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Monsieur Parent

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Mais Henriette, exaspérée, répondit: – Il faudra pourtant bien qu’il se tire d’affaire, car je ne l’aiderai pas. Qu’il se débrouille!

Et elle entra brusquement dans sa chambre, oubliant déjà que son fils n’avait point mangé.

Alors Limousin, tout à coup, se multiplia pour aider son ami. Il ramassa et enleva les verres brisés qui couvraient la table, remit le couvert et assit l’enfant sur son petit fauteuil à grands pieds, pendant que Parent allait chercher la femme de chambre pour se faire servir par elle.

Elle arriva étonnée, n’ayant rien entendu dans la chambre de Georges où elle travaillait.

Elle apporta la soupe, un gigot brûlé, puis des pommes de terre en purée.

Parent s’était assis à côté de son enfant, l’esprit en détresse, la raison emportée dans cette catastrophe. Il faisait manger le petit, essayait de manger lui-même, coupait la viande, la mâchait et l’avalait avec effort, comme si sa gorge eût été paralysée.

Alors, peu à peu, s’éveilla dans son âme un désir affolé de regarder Limousin assis en face de lui et qui roulait des boulettes de pain. Il voulait voir s’il ressemblait à Georges. Mais il n’osait pas lever les yeux. Il s’y décida pourtant, et considéra brusquement cette figure qu’il connaissait bien, quoiqu’il lui semblât ne l’avoir jamais examinée, tant elle lui parut différente de ce qu’il pensait. De seconde en seconde, il jetait un coup d’oeil rapide sur ce visage, cherchant à en reconnaître les moindres lignes, les moindres traits, les moindres sens; puis, aussitôt, il regardait son fils, en ayant l’air de le faire manger.

Deux mots ronflaient dans son oreille: «Son père! son père! son père!» Ils bourdonnaient à ses tempes avec chaque battement de son coeur. Oui, cet homme, cet homme tranquille, assis de l’autre côté de cette table, était peut-être le père de son fils, de Georges, de son petit Georges. Parent cessa de manger, il ne pouvait plus. Une douleur atroce, une de ces douleurs qui font hurler, se rouler par terre, mordre les meubles, lui déchirait tout le dedans du corps. Il eut envie de prendre son couteau et de se l’enfoncer dans le ventre. Cela le soulagerait, le sauverait; ce serait fini.

Car pourrait-il vivre maintenant? Pourrait-il vivre, se lever le matin, manger aux repas, sortir par les rues, se coucher le soir et dormir la nuit avec cette pensée vrillée en lui: «Limousin, le père de Georges!…» Non, il n’aurait plus la force de faire un pas, de s’habiller, de penser à rien, de parler à personne! Chaque jour, à toute heure, à toute seconde, il se demanderait cela, il chercherait à savoir, à deviner, à surprendre cet horrible secret? Et le petit, son cher petit, il ne pourrait plus le voir sans endurer l’épouvantable souffrance de ce doute, sans se sentir déchiré jusqu’aux entrailles, sans être torturé jusqu’aux moelles de ses os. Il lui faudrait vivre ici, rester dans cette maison, à côté de cet enfant qu’il aimerait et haïrait! Oui, il finirait par le haïr assurément. Quel supplice! Oh! s’il était certain que Limousin fût le père, peut-être arriverait-il à se calmer, à s’endormir dans son malheur, dans sa douleur? Mais ne pas savoir était intolérable!

Ne pas savoir, chercher toujours, souffrir toujours, et embrasser cet enfant à tout moment, l’enfant d’un autre, le promener dans la ville, le porter dans ses bras, sentir la caresse de ses fins cheveux sous les lèvres, l’adorer et penser sans cesse: «Il n’est pas à moi, peut-être?» Ne vaudrait-il pas mieux ne plus le voir, l’abandonner, le perdre dans les rues, ou se sauver soi-même très loin, si loin, qu’il n’entendrait plus jamais parler de rien, jamais!

Il eut un sursaut en entendant ouvrir la porte. Sa femme rentrait.

– J’ai faim, dit-elle; et vous, Limousin?

Limousin répondit, en hésitant: – Ma foi, moi aussi.

Et elle fit rapporter le gigot.

Parent se demandait: «Ont-ils dîné? ou bien se sont-ils mis en retard à un rendez-vous d’amour?»

Ils mangeaient maintenant de grand appétit, tous les deux. Henriette, tranquille, riait et plaisantait. Son mari l’épiait aussi, par regards brusques, vite détournés. Elle avait une robe de chambre rose garnie de dentelles blanches; et sa tête blonde, son cou frais, ses mains grasses sortaient de ce joli vêtement coquet et parfumé, comme d’une coquille bordée d’écume. Qu’avait-elle fait tout le jour avec cet homme? Parent les voyait embrassés, balbutiant des paroles ardentes! Comment ne pouvait-il rien savoir, ne pouvait-il pas deviner en les regardant ainsi côte à côte, en face de lui?

Comme ils devaient se moquer de lui, s’il avait été leur dupe depuis le premier jour? Était-il possible qu’on se jouât ainsi d’un homme, d’un brave homme, parce que son père lui avait laissé un peu d’argent! Comment ne pouvait-on voir ces choses-là dans les âmes, comment se pouvait-il que rien ne révélât aux coeurs droits les fraudes des coeurs infâmes, que la voix fût la même pour mentir que pour adorer, et le regard fourbe qui trompe, pareil au regard sincère?

Il les épiait, attendant un geste, un mot, une intonation. Soudain il pensa: «Je vais les surprendre ce soir». Et il dit:

– Ma chère amie, comme je viens de renvoyer Julie, il faut que je m’occupe, dès aujourd’hui, de trouver une autre bonne. Je sors tout de suite, afin de me procurer quelqu’un pour demain matin. Je rentrerai peut-être un peu tard.

Elle répondit: – Va; je ne bougerai pas d’ici. Limousin me tiendra compagnie. Nous t’attendrons.

Puis, se tournant vers la femme de chambre: – Vous allez coucher Georges, ensuite vous pourrez desservir et monter chez vous.

Parent s’était levé. Il oscillait sur ses jambes, étourdi, trébuchant. Il murmura: «À tout à l’heure», et gagna la sortie en s’appuyant au mur, car le parquet remuait comme une barque.

Georges était parti aux bras de sa bonne. Henriette et Limousin passèrent au salon. Dès que la porte fut refermée: – Ah, çà! tu es donc folle, dit-il, de harceler ainsi ton mari?

Elle se retourna: – Ah! tu sais, je commence à trouver violente cette habitude que tu prends depuis quelque temps de poser Parent en martyr.

Limousin se jeta dans un fauteuil, et, croisant ses jambes: – Je ne le pose pas en martyr le moins du monde, mais je trouve, moi, qu’il est ridicule, dans notre situation, de braver cet homme du matin au soir.

Elle prit une cigarette sur la cheminée, l’alluma, et répondit: – Mais je ne le brave pas, bien au contraire; seulement il m’irrite par sa stupidité… et je le traite comme il le mérite.

Limousin reprit, d’une voix impatiente:

– C’est inepte, ce que tu fais! Du reste, toutes les femmes sont pareilles. Comment? voilà un excellent garçon, trop bon, stupide de confiance et de bonté, qui ne nous gêne en rien, qui ne nous soupçonne pas une seconde, qui nous laisse libres, tranquilles autant que nous voulons; et tu fais tout ce que tu peux pour le rendre enragé et pour gâter notre vie.

Elle se tourna vers lui: – Tiens, tu m’embêtes! Toi, tu es lâche, comme tous les hommes! Tu as peur de ce crétin!

Il se leva vivement, et, furieux: – Ah! çà, je voudrais bien savoir ce qu’il t’a fait, et de quoi tu peux lui en vouloir? Te rend-il malheureuse? Te bat-il? Te trompe-t-il? Non, c’est trop fort à la fin de faire souffrir ce garçon uniquement parce qu’il est trop bon, et de lui en vouloir uniquement parce que tu le trompes.

Elle s’approcha de Limousin, et, le regardant au fond des yeux:

– C’est toi qui me reproches de le tromper, toi? toi? toi? Faut-il que tu aies un sale coeur?

Il se défendit, un peu honteux: – Mais je ne te reproche rien, ma chère amie, je te demande seulement de ménager un peu ton mari, parce que nous avons besoin l’un et l’autre de sa confiance. Il me semble que tu devrais comprendre cela.

Ils étaient tout près l’un de l’autre, lui grand, brun, avec des favoris tombants, l’allure un peu vulgaire d’un beau garçon content de lui; elle mignonne, rose et blonde, une petite Parisienne mi-cocotte et mi-bourgeoise, née dans une arrière-boutique, élevée sur le seuil du magasin à cueillir les passants d’un coup d’oeil, et mariée, au hasard de cette cueillette, avec le promeneur naïf qui s’est épris d’elle pour l’avoir vue, chaque jour, devant cette porte, en sortant le matin et en rentrant le soir.

Elle disait: – Mais tu ne comprends donc pas, grand niais, que je l’exècre justement parce qu’il m’a épousée, parce qu’il m’a achetée enfin, parce que tout ce qu’il dit, tout ce qu’il fait, tout ce qu’il pense me porte sur les nerfs. Il m’exaspère à toute seconde par sa sottise que tu appelles de la bonté, par sa lourdeur que tu appelles de la confiance, et puis, surtout, parce qu’il est mon mari, lui, au lieu de toi! Je le sens entre nous deux, quoiqu’il ne nous gêne guère. Et puis?… et puis?… Non, il est trop idiot à la fin de ne se douter de rien! Je voudrais qu’il fût un peu jaloux au moins. Il y a des moments où j’ai envie de lui crier: «Mais tu ne vois donc rien, grosse bête, tu ne comprends donc pas que Paul est mon amant».

Limousin se mit à rire: – En attendant, tu feras bien de te taire et de ne pas troubler notre existence.

– Oh! je ne la troublerai pas, va! Avec cet imbécile-là, il n’y a rien à craindre. Non, mais c’est incroyable que tu ne comprennes pas combien il m’est odieux, combien il m’énerve. Toi, tu as toujours l’air de le chérir, de lui serrer la main avec franchise. Les hommes sont surprenants parfois.

– Il faut bien savoir dissimuler, ma chère.

– Il ne s’agit pas de dissimulation, mon cher, mais de sentiments. Vous autres, quand vous trompez un homme, on dirait que vous l’aimez tout de suite davantage; nous autres, nous le haïssons à partir du moment où nous l’avons trompé.

– Je ne vois pas du tout pourquoi on haïrait un brave garçon dont on prend la femme.

– Tu ne vois pas?… tu ne vois pas?… C’est un tact qui vous manque à tous, cela! Que veux-tu? ce sont des choses qu’on sent et qu’on ne peut pas dire. Et puis d’abord on ne doit pas?… Non, tu ne comprendrais point, c’est inutile! Vous autres, vous n’avez pas de finesse.

 

Et souriant, avec un doux mépris de rouée, elle posa les deux mains sur ses épaules en tendant vers lui ses lèvres; il pencha la tête vers elle en l’enfermant dans une étreinte, et leurs bouches se rencontrèrent. Et comme ils étaient debout devant la glace de la cheminée, un autre couple tout pareil à eux s’embrassait derrière la pendule.

Ils n’avaient rien entendu, ni le bruit de la clef ni le grincement de la porte; mais Henriette, brusquement, poussant un cri aigu, rejeta Limousin de ses deux bras; et ils aperçurent Parent qui les regardait, livide, les poings fermés, déchaussé, et son chapeau sur le front.

Il les regardait, l’un après l’autre, d’un rapide mouvement de l’oeil, sans remuer la tête. Il semblait fou; puis, sans dire un mot, il se rua sur Limousin, le prit à pleins bras comme pour l’étouffer, le culbuta jusque dans l’angle du salon d’un élan si impétueux, que l’autre, perdant pied, battant l’air de ses mains, alla heurter brutalement son crâne contre la muraille.

Mais Henriette, quand elle comprit que son mari allait assommer son amant, se jeta sur Parent, le saisit par le cou, et enfonçant dans la chair ses dix doigts fins et roses, elle serra si fort, avec ses nerfs de femme éperdue, que le sang jaillit sous ses ongles. Et elle lui mordait l’épaule comme si elle eût voulu le déchirer avec ses dents. Parent, étranglé, suffoquant, lâcha Limousin, pour secouer sa femme accrochée à son col; et l’ayant empoignée par la taille, il la jeta, d’une seule poussée, à l’autre bout du salon.

Puis, comme il avait la colère courte des débonnaires, et la violence poussive des faibles, il demeura debout entre les deux, haletant, épuisé, ne sachant plus ce qu’il devait faire. Sa fureur brutale s’était répandue dans cet effort, comme la mousse d’un vin débouché; et son énergie insolite finissait en essoufflement.

Dès qu’il put parler, il balbutia:

– Allez-vous-en… tous les deux… tout de suite… allez-vous-en!…

Limousin restait immobile dans son angle, collé contre le mur, trop effaré pour rien comprendre encore, trop effrayé pour remuer un doigt. Henriette, les poings appuyés sur le guéridon, la tête en avant, décoiffée, le corsage ouvert, la poitrine nue, attendait, pareille à une bête qui va sauter.

Parent reprit d’une voix plus forte:

– Allez-vous-en, tout de suite… Allez-vous-en!

Voyant calmée sa première exaspération, sa femme s’enhardit, se redressa, fit deux pas vers lui, et presque insolente déjà:

– Tu as donc perdu la tête?… Qu’est-ce qui t’a pris?… Pourquoi cette agression inqualifiable?…

Il se retourna vers elle, en levant le poing pour l’assommer, et bégayant:

– Oh!… oh!… c’est trop fort!… trop fort!… j’ai… j’ai… j’ai… tout entendu!… tout!… tout!… tu comprends… tout!… misérable!… misérable!… Vous êtes deux misérables!… Allez-vous-en!… tous les deux!… tout de suite!… Je vous tuerais!… Allez-vous-en!…

Elle comprit que c’était fini, qu’il savait, qu’elle ne se pourrait point innocenter et qu’il fallait céder. Mais toute son impudence lui était revenue et sa haine contre cet homme, exaspérée à présent, la poussait à l’audace, mettait en elle un besoin de défi, un besoin de bravade.

Elle dit d’une voix claire:

– Venez, Limousin. Puisqu’on me chasse, je vais chez vous.

Mais Limousin ne remuait pas. Parent, qu’une colère nouvelle saisissait, se mit à crier:

– Allez-vous-en donc!… allez-vous-en!… misérables!… ou bien!… ou bien!…

Il saisit une chaise qu’il fit tournoyer sur sa tête.

Alors Henriette traversa le salon d’un pas rapide, prit son amant par le bras, l’arracha du mur où il semblait scellé, et l’entraîna vers la porte en répétant: «Mais venez donc, mon ami, venez donc… Vous voyez bien que cet homme est fou… Venez donc!…»

Au moment de sortir, elle se retourna vers son mari, cherchant ce qu’elle pourrait faire, ce qu’elle pourrait inventer pour le blesser au coeur, en quittant cette maison. Et une idée lui traversa l’esprit, une de ces idées venimeuses, mortelles, où fermente toute la perfidie des femmes.

Elle dit, résolue: – Je veux emporter mon enfant.

Parent, stupéfait, balbutia: – Ton… ton… enfant?… Tu oses parler de ton enfant?… tu oses… tu oses demander ton enfant… après… après… Oh! oh! oh! c’est trop fort!… Tu oses?… Mais va-t’en donc, gueuse!… Va-t’en!…

Elle revint vers lui, presque souriante, presque vengée déjà, et le bravant, tout près, face à face:

– Je veux mon enfant… et tu n’as pas le droit de le garder, parce qu’il n’est pas à toi… tu entends, tu entends bien… Il n’est pas à toi… Il est à Limousin.

Parent, éperdu, cria: – Tu mens… tu mens… misérable!

Mais elle reprit: – Imbécile! Tout le monde le sait, excepté toi. Je te dis que voilà son père. Mais il suffit de regarder pour le voir…

Parent reculait devant elle, chancelant. Puis brusquement, il se retourna, saisit une bougie, et s’élança dans la chambre voisine.

Il revint presque aussitôt, portant sur son bras le petit Georges enveloppé dans les couvertures de son lit. L’enfant, réveillé en sursaut, épouvanté, pleurait. Parent le jeta dans les mains de sa femme, puis, sans ajouter une parole, il la poussa rudement dehors, vers l’escalier, où Limousin attendait par prudence.

Puis il referma la porte, donna deux tours de clef et poussa les verrous. À peine rentré dans le salon, il tomba de toute sa hauteur sur le parquet.

II. Parent vécut seul, tout à fait seul…

Parent vécut seul, tout à fait seul. Pendant les premières semaines qui suivirent la séparation, l’étonnement de sa vie nouvelle l’empêcha de songer beaucoup. Il avait repris son existence de garçon, ses habitudes de flânerie, et il mangeait au restaurant, comme autrefois. Ayant voulu éviter tout scandale, il faisait à sa femme une pension réglée par les hommes d’affaires. Mais, peu à peu, le souvenir de l’enfant commença à hanter sa pensée. Souvent, quand il était seul, chez lui, le soir, il s’imaginait tout à coup entendre Georges crier «papa». Son coeur aussitôt commençait à battre et il se levait bien vite pour ouvrir la porte de l’escalier et voir si, par hasard, le petit ne serait pas revenu. Oui, il aurait pu revenir comme reviennent les chiens et les pigeons. Pourquoi un enfant aurait-il moins d’instinct qu’une bête?

Après avoir reconnu son erreur, il retournait s’asseoir dans son fauteuil, et il pensait au petit. Il y pensait pendant des heures entières, des jours entiers. Ce n’était point seulement une obsession morale, mais aussi, et plus encore, une obsession physique, un besoin sensuel, nerveux de l’embrasser, de le tenir, de le manier, de l’asseoir sur ses genoux, de le faire sauter et culbuter dans ses mains. Il s’exaspérait au souvenir enfiévrant des caresses passées. Il sentait les petits bras serrant son cou, la petite bouche posant un gros baiser sur sa barbe, les petits cheveux chatouillant sa joue. L’envie de ces douces câlineries disparues, de la peau fine, chaude et mignonne offerte aux lèvres, l’affolait comme le désir d’une femme aimée qui s’est enfuie.

Dans la rue, tout à coup, il se mettait à pleurer en songeant qu’il pourrait l’avoir, trottinant à son côté avec ses petits pieds, son gros Georget, comme autrefois, quand il le promenait. Il rentrait alors; et, la tête entre ses mains, sanglotait jusqu’au soir.

Puis, vingt fois, cent fois en un jour il se posait cette question: «Était-il ou n’était-il pas le père de Georges?» Mais c’était surtout la nuit qu’il se livrait sur cette idée à des raisonnements interminables. À peine couché, il recommençait, chaque soir, la même série d’argumentations désespérées.

Après le départ de sa femme, il n’avait plus douté tout d’abord: l’enfant, certes, appartenait à Limousin. Puis, peu à peu, il se remit à hésiter. Assurément, l’affirmation d’Henriette ne pouvait avoir aucune valeur. Elle l’avait bravé, en cherchant à le désespérer. En pesant froidement le pour et le contre, il y avait bien des chances pour qu’elle eût menti.

Seul Limousin, peut-être, aurait pu dire la vérité. Mais comment savoir, comment l’interroger, comment le décider à avouer?

Et quelquefois Parent se relevait en pleine nuit, résolu à aller trouver Limousin, à le prier, à lui offrir tout ce qu’il voudrait, pour mettre fin à cette abominable angoisse. Puis il se recouchait désespéré, ayant réfléchi que l’amant aussi mentirait sans doute! Il mentirait même certainement pour empêcher le père véritable de reprendre son enfant.

Alors que faire? Rien!

Et il se désolait d’avoir ainsi brusqué les événements, de n’avoir point réfléchi, patienté, de n’avoir pas su attendre et dissimuler, pendant un mois ou deux, afin de se renseigner par ses propres yeux. Il aurait dû feindre de ne rien soupçonner, et les laisser se trahir tout doucement. Il lui aurait suffi de voir l’autre embrasser l’enfant pour deviner, pour comprendre. Un ami n’embrasse pas comme un père. Il les aurait épiés derrière les portes! Comment n’avait-il pas songé à cela? Si Limousin, demeuré seul avec Georges, ne l’avait point aussitôt saisi, serré dans ses bras, baisé passionnément, s’il l’avait laissé jouer avec indifférence, sans s’occuper de lui, aucune hésitation ne serait demeurée possible: c’est qu’alors il n’était pas, il ne se croyait pas, il ne se sentait pas le père.

De sorte que lui, Parent, chassant la mère, aurait gardé son fils, et il aurait été heureux, tout à fait heureux.

Il se retournait dans son lit, suant et torturé, et cherchant à se souvenir des attitudes de Limousin avec le petit. Mais il ne se rappelait rien, absolument rien, aucun geste, aucun regard, aucune parole, aucune caresse suspects. Et puis la mère non plus ne s’occupait guère de son enfant. Si elle l’avait eu de son amant, elle l’aurait sans doute aimé davantage.

On l’avait donc séparé de son fils par vengeance, par cruauté, pour le punir de ce qu’il les avait surpris.

Et il se décidait à aller, dès l’aurore, requérir les magistrats pour se faire rendre Georget.

Mais à peine avait-il pris cette résolution qu’il se sentait envahi par la certitude contraire. Du moment que Limousin avait été, dès le premier jour, l’amant d’Henriette, l’amant aimé, elle avait dû se donner à lui avec cet élan, cet abandon, cette ardeur qui rendent mères les femmes. La réserve froide qu’elle avait toujours apportée dans ses relations intimes avec lui, Parent, n’était-elle pas aussi un obstacle à ce qu’elle eût été fécondée par son baiser!

Alors il allait réclamer, prendre avec lui, conserver toujours et soigner l’enfant d’un autre. Il ne pourrait pas le regarder, l’embrasser, l’entendre dire «papa» sans que cette pensée le frappât, le déchirât: «Ce n’est point mon fils». Il allait se condamner à ce supplice de tous les instants, à cette vie de misérable! Non, il valait mieux demeurer seul, vivre seul, vieillir seul, et mourir seul.

Et chaque jour, chaque nuit recommençaient ces abominables hésitations et ces souffrances que rien ne pouvait calmer ni terminer. Il redoutait surtout l’obscurité du soir qui vient, la tristesse des crépuscules. C’était alors, sur son coeur, comme une pluie de chagrin, une inondation de désespoir qui tombait avec les ténèbres, le noyait et l’affolait. Il avait peur de ses pensées comme on a peur des malfaiteurs, et il fuyait devant elles ainsi qu’une bête poursuivie. Il redoutait surtout son logis vide, si noir, terrible, et les rues désertes aussi où brille seulement, de place en place, un bec de gaz, où le passant isolé qu’on entend de loin semble un rôdeur et fait ralentir ou hâter le pas selon qu’il vient vers vous ou qu’il vous suit.

Et Parent, malgré lui, par instinct, allait vers les grandes rues illuminées et populeuses. La lumière et la foule l’attiraient, l’occupaient et l’étourdissaient. Puis, quand il était las d’errer, de vagabonder dans les remous du public, quand il voyait les passants devenir plus rares, et les trottoirs plus libres, la terreur de la solitude et du silence le poussait vers un grand café plein de buveurs et de clarté. Il y allait comme les mouches vont à la flamme, s’asseyait devant une petite table ronde, et demandait un bock. Il le buvait lentement, s’inquiétant chaque fois qu’un consommateur se levait pour s’en aller. Il aurait voulu le prendre par le bras, le retenir, le prier de rester encore un peu, tant il redoutait l’heure où le garçon, debout devant lui, prononcerait d’un air furieux: «Allons, monsieur, on ferme!»

Car, chaque soir, il restait le dernier. Il voyait rentrer les tables, éteindre, un à un, les becs de gaz, sauf deux, le sien et celui du comptoir. Il regardait d’un oeil navré la caissière compter son argent et l’enfermer dans le tiroir; et il s’en allait, poussé dehors par le personnel qui murmurait: «En voilà un empoté! On dirait qu’il ne sait pas où coucher».

 

Et dès qu’il se retrouvait seul dans la rue sombre, il recommençait à penser à Georget et à se creuser la tête, à se torturer la pensée pour découvrir s’il était ou s’il n’était point le père de son enfant.

Il prit ainsi l’habitude de la brasserie où le coudoiement continu des buveurs met près de vous un public familier et silencieux, où la grasse fumée des pipes endort les inquiétudes, tandis que la bière épaisse alourdit l’esprit et calme le coeur.

Il y vécut. À peine levé, il allait chercher là des voisins pour occuper son regard et sa pensée. Puis, par paresse de se mouvoir, il y prit bientôt ses repas. Vers midi, il frappait avec sa soucoupe sur la table de marbre, et le garçon apportait vivement une assiette, un verre, une serviette et le déjeuner du jour. Dès qu’il avait fini de manger, il buvait lentement son café, l’oeil fixé sur le carafon d’eau-de-vie qui lui donnerait bientôt une bonne heure d’abrutissement. Il trempait d’abord ses lèvres dans le cognac, comme pour en prendre le goût, cueillant seulement la saveur du liquide avec le bout de sa langue. Puis il se le versait dans la bouche, goutte à goutte, en renversant la tête; promenait doucement la forte liqueur sur son palais, sur ses gencives, sur toute la muqueuse de ses joues, la mêlant avec la salive claire que ce contact faisait jaillir. Puis, adoucie par ce mélange, il l’avalait avec recueillement, la sentant couler, tout le long de sa gorge, jusqu’au fond de son estomac.

Après chaque repas, il sirotait ainsi, pendant plus d’une heure, trois ou quatre petits verres qui l’engourdissaient peu à peu. Alors il penchait la tête sur son ventre, fermait les yeux et somnolait. Il se réveillait vers le milieu de l’après-midi, et tendait aussitôt la main vers le bock que le garçon avait posé devant lui pendant son sommeil; puis, l’ayant bu, il se soulevait sur la banquette de velours rouge, relevait son pantalon, rabaissait son gilet pour couvrir la ligne blanche aperçue entre les deux, secouait le col de sa jaquette, tirait les poignets de sa chemise hors des manches, puis reprenait les journaux qu’il avait déjà lus le matin.

Il les recommençait, de la première ligne à la dernière, y compris les réclames, demandes d’emploi, annonces, cote de la Bourse et programmes des théâtres.

Entre quatre et six heures il allait faire un tour sur les boulevards, pour prendre l’air, disait-il; puis il revenait s’asseoir à la place qu’on lui avait conservée et demandait son absinthe.

Alors il causait avec les habitués dont il avait fait la connaissance. Ils commentaient les nouvelles du jour, les faits divers et les événements politiques: cela le menait à l’heure du dîner. La soirée se passait comme l’après-midi jusqu’au moment de la fermeture. C’était pour lui l’instant terrible, l’instant où il fallait rentrer dans le noir, dans la chambre vide, pleine de souvenirs affreux, de pensées horribles et d’angoisses. Il ne voyait plus personne de ses anciens amis, personne de ses parents, personne qui pût lui rappeler sa vie passée.

Mais comme son appartement devenait un enfer pour lui, il prit une chambre dans un grand hôtel, une belle chambre d’entresol afin de voir les passants. Il n’était plus seul en ce vaste logis public; il sentait grouiller des gens autour de lui; il entendait des voix derrière les cloisons; et quand ses anciennes souffrances le harcelaient trop cruellement en face de son lit entr’ouvert et de son feu solitaire, il sortait dans les larges corridors et se promenait comme un factionnaire, le long de toutes les portes fermées, en regardant avec tristesse les souliers accouplés devant chacune, les mignonnes bottines de femme blotties à côté des fortes bottines d’hommes; et il pensait que tous ces gens-là étaient heureux, sans doute, et dormaient tendrement, côte à côte ou embrassés, dans la chaleur de leur couche.

Cinq années se passèrent ainsi; cinq années mornes, sans autres événements que des amours de deux heures, à deux louis, de temps en temps.

Or un jour, comme il faisait sa promenade ordinaire entre la Madeleine et la rue Drouot, il aperçut tout à coup une femme dont la tournure le frappa. Un grand monsieur et un enfant l’accompagnaient. Tous les trois marchaient devant lui. Il se demandait: «Où donc ai-je vu ces personnes-là?» et, tout à coup, il reconnut un geste de la main: c’était sa femme, sa femme avec Limousin, et avec son enfant, son petit Georges.

Son coeur battait à l’étouffer; il ne s’arrêta pas cependant; il voulait les voir; et il les suivit. On eût dit un ménage, un bon ménage de bons bourgeois. Henriette s’appuyait au bras de Paul, lui parlait doucement en le regardant parfois de côté. Parent la voyait alors de profil, reconnaissait la ligne gracieuse de son visage, les mouvements de sa bouche, son sourire, et la caresse de son regard. L’enfant surtout le préoccupait. Comme il était grand, et fort! Parent ne pouvait apercevoir la figure, mais seulement de longs cheveux blonds qui tombaient sur le col en boucles frisées. C’était Georget, ce haut garçon aux jambes nues, qui allait, ainsi qu’un petit homme, à côté de sa mère.

Comme ils s’étaient arrêtés devant un magasin, il les vit soudain tous les trois. Limousin avait blanchi, vieilli, maigri; sa femme, au contraire, plus fraîche que jamais, avait plutôt engraissé; Georges était devenu méconnaissable, si différent de jadis!

Ils se remirent en route. Parent les suivit de nouveau, puis les devança à grands pas pour revenir et les revoir, de tout près, en face. Quand il passa contre l’enfant, il eut envie, une envie folle de le saisir dans ses bras et de l’emporter. Il le toucha, comme par hasard. Le petit tourna la tête et regarda ce maladroit avec des yeux mécontents. Alors Parent s’enfuit, frappé, poursuivi, blessé par ce regard. Il s’enfuit à la façon d’un voleur, saisi de la peur horrible d’avoir été vu et reconnu par sa femme et son amant. Il alla d’une course jusqu’à sa brasserie, et tomba, haletant, sur sa chaise.

Il but trois absinthes, ce soir-là.

Pendant quatre mois, il garda au coeur la plaie de cette rencontre. Chaque nuit il les revoyait tous les trois, heureux et tranquilles, père, mère, enfant, se promenant sur le boulevard, avant de rentrer dîner chez eux. Cette vision nouvelle effaçait l’ancienne. C’était autre chose, une autre hallucination maintenant, et aussi une autre douleur. Le petit Georges, son petit Georges, celui qu’il avait tant aimé et tant embrassé jadis, disparaissait dans un passé lointain et fini, et il en voyait un nouveau, comme un frère du premier, un garçonnet aux mollets nus, qui ne le connaissait pas, celui-là! Il souffrait affreusement de cette pensée. L’amour du petit était mort; aucun lien n’existait plus entre eux; l’enfant n’aurait pas tendu les bras en le voyant. Il l’avait même regardé d’un oeil méchant.

Puis, peu à peu, son âme se calma encore; ses tortures mentales s’affaiblirent; l’image apparue devant ses yeux et qui hantait ses nuits devint indécise, plus rare. Il se remit à vivre à peu près comme tout le monde, comme tous les désoeuvrés qui boivent des bocks sur des tables de marbre et usent leurs culottes par le fond sur le velours râpé des banquettes.

Il vieillit dans la fumée des pipes, perdit ses cheveux sous la flamme du gaz, considéra comme des événements le bain de chaque semaine, la taille de cheveux de chaque quinzaine, l’achat d’un vêtement neuf ou d’un chapeau. Quand il arrivait à sa brasserie coiffé d’un nouveau couvre-chef, il se contemplait longtemps dans la glace avant de s’asseoir, le mettait et l’enlevait plusieurs fois de suite, le posait de différentes façons, et demandait enfin à son amie, la dame du comptoir, qui le regardait avec intérêt: «Trouvez-vous qu’il me va bien?»

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