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Читать книгу: «Le mystère de la chambre jaune», страница 13

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XXII
Le cadavre incroyable

Je me penchai, avec une anxiété inexprimable, sur le corps du reporter, et jeus la joie de constater quil dormait! Il dormait de ce sommeil profond et maladif dont javais vu sendormir Frédéric Larsan. Lui aussi était victime du narcotique que lon avait versé dans nos aliments. Comment, moi-même, navais-je point subi le même sort! Je réfléchis alors que le narcotique avait dû être versé dans notre vin ou dans notre eau, car ainsi tout sexpliquait: «je ne bois pas en mangeant.» Doué par la nature dune rotondité prématurée, je suis au régime sec, comme on dit. Je secouai avec force Rouletabille, mais je ne parvenais point à lui faire ouvrir les yeux. Ce sommeil devait être, à nen point douter, le fait de Mlle Stangerson.

Celle-ci avait certainement pensé que, plus que son père encore, elle avait à craindre la veille de ce jeune homme qui prévoyait tout, qui savait tout! Je me rappelai que le maître dhôtel nous avait recommandé, en nous servant, un excellent Chablis qui, sans doute, avait passé sur la table du professeur et de sa fille.

Plus dun quart dheure sécoula ainsi. Je me résolus, en ces circonstances extrêmes, où nous avions tant besoin dêtre éveillés, à des moyens robustes. Je lançai à la tête de Rouletabille un broc deau. Il ouvrit les yeux, enfin! de pauvres yeux mornes, sans vie et ni regard. Mais nétait-ce pas là une première victoire? Je voulus la compléter; jadministrai une paire de gifles sur les joues de Rouletabille, et le soulevai. Bonheur! je sentis quil se raidissait entre mes bras, et je lentendis qui murmurait: «Continuez, mais ne faites pas tant de bruit! …» Continuer à lui donner des gifles sans faire de bruit me parut une entreprise impossible. Je me repris à le pincer et à le secouer, et il put tenir sur ses jambes. Nous étions sauvés! … «On ma endormi, fit-il… Ah! Jai passé un quart dheure abominable avant de céder au sommeil… Mais maintenant, cest passé! Ne me quittez pas! …»

Il navait pas plus tôt terminé cette phrase que nous eûmes les oreilles déchirées par un cri affreux qui retentissait dans le château, un véritable cri de la mort…

«Malheur! hurla Rouletabille… nous arrivons trop tard! …»

Et il voulut se précipiter vers la porte; mais il était tout étourdi et roula contre la muraille. Moi, jétais déjà dans la galerie, le revolver au poing, courant comme un fou du côté de la chambre de Mlle Stangerson. Au moment même où jarrivais à lintersection de la galerie tournante et de la galerie droite, je vis un individu qui séchappait de lappartement de Mlle Stangerson et qui, en quelques bonds, atteignit le palier.

Je ne fus pas maître de mon geste: je tirai… le coup de revolver retentit dans la galerie avec un fracas assourdissant; mais lhomme, continuant ses bonds insensés, dégringolait déjà lescalier. Je courus derrière lui, en criant: «Arrête! arrête! ou je te tue! …» Comme je me précipitais à mon tour dans lescalier, je vis en face de moi, arrivant du fond de la galerie, aile gauche du château, Arthur Rance qui hurlait: «Quy a-t-il? … Quy a-t-il? …» Nous arrivâmes presque en même temps au bas de lescalier, Arthur Rance et moi; la fenêtre du vestibule était ouverte; nous vîmes distinctement la forme de lhomme qui fuyait; instinctivement, nous déchargeâmes nos revolvers dans sa direction; lhomme nétait pas à plus de dix mètres devant nous; il trébucha et nous crûmes quil allait tomber; déjà nous sautions par la fenêtre; mais lhomme se reprit à courir avec une vigueur nouvelle; jétais en chaussettes, lAméricain était pieds nus; nous ne pouvions espérer latteindre «si nos revolvers ne latteignaient pas»! Nous tirâmes nos dernières cartouches sur lui; il fuyait toujours… Mais il fuyait du côté droit de la cour dhonneur vers lextrémité de laile droite du château, dans ce coin entouré de fossés et de hautes grilles doù il allait lui être impossible de séchapper, dans ce coin qui navait dautre issue, «devant nous», que la porte de la petite chambre en encorbellement occupée maintenant par le garde.

Lhomme, bien quil fût inévitablement blessé par nos balles, avait maintenant une vingtaine de mètres davance. Soudain, derrière nous, au-dessus de nos têtes, une fenêtre de la galerie souvrit et nous entendîmes la voix de Rouletabille qui clamait, désespérée:

«Tirez, Bernier! Tirez!»

Et la nuit claire, en ce moment, la nuit lunaire, fut encore striée dun éclair.

À la lueur de cet éclair, nous vîmes le père Bernier, debout avec son fusil, à la porte du donjon.

Il avait bien visé. «Lombre tomba.» Mais, comme elle était arrivée à lextrémité de laile droite du château, elle tomba de lautre côté de langle de la bâtisse; cest-à-dire que nous vîmes quelle tombait, mais elle ne sallongea définitivement par terre que de cet autre côté du mur que nous ne pouvions pas voir. Bernier, Arthur Rance et moi, nous arrivions de cet autre côté du mur, vingt secondes plus tard. «Lombre était morte à nos pieds.»

Réveillé évidemment de son sommeil léthargique par les clameurs et les détonations, Larsan venait douvrir la fenêtre de sa chambre et nous criait, comme avait crié Arthur Rance: «Quy a-t-il? … Quy a-t-il? …»

Et nous, nous étions penchés sur lombre, sur la mystérieuse ombre morte de lassassin. Rouletabille, tout à fait réveillé maintenant, nous rejoignit dans le moment, et je lui criai:

«Il est mort! Il est mort! …

– Tant mieux, fit-il… Apportez-le dans le vestibule du château…

Mais il se reprit:

«Non! non! Déposons-le dans la chambre du garde! …»

Rouletabille frappa à la porte de la chambre du garde… Personne ne répondit de lintérieur… ce qui ne métonna point, naturellement.

«Évidemment, il nest pas là, fit le reporter, sans quoi il serait déjà sorti! … Portons donc ce corps dans le vestibule…»

Depuis que nous étions arrivés sur «lombre morte», la nuit sétait faite si noire, par suite du passage dun gros nuage sur la lune, que nous ne pouvions que toucher cette ombre sans en distinguer les lignes. Et cependant, nos yeux avaient hâte de savoir! Le père Jacques, qui arrivait, nous aida à transporter le cadavre jusque dans le vestibule du château. Là, nous le déposâmes sur la première marche de lescalier. Javais senti, sur mes mains, pendant ce trajet, le sang chaud qui coulait des blessures…

Le père Jacques courut aux cuisines et en revint avec une lanterne. Il se pencha sur le visage de «lombre morte», et nous reconnûmes le garde, celui que le patron de lauberge du «Donjon» appelait «lhomme vert» et que, une heure auparavant, javais vu sortir de la chambre dArthur Rance, chargé dun ballot. Mais, ce que javais vu, je ne pouvais le rapporter quà Rouletabille seul, ce que je fis du reste quelques instants plus tard.

………………………………………………………….……………………………

Je ne saurais passer sous silence limmense stupéfaction – je dirai même le cruel désappointement – dont firent preuve Joseph Rouletabille et Frédéric Larsan, lequel nous avait rejoint dans le vestibule. Ils tâtaient le cadavre… ils regardaient cette figure morte, ce costume vert du garde… et ils répétaient, lun et lautre: «Impossible! … cest impossible!»

Rouletabille sécria même:

«Cest à jeter sa tête aux chiens!»

Le père Jacques montrait une douleur stupide accompagnée de lamentations ridicules. Il affirmait quon sétait trompé et que le garde ne pouvait être lassassin de sa maîtresse. Nous dûmes le faire taire. On aurait assassiné son fils quil neût point gémi davantage, et jexpliquai cette exagération de bons sentiments par la peur dont il devait être hanté que lon crût quil se réjouissait de ce décès dramatique; chacun savait, en effet, que le père Jacques détestait le garde. Je constatai que seul, de nous tous qui étions fort débraillés ou pieds nus ou en chaussettes, le père Jacques était entièrement habillé.

Mais Rouletabille navait pas lâché le cadavre; à genoux sur les dalles du vestibule, éclairé par la lanterne du père Jacques, il déshabillait le corps du garde! … Il lui mit la poitrine à nu. Elle était sanglante.

Et, soudain, prenant, des mains du père Jacques, la lanterne, il en projeta les rayons, de tout près, sur la blessure béante. Alors, il se releva et dit sur un ton extraordinaire, sur un ton dune ironie sauvage:

«Cet homme que vous croyez avoir tué à coups de revolver et de chevrotines est mort dun coup de couteau au coeur!»

Je crus, une fois de plus, que Rouletabille était devenu fou et je me penchai à mon tour sur le cadavre. Alors je pus constater quen effet le corps du garde ne portait aucune blessure provenant dun projectile, et que, seule, la région cardiaque avait été entaillée par une lame aiguë.

XXIII
La double piste

Je nétais pas encore revenu de la stupeur que me causait une pareille découverte quand mon jeune ami me frappa sur lépaule et me dit:

«Suivez-moi!

– Où, lui demandai-je?

– Dans ma chambre.

– Quallons-nous y faire?

– Réfléchir.»

Javouai, quant à moi, que jétais dans limpossibilité totale, non seulement de réfléchir, mais encore de penser; et, dans cette nuit tragique, après des événements dont lhorreur nétait égalée que par leur incohérence, je mexpliquais difficilement comment, entre le cadavre du garde et Mlle Stangerson peut-être à lagonie, Joseph Rouletabille pouvait avoir la prétention de «réfléchir». Cest ce quil fit cependant, avec le sang-froid des grands capitaines au milieu des batailles. Il poussa sur nous la porte de sa chambre, mindiqua un fauteuil, sassit posément en face de moi, et, naturellement, alluma sa pipe. Je le regardais réfléchir… et je mendormis. Quand je me réveillai, il faisait jour. Ma montre marquait huit heures. Rouletabille nétait plus là. Son fauteuil, en face de moi, était vide. Je me levai et commençai de métirer les membres quand la porte souvrit et mon ami rentra. Je vis tout de suite à sa physionomie que, pendant que je dormais, il navait point perdu son temps.

«Mlle Stangerson? demandai-je tout de suite.

– Son état, très alarmant, nest pas désespéré.

– Il y a longtemps que vous avez quitté cette chambre?

– Au premier rayon de laube.

– Vous avez travaillé?

– Beaucoup.

– Découvert quoi?

– Une double empreinte de pas très remarquable «et qui aurait pu me gêner…»

– Elle ne vous gêne plus?

– Non.

– Vous explique-t-elle quelque chose?

– Oui.

– Relativement au «cadavre incroyable» du garde?

– Oui; ce cadavre est tout à fait «croyable», maintenant. Jai découvert ce matin, en me promenant autour du château, deux sortes de pas distinctes dont les empreintes avaient été faites cette nuit en même temps, côte à côte. Je dis: «en même temps»; et, en vérité, il ne pouvait guère en être autrement, car, si lune de ces empreintes était venue après lautre, suivant le même chemin, elle eût souvent «empiété sur lautre», ce qui narrivait jamais. Les pas de celui-ci ne marchaient point sur les pas de celui-là. Non, cétaient des pas «qui semblaient causer entre eux». Cette double empreinte quittait toutes les autres empreintes, vers le milieu de la cour dhonneur, pour sortir de cette cour et se diriger vers la chênaie. Je quittais la cour dhonneur, les yeux fixés vers ma piste, quand je fus rejoint par Frédéric Larsan. Immédiatement, il sintéressa beaucoup à mon travail, car cette double empreinte méritait vraiment quon sy attachât. On retrouvait là la double empreinte des pas de laffaire de la «Chambre Jaune»: les pas grossiers et les pas élégants; mais, tandis que, lors de laffaire de la «Chambre Jaune», les pas grossiers ne faisaient que joindre au bord de létang les pas élégants, pour disparaître ensuite – dont nous avions conclu, Larsan et moi, que ces deux sortes de pas appartenaient au même individu qui navait fait que changer de chaussures – ici, pas grossiers et pas élégants voyageaient de compagnie. Une pareille constatation était bien faite pour me troubler dans mes certitudes antérieures. Larsan semblait penser comme moi; aussi, restions- nous penchés sur ces empreintes, reniflant ces pas comme des chiens à laffût.

«Je sortis de mon portefeuille mes semelles de papier. La première semelle, qui était celle que javais découpée sur lempreinte des souliers du père Jacques retrouvés par Larsan, cest-à-dire sur lempreinte des pas grossiers, cette première semelle, dis-je, sappliqua parfaitement à lune des traces que nous avions sous les yeux, et la seconde semelle, qui était le dessin des «pas élégants», sappliqua également sur lempreinte correspondante, mais avec une légère différence à la pointe. En somme, cette trace nouvelle du pas élégant ne différait de la trace du bord de létang que par la pointe de la bottine. Nous ne pouvions en tirer cette conclusion que cette trace appartenait au même personnage, mais nous ne pouvions non plus affirmer quelle ne lui appartenait pas. Linconnu pouvait ne plus porter les mêmes bottines.

«Suivant toujours cette double empreinte, Larsan et moi, nous fûmes conduits à sortir bientôt de la chênaie et nous nous trouvâmes sur les mêmes bords de létang qui nous avaient vus lors de notre première enquête. Mais, cette fois, aucune des traces ne sy arrêtait et toutes deux, prenant le petit sentier, allaient rejoindre la grande route dÉpinay. Là, nous tombâmes sur un macadam récent qui ne nous montra plus rien; et nous revînmes au château, sans nous dire un mot.

«Arrivés dans la cour dhonneur, nous nous sommes séparés; mais, par suite du même chemin quavait pris notre pensée, nous nous sommes rencontrés à nouveau devant la porte de la chambre du père Jacques. Nous avons trouvé le vieux serviteur au lit et constaté tout de suite que les effets quil avait jetés sur une chaise étaient dans un état lamentable, et que ses chaussures, des souliers tout à fait pareils à ceux que nous connaissions, étaient extraordinairement boueux. Ce nétait certainement point en aidant à transporter le cadavre du garde, du bout de cour au vestibule, et en allant chercher une lanterne aux cuisines, que le père Jacques avait arrangé de la sorte ses chaussures et trempé ses habits, puisque alors il ne pleuvait pas. Mais il avait plu avant ce moment-là et il avait plu après.

«Quant à la figure du bonhomme, elle nétait pas belle à voir. Elle semblait refléter une fatigue extrême, et ses yeux clignotants nous regardèrent, dès labord, avec effroi.

«Nous lavons interrogé. Il nous a répondu dabord quil sétait couché immédiatement après larrivée au château du médecin que le maître dhôtel était allé quérir; mais nous lavons si bien poussé, nous lui avons si bien prouvé quil mentait, quil a fini par nous avouer quil était, en effet, sorti du château. Nous lui en avons, naturellement, demandé la raison; il nous a répondu quil sétait senti mal à la tête, et quil avait eu besoin de prendre lair, mais quil nétait pas allé plus loin que la chênaie. Nous lui avons alors décrit tout le chemin quil avait fait, aussi bien que si nous lavions vu marcher. Le vieillard se dressa sur son séant et se prit à trembler.

«—Vous nétiez pas seul!» sécria Larsan.

«Alors, le père Jacques:

«—Vous lavez donc vu?

«—Qui? demandai-je.

«– Mais le fantôme noir!»

«Sur quoi, le père Jacques nous conta que, depuis quelques nuits, il voyait le fantôme noir. Il apparaissait dans le parc sur le coup de minuit et glissait contre les arbres avec une souplesse incroyable. Il paraissait «traverser» le tronc des arbres; deux fois, le père Jacques, qui avait aperçu le fantôme à travers sa fenêtre, à la clarté de la lune, sétait levé et, résolument, était parti à la chasse de cette étrange apparition. Lavant- veille, il avait failli la rejoindre, mais elle sétait évanouie au coin du donjon; enfin, cette nuit, étant en effet sorti du château, travaillé par lidée du nouveau crime qui venait de se commettre, il avait vu tout à coup, surgir au milieu de la cour dhonneur, le fantôme noir. Il lavait suivi dabord prudemment, puis de plus près… ainsi il avait tourné la chênaie, létang, et était arrivé au bord de la route dÉpinay. «Là, le fantôme avait soudain disparu.»

«—Vous navez pas vu sa figure? demanda Larsan.

«—Non! Je nai vu que des voiles noirs…

«—Et, après ce qui sest passé dans la galerie, vous navez pas sauté dessus?

«—Je ne le pouvais pas! Je me sentais terrifié… Cest à peine si javais la force de le suivre…

«—Vous ne lavez pas suivi, fis-je, père Jacques, – et ma voix était menaçante – vous êtes allé avec le fantôme jusquà la route dÉpinay «bras dessus, bras dessous»!

«—Non! cria-t-il… il sest mis à tomber des trombes deau… Je suis rentré! … Je ne sais pas ce que le fantôme noir est devenu…»

«Mais ses yeux se détournèrent de moi.

«Nous le quittâmes.

«Quand nous fûmes dehors:

«—Complice? interrogeai-je, sur un singulier ton, en regardant Larsan bien en face pour surprendre le fond de sa pensée.

«Larsan leva les bras au ciel.

«—Est-ce quon sait? … Est-ce quon sait, dans une affaire pareille? … Il y a vingt-quatre heures, jaurais juré quil ny avait pas de complice! …»

«Et il me laissa en mannonçant quil quittait le château sur-le- champ pour se rendre à Épinay.»

Rouletabille avait fini son récit. Je lui demandai:

«Eh bien? Que conclure de tout cela? … Quant à moi, je ne vois pas! … je ne saisis pas! … Enfin! Que savez-vous?

– _Tout! sexclama-t-il… Tout!»_

Et je ne lui avais jamais vu figure plus rayonnante. Il sétait levé et me serrait la main avec force…

«Alors, expliquez-moi, priai-je…

– Allons demander des nouvelles de Mlle Stangerson», me répondit- il brusquement.

XXIV
Rouletabille connaît les deux moitiés de lassassin

Mlle Stangerson avait failli être assassinée pour la seconde fois. Le malheur fut quelle sen porta beaucoup plus mal la seconde que la première. Les trois coups de couteau que lhomme lui avait portés dans la poitrine, en cette nouvelle nuit tragique, la mirent longtemps entre la vie et la mort, et quand, enfin, la vie fut plus forte et quon pût espérer que la malheureuse femme, cette fois encore, échapperait à son sanglant destin, on saperçut que, si elle reprenait chaque jour lusage de ses sens, elle ne recouvrait point celui de sa raison. La moindre allusion à lhorrible tragédie la faisait délirer, et il nest point non plus, je crois bien, exagéré de dire que larrestation de M. Robert Darzac, qui eut lieu au château du Glandier, le lendemain de la découverte du cadavre du garde, creusa encore labîme moral où nous vîmes disparaître cette belle intelligence.

M. Robert Darzac arriva au château vers neuf heures et demie. Je le vis accourir à travers le parc, les cheveux et les habits en désordre, crotté, boueux, dans un état lamentable. Son visage était dune pâleur mortelle. Rouletabille et moi, nous étions accoudés à une fenêtre de la galerie. Il nous aperçut; il poussa vers nous un cri désespéré:

«Jarrive trop tard! …»

Rouletabille lui cria:

«Elle vit! …»

Une minute après, M. Darzac entrait dans la chambre de Mlle Stangerson, et, à travers la porte, nous entendîmes ses sanglots.

………………………………………………………… ……………………………. «Fatalité! gémissait à côté de moi, Rouletabille. Quels Dieux infernaux veillent donc sur le malheur de cette famille! Si lon ne mavait pas endormi, jaurais sauvé Mlle Stangerson de lhomme, et je laurais rendu muet pour toujours… et le garde ne serait pas mort!» __ ……………………………………………………….. …………………………..

M. Darzac vint nous retrouver. Il était tout en larmes. Rouletabille lui raconta tout: et comment il avait tout préparé pour leur salut, à Mlle Stangerson et à lui; et comment il y serait parvenu en éloignant lhomme pour toujours «après avoir vu sa figure»; et comment son plan sétait effondré dans le sang, à cause du narcotique.

«Ah! si vous aviez eu réellement confiance en moi, fit tout bas le jeune homme, si vous aviez dit à Mlle Stangerson davoir confiance en moi! … Mais ici chacun se défie de tous… la fille se défie du père… et la fiancée se défie du fiancé… Pendant que vous me disiez de tout faire pour empêcher larrivée de lassassin, elle préparait tout pour se faire assassiner! … Et je suis arrivé trop tard… à demi endormi… me traînant presque, dans cette chambre où la vue de la malheureuse, baignant dans son sang, me réveilla tout à fait…»

Sur la demande de M. Darzac, Rouletabille raconta la scène. Sappuyant aux murs pour ne pas tomber, pendant que, dans le vestibule et dans la cour dhonneur, nous poursuivions lassassin, il sétait dirigé vers la chambre de la victime… Les portes de lantichambre sont ouvertes; il entre; Mlle Stangerson gît, inanimée, à moitié renversée sur le bureau, les yeux clos; son peignoir est rouge du sang qui coule à flots de sa poitrine. Il semble à Rouletabille, encore sous linfluence du narcotique, quil se promène dans quelque affreux cauchemar. Automatiquement, il revient dans la galerie, ouvre une fenêtre, nous clame le crime, nous ordonne de tuer, et retourne dans la chambre. Aussitôt, il traverse le boudoir désert, entre dans le salon dont la porte est restée entrouverte, secoue M. Stangerson sur le canapé où il sest étendu et le réveille comme je lai réveillé, lui, tout à lheure… M. Stangerson se dresse avec des yeux hagards, se laisse traîner par Rouletabille jusque dans la chambre, aperçoit sa fille, pousse un cri déchirant… Ah! il est réveillé! il est réveillé! … Tous les deux, maintenant, réunissant leurs forces chancelantes, transportent la victime sur son lit…

Puis Rouletabille veut nous rejoindre, pour savoir… «pour savoir…» mais, avant de quitter la chambre, il sarrête près du bureau… Il y a là, par terre, un paquet… énorme… un ballot… Quest-ce que ce paquet fait là, auprès du bureau? … Lenveloppe de serge qui lentoure est dénouée… Rouletabille se penche… Des papiers… des papiers… des photographies… Il lit: «Nouvel électroscope condensateur différentiel… Propriétés fondamentales de la substance intermédiaire entre la matière pondérable et léther impondérable.»… Vraiment, vraiment, quel est ce mystère et cette formidable ironie du sort qui veulent quà lheure où «on» lui assassine sa fille, «on» vienne restituer au professeur Stangerson toutes ces paperasses inutiles, «quil jettera au feu! … au feu! … au feu! … le lendemain».

………………………………………………………….……………………………

Dans la matinée qui suivit cette horrible nuit, nous avons vu réapparaître M. de Marquet, son greffier, les gendarmes. Nous avons tous été interrogés, excepté naturellement Mlle Stangerson qui était dans un état voisin du coma. Rouletabille et moi, après nous être concertés, navons dit que ce que nous avons bien voulu dire. Jeus garde de rien rapporter de ma station dans le cabinet noir ni des histoires de narcotique. Bref, nous tûmes tout ce qui pouvait faire soupçonner que nous nous attendions à quelque chose, et aussi tout ce qui pouvait faire croire que Mlle Stangerson «attendait lassassin». La malheureuse allait peut-être payer de sa vie le mystère dont elle entourait son assassin… Il ne nous appartenait point de rendre un pareil sacrifice inutile… Arthur Rance raconta à tout le monde, fort naturellement – si naturellement que jen fus stupéfait – quil avait vu le garde pour la dernière fois vers onze heures du soir. Celui-ci était venu dans sa chambre, dit-il, pour y prendre sa valise quil devait transporter le lendemain matin à la première heure à la gare de Saint-Michel «et sétait attardé à causer longuement chasse et braconnage avec lui»! Arthur-William Rance, en effet, devait quitter le Glandier dans la matinée et se rendre à pied, selon son habitude, à Saint-Michel; aussi avait-il profité dun voyage matinal du garde dans le petit bourg pour se débarrasser de son bagage.

Du moins je fus conduit à le penser car M. Stangerson confirma ses dires; il ajouta quil navait pas eu le plaisir, la veille au soir, davoir à sa table son ami Arthur Rance parce que celui-ci avait pris, vers les cinq heures, un congé définitif de sa fille et de lui. M. Arthur Rance sétait fait servir simplement un thé dans sa chambre, se disant légèrement indisposé.

Bernier, le concierge, sur les indications de Rouletabille, rapporta quil avait été requis par le garde lui-même, cette nuit- là, pour faire la chasse aux braconniers (le garde ne pouvait plus le contredire), quils sétaient donné rendez-vous tous deux non loin de la chênaie et que, voyant que le garde ne venait point, il était allé, lui, Bernier, au-devant du garde… Il était arrivé à hauteur du donjon, ayant passé la petite porte de la cour dhonneur, quand il aperçut un individu qui fuyait à toutes jambes du côté opposé, vers lextrémité de laile droite du château; des coups de revolver retentirent dans le même moment derrière le fuyard; Rouletabille était apparu à la fenêtre de la galerie; il lavait aperçu, lui Bernier, lavait reconnu, lavait vu avec son fusil et lui avait crié de tirer. Alors, Bernier avait lâché son coup de fusil quil tenait tout prêt… et il était persuadé quil avait mis à mal le fuyard; il avait cru même quil lavait tué, et cette croyance avait duré jusquau moment où Rouletabille, dépouillant le corps qui était tombé sous le coup de fusil, lui avait appris que ce corps «avait été tué dun coup de couteau»; que, du reste, il restait ne rien comprendre à une pareille fantasmagorie, attendu que, si le cadavre trouvé nétait point celui du fuyard sur lequel nous avions tous tiré, il fallait bien que ce fuyard fût quelque part. Or, dans ce petit coin de cour où nous nous étions tous rejoints autour du cadavre, «il ny avait pas de place pour un autre mort ou pour un vivant» sans que nous le vissions!

Ainsi parla le père Bernier. Mais le juge dinstruction lui répondit que, pendant que nous étions dans ce petit bout de cour, la nuit était bien noire, puisque nous navions pu distinguer le visage du garde, et que, pour le reconnaître, il nous avait fallu le transporter dans le vestibule… À quoi le père Bernier répliqua que, si lon navait pas vu «lautre corps, mort ou vivant», on aurait au moins marché dessus, tant ce bout de cour est étroit. Enfin, nous étions, sans compter le cadavre, cinq dans ce bout de cour et il eût été vraiment étrange que lautre corps nous échappât… La seule porte qui donnait dans ce bout de cour était celle de la chambre du garde, et la porte en était fermée. On en avait retrouvé la clef dans la poche du garde…

Tout de même, comme ce raisonnement de Bernier, qui à première vue paraissait logique, conduisait à dire quon avait tué à coups darmes à feu un homme mort dun coup de couteau, le juge dinstruction ne sy arrêta pas longtemps. Et il fut évident pour tous, dès midi, que ce magistrat était persuadé que nous avions raté «le fuyard»et que nous avions trouvé là un cadavre qui navait rien à voir avec «notre affaire». Pour lui, le cadavre du garde était une autre affaire. Il voulut le prouver sans plus tarder, et il est probable que «cette nouvelle affaire» correspondait avec des idées quil avait depuis quelques jours sur les moeurs du garde, sur ses fréquentations, sur la récente intrigue quil entretenait avec la femme du propriétaire de lauberge du «Donjon», et corroborait également les rapports quon avait dû lui faire relativement aux menaces de mort proférées par le père Mathieu à ladresse du garde, car à une heure après-midi le père Mathieu, malgré ses gémissements de rhumatisant et les protestations de sa femme, était arrêté et conduit sous bonne escorte à Corbeil. On navait cependant rien découvert chez lui de compromettant; mais des propos tenus, encore la veille, à des rouliers qui les répétèrent, le compromirent plus que si lon avait trouvé dans sa paillasse le couteau qui avait tué «lhomme vert».

Nous en étions là, ahuris de tant dévénements aussi terribles quinexplicables, quand, pour mettre le comble à la stupéfaction de tous, nous vîmes arriver au château Frédéric Larsan, qui en était parti aussitôt après avoir vu le juge dinstruction et qui en revenait, accompagné dun employé du chemin de fer.

Nous étions alors dans le vestibule avec Arthur Rance, discutant de la culpabilité et de linnocence du père Mathieu (du moins Arthur Rance et moi étions seuls à discuter, car Rouletabille semblait parti pour quelque rêve lointain et ne soccupait en aucune façon de ce que nous disions). Le juge dinstruction et son greffier se trouvaient dans le petit salon vert où Robert Darzac nous avait introduits quand nous étions arrivés pour la première fois au Glandier. Le père Jacques, mandé par le juge, venait dentrer dans le petit salon; M. Robert Darzac était en haut, dans la chambre de Mlle Stangerson, avec M. Stangerson et les médecins. Frédéric Larsan entra dans le vestibule avec lemployé de chemin de fer. Rouletabille et moi reconnûmes aussitôt cet employé à sa petite barbiche blonde: «Tiens! Lemployé dÉpinay-sur-Orge!» mécriai-je, et je regardai Frédéric Larsan qui répliqua en souriant: «Oui, oui, vous avez raison, cest lemployé dÉpinay- sur-Orge.» Sur quoi Fred se fit annoncer au juge dinstruction par le gendarme qui était à la porte du salon. Aussitôt, le père Jacques sortit, et Frédéric Larsan et lemployé furent introduits. Quelques instants sécoulèrent, dix minutes peut-être. Rouletabille était fort impatient. La porte du salon se rouvrit; le gendarme, appelé par le juge dinstruction, entra dans le salon, en ressortit, gravit lescalier et le redescendit. Rouvrant alors la porte du salon et ne la refermant pas, il dit au juge dinstruction:

«Monsieur le juge, M. Robert Darzac ne veut pas descendre!

– Comment! Il ne veut pas! … sécria M. de Marquet.

– Non! il dit quil ne peut quitter Mlle Stangerson dans létat où elle se trouve…

– Cest bien, fit M. de Marquet; puisquil ne vient pas à nous, nous irons à lui…»

M. de Marquet et le gendarme montèrent; le juge dinstruction fit signe à Frédéric Larsan et à lemployé de chemin de fer de les suivre. Rouletabille et moi fermions la marche.

On arriva ainsi, dans la galerie, devant la porte de lantichambre de Mlle Stangerson. M. de Marquet frappa à la porte. Une femme de chambre apparut. Cétait Sylvie, une petite bonniche dont les cheveux dun blond fadasse retombaient en désordre sur un visage consterné.

«M. Stangerson est là? demanda le juge dinstruction.

– Oui, monsieur.

– Dites-lui que je désire lui parler.»

Sylvie alla chercher M. Stangerson.

Le savant vint à nous; il pleurait; il faisait peine à voir.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
21 июля 2018
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