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Jacques Ortis; Les fous du docteur Miraglia

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11 mai.

Sans doute que la nature ne peut se passer de notre globe et de la race tracassière qui l'habite; car, pour assurer la conservation de tous, et les retenir dans une réciproque fraternité, elle a créé chaque homme tellement égoïste, qu'il désirerait volontiers l'anéantissement de l'univers pour vivre plus certain de sa propre existence, et demeurer le maître solitaire de toute la création. Pas une seule génération ne s'est, depuis que le monde existe, écoulée dans la paix; la guerre fut toujours l'arbitre des droits, et la force la dominatrice des siècles; ainsi l'homme, ouvertement ou en secret, est toujours l'implacable ennemi de l'humanité. En veillant à sa conservation par tous les moyens, il seconde le vœu de la nature, qui a besoin de l'existence de tous, et les descendants de Caïn et d'Abel, quoiqu'ils imitent leurs premiers parents et se frappent les uns les autres, vivent et se propagent.

Or, écoute:

J'ai accompagné, ce matin, Thérèse et sa sœur à la maison d'une de leurs connaissances qui est venue passer l'été à la campagne. Je croyais rester avec elles; mais, par malheur, j'avais, depuis la semaine passée, promis au chirurgien d'aller dîner avec lui; et, si Thérèse ne m'en avait fait souvenir, pour te dire vrai, je l'avais entièrement oublié. Je me suis donc mis en chemin une petite heure avant midi; mais, écrasé de chaleur, je me suis, à moitié route, couché sous un olivier. Au vent d'hier, qui était hors de saison, a succédé aujourd'hui une insupportable chaleur, et j'étais là au frais, et pensant comme si j'avais déjà dîné, lorsqu'on tournant la tête, j'aperçus un paysan qui me regardait avec colère.

– Que faites-vous là? me dit-il.

– Vous le voyez, je me repose.

– Avez-vous des propriétés? continua-t-il en frappant la terre de la crosse de son fusil.

– Et pourquoi?

– Pourquoi?.. Parce qu'alors, si vous en avez, couchez-vous sur elles, et ne venez pas fouler l'herbe des autres.

Et, s'en allant:

– Faites qu'à mon retour je vous y trouve!..

Je ne m'étais pas ému le moins du monde, et il s'en était allé. D'abord, je n'avais point pris garde à ses bravades; mais, en y repensant, —si vous en avez!… me parut infâme. Ainsi donc, si la fortune n'avait pas accordé à mes ancêtres deux perches de terrain, tu m'aurais refusé, dans la partie la plus stérile de ton champ, la dernière aumône d'une tombe. Mais, remarquant que l'ombre des oliviers s'allongeait, je me souvins du dîner.

En revenant le soir chez moi, je trouvai sur ma porte l'homme de la matinée.

– Monsieur, me dit-il, j'étais là vous attendant. Si jamais… Vous vous serez peut-être courroucé contre moi; je vous demande pardon.

– Remettez votre chapeau, répondis-je; vous ne m'avez point offensé.

Pourquoi mon cœur dans les mêmes occasions est-il tantôt calme et tantôt tempête?..

Un voyageur disait: «Le flux et le reflux de mes humeurs gouverne toute ma vie.» Peut-être, un instant auparavant, mon dédain eût-il été plus grand que l'insulte; car pourquoi nous abandonner ainsi au bon plaisir de celui qui nous offense, en permettant qu'il nous tourmente avec une injure que nous n'avons pas méritée? Vois comme l'amour-propre, par cette pompeuse sentence, s'efforce d'élever à la hauteur d'un mérite une action qui dérive peut-être de… – que sais-je? – en pareille circonstance, je n'ai pas toujours usé d'une semblable modération: il est vrai qu'une demi-heure après, j'en étais fâché; mais la raison est revenue en boitant, et le repentir pour celui qui aspire à la sagesse est toujours trop tardif; aussi ne suis-je point un sage, je suis un de ces si nombreux enfants de la terre, je porte avec moi toutes les passions et toutes les misères de mon espèce.

Cependant, le paysan poursuivait:

– J'ai manqué d'égards envers vous, monsieur; mais je ne vous connaissais pas, et des laboureurs qui fauchaient du foin dans le pré voisin m'ont averti de ma méprise.

– Il n'y a pas de mal, brave homme. Comment va le grain cette année?

– Nous souffrirons de la cherté; mais je vous prie, monsieur, veuillez m'excuser; plût à Dieu que je vous eusse connu!

– Brave homme, soit que vous connaissiez ou non, n'offensez désormais personne, parce que vous courez toujours risque d'irriter le puissant ou de maltraiter le faible. Quant à moi, ne vous en inquiétez pas.

– Vous avez raison, monsieur; Dieu vous récompense!

Et il s'en alla. – Demain, il sera peut-être pis; il y a un je ne sais quoi d'imprimé dans le visage, et l'instinct des animaux raisonnables, quand ils sont insensibles à la honte, est un instinct pernicieux pour tous ceux qui ont affaire à eux.

Cependant, tous les jours, les victimes de l'usurpateur de ma patrie deviennent plus nombreuses; combien de mes malheureux compatriotes exilés ne pourront trouver un lit d'herbe et l'ombre d'un olivier?.. Dieu le sait! L'infortuné proscrit est chassé du champ stérile où paissent tranquillement les troupeaux!..

12 mai.

Je ne l'ai point osé, Lorenzo, je ne l'ai point osé!.. Je pouvais l'embrasser, je pouvais la presser là sur mon cœur… Je l'ai trouvée endormie, le sommeil tenait fermés ses grands yeux noirs; mais les roses de son visage s'étaient répandues plus fraîches que jamais sur ses joues humides, son corps était négligemment abandonné sur un sofa, un bras soutenait sa tête, tandis que l'autre pendait mollement; souvent je l'ai vue à la promenade, à la danse; j'ai senti retentir jusqu'au fond de mon cœur les accents de sa voix et les sons de sa harpe: je l'adorais alors, comme si je l'eusse vue descendre du paradis; mais belle comme aujourd'hui, jamais, non, jamais je ne l'avais vue: ses vêtements légers me laissaient apercevoir les contours de ses formes angéliques. Mon âme la contemplait… et, que te dirais-je, Lorenzo?.. toutes les extases et toutes les fureurs de l'amour me brûlaient et m'emportaient hors de moi. Je touchais tour à tour, et comme un fanatique ferait de la nappe de l'autel, sa robe flottante, sa chevelure parfumée, et le bouquet de violettes qu'elle avait au milieu du sein… Oui, oui, sous cette main devenue sacrée, je sentais battre son cœur, je respirais l'haleine qui s'échappait de sa bouche entr'ouverte!.. j'étais prêt à boire toute la volupté de ses lèvres célestes; un seul baiser… et j'eusse béni les larmes que depuis si longtemps je dévore pour elle… Mais alors!.. alors, je l'entendis soupirer dans son sommeil… Je m'arrêtai comme retenu par une main divine…

– C'est moi, me dis-je, qui le premier t'ai appris l'amour et les larmes; peut-être as-tu cherché un instant de sommeil, parce que j'ai troublé tes nuits autrefois innocentes et tranquilles…

A cette pensée, je me suis prosterné devant elle… immobile et retenant ma respiration… et je l'ai fuie précipitamment pour ne pas la rendre à la vie; elle ne se plaint jamais, et ce silence redouble ma peine; mais son visage de plus en plus triste, son regard noyé dans une triste langueur, ses tressaillements au seul nom d'Odouard… ses soupirs en pensant à sa mère… ah! Lorenzo, le Ciel nous l'eût-il accordée, si elle n'eût pas dû supporter sa portion de nos douleurs?.. Dieu éternel, existes-tu vraiment pour nous, ou n'es-tu qu'un père dénaturé qui se complaît aux soupirs et aux larmes de ses enfants?.. Lorsque tu envoyas sur la terre la vertu, ta fille aînée, tu lui donnas pour guide la douleur; mais aussi pourquoi laisser la jeunesse et la beauté sans force pour soutenir les châtiments d'un aussi sévère instituteur? Dans toutes mes afflictions, j'ai levé vers toi mes bras suppliants, mais sans jamais oser me plaindre ni pleurer; mais, maintenant, oh! pourquoi me laisser entrevoir le bonheur pour me l'enlever ensuite pour jamais?.. Pour jamais? Oh! non, non, Thérèse est toute mienne, tu me l'as accordée, ô mon Dieu! lorsque tu me créas un cœur capable de l'aimer… éternellement… immensément!..

14 mai.

Si j'étais peintre, quelle riche matière pour mes pinceaux! l'artiste, plongé dans l'idée délicieuse du beau, éteint ou du moins adoucit toutes ses autres passions… Ah! si j'étais peintre!.. j'ai trouvé parfois dans leurs compositions, ainsi que dans celles des poëtes, la nature simple et belle… mais la nature grande, immense, inimitable, jamais. Homère, le Dante et Shakspeare, ces trois maîtres de tous les esprits surhumains, ont enflammé mon imagination et se sont emparés de mon cœur; j'ai baigné leurs vers de larmes brûlantes, et j'ai adoré leurs ombres divines comme si je les voyais assis dominants dans la lumière, et les mondes, et l'éternité. Les originaux que j'ai devant les yeux ont rempli toutes les facultés de mon âme, et je n'oserais, Lorenzo, je n'oserais, fussé-je Michel-Ange, tirer la première ligne de ce vaste tableau… Dieu puissant, lorsque tu daignes arrêter les regards sur une soirée de printemps, je suis certain que tu te félicites de ta création, et j'ai, jusqu'à présent, regardé avec indifférence cette source inépuisable de bonheur que tu versais à mes pieds pour me consoler!..

Sur la cime des monts dorés par les derniers rayons du soleil, je domine une chaîne de collines sur lesquelles je vois ondoyer les moissons, et la vigne s'enlacer en riches guirlandes à l'entour des oliviers et des ormeaux. Dans le lointain, des rochers et des montagnes qui semblent entassés les uns sur les autres bornent l'horizon; devant moi et à mes pieds, la terre est coupée en précipices, où l'on voit s'épaissir insensiblement les ténèbres de la nuit, et dont la gueule effrayante semble l'ouverture d'un abîme… Pendant la chaleur du midi, l'air est rafraîchi par un bosquet qui domine et ombrage la vallée, où paissent les troupeaux, et où les chèvres vagabondes semblent suspendues aux rochers les plus escarpées. Les oiseaux chantent doucement, comme s'ils plaignaient le jour qui s'éteint, les vaches mugissent, et le vent semble se complaire au murmure mélancolique des feuilles; mais, du côté du nord, les collines se divisent et ouvrent aux regards l'étendue dans une plaine immense, où l'on distingue les bœufs rejoignant leur étable et le laboureur qui les suit appuyé sur son bâton, tandis que sa mère et son épouse préparent le souper qui rendra des forces à la famille fatiguée, et que fument les maisons blanchissantes au loin et les chaumières dispersées dans la campagne. Le berger trait ses troupeaux, la vieille qui file à la porte de la bergerie interrompt son travail et se lève pour caresser le jeune taureau et les agneaux qui bêlent en bondissant autour de leurs mères. Plus loin, la vue, pénétrant entre deux rangées d'arbres, se prolonge jusqu'à l'horizon, où tout se confond, se rapetisse et disparaît; le soleil, en partant, laisse quelques rayons pâles, comme pour dire à notre monde un éternel adieu; les nuages, pourprés d'abord, perdent peu à peu leurs chaudes couleurs, la plaine s'obscurcit, l'ombre se répand sur la surface de la terre, et, de même que si je me trouvais au milieu de l'Océan, de quelque côté que je me tourne, je n'aperçois plus que le ciel.

 

Hier, après deux heures de contemplation extatique d'une belle soirée du mois de mai, je descendais pas à pas la montagne solitaire, le monde était confié à la nuit; je n'entendais plus le chant de la villageoise, je n'apercevais plus que le feu des pasteurs; et, pendant que mon œil s'arrêtait sur chacune des étoiles qui brillaient au-dessus de ma tête, mon âme acquérait quelque chose de céleste, et mon cœur se soulevait comme s'il aspirait à quelque région plus sublime que la terre. Je me trouvais alors sur le monticule près de l'église; la cloche des morts sonnait, et le pressentiment de ma fin guida mes regards sur le cimetière, où, dans leurs tombes couvertes d'herbes, dorment les antiques pères du village. – Dormez en paix, froides reliques! la poussière est retournée à la poussière: rien ne diminue, rien ne s'augmente, rien ne se perd ici-bas; tout se transforme et se reproduit. Destinée humaine! moins malheureux est que les autres hommes, l'homme qui ne la craint pas!..

J'étais fatigué, je me couchai sous le bosquet de pins, et, dans cette muette obscurité, mes malheurs et mes espérances se retraçaient à mon esprit; de quelque côté que je courusse, haletant vers ce bonheur, je n'apercevais, après un chemin âpre et stérile, qu'une fosse béante, où devaient se perdre avec moi tous les biens et tous les maux de cette vie inutile. Je me sentais avili, et je versais des larmes, parce que j'avais besoin d'être consolé, et, avec des gémissements et des sanglots, j'invoquais Thérèse!..

14 mai.

Encore hier, j'étais retourné à la montagne; encore hier, j'étais couché sous le bosquet de pins; encore hier, j'invoquais Thérèse; – quand tout à coup j'entendis un froissement de pas à travers les arbres, et il me sembla distinguer la voix de plusieurs personnes. Bientôt j'aperçus Thérèse et sa sœur. A la vue d'un homme, elles s'éloignèrent effrayées. Je les appelai; et la petite Isabelle, me reconnaissant, accourut à moi et se jeta à mon cou, m'embrassant mille et mille fois… Je me levai, Thérèse s'appuya sur mon bras, et nous côtoyâmes, taciturnes et muets, la rive du petit ruisseau qui conduit au lac des Cinq-Fontaines. Là, par un mouvement sympathique, nous nous arrêtâmes pour considérer l'étoile de Vénus, qui brillait devant nos yeux.

– Oh! me dit Thérèse avec ce doux enthousiasme qui n'appartient qu'à elle, crois-tu que Pétrarque n'a pas souvent visité cette solitude, en redemandant aux ombres pacifiques de la nuit sa Laure perdue? Lorsque je lis ses vers, je me le représente mélancolique, errant, ou bien appuyé contre un arbre, enseveli dans ses pensées, et tournant vers les cieux, pour y chercher la beauté immortelle de Laure, ses yeux pleins de tristesse et de larmes!.. Je ne sais comment cette âme, qui avait en elle une si grande portion de l'esprit céleste, a pu survivre dans une si grande douleur, et s'arrêter si longtemps au milieu de nos misères mortelles. – Oh! quand on aime vraiment!..

Et il me semblait qu'elle me pressait la main, et il me semblait que mon cœur ne voulait plus demeurer dans ma poitrine. «Oui, tu étais créée pour moi, née pour moi!..» Et moi… je ne sais comment je pus étouffer ces paroles qui s'élançaient hors de mes lèvres!..

Elle montait la colline, et je marchais derrière elle; toutes les facultés de mon âme étaient en Thérèse, et la tempête qui les avait agitées se calmait peu à peu.

– Tout est amour, dis-je: l'univers n'est qu'amour; mais qui jamais le sentit et l'exprima mieux que Pétrarque? Ces quelques hommes qui, par leur génie, se sont élevés au-dessus du vulgaire, m'épouvantent d'admiration; mais Pétrarque me remplit de confiance religieuse et d'amour, et, tandis que mon esprit lui sacrifie comme à un dieu, mon cœur l'invoque comme un père et comme un ami consolateur…

Thérèse soupira et sourit tout ensemble.

La montée l'avait fatiguée.

– Reposons-nous, me dit-elle.

L'herbe était humide. Je lui montrai un mûrier peu éloigné, le mûrier le plus beau que j'aie jamais vu, élevé, solitaire, touffu. Dans ses rameaux se trouve un nid de chardonnerets. Ah! je voudrais pouvoir, sous l'ombre de ce mûrier, élever un autel. La petite nous avait quittés, et courait çà et là, cueillant des fleurs, et les jetant aux lucioles qui venaient à elle phosphorescentes. Thérèse était couchée sous le mûrier; j'étais assis près d'elle, la tête appuyée contre le tronc de l'arbre. Je récitais la cantate de Sapho; la lune se levait…

Oh! pendant que j'écris, pourquoi mon cœur bat-il avec tant de force? Heureuse soirée!..

14 mai, onze heures.

Oui, Lorenzo, j'avais voulu te le taire, mais c'est impossible; écoute: ma bouche est encore humide de son baiser; mes joues sont encore inondées de ses larmes; elle m'aime! elle m'aime!.. Laisse-moi, Lorenzo, laisse-moi dans toute l'extase de ce jour de paradis!

14 mai, au soir.

Que de fois j'ai repris la plume, et n'ai pu continuer!.. Mais je me sens un peu plus de calme, et je reprends ma lettre… Thérèse était couchée sous le mûrier. Mais que puis-je te dire qui ne soit tout entier renfermé dans ces deux mots: «Je t'aime!..» A ces paroles, tout ce que je voyais me semblait un sourire de l'univers, j'admirais avec les yeux de la reconnaissance le ciel, et il me paraissait s'entr'ouvrir pour nous recevoir. Ah! pourquoi la mort ne vient-elle pas dans un semblable moment? Je l'ai invoquée!.. Oui, mes lèvres ont rencontré les lèvres de Thérèse… Les plantes et les fleurs exhalaient en ce moment une odeur plus suave; les airs étaient tout harmonie; les rivages résonnaient au loin, et toutes choses s'embellissaient à la clarté de la lune, toute resplendissante de la lumière infinie de la Divinité; les éléments et les êtres s'exaltaient dans la joie de deux cœurs ivres d'amour; ma bouche ne pouvait se détacher de la main de Thérèse, et Thérèse m'embrassait toute tremblante, et versait ses soupirs sur ma bouche, et son cœur palpitait sur mon cœur; elle me regardait de ses grands yeux languissants, et elle m'embrassait, et ses lèvres humides et entr'ouvertes murmuraient sur les miennes. Tout à coup elle se dégage de mes bras comme épouvantée, appelle sa sœur et se lève courant au-devant d'elle; je m'étais prosterné, je tendais les bras pour m'attacher à sa robe, et je n'osais ni la retenir ni la rappeler… Je respectais sa vertu, et, plus que sa vertu peut-être, sa passion; je sentais et je sens un remords de l'avoir fait naître dans son cœur innocent… C'est un remords, un remords de trahison… Ah! mon cœur est bien lâche… Je m'approchai d'elle en tremblant.

– Je ne puis jamais être à vous, me dit-elle.

Et ces mots furent prononcés avec un accent du cœur et un regard de reproche et de compassion… Je l'accompagnai, et, pendant le chemin qui nous restait à faire, elle ne leva plus les yeux sur moi, et je n'eus point la force de lui adresser une seule parole. Arrivés à la grille du jardin, elle me reprit des mains la petite Isabelle, et, me quittant:

– Adieu, me dit-elle.

Puis, après avoir fait quelques pas, se retournant encore:

– Adieu!..

J'étais resté immobile; j'aurais baisé la trace de ses pas… Elle s'éloignait les bras pendants, et ses cheveux, brillant aux rayons de la lune, se soulevaient mollement, et puis bientôt la distance et l'ombre me permirent à peine de revoir de temps en temps ondoyer sa robe qui blanchissait dans le lointain; et, lorsqu'elle eut disparu, j'écoutais encore le bruit de ses pas… et je tendais l'oreille, espérant entendre sa voix.

En m'éloignant comme pour me consoler, je me retournai, les bras ouverts, vers l'étoile de Vénus… Elle aussi avait disparu.

15 mai.

Ce baiser m'a fait dieu, Lorenzo; mes pensées sont plus riantes et plus élevées, mon visage est plus gai et mon cœur plus compatissant; il me semble que tout s'embellit à mes regards. Le chant des oiseaux, le frémissement de l'air dans les feuilles agitées, me paraissent aujourd'hui plus suaves que jamais; les plantes se fécondent et les fleurs se colorent sous mes pieds; je ne fuis plus les hommes, et toute la nature me semble mienne. Mon esprit est tout harmonie, et, si j'avais à peindre la beauté, dédaignant tout modèle terrestre, je la trouverais dans ma propre imagination. O Amour! les beaux-arts sont tes fils; le premier, tu guidas sur la terre la sainte poésie, seul aliment de ces âmes généreuses qui, du sein de la solitude, nous transmettent ces chants sublimes qui parviennent aux dernières générations, et vont les éperonner avec des actions et des pensées inspirées du ciel pour les hautes entreprises; tu rallumes dans nos cœurs la seule vertu utile aux mortels, la pitié, qui ramène parfois le sourire sur les lèvres du malheureux; par toi revit incessamment le plaisir fécondateur de tous les êtres, et sans lequel tout serait chaos et désolation. Ah! si tu nous fuyais, la terre deviendrait stérile, les animaux ennemis, le soleil malfaisant, et le monde ne serait plus que larmes, terreur et destruction. Mais, maintenant que mon âme resplendit de tes doux rayons, j'oublie mes malheurs, je me ris de l'infortune, et l'avenir cesse de m'épouvanter.

Lorenzo, souvent je passe des heures entières couché sur la rive du lac des Cinq-Fontaines; je me plais à sentir se jouer sur ma figure et dans mes cheveux une brise qui, soulevant autour de moi l'herbe agitée, caresse les fleurs et ride légèrement la surface des eaux; le croirais-tu?.. il est des instants de délire pendant lesquels je crois voir folâtrer devant moi des nymphes demi-nues et couronnées de fleurs; j'invoque à leur aspect les Muses et l'Amour, et je vois à travers la poussière humide de la cascade sortir jusqu'à la ceinture de riantes naïades aux cheveux ruisselants sur leurs épaules rosées, gardiennes aimables de ces fontaines. ILLUSION! crie le philosophe. Eh! tout n'est-il pas illusion? Heureux les anciens, qui, se croyant dignes des baisers des déesses immortelles du ciel, qui, sacrifiant à la beauté et aux grâces, et répandant la splendeur de la divinité sur les imperfections des hommes, trouvaient enfin le beau et le vrai en caressant des idoles de leur fantaisie. Illusion! mais, sans illusion, je ne sentirais la vie que par la douleur, ou peut-être (ce qui m'effraye encore plus) que par une rigide et monotone indolence. Lorenzo, si mon cœur ne voulait plus sentir… de mes propres mains je l'arracherais de ma poitrine, et je le chasserais comme un serviteur infidèle.

21 mai.

Hélas! hélas! que mes nuits sont longues et pleines d'angoisses. Tourmenté par la crainte de ne plus la revoir, dévoré d'un pressentiment profond… ardent… frénétique… je me précipite de mon lit à la fenêtre, et je ne donne de repos à mes membres nus et transis que lorsque j'aperçois à l'orient les premiers rayons du soleil; alors, je cours en tremblant auprès d'elle, j'y reste immobile, étouffant mes paroles et mes soupirs; je ne désire pas, je n'ose pas, le temps vole… La nuit me surprend dans ce songe du ciel… C'est l'éclair rapide qui dissipe les ténèbres, brille, passe, et redouble encore la terreur et l'obscurité.

25 mai.

Je te rends grâces, ô mon Dieu! je te rends grâces! tu lui as donc retiré ton souffle, et Laurette a dépouillé sur la terre ses infortunes; tu as daigné entendre les gémissements qui partaient du plus profond de son âme, tu as envoyé la mort pour délivrer des chaînes de cette vie ta créature malheureuse et tourmentée… Chère et douce amie, la tombe au moins boira mes larmes, seul tribut que je puisse t'offrir; la terre qui te cache sera couverte de fraîches herbes, et allégée par la bénédiction de ta mère et par la mienne. Lorsque tu vivais, tu espérais toujours de moi quelque consolation, et pourtant… je n'ai pas même pu te rendre les derniers devoirs: mais nous nous reverrons un jour!.. oui, nous nous reverrons!

 

O Lorenzo! lorsque souvent je me rappelais cette pauvre innocente, certains pressentiments me criaient au fond de l'âme: «Elle est morte!» Si tu ne m'avais écrit, sans doute que je l'eusse ignoré éternellement; car, je te le demande, qui daignerait s'inquiéter de la vertu lorsqu'elle est pauvre et malheureuse? Souvent j'ai voulu lui écrire, la plume me tombait des mains, et je baignais de larmes la lettre qui lui était destinée… Je tremblais qu'elle ne me racontât de nouvelles douleurs, et qu'elle ne fît retentir dans mon âme une corde dont les vibrations n'eussent point cessé de sitôt… Il est donc vrai que nous craignons le récit des maux de nos amis!.. Leur misère nous est lourde, et notre orgueil dédaigne de leur accorder le secours de notre parole, qui fait tant de bien aux malheureux, lorsque nous ne pouvons y joindre une consolation plus solide et plus vraie… Sans doute, elle et sa mère m'avaient confondu dans la foule de ceux qui, enivrés de leur prospérité, abandonnent les souffrants… Mais Dieu le sait!.. Dieu qui, reconnaissant qu'elle ne pouvait résister plus longtemps, a tempéré la fureur des vents en faveur de l'agneau nouvellement tondu, et tondu jusqu'au vif…

Te rappelles-tu comme, un jour, elle revint à la maison, portant enfermée dans sa corbeille de travail une tête de mort? Elle soulevait le couvercle, et riait, et montrait ce crâne nu, enfoncé dans un lit de roses.

– Oh! vous ne savez pas combien il y a de ces roses, nous disait-elle. J'en ai arraché toutes les épines: demain, elles seront fanées; mais, demain, j'en achèterai d'autres;… car les roses fleurissent tous les jours, et autant il en fleurit chaque jour, autant chaque jour la mort en prend.

– Mais que veux-tu faire de ces roses, Laurette? lui répondais-je.

– J'en veux couronner cette tête, et, chaque jour, je lui en mettrai une couronne nouvelle.

Et, en répondant, elle riait, suave et gracieuse; et, dans ces paroles, et dans ce sourire, et dans cet air de visage insensé, dans ces yeux fixés sur ce crâne sur lequel ses doigts tremblants tressaient des roses!.. Ah!.. tu t'es aperçu plus d'une fois, Lorenzo, combien certaines fois le désir de la mort est ensemble nécessaire et doux, et combien ce désir est éloquent, surtout errant sur les lèvres d'une jeune fille folle!..

Je te quitte, Lorenzo; il faut que je sorte; mon cœur se gonfle et gémit comme s'il voulait s'échapper de ma poitrine. Sur la cime d'une montagne, je respire librement; mais ici… dans cette chambre… j'étouffe comme en un tombeau.

J'ai gravi jusqu'au sommet de la plus haute montagne; à mes pieds, je voyais ondoyer et frémir la forêt comme une mer agitée; la vallée frémissait au bruit du vent, et les nuages s'arrêtaient aux flancs des rochers que je dominais… – Au milieu de la terrible majesté de la nature, mon âme, effrayée et anéantie, a oublié le sentiment de ses maux, et retrouvé un instant de calme et de tranquillité avec elle-même.

Je voudrais te dire de grandes choses!.. elles me traversent l'esprit… Je m'arrête en y songeant: elle se pressent dans mon cœur, se heurtent, se confondent; je ne sais par lesquelles commencer… puis tout à coup elles me fuient et s'écoulent dans un torrent de larmes; je vais courant comme un insensé, sans savoir où je vais ni pourquoi je vais. Je ne me connais plus, je franchis des précipices. Je domine les vallées et les campagnes. Magnifique et inépuisable création!.. mes regards et mes pensées se perdent à l'horizon lointain; je monte, je m'arrête, je reste debout, et, haletant, je regarde au-dessous de moi. Oh! le gouffre!.. le gouffre!.. Je détourne alors mes yeux effrayés de ces abîmes sans fond!.. je redescends précipitamment au pied de la montagne; la vallée est plus fraîche; un bosquet de jeunes chênes me protège des vents et du soleil… Deux filets d'eau murmurent çà et là doucement, les branches babillent, un rossignol chante… J'ai grondé un berger qui venait pour enlever du nid ses petits. – La désolation, les plaintes, la mort de ces pauvres oiseaux devaient être vendues pour une pièce de cuivre: aussi, va!.. je l'ai amplement dédommagé du gain qu'il espérait en tirer… Et il m'a promis de ne plus troubler les rossignols; mais crois-tu qu'il ne reviendra pas les tourmenter? Où êtes-vous allés, mes premiers jours?.. Oh! ma raison malade ne trouve plus de repos que dans son affaissement… et, malheur!.. elle sent toute sa faiblesse, comme si… comme si… Pauvre Laurette! tu m'appelles peut-être; et peut-être dans peu de temps nous reverrons-nous. – Tout, oui, tout ce que l'homme croit exister n'est qu'un songe des fantaisies. La mort m'eût semblé affreuse au milieu de ces rochers escarpés; et, sous les ombres paisibles de ce bosquet, j'aurais volontiers fermé mes yeux du sommeil éternel… Chacun se fait une réalité à sa manière… Nos désirs se multiplient et s'agrandissent avec nos idées, et nos passions ne sont, tout bien considéré, que les effets de notre illusion. Ah! lorsque je me rappelle le doux songe de notre jeunesse, comme je courais avec toi par ces campagnes, m'accrochant aux arbres chargés de fruits, indifférent du passé, insouciant sur le présent, tressaillant de joie à l'idée des plaisirs que notre imagination grandissait dans l'avenir, et dont la mémoire, au bout d'une heure, avait déjà cessé d'exister, concentrant toutes nos espérances dans les jeux de la prochaine fête…

Mais ce rêve est évanoui… Eh! qui m'assure que, dans ce moment, je ne rêve pas comme alors? Toi seul, ô mon Dieu! toi seul qui connais ce cœur humain, sais combien mon sommeil est affreux, et combien le réveil sera terrible, puisque rien ne m'attend à cette heure, que les larmes et la mort…

Ainsi je m'égare… ainsi je change de pensées et de désirs… Plus la nature est belle, plus je voudrais la voir vêtue de deuil, et je crois qu'aujourd'hui mes souhaits ont été exaucés… L'hiver passé, j'étais heureux;… lorsque la terre dormait mortellement, j'étais tranquille; et maintenant… Ah!..

Et cependant, mon ami, je me repose sur la douceur d'être pleuré… A peine au commencement de la vie, je chercherais en vain un été qui m'aura été enlevé par mes passions et mes malheurs. Mais, du moins, ma tombe sera baignée de tes larmes, des larmes de cette femme céleste. Ah! qui voudrait donc céder à un éternel oubli cette existence si tourmentée, qui dit adieu au monde pour toujours, qui abandonne ses crimes, ses espérances, ses illusions, ses douleurs même, sans laisser derrière lui un soupir, un regard? Les personnes qui nous sont chères et qui nous survivent sont encore une partie de nous-mêmes; nos yeux mourants demandent aux leurs quelques larmes de regret; notre cœur se complaît à penser que notre corps sera porté à la tombe par des bras amis, et, prêt à s'éteindre, cherche un cœur à qui léguer son dernier soupir; la nature gémit jusque dans la tombe, et ses gémissements triomphent encore du silence et de l'obscurité de la mort.

Je m'approche du balcon pour admirer la divine lumière du soleil, qui, diminuant peu à peu, ne jette plus sur la terre que quelques rayons faibles et languissants, qui brillent encore à l'horizon; et, dans les ténèbres épaisses, mélancoliques et taciturnes, je contemple l'image de destruction dévoratrice de toutes choses; puis je tourne mes regards vers ce massif de pins plantés par mon frère sur la colline, en face de l'église, et j'y découvre, à travers leurs branches agitées par le vent, la pierre blanchissante qui recouvrira mon tombeau. Il me semble que je te vois y conduire ma mère, qui viendra bénir et pardonner, et je me dis, comme une espérance:

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