veux pas me faire empoisonner par cette salope.

Du menton, elle désignait Flore, qui, molle, geignarde, ne se laissa pas embêter.

– Faudrait savoir celle qui gâterait l'autre… Ne te fais pas de bile, ma belle. Je n'ai pas envie que ta charogne foute la maladie à la mienne.

Il fallut que la Bécu et la Frimat intervinssent pour les séparer.

– Voyons, voyons, répétait la première, puisque vous êtes d'accord, puisque vous ne serez pas ensemble!.. Chacun son idée, on est bien libre de choisir son monde.

La Frimat approuva.

– Pour sûr, c'est naturel… Ainsi, mon vieux qui va mourir, j'aimerais mieux le garder que de le laisser mettre près du père Couillot, avec lequel il a eu des raisons, dans le temps.

Des larmes lui étaient montées aux yeux, à la pensée que son paralytique ne passerait peut-être pas la semaine. La veille, en voulant le coucher, elle avait culbuté avec lui; et, certainement, lorsqu'il serait parti, elle aurait vite fait de le suivre.

Mais Lengaigne, brusquement, s'en prit à Delhomme, qui revenait.

– Dis donc, toi qui es juste, faut le faire filer de là, et le renvoyer à la queue, avec les autres.

– Macqueron haussa les épaules, et Delhomme confirma que, du moment où celui-ci avait payé, le terrain lui appartenait. C'était à ne plus recommencer, voilà tout. Alors, Buteau, qui s'efforçait de rester calme, fut emporté. La famille se trouvait tenue à une certaine réserve, les coups sourds des pelletées de terre continuaient sur le cercueil du vieux. Mais son indignation était trop forte, il cria à Lengaigne, en montrant Delhomme du geste:

– Ah, ouiche! si tu comptes sur ce cadet-là pour comprendre le sentiment! il a bien enterré son père à côté d'un voleur!

Ce fut un scandale, la famille prenait parti, Fanny soutenait son homme, en disant que la vraie faute, quand ils avaient perdu leur mère Rose, était de n'avoir pas acheté, près d'elle, un terrain pour le père; tandis que Jésus-Christ et la Grande accablaient Delhomme, en se révoltant, eux aussi, contre le voisinage avec le père Saucisse, comme d'une chose inhumaine, que rien n'excusait. M. Charles était également de cette opinion, mais avec mesure.

On finissait par ne plus s'entendre, lorsque Bateau domina les voix, gueulant:

– Oui, leurs os se retourneront dans la terre et se mangeront!

Du coup, les parents, les amis, les connaissances, tous en furent. C'était bien ça, il l'avait dit: les os se retournaient dans la terre. Entre eux, les Fouan achèveraient de s'y dévorer; Lengaigne et Macqueron s'y disputeraient à la pourriture; les femmes, Coelina, Flore, la Bécu, s'y empoisonneraient de leurs langues et de leurs griffes. On ne couchait pas ensemble, même enterré, lorsqu'on s'exécrait. Et, dans ce cimetière ensoleillé, c'était, de cercueil à cercueil, sous la paix des herbes folles, une bataille farouche des vieux morts, sans trêve, la même bataille qui, parmi les tombes, heurtait ces vivants.

Mais un cri de Jean les sépara, leur fit tourner à tous la tête.

– Le feu est à la Borderie!

Maintenant, le doute n'était plus possible, des flammes s'échappaient des toits, vacillantes et pâlies dans le grand jour. Un gros nuage de fumée s'en allait doucement vers le nord. Et l'on aperçut justement la Trouille qui accourait de la ferme, au galop. En cherchant ses oies, elle avait remarqué les premières étincelles, elle s'était régalée du spectacle, jusqu'au moment où l'idée de raconter l'histoire avant les autres, venait de lui faire prendre sa course. Elle sauta à califourchon sur le petit mur, elle cria de sa voix aiguë de gamin:

– Oh! ce que ça brûle!.. C'est ce grand salop de Tron qui est revenu foutre le feu; et à trois endroits, dans la grange, dans l'écurie, dans la cuisine. On l'a pincé comme il allumait la paille, les charretiers l'ont à moitié démoli… Avec ça, les chevaux, les vaches, les moutons cuisent. Non, faut les entendre gueuler! jamais on n'a gueulé si fort!

Ses yeux vers luisaient, elle éclata de rire.

– Et la Cognette donc! Vous savez qu'elle était malade, depuis la mort du maître. Alors, on l'avait oubliée dans son lit… Elle grillait déjà, elle n'a eu que le temps de se sauver en chemise. Ah! ce qu'elle était drôle, à se cavaler en pleins champs, les quilles nues! Elle gigotait, elle montrait son derrière et son devant, des gens criaient: hou! hou! pour lui faire la conduite, à cause qu'on ne l'aime guère… Il y a un vieux qui a dit: La v'là qui sort comme elle est entrée, avec une chemise sur le cul!

Un nouvel accès de gaieté la fit se tordre.

– Venez donc, c'est trop rigolo… Moi, j'y retourne.

Et elle sauta, elle reprit violemment sa course vers la Borderie en flammes.

M. Charles, Delhomme, Macqueron, presque tous les paysans la suivirent; tandis que les femmes, ayant la Grande à leur tête, quittaient aussi le cimetière, s'avançaient sur la route, pour mieux voir. Buteau et Lise étaient restés, et celle-ci arrêta Lengaigne, désireuse de le questionner au sujet de Jean, sans en avoir l'air: il avait donc trouvé du travail, qu'il logeait dans le pays? Lorsque le cabaretier eut répondu qu'il partait, qu'il se réengageait, Lise et Buteau, soulagés d'un gros poids, eurent le même mot.

 

– En v'là un imbécile!

C'était fini, ils allaient recommencer à vivre heureux. Ils eurent un coup d'oeil sur la fosse de Fouan, que le fossoyeur achevait de remplir. Et, comme les deux petits s'attardaient à regarder, la mère les appela.

– Jules, Laure, allons!.. Et soyez sages, obéissez, ou l'homme viendra vous prendre pour vous mettre aussi dans la terre.

Les Buteau partirent, poussant devant eux les enfants, qui savaient et qui avaient l'air très raisonnable, avec leurs grands yeux noirs, muets et profonds.

Il n'y avait plus dans le cimetière que Jean et Jésus-Christ. Ce dernier, dédaigneux du spectacle, se contentait de suivre l'incendie de loin. Planté entre deux tombes, il se tenait immobile, ses regards se noyaient d'un rêve, sa face entière de crucifié soûlard exprimait la mélancolie finale de toute philosophie. Peut-être songeait-il que l'existence s'en va en fumée. Et, comme les idées graves l'excitaient toujours beaucoup, il finit par lever la cuisse, inconsciemment, dans le vague de sa rêverie. Il en fit un, il en fit deux, il en fit trois.

– Nom de Dieu! dit Bécu très soûl, qui traversait le cimetière, pour se rendre au feu.

– Un quatrième, comme il passait, l'effleura de si près, qu'il crut en sentir le tonnerre sur sa joue. Alors, en s'éloignant, il cria au camarade:

– Si ce vent-là continue, il va tomber de la merde.

Jésus-Christ, d'une poussée, se tâta.

– Tiens! tout de même… J'ai faim de chier.

Et, les jambes lourdes, écartées, il se hâta, il disparut à l'angle du mur.

Jean était seul. Au loin, de la Borderie dévorée, ne montaient plus que de grandes fumées rousses, tourbillonnantes, qui jetaient des ombres de nuages au travers des labours, sur les semeurs épars. Et, lentement, il ramena les yeux à ses pieds, il regarda les bosses de terre fraîche, sous lesquelles Françoise et le vieux Fouan dormaient. Ses colères du matin, son dégoût des gens et des choses s'en allaient, dans un profond apaisement. Il se sentait, malgré lui, peut-être à cause du tiède soleil, envahi de douceur et d'espoir.

Eh! oui, son maître Hourdequin s'était fait bien du mauvais sang avec les inventions nouvelles, n'avait pas tiré grand'chose de bon des machines, des engrais, de toute cette science si mal employée encore. Puis, la Cognette était venue l'achever; lui aussi dormait au cimetière; et rien ne restait de la ferme, dont le vent emportait les cendres. Mais, qu'importait! les murs pouvaient brûler, on ne brûlerait pas la terre. Toujours la terre, la nourrice, serait là, qui nourrirait ceux qui l'ensemenceraient. Elle avait l'espace et le temps, elle donnait tout de même du blé, en attendant qu'on sût lui en faire donner davantage.

C'était comme ces histoires de révolutions, ces bouleversements politiques qu'on annonçait. Le sol, disait-on, passerait en d'autres mains, les moissons des pays de là-bas viendraient écraser les nôtres, il n'y aurais plus que des ronces dans nos champs. Et après? est-ce qu'on peut faire du tort à la terre? Elle appartiendra quand même à quelqu'un, qui sera bien forcé de la cultiver pour ne pas crever de faim. Si, pendant des années, les mauvaises herbes y poussaient, ça la reposerait, elle en redeviendrait jeune et féconde. La terre n'entre pas dans nos querelles d'insectes rageurs, elle ne s'occupe pas plus de nous que des fourmis, la grande travailleuse, éternellement à sa besogne.

Il y avait aussi la douleur, le sang, les larmes, tout ce qu'on souffre et tout ce qui révolte, Françoise tuée, Fouan tué, les coquins triomphants, la vermine sanguinaire et puante des villages déshonorant et rongeant la terre. Seulement, est-ce qu'on sait? De même que la gelée qui brûle les moissons, la grêle qui les hache, la foudre qui les verse, sont nécessaires peut-être, il est possible qu'il faille du sang et des larmes pour que le monde marche. Qu'est-ce que notre malheur pèse, dans la grande mécanique des étoiles et du soleil? Il se moque bien de nous, le bon Dieu! Nous n'avons notre pain que par un duel terrible et de chaque jour. Et la terre seule demeure l'immortelle, la mère d'où nous sortons et où nous retournons, elle qu'on aime jusqu'au crime, qui refait continuellement de la vie pour son but ignoré, même avec nos abominations et nos misères.

Longtemps, cette rêvasserie confuse, mal formulée, roula dans le crâne de Jean. Mais un clairon sonna au loin, le clairon des pompiers de Bazoches-le-Doyen qui arrivaient au pas de course, trop tard. Et, à cet appel, brusquement, il se redressa. C'était la guerre passant dans la fumée, avec ses chevaux, ses canons, sa clameur de massacre.

Il serrait les poings. Ah! bon sang! puisqu'il n'avait plus le coeur à la travailler, il la défendrait, la vieille terre de France!

Il partait, lorsque, une dernière fois, il promena ses regards des deux fosses, vierges d'herbe, aux labours sans fin de la Beauce, que les semeurs emplissaient de leur geste continu. Des morts, des semences, et le pain poussait de la terre.

FIN
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