Бесплатно

Le fauteuil hanté

Текст
iOSAndroidWindows Phone
Куда отправить ссылку на приложение?
Не закрывайте это окно, пока не введёте код в мобильном устройстве
ПовторитьСсылка отправлена

По требованию правообладателя эта книга недоступна для скачивания в виде файла.

Однако вы можете читать её в наших мобильных приложениях (даже без подключения к сети интернет) и онлайн на сайте ЛитРес.

Отметить прочитанной
Шрифт:Меньше АаБольше Аа

Là-dessus, Martin Latouche se précipita à un piano et se rua sur les touches, parcourant avec une véritable rage toute l'étendue du clavier M. Hippolyte Patard s'attendait à la clameur forcenée de l'instrument. Mais, malgré tout le travail que lui faisait subir son maître, il resta muet. C'était un piano muet, qui ne rend par conséquent aucun son, et que l'on fabrique pour ceux qui veulent s'exercer aux gammes sans gêner l'oreille des voisins.

Martin Latouche dit, la tête en arrière, les boucles des cheveux au vent de son inspiration, les yeux au ciel, et les mains bondissantes:

–J'en joue quelquefois toute la journée… Et il n'a que moi qui l'entends! Mais il est assourdissant!… Oh! c'est un véritable orchestre!…

Et puis, brusquement, il referma le piano et M. Hippolyte Patard vit qu'il pleurait… Alors, M. le secrétaire perpétuel s'approcha de l'amateur de musique.

–Mon ami… fit-il très doucement…

–Oh! vous êtes bon, je sais que vous êtes bon!… répondit Martin Latouche d'une voix brisée… On est heureux d'être d'une Compagnie où il y a un homme comme vous!… Maintenant, vous connaissez toutes mes petites misères… mon petit mystérieux bureau où il y a de si ténébreux rendez-vous… et vous savez pourquoi je suis dans une telle anxiété quand j'apprends que ma vieille Babette a écouté derrière la porte… je l'aime bien, ma gouvernante… mais j'aime bien aussi ma petite guiterne… et je voudrais bien ne me séparer ni de l'une, ni de l'autre… bien que quelquefois ici (et M. Martin Latouche se pencha à l'oreille de M. Patard)… il n'y ait pas de quoi manger… Mais silence! Ah! monsieur le secrétaire perpétuel, vous êtes vieux garçon mais vous n'êtes pas collectionneur!… L'âme d'un collectionneur est terrible pour le corps d'un vieux garçon!… Oui, oui, heureusement que Babette est là!… Mais j'aurai l'orgue de Barbarie tout de même… un orgue qui moud de vieux, vieux airs… un orgue qui a peut-être servi à l'affaire Fualdès elle-même!… Est-ce qu'on sait?…

M. Martin Latouche essuya du revers de sa main son front en sueur…

–Alors, dit-il… Il est bien tard!…

Et avec de grandes précautions, il fit passer M. le secrétaire perpétuel, du petit mystérieux bureau dans la grande bibliothèque. Là, la porte précieuse refermée, il dit encore:

–Oui, bien tard!… Comment êtes-vous venu si tard, monsieur le secrétaire perpétuel?…

–Le bruit courait que vous refusiez le siège de Mgr d'Abbeville. Les journaux du soir l'imprimaient.

–C'est des bêtises! déclara Martin Latouche d'une voix grave et subitement volontaire… des bêtises!… Je vais me remettre tout de suite au triple éloge de Mgr d'Abbeville, de Jehan Mortimar et de Maxime d'Aulnay…

M. Hippolyte Patard dit:

–Demain, j'enverrai une note aux journaux. Mais dites-moi, cher collègue…

–Parlez!… qu'y a-t-il?…

–C'est que je suis peut-être indiscret…

M. Hippolyte Patard semblait en effet très embarrassé…

Il tournait et retournait le manche de son parapluie. Enfin, il se décida…

–Vous m'avez fait tant de confidences que je me risque.

D'abord, je puis vous demander—et cela n'est pas indiscret si vous connaissiez beaucoup MM. Mortimar et d'Aulnay…

Martin Latouche ne répondit point tout d'abord. Il alla prendre sur la table la lampe qu'il tint au-dessus de la tête de M. Hippolyte Patard:

–Je vais vous accompagner, dit-il, monsieur le secrétaire perpétuel, jusqu'à la porte de la rue, à moins que vous n'ayez crainte de mauvaises rencontres, auquel cas je vous accompagnerai jusque chez vous… mais le quartier malgré son air lugubre, est très tranquille…

–Non! non! mon cher collègue… je vous en prie, ne vous dérangez pas!…

–C'est comme vous voulez! dit Martin Latouche sans insister… Je vous éclaire…

Ils étaient maintenant sur le palier: le nouvel académicien répondit alors à la question qui lui avait été posée:

–Oui, oui, certainement… je connaissais beaucoup Jehan Mortimar… et Maxime d'Aulnay… nous étions de vieux amis… d'anciens camarades… et quand nous nous sommes trouvés sur le même rang pour le fauteuil de Mgr d'Abbeville… nous avons décidé de laisser faire les choses, de ne point intriguer et nous nous réunîmes parfois pour causer de la situation… tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre… L'histoire des menaces d'Eliphas, après l'élection de Mortimar, fut pour nous un sujet de conversation plutôt amusant…

–Cette conversation a épouvanté notre Babette… Et c'est là, mon cher collègue, que je vais peut-être montrer de l'indiscrétion… De quel crime parliez-vous donc quand vous disiez: «Non! Non! ça n'est pas possible! Il n'aurait pas de plus grand crime au monde»?

Martin Latouche fit descendre quelques degrés à M. Hippolyte Patard en le priant de bien tâter l'escalier du talon…

–Eh bien, mais!… répondit-il encore. (Oh! il n'y a aucune indiscrétion! Aucune! vous voulez rire!) Eh bien, mais, je vous ai déjà dit que Maxime d'Aulnay, bien qu'il en plaisantât, avait été touché au fond par les paroles menaçantes d'Eliphas qui avait disparu après les avoir prononcées… Ce jour-là, Maxime d'Aulnay tout en félicitant Mortimar de son élection, qui avait eu lieu deux jours auparavant, avait conseillé, toujours en plaisantant, naturellement, à ce pauvre Mortimar qui songeait déjà à son discours de réception, de se tenir sur ses gardes, car la vengeance du sâr le guettait. Celui-ci n'avait-il point annoncé que le fauteuil de Mgr d'Abbeville serait fatal à celui qui oserait s'y asseoir?… Alors, moi, je ne trouvai rien de mieux…—attention à cette marche, monsieur le secrétaire perpétuel—je ne trouvai rien de mieux que de renchérir sur cette sorte de jeu…—prenez garde, là… nous sommes sous la voûte—et je m'écriai—tournez à gauche, monsieur le secrétaire perpétuel—et je m'écriai avec emphase: «Non! Non! ça n'est pas possible! Il n'aurait pas de plus grand crime au monde.»—Là, nous sommes arrivés…

Les deux hommes étaient en effet sous la grande porte…

Martin Latouche tira bruyamment de lourds barreaux de fer, fit tourner une clef énorme, et, tirant la porte à lui, regarda sur la place.

–Tout est tranquille! dit-il, tout le monde dort… voulez-vous que je vous accompagne, mon cher secrétaire perpétuel?

–Non! Non! je suis stupide! Je suis un pauvre homme stupide! Ah! mon cher collègue, permettez-moi de vous serrer une dernière fois la main…

–Comment! Une dernière fois!… Est-ce que vous croyez que je vais mourir comme les autres?… Ah! je n'y tiens pas, moi!… Et puis, je n'ai pas de maladie de cœur!…

–Non! Non!… je suis stupide… il faut espérer que des temps moins tristes viendront, et que nous pourrons un jour bien rire de tout cela!… Allons! adieu, mon cher nouveau collègue!… adieu!… Et encore une fois, toutes mes félicitations…

Le cœur brave et tout à fait réconforté, M. Hippolyte Patard, le parapluie en arrêt, prenait déjà le Pont-Neuf, quand Martin Latouche l'appela:

–Psst!… Encore un mot!… N'oubliez pas que tout cela, c'est mes petits secrets!…

–Ah! vous ne me connaissez pas!… Il est entendu que je ne vous ai pas vu ce soir! Bonne nuit, mon cher ami!…

V. Expérience nº 3

Le grand jour arriva. Il avait été fixé par l'Académie le quinzième qui suivit les obsèques solennelles de Maxime d'Aulnay L'illustre Compagnie n'avait pas voulu que la situation regrettable où l'avait mise la triste fin des deux précédents récipiendaires se prolongeât. Elle tenait à en finir le plus vite possible avec tous les bruits absurdes que les disciples d'Eliphas de La Nox, les amis de la belle Mme de Bithynie et de tout le club des Pneumatiques (de pneuma, âme) n'avaient cessé de faire courir Quant au sâr lui-même, il semblait avoir disparu de la surface de la terre. Tous les efforts faits pour le joindre n'avaient abouti à rien. Les meilleurs reporters lancés sur sa trace étaient revenus bredouilles et cette absence prolongée était devenue facilement le principal sujet d'inquiétude, car, de toute évidence, le sâr se cachait; et pourquoi se cachait-il?

D'autre part, il est juste de reconnaître tout de suite que les cervelles généralement bien portantes, après l'émoi du premier ou plutôt du second moment, émoi qui les avait, elles aussi, fait un peu divaguer (mais où sont les cervelles qui, même en bonne santé, par instants, ne divaguent point?), que ces cervelles, dis-je, la crise passée, avaient retrouvé un parfait équilibre.

Ainsi, le plus tranquille des hommes, depuis son émouvant et mystérieux entretien avec Martin Latouche, était M. Hippolyte Patard. Même il avait retrouvé sa jolie couleur rose.

Mais, quand le grand jour de la réception de Martin Latouche arriva, la curiosité chez les uns et chez les autres, chez les sages aussi bien que chez les fous, fut déchaînée.

La foule qui se rua à l'assaut de la coupole l'emplit d'abord et puis resta à en battre les approches, débordant sur les quais et dans les rues adjacentes, interrompant toute circulation.

A l'intérieur dans la grande salle des séances publiques, tout le monde était debout, hommes et femmes s'écrasant.

Au fur et à mesure que les minutes s'écoulaient (les minutes qui précédaient l'ouverture de la séance), le silence, au-dessus de l'effroyable cohue, se faisait plus pesant, plus terrible.

On avait remarqué que la belle Mme de Bithynie s'était abstenue de paraître à la solennité. On en avait tiré le plus affreux augure… Certes, s'il devait arriver quelque chose, elle avait bien fait de ne pas se montrer, car elle eût été mise en pièces par une foule sur laquelle un vent de démence était prêt à souffler!

A la place que cette dame occupait à la précédente séance se tenait un monsieur correct, au ventre bourgeois, dont l'aimable rebondissement s'adornait d'une belle épaisse chaîne d'or Il était debout, l'extrémité des doigts de ses deux mains glissée dans les deux poches de son gilet. Sa figure n'était point celle du génie, mais elle n'était pas inintelligente, loin de là. Le front chauve faisait oublier, par l'absence de tout subterfuge capillaire, qu'il était bas. Un binocle en or chevauchait un nez commun. M. Gaspard Lalouette (c'était lui) n'était point myope, mais il ne lui déplaisait pas de laisser penser autour de lui que sa vue s'était usée aux travaux de lettres, à l'instar des grands écrivains.

 

Son émotion n'était pas moindre que celle des gens qui l'entouraient et un petit tic nerveux ne cessait de lui soulever, assez drolatiquement, l'arcade sourcilière. Il regardait la place où Martin Latouche allait prononcer son discours.

Une minute! Une minute encore! Et le président allait ouvrir la séance… si… si Martin Latouche arrivait… car il n'était pas là… Ses parrains en vain l'attendaient… se tenant à la porte anxieux, désolés, et retournant vingt fois la tête.

Aurait-il reculé au dernier moment?… aurait-il eu peur?…

C'est ce que se demandait M. Hippolyte Patard qui, à cette pensée, reprit toute sa couleur citron…

Ah! quelle existence!… quelle existence pour M. le secrétaire perpétuel!

En voilà un—M. le secrétaire perpétuel—qui eût voulu voir la cérémonie terminée… heureusement terminée!…

Soudain, M. Hippolyte Patard se leva tout droit, l'oreille tendue vers une lointaine clameur… Une clameur venue du dehors… qui approchait… qui courait… une clameur d'enthousiasme, sans doute, accompagnant Martin Latouche…

–C'est lui! dit M. Hippolyte Patard tout haut.

Mais le bruit fait de cris, de rumeurs et de remous de foules, grossissait dans des proportions menaçantes, et maintenant, il n'était rien moins que rassurant.

Mais on était dans l'impossibilité de comprendre ce qu'ils criaient dehors!…

Et toute la salle qui aspirait jusqu'alors, par des centaines et des centaines de bouches, la même émotion, dans un même souffle, cessa tout à coup de respirer!

Une tempête sembla entourer la Coupole… La vague populaire battit les murs, fit claquer des portes… des soldats, des gardes reculèrent jusque dans la salle… Et l'on commença de distinguer, parmi tant de tumulte, une sorte de grondement particulier. C'était comme un infini gémissement lugubre.

M. Hippolyte Patard sentit ses cheveux se dresser sur sa tête.

Et une façon de bête humaine, un paquet monstrueux roula, jupes en loques, corsage arraché, le tout surmonté d'une chevelure de Gorgone que des poings crispés arrachaient, pendant qu'une bouche, qu'on ne voyait pas hurlait:

–Monsieur le Perpétuel! Monsieur le Perpétuel!… Il est mort!… vous me l'avez tué!…

VI. La chanson qui tue

L'auteur de ce cruel ouvrage renonce à donner une idée de la cohue sans nom qui suivit ce coup de théâtre.

Ainsi, Martin Latouche était mort! Mort comme les autres!

Non point en prononçant son discours de réception sous la Coupole, mais dans le moment même où il allait se rendre à l'Académie pour le lire, alors qu'il se disposait, en somme, comme les deux autres, à prendre possession du fauteuil de Mgr d'Abbeville!

Si l'émotion de l'assistance, autour de la vieille Babette, hurlante, toucha à la folie, celle de la foule, au-dehors, et dans tout Paris ensuite, ne connut guère de bornes plus raisonnables.

Il faut, pour se la rappeler dans toute son intégrité, relire les journaux qui parurent le lendemain de cette nouvelle et abominable catastrophe. Une note de la rédaction du journal L'Époque (N.D.L.R.) fait entrevoir assez exactement l'état des esprits.

La voici:

«La série continue! Après Jehan Mortimar après Maxime d'Aulnay, voici Martin Latouche qui meurt sur le seuil de l'immortalité, et le fauteuil de Mgr d'Abbeville reste toujours inoccupé! La nouvelle de la fin subite du troisième académicien qui tenta de s'asseoir à la place que convoita le mystérieux Eliphas s'est répandue hier soir dans Paris avec la rapidité et la brutalité de la foudre. Et nous ne saurions mieux faire, en vérité, que d'appeler à notre secours le tonnerre lui-même, pour donner une idée de ce qui se passa dans la capitale, pendant les quelques heures qui suivirent l'incroyable événement. Certains parurent frappés comme du feu du ciel, et, ayant perdu l'esprit, se répandirent dans les rues, dans les cafés, au théâtre, dans les salons, en tenant de tels propos imbéciles, qu'on se demande comment il peut se trouver dans la ville Lumière, à notre époque, des gens sensés pour les écouter Ah! nous ne perdrons point notre temps à répéter ici toutes les bêtises qui ont été proférées! Et ce M. Eliphas de Saint-Elme de Taillebourg de La Nox, au fond de sa monstrueuse retraite, doit bien s'amuser Quant à nous, nous avons fini de rire. Nous proclamons hautement notre opinion que nous n'avions que laissé pressentir après la mort de Maxime d'Aulnay… Non! non! Toutes ces morts-là ne sont point naturelles! On a pu ne pas s'étonner de la première, on a pu hésiter à la seconde, il serait criminel de douter à la troisième! Mais entendons-nous bien: quand nous disons que ces morts ne sont point naturelles, nous ne voulons point faire allusion à quelque puissance occulte qui, en dehors des lois naturelles connues, aurait frappé! Nous laissons ces balivernes aux petites dames du club des Pneumatiques, et nous venons catégoriquement dire à M. le procureur de la République: Il y a un assassin là-dessous, trouvez-le!» La presse fut à peu près unanime, obéissant en cela à l'opinion générale, qui était que les trois académiciens avaient été empoisonnés, à réclamer l'intervention des pouvoirs publics; et, bien que les médecins qui avaient examiné le corps du défunt eussent déclaré que Martin Latouche—en dépit d'une apparence assez robuste—était mort d'une vieillesse hâtive et épuisée, le Parquet dut, pour calmer les esprits soulevés, ouvrir une enquête.

La première personne interrogée fut naturellement la vieille Babette qui, le jour fatal, avait été ramenée chez elle évanouie, pendant que des amis dévoués transportaient à son domicile M. Hippolyte Patard dans un bien fâcheux état. Et voici comment la Babette, qui ne pensait plus qu'à venger son maître, raconta la mort vraiment singulière de ce pauvre Martin Latouche.

–Depuis quelque temps, mon maître ne vivait plus que du compliment qu'il devait faire et je l'entendais qui parlait de leur Mgr d'Abbeville, et aussi du Mortimar et aussi du d'Aulnay comme si c'étaient des bons dieux en sucre. Et souvent, il se mettait devant son armoire à glace, comme un vrai comédien. A son âge, ça faisait pitié, et je n'aurais pas manqué de lui rire au nez, si je n'avais pas été tracassée par les paroles du sorcier dont ils n'avaient pas voulu pour leur damnée Académie. Le sorcier en avait déjà tué deux. Je ne pensais qu'à une chose, c'est qu'il allait tuer mon maître comme les autres. Ça, je l'avais dit à M. le Perpétuel entre les quatre z'yeux. Mais il ne m'avait pas écoutée, parce qu'il lui fallait, paraît-il, son académicien. Aussi, chaque fois que je voyais mon maître répéter son compliment, je me jetais à ses pieds, j'embrassais ses genoux, je pleurais comme une folle, je le suppliais à mains jointes d'envoyer sa démission à M. le Perpétuel. J'avais des hantises qui ne m'ont pas trompée. La preuve, c'est que je rencontrais presque tous les jours un vielleux qui jouait d'un orgue de Barbarie; je suis de Rodez: un vielleux, ça porte malheur depuis l'affaire de ce pauvre.

«M. Fualdès. Ça aussi, je l'avais dit à M. le Perpétuel, mais ça avait été comme si je chantais.

«Alors je m'étais dit: Babette, tu ne quitteras plus ton maître! Et tu le défendras jusqu'au dernier moment! Alors, le jour du compliment, j'avais fait toilette, et je le guettais dans ma cuisine, la porte ouverte, attendant qu'il passe sous la voûte, décidée à l'accompagner à cette Académie de malheur au bout du monde, partout! Je l'attendais donc, mais il ne venait pas… Il y avait bien un quart d'heure qu'il aurait dû être passé!… J'étais en train de m'impatienter quand, tout à coup, qu'est-ce que j'entends?… l'air du crime!… l'air qui avait tué ce pauvre M. Fualdès!… Oui!… le vielleux était quelque part encore autour de la maison, à faire chanter sa manivelle!… J'en ai eu une sueur froide… Il n'y avait pas à dire, ça, c'était une indication!… On m'aurait récité aux oreilles la prière des trépassés que je n'en aurais pas été plus impressionnée… Je me dis: «vlà l'heure de l'Académie qui sonne… l'heure de la mort!…» et j'ai ouvert la fenêtre pour voir si le vielleux était dans la rue et le faire taire… mais il n'y avait personne dans la rue… Je suis sortie de ma cuisine… Personne sous la voûte!… personne dans la cour… et l'air chantait toujours… Il me venait d'en haut maintenant…

«Peut-être bien que le vielleux était dans l'escalier… personne dans l'escalier… au premier étage… rien! Rien que l'air de ce pauvre M. Fualdès qui me poursuivait toujours… et plus j'allais, plus je l'entendais… J'ai ouvert la porte de la bibliothèque… on aurait cru que la chanson était derrière les livres!… Mon maître n'était pas là!… Il devait être dans son petit bureau où que je n'entre jamais!… J'écoutais… L'air du crime était dans le petit bureau!… Ah!… Était-ce Dieu possible!… J'approchai de la porte en retenant mon cœur qui éclatait… l'appelai: «Monsieur! Monsieur!…» Il ne m'a pas répondu… L'air tournait toujours… derrière la porte de son petit bureau… Ah! que c'était triste!… C'était un air si triste qu'on n'en respirait plus et que les larmes vous en venaient aux yeux… un air qui avait l'air de pleurer tous ceux qu'on avait assassinés depuis le commencement du monde!… J'ai appuyé mes mains à la porte pour ne pas tomber. La porte s'est ouverte… Dans le même moment il y a eu comme un grand grincement de déclenchement dans la manivelle de la musique de l'air du crime. Ça m'a comme déchiré le cœur et les oreilles!… Et puis, j'ai failli tomber dans le petit bureau, tant j'étais étourdie… Mais ce que j'ai vu m'a remise sur mes pattes plus droite qu'une statue. Au milieu d'un tas d'instruments que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam, et qui sont certainement arrivés dans ce petit bureau avec la permission du diable, mon maître était penché sur l'orgue du vielleux. Ah! je l'ai bien reconnu! C'était l'orgue qui tournait la chanson du crime… mais le vielleux n'était pas là!… Mon maître avait encore la main à la manivelle… Je me suis jetée sur lui, et il a cédé!… Il est tombé tout de son long sur le parquet:.. Il a fait floc!… Mon pauvre maître était mort… assassiné par la «chanson qui tue»!…»

Ce récit rapproché de ce que racontaient sous le manteau certains habitués du club des Pneumatiques produisit un effet étrange et l'opinion publique ne fut point satisfaite par les explications trop naturelles que fournit l'enquête sur un si bizarre événement.

L'enquête montra le vieux Martin Latouche comme un maniaque qui s'enlevait le pain de la bouche pour pouvoir enrichir, en secret, sa collection. On raconta même qu'il se privait des déjeuners qu'il était censé prendre dehors, pour en économiser les quelques sous qu'il gaspillait ensuite chez les antiquaires et les marchands de vieux instruments de musique.

C'est ainsi, de toute évidence, que le fameux orgue était arrivé chez lui, en dépit de la surveillance de Babette; et c'est dans le moment qu'il en essayait la manivelle, qu'il était tombé, épuisé par le régime d'abstinence auquel il s'astreignait depuis trop longtemps.

Mais on refusa d'admettre une version qui était trop simple pour être vraie, et les journaux exigèrent que la police se mît à la poursuite du vielleux.

Malheureusement, celui-ci resta aussi introuvable que l'Eliphas lui-même. D'où il résulta, comme on devait s'y attendre, que certains reporters affirmèrent qu'Eliphas et le vielleux ne faisaient qu'un—qu'un seul et même assassin.

NUL n'osa trop haut s'élever contre cette opinion, car après tout, il restait la coïncidence des trois morts, et si chacune, en elle-même, paraissait naturelle, il était bien certain que toutes trois réunies étaient faites pour épouvanter.

Enfin, on réclama l'autopsie. C'était là une triste extrémité à laquelle il fallut se résoudre. Malgré toutes les démarches et toute l'influence des plus gros bonnets de l'Institut, on rouvrit les cercueils encore tout frais de Jehan Mortimar et de Maxime d'Aulnay.

Les médecins légistes ne trouvèrent aucune trace de poison. Le corps de Jehan Mortimar ne présenta, à l'examen, rien de particulier. On releva, cependant, sur le visage de Maxime d'Aulnay, certains stigmates qui, en toute autre occasion, eussent passé inaperçus, et que l'on pouvait attribuer à la décomposition normale des chairs. On eût dit des brûlures légères qui auraient laissé une sorte de trace étoffée sur le visage. En y regardant de très près, on pouvait distinguer sur la face de Maxime d'Aulnay affirmèrent deux médecins sur trois (car le troisième n'y voyait rien du tout), comme un aspect de soleil de sacristie.

 

Les médecins légistes avaient, bien entendu, examiné également le corps de Martin Latouche, et ils n'avaient relevé d'autres traces que celle d'une hémorragie nasale très faible, qui s'était également répandue par la bouche. En somme, il y avait, au bout du nez, et à la commissure de la bouche, du côté où était incliné le cadavre, un petit filet de sang qui s'était coagulé.

En vérité, cette hémorragie avait dû être produite par la chute du corps sur le parquet, mais, lancés comme étaient les esprits, on ne manqua point encore d'attacher à ces insignifiants stigmates une importance mystérieuse destinée à laisser planer sur le triple décès une légende criminelle qui s'empara définitivement de la foule.

Des experts avaient travaillé consciencieusement les deux lettres menaçantes qui avaient été remises en pleine Académie aux deux premiers récipiendaires, et ils avaient déclaré que ces lettres n'étaient point de l'écriture de M. Eliphas de La Nox, écriture dont ils avaient été préalablement authentiquement munis. Mais il se trouva justement des gens pour prétendre que les experts s'étaient trop souvent trompés en affirmant qu'une écriture était authentique, pour qu'ils ne se trompassent point en prétendant qu'elle ne l'était point.

Enfin, restait l'orgue de Barbarie. Un expert antiquaire, qui faisait quelquefois commerce de Stradivarius plus ou moins vraisemblables, demanda à voir l'instrument.

On le lui permit, dans le dessein de calmer les cervelles exaltées qui imaginaient que cette vieille boîte, qui jouait de la musique pendant que Martin Latouche expirait, ne devait pas être un orgue ordinaire et qu'un homme comme l'Eliphas y avait peut-être caché l'instrument, ou mieux, le moyen mystérieux de son crime. L'antiquaire examina l'orgue sur toutes les coutures et joua même l'air du crime, comme disait Babette.

–Eh bien, lui demanda-t-on, est-ce là un orgue comme les autres?

–Non, répondit-il, ce n'est point un orgue comme les autres… c'est une des pièces les plus curieuses et les plus anciennes qui nous soient venues d'Italie.

–Enfin, y avez-vous découvert quelque chose d'anormal?

–Je n'ai rien découvert d'anormal.

–Croyez-vous cet orgue complice du crime?

–Je n'en sais rien, répondit d'une façon bien ambiguë l'antiquaire, je n'étais pas là au moment du grand grincement de déclenchement dans la manivelle de la musique de l'air du crime.

–Mais vous croyez donc qu'il y a eu crime?

–Euh! Euh!

On essaya en vain de demander à cet homme ce qu'il voulait dire avec son «Euh! Euh!…» Il s'en tint à: «Euh! Euh!»

Cet expert, avec son «Euh! Euh!», finit de jeter la perturbation dans les consciences.

Il faisait aussi profession de vendre des tableaux; il habitait rue Laffitte et s'appelait M. Gaspard Lalouette.

Купите 3 книги одновременно и выберите четвёртую в подарок!

Чтобы воспользоваться акцией, добавьте нужные книги в корзину. Сделать это можно на странице каждой книги, либо в общем списке:

  1. Нажмите на многоточие
    рядом с книгой
  2. Выберите пункт
    «Добавить в корзину»