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La coucaratcha. II

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CHAPITRE II.
MADEMOISELLE D'ELMONT

Cécile d'Elmont était parfaitement née; son père, le marquis d'Elmont, ayant perdu à la révolution une fortune qu'il avait réalisée presque tout entière en valeurs sur l'État, ne trouva, dans l'indemnité, qu'une fraction bien minime de ce qu'il possédait.

Chargé à cette époque d'une mission diplomatique fort importante, et tenant à représenter dignement son pays, M. d'Elmont dépensa ainsi une portion de ce que la Restauration lui avait rendu; les dettes qu'il avait été forcé de contracter pendant l'émigration absorbèrent le reste, et lorsqu'il mourut, sa femme et sa fille se trouvèrent réduites à une pension fort médiocre.

La marquise d'Elmont ne survécut pas longtemps à la perte de son mari, et Cécile fut confiée aux soins d'un de ses oncles, le comte d'Elmont, excellent homme, colonel en retraite, qui s'était rallié à l'empereur, avait fait toutes ses campagnes, et rongé de blessures et de rhumatismes, vivait modestement de sa solde; car sa part d'indemnités à lui avait en partie passé au jeu, ce dont il se repentit amèrement, lorsqu'il se vit chargé de pourvoir à l'avenir de sa nièce.

Cécile n'était pas rigoureusement belle; mais elle avait une de ces physionomies pleines de charme, de grâce et de distinction, dont l'attrait doit vivement frapper les gens d'un goût épuré, qui cherchent dans la figure d'une femme autre chose qu'une régularité froide et symétrique.

Tout en Cécile révélait une âme noble, grande, et surtout un esprit d'une excessive délicatesse: ayant toujours vécu dans le monde le plus choisi, façonnée par son père et sa mère aux habitudes les plus recherchées, dotée d'un tact exquis, don si précieux et si cruel à la fois, qui lui faisait éprouver des jouissances et des peines inconnues aux autres organisations, on ne pouvait reprocher à mademoiselle d'Elmont qu'une sorte de sauvagerie; et cette sauvagerie, on l'expliquerait peut-être par la crainte que Cécile éprouvait de rencontrer dans le monde des idées dont le prosaïsme l'eût douloureusement arrachée de la sphère de pensées d'élite, au milieu desquelles elle aimait à s'isoler.

Les pertes désolantes qu'elle avait faites augmentèrent son goût pour la rêverie et la solitude; frêle et nerveuse, ses impressions devinrent plus vives, puisqu'on dirait que le chagrin double la faculté de sentir; enfin ce sentiment de répulsion instinctive que Cécile éprouvait pour tout ce qui était vulgaire se prononça de plus en plus; car elle n'avait jamais apprécié la fortune que comme moyen de poétiser, par un luxe plein de goût, tout le matériel de l'existence.

Cécile vivait pourtant aussi heureuse qu'elle pouvait vivre depuis la mort de son père et de sa mère; son esprit étendu, profond et naïf, avait trouvé un charme consolant dans la lecture des livres saints et des chefs-d'œuvre de toutes les littératures.

Cette nature si distinguée s'assimilait ces nobles idées, ce magnifique langage, ces caractères imposants qui seuls pouvaient répondre à l'élévation de sa pensée ou à la pureté de son âme, et elle passait ainsi son existence en contemplant les visions splendides de ce monde intellectuel qu'elle évoquait.

Aimant aussi les arts avec passion, et surtout la musique, qui pour elle était la langue divine qui seule pouvait traduire les tristes et sublimes rêveries que lui inspiraient la religion, le souvenir de sa mère, ou l'amour éthéré qu'elle rêvait parfois. Aux arts aussi Cécile demandait des consolations et l'oubli du présent.

Elle resta donc dans la plus profonde retraite jusqu'au moment où son oncle lui fit part des propositions de M. de Noirville.

Ce jour-là, ne se doutant de rien, la pauvre Cécile était retirée dans le parloir qui précédait sa chambre à coucher.

Ce parloir était pour mademoiselle d'Elmont l'objet d'un culte religieux.

Lorsque le marquis d'Elmont avait quitté son ambassade, se voyant presque sans fortune, il avait dû choisir un appartement modeste; or, par le plus grand hasard, il trouva ce qui lui convenait dans l'ancien hôtel d'Elmont, propriété qu'il avait vendue avant la révolution, voulant réaliser sa fortune pour passer à l'étranger.

Ce fut donc dans le logement de garçon qu'il avait occupé du vivant de son père, que le marquis d'Elmont se retira avec sa femme et sa fille: c'était six petites pièces situées au troisième étage, et donnant sur le vaste et magnifique jardin de l'hôtel bâti dans le centre du faubourg Saint-Germain.

Le reste de l'habitation était loué à je ne sais quelle compagnie d'assurance.

Il fallait bien du courage pour braver ainsi tant de souvenirs amers, et, malgré cela, M. d'Elmont trouvait un charme doux et triste à pouvoir raconter à sa famille son enfance et sa jeunesse dans les mêmes lieux où elles s'étaient écoulées si heureuses et si insouciantes.

Il aimait encore à lui montrer le jardin où il jouait tout petit enfant, et le banc de marbre sur lequel sa grand'mère aimait à s'asseoir pour jouir des derniers rayons du soleil.

Ces vieux arbres, qui avaient vu sous leur ombrage tant de générations de cette ancienne famille, étaient pour M. d'Elmont autant de témoins muets de son opulence passée. Cette idée le consolait, et il éprouvait ainsi moins de chagrin à voir l'antique berceau de sa famille livré à des mains étrangères.

On conçoit avec quel respect Cécile conserva l'appartement qu'elle habitait dans cet hôtel; son oncle vint s'y établir avec elle, et elle se garda de changer rien à ses dispositions.

Ce parloir, qu'elle aimait tant, était la pièce où sa mère se tenait d'habitude; une harpe, un piano, un chevalet et une bibliothèque de Boulle, en faisaient les principaux ornements.

Les murailles étaient cachées par de vieux et nobles portraits de famille, par ceux de sa mère et de son père, puis, sur des étagères, on voyait une foule d'objets rares et précieux que M. d'Elmont avait rapportés de ses voyages, ou que des amis bien chers lui avaient donnés comme des souvenirs; çà et là on admirait encore quelques tableaux de l'école italienne ou hollandaise, un beau morceau de sculpture, ou une magnifique esquisse offerte par un de ces grands artistes de tous les pays, que le père de Cécile admettait avec tant de bonheur dans son intimité.

Enfin des jardinières remplies de fleurs garnissaient les fenêtres ombragées par la cime des hauts tilleuls du jardin et quelques camélias, ou quelque autre arbuste de prédilection, soigneusement placé dans un beau vase de vieux Sèvres bleu, aux armes de sa famille, ornait la table de travail de Cécile, car tout, dans cette retraite élégante et modeste, rappelait un ami, une impression ou un souvenir.

Mais ce qui surtout était d'un prix inestimable pour Cécile, c'était un antique nécessaire à écrire qui avait servi à sa mère pendant l'émigration, et qu'elle ne regardait jamais sans sentir ses yeux se mouiller de larmes.

Ce jour-là, nous l'avons dit, mademoiselle d'Elmont était loin de penser à la demande qui la menaçait.

Assise dans le fauteuil de sa mère, elle lisait… son beau front appuyé sur sa main blanche et effilée, que les longues boucles de ses cheveux bruns voilaient sans la cacher; elle était vêtue d'une robe blanche, et chaussée avec la plus minutieuse élégance d'un petit soulier de satin noir, quoiqu'il fût encore de très bonne heure.

Une vieille femme de chambre anglaise, que la marquise d'Elmont avait conservée depuis l'émigration, heurta à la porte du parloir, entra et demanda à Cécile si M. le marquis (le colonel avait pris le titre de son frère) pouvait se présenter chez Mademoiselle.

Cécile répondit que oui.

La demande et la réponse furent faites en anglais; car mademoiselle d'Elmont parlait à merveille l'anglais, l'italien et l'allemand.

– Que peut donc me vouloir mon oncle, de si bonne heure? demanda Cécile.

Et je ne sais quel cruel pressentiment vint l'affliger.

Avant que de parler à sa nièce des intentions que lui avait manifestées le notaire de M. de Noirville, l'excellent colonel avait pris les renseignements les plus minutieux sur ce prétendu, et, il faut le dire, partout ils furent des plus satisfaisants.

En effet, sauf son origine, M. de Noirville était un homme fort honorable, qui, par une économie bien entendue, avait presque doublé sa fortune. D'un caractère facile, généreux sans prodigalité, ayant toujours mis la plus grande convenance dans les liaisons qu'il avait eues, obligeant, d'une figure assez avenante, homme de manières sinon distinguées, au moins décentes, monsieur de Noirville pouvait passer, aux yeux des gens les plus scrupuleux, pour ce qu'on appelle un excellent parti.

J'oubliais de dire qu'il était à peu près certain d'être nommé député dans un département où il possédait d'immenses propriétés.

Des avantages aussi positifs avaient frappé le marquis d'Elmont, qui, avouons-le, étant d'une nature assez peu clairvoyante, ne comprenait pas le moins du monde le caractère de Cécile, et qui, voyant un homme jeune, immensément riche, d'une figure agréable, demander la main de sa nièce, éprouvait le plus vif désir de voir cette union se conclure.

Or, le matin que vous savez, il entra chez mademoiselle d'Elmont, et lui dit brusquement:

– «Ma chère enfant, voilà ce qui arrive: un M. de Noirville, énormément riche, jeune, beau et bon garçon, qui sera bientôt député, vous demande en mariage. J'ai pris les renseignements, ils sont parfaits; seulement son origine est assez commune, son père était un parvenu; mais, au temps où nous vivons, on fait peu de cas des noms. Et puis d'ailleurs, ce garçon-là a l'espoir d'être député; une fois député, comme il est grand propriétaire, il peut bien devenir pair de France; quoique la pairie soit une bêtise maintenant, c'est un titre qui est toujours un peu plus décent que celui de député… Quelles sont vos intentions, mon enfant?..»

 

Cette proposition si inattendue et si étrange stupéfia Cécile, qui, à vrai dire, était bien loin de songer à se marier. S'isolant le plus possible de la réalité, elle s'était fait dans sa retraite un monde de pensées, où elle vivait tout entière; aussi répondit-elle d'abord à son oncle qu'elle ne voulait pas se marier.

« – C'est fort bien, mon enfant, dit le colonel; c'est fort bien quant à présent; mais que demain je meure, à qui vous confier? Voulez-vous que j'emporte avec moi la douloureuse incertitude de ne pas être fixé sur votre avenir que je voudrais voir si prospère et si beau? N'avez-vous pas promis à votre mère de vous fier à moi pour assurer votre sort?..»

A ces raisons, Cécile objecta qu'il fallait au moins qu'elle vît M. de Noirville.

Le surlendemain, il fut présenté chez le marquis.

Au premier abord, M. de Noirville déplut souverainement à Cécile; et après une conversation de cinq minutes, elle eut mesuré l'immense intervalle qui les séparait; aussi, lorsque la première visite fut terminée, elle déclara positivement à son oncle qu'elle aimerait mieux mourir que d'épouser jamais M. de Noirville.

Ce dernier continua nonobstant à se présenter chez le marquis, et Cécile persista plus que jamais dans ses refus.

En voyant la conduite de sa nièce, le colonel commença par se mettre en colère, puis il finit par se chagriner beaucoup, et sa santé s'altéra visiblement.

Aux yeux de cet excellent homme, Cécile passait pour folle et extravagante, et il s'affligeait profondément de la voir, de gaîté de cœur, manquer un aussi beau parti, et perdre ainsi son avenir.

– Mais enfin, qu'a-t-il pour vous déplaire? Trouvez-lui un défaut, un vice, et je me rends, – disait le colonel désespéré. – Est-ce son origine?

– Toutes les origines sont respectables quand elles sont honnêtes, disait Cécile.

– Mais alors, qu'avez-vous à lui reprocher?

– Rien; M. de Noirville est rigoureusement convenable.

– Et vous le refusez pourtant? et pourquoi?..

Cécile était dans une position cruelle. Son père et sa mère ne lui eussent jamais fait cette question, ou plutôt n'eussent jamais songé à M. de Noirville pour leur fille, eût-il été cent fois plus millionnaire qu'il ne l'était.

Comment expliquer au colonel quel était le sentiment de répulsion qui l'éloignait de ce prétendu, cela était au-delà du pouvoir de Cécile et de l'intelligence de son oncle.

Mademoiselle d'Elmont se fût résignée à passer pour folle et fantasque, si elle n'avait pas vu la santé de son oncle s'altérer par la peine qu'il éprouvait. Aussi n'eût-elle pas le courage de résister à cette douleur si profonde: elle se sacrifia.

Ce fut le mot qu'elle employa, et qui fit beaucoup rire le bon colonel, qui s'écriait en se frottant les mains: – «Se sacrifier à deux cent mille livres de rente et à un brave garçon qu'elle mènera comme elle voudra!.. Peste! on n'en fait pas tous les jours des sacrifices comme ceux-là…»

CHAPITRE III.
MARIAGE

M. de Noirville était encore en robe de chambre, occupé de regarder les passants, lorsque son notaire vint lui annoncer qu'il était agréé.

– C'est fini, elle consent, lui dit l'homme de loi.

– Tant mieux, répondit son client, car je m'étais dit: Si au bout d'un mois, jour pour jour après ma présentation, elle me refuse, je chercherai ailleurs. Au reste je suis fort content, car mamzelle d'Elmont n'est pas une beauté, mais elle a une petite figure chiffonnée qui me revient assez; et puis, elle paraît avoir une très jolie éducation, et être assez bonne enfant: seulement je ne lui crois pas beaucoup d'esprit, car elle est taciturne en diable; mais j'aime mieux cela qu'une femme qui jabotte comme une pie borgne. Il y aurait bien encore quelque chose à redire, car elle a l'air bien maigre?

– Ma foi, je ne trouve pas, moi, dit le notaire, qui pensait au contrat.

– Mais bah! reprit son client, – sa première couche l'engraissera, comme on dit.

Ah çà! je ne vous parle pas de sa naissance, ajouta-t-il, car ça ne prouve rien. La preuve est que moi, qui suis fils d'un chaudronnier, j'épouse la fille d'un marquis.

Les noces se firent et furent splendides, mais d'une splendeur horriblement bourgeoise.

La corbeille et les diamants valaient bien cent mille écus.

Aussi pendant huit jours tout Paris parla de la corbeille, et par conséquent du bonheur de mademoiselle d'Elmont, qui avait pourtant les yeux bien rouges en allant à l'autel.

Entre autres choses, elle pensait avec désespoir qu'il lui faudrait quitter son petit appartement du faubourg Saint-Germain, où se rattachaient tant de souvenirs, pour aller habiter le riche hôtel que M. de Noirville avait déjà acheté dans la rue de Londres.

Car une des habitudes de cette race d'hommes est de changer de demeure avec une effroyable facilité. En effet, que leur importe, qu'ont-ils dans la pensée qui puisse les lier au passé, au présent ou à l'avenir?

En revenant de l'église, M. de Noirville fit voir à sa femme tout son gros luxe, qu'elle admira médiocrement. Dans son boudoir, comme il disait, elle trouva un nécessaire à écrire tout en or et surchargé de pierreries.

M. de Noirville, en lui montrant le meuble d'un air étonnamment satisfait, dit à Cécile:

– J'espère que cela vaut un peu mieux que cette antiquaille qui était chez toi.

– Je ne vous comprends pas, Monsieur, dit Cécile, affreusement blessée de ce tutoiement si subit.

– Parbleu! c'est bien clair, je te dis que j'ai remplacé cette vieille machine à écrire que tu avais envoyée ici.

– Mon Dieu! qu'avez-vous fait de cet ancien nécessaire qui m'appartenait, Monsieur? s'écria Cécile, agitée par une crainte indéfinissable.

– Ma foi, je n'en sais rien, moi; c'est mon valet de chambre qui profite de tous ces vieux rogatons.

– Ah! Monsieur c'était l'écritoire de ma mère dit Cécile en pleurant.

– Console-toi, tu n'as pas tout vu, lui dit son mari, et, souriant, il ouvrit le nécessaire.

– Il y a là 20,000 fr., ce sont tes épingles, tu vois que je fais bien les choses, chère amie.

– Au nom du ciel! Monsieur, dit Cécile sans lui répondre, retrouvez-moi à tout prix le nécessaire de ma mère.

M. de Noirville prit ce désir pour un caprice de jeune fille, fit tout au monde pour avoir ce meuble; mais ce fut en vain, son laquais l'avait déjà vendu à un brocanteur qu'on ne rencontra plus.

Si l'imparfaite analyse de ces deux caractères a pu en donner quelque idée, on comprendra s'il est au monde une position plus horrible que le fut celle de mademoiselle d'Elmont lorsqu'elle se vit seule avec son mari, dans son immense hôtel.

Et pourtant, aux yeux du monde raisonnable, que lui manquait-il pour être heureuse?

CHAPITRE IV

Noirville, le 13 avril 18…
LETTRE DE M. DE NOIRVILLE A M. DUMONT, AVOCAT

«Je te remercie bien, mon cher Dumont, des avis que tu me donnes sur l'expropriation que je médite; car, si on laissait faire ces canailles de fermiers, les fermes seraient les tombeaux de notre argent; sans être avare, je tiens à ce que j'ai; car si je n'en avais plus, personne ne m'en donnerait. Je te remercie bien aussi du modèle de four pour la pâtisserie; mon cuisinier en est enchanté, et par conséquent moi aussi; j'ai encore à te remercier de la consultation que tu m'as envoyée pour ma femme; depuis six mois que je me suis lancé dans le conjungo, comme on dit, c'est la septième ou huitième fois que j'ai recours aux médecins, et ce ne sera probablement pas la dernière; la santé de ma femme ne s'améliore pas du tout, au contraire, et personne ne conçoit rien à son état; il faut qu'elle ait une maladie de famille, quelque chose comme d'être poitrinaire, car elle maigrit à vue d'œil, ce qui n'est pas très agréable pour moi; car elle n'était pas déjà trop grasse: aussi je fais tout ce que je peux pour qu'elle mange de la viande et de la pâtisserie, ça lui donnerait du corps; mais il n'y a pas moyen; moi, j'en mange toujours, et cela me profite si bien que j'engraisse pour deux, et que si j'ai quelque chose, c'est trop de santé. Ma femme a perdu ce vieil oncle qu'elle avait; entre nous, je n'en suis pas fâché, car il était sans cesse à me relancer pour savoir pourquoi sa nièce était triste comme un bonnet de nuit: est-ce que j'en savais quelque chose, moi? Et au fait, que lui manque-t-il pour être heureuse? Voitures, hôtel à Paris, diamants, loge aux Bouffons et à l'Opéra, belle terre, bonne table et bon feu, elle a tout, aussi je suis tranquille comme Baptiste. Ma conscience est satisfaite, puisque je fais tout pour son bonheur, et elle le mérite, mon cher Dumont, car elle mène très bien ma maison: je n'ai plus ces peurs que j'avais avant mon mariage, d'être volé par mon maître d'hôtel; c'est elle qui se mêle de tout ça, je ne m'en occupe plus; je dors sur les deux oreilles, comme dit le proverbe; je deviens gourmand comme un dindon et gros comme un tonneau; c'est moi qui ai un ventre maintenant! mais ça m'est égal, car je n'ai, tu le sais bien, jamais tenu à être un céladon, et encore bien moins depuis que je suis marié.

«Et, en vérité, je ne suis pas fâché de l'être… – Ah! tiens, de l'être!.. c'est comme dans une pièce des Variétés. Non, d'être marié! entends-tu, farceur de Dumont; pas d'équivoque. Car c'est un ange que ma femme; seulement, tout ce que je craignais, c'est qu'étant noble, elle fût fière. Eh bien! pas du tout, au contraire, car je n'ai jamais pu l'habituer à me tutoyer, tandis que moi, je l'ai tutoyée tout de suite, dès le premier jour de mes noces.

«Nous voyions peu de monde dans les commencements de notre mariage. Elle avait quelques-unes des connaissances de sa famille qui venaient la voir, petit à petit tout ça s'est éloigné, et je n'ai plus vu chez moi ou ailleurs que ma société à moi; mais ma femme n'y va presque jamais: entre nous, je conçois son éloignement; car dans ma société, elle a paru gauche, pas très jolie et un peu bête. Entre nous, Dumont, un mari peut bien juger sa femme. Eh bien! moi, je ne la crois pas très forte, comme on dit; après ça, il n'est pas donné à tout le monde d'avoir de l'esprit; n'est-ce pas, Dumont?

«Ce qui la rend si triste parfois, ma femme, c'est peut-être aussi qu'elle a été jalouse de l'effet de cette belle mademoiselle Germon, la fille du fournisseur, qui fut mariée en même temps que nous deux ma femme, une créature superbe, qui avait des couleurs magnifiques, une poitrine admirable, enfin une prestance de reine, et de l'esprit! Ah! que d'esprit! Un vrai boute-en-train, une rieuse, qui, à la campagne, était toujours pour qu'on fit des niches dans les chambres, et qui par farce veut faire ses enfants protestants, pour taquiner le curé de sa campagne.

«Tu conçois bien qu'auprès d'une femme aussi amusante, la mienne devait être joliment enfoncée, avec sa figure pâle, sa taille à croire qu'on allait la casser en soufflant dessus, et son air triste et presque bégueule. Après ça, ce que je crois, vois-tu, Dumont, c'est qu'elle est triste parce que c'est son caractère d'être triste; on naît comme ça, et on n'en est pas plus malheureuse; c'est dans le sang, comme on dit. Aussi je ne m'en inquiète guère. Qu'est ce qu'il lui manque à ma femme? N'est-ce pas, Dumont?

«Quant à être bégueule, c'est la mauvaise éducation qui donne ce défaut-là. Et à propos de ça, tu sais bien, Bercourt, cet agent de change qui est si spirituel, qui est ventriloque, imite le basson à s'y méprendre, et lit si drôlement les charges de Monnier; Bercourt, qui vivait maritalement avec la petite Augusta. Eh bien! ma femme l'a relevé si durement une fois qu'il disait, sur les prêtres et les religieuses, des choses pourtant pas trop fortes pour une femme mariée, que ce pauvre Bercourt n'a plus osé revenir chez nous.

«Voilà comme c'est arrivé: pendant que Bercourt continuait de dire ses bêtises, qui me faisaient rire comme un bossu, voilà que ma femme a sonné, et de son air de princesse, que je ne lui ai vu prendre du reste que cette fois, elle a dit au domestique, en lui montrant ce pauvre Bercourt d'un geste très insolent: Monsieur demande si ses gens sont là. Tu conçois bien qu'il s'en est allé tout de suite et tout penaud: ce qui m'a vexé, car il était bien amusant. Enfin, mon cher Dumont, je suis ici à Noirville depuis le mois d'avril; car ma femme a voulu quitter Paris avant l'hiver terminé. Je chasse, je mange et je dors, voilà ma vie qui n'est pas trop mauvaise, comme tu vois; et surtout je ne m'occupe pas de ma maison; comme ma femme ne parle pas beaucoup, j'ai imaginé un moyen pour passer nos soirées plus agréablement; j'ai fait monter un tour dans mon salon, et je tourne pendant que ma femme lit son anglais, ou rêvasse à je ne sais quoi; j'aurais bien aimé qu'elle me fasse de la musique pour m'endormir, mais elle n'a pas voulu, sous le prétexte qu'elle ne peut faire de la musique que toute seule, ce qui m'a fait soupçonner qu'elle joue très mal de la harpe, ce que je saurais si j'étais musicien; mais je n'ai jamais pu apprendre une note; car c'est une fière bêtise que la musique, n'est-ce pas, Dumont?

 

«Enfin le soir, à dix heures sonnant nous nous couchons. Et à propos de ça, est-ce que ma femme ne s'était pas imaginé d'avoir son appartement séparé; mais pas de ça, Lisette, et comme quand je veux une chose, je suis têtu comme un mulet, nous vivons à la bourgeoise, comme on dit. A propos de cela, tu sais que tu es de droit le parrain de mon premier (si j'ai un premier)!

«En voilà bien long pour ne te dire que des balivernes, mon cher Dumont; viens donc à Noirville aux vacances; tu nous apporteras ta Gazette des Tribunaux, que tu lis d'une manière si farce, en imitant la voix des juges et des accusés; mais, ce qu'il y aura d'ennuyant, c'est qu'il faudra gazer, à cause de ma bigote de femme; car, j'oubliais encore ça, elle est bigote; mais je lui passe ça, on dit que c'est d'un bon effet pour les domestiques.

«Adieu, mon cher Dumont; je t'envoie ci-joint une autorisation pour retirer des fonds de chez ***, tu les emploieras à acheter de la rente de Naples, si elle continue à être en baisse.

«Adolphe DE NOIRVILLE.»
FIN DU DEUXIÈME VOLUME
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