Бесплатно

Amitié amoureuse

Текст
iOSAndroidWindows Phone
Куда отправить ссылку на приложение?
Не закрывайте это окно, пока не введёте код в мобильном устройстве
ПовторитьСсылка отправлена

По требованию правообладателя эта книга недоступна для скачивания в виде файла.

Однако вы можете читать её в наших мобильных приложениях (даже без подключения к сети интернет) и онлайн на сайте ЛитРес.

Отметить прочитанной
Шрифт:Меньше АаБольше Аа

CXLIX
Denise à Philippe

26 octobre.

Je vous écris: je souffre. Et vous, gaillardement, concluez: c'est d'amour.

Eh! mon cher, c'est possible; mais ce n'est pas une raison pour m'étaler sur ce sujet vos petites théories de viveur sceptique.

Je me suis confiée à vous dans une minute d'expansion, oubliez-le; c'est le mieux que vous puissiez faire. Moi aussi, du reste.

Adieu, bicyclez bien; je vais m'y mettre; ce doit être un excellent remède pour maintenir l'équilibre de l'âme.

CL
Philippe à Denise

28 octobre.

Mauvaise, méchante mauvaise! vous êtes un joli animal sauvage que j'aurais plaisir à maîtriser. Je n'ai pas souffert par vous, je ne suis pas ensuite devenu votre ami, pour voir placidement votre imagination vous égarer.

J'ai une volonté aussi, moi, toute sentimentale peut-être, mais elle aura la force de vous retenir et me laissera ainsi le temps de vous démontrer l'erreur où vous tentez de tomber.

Je vous défends d'aimer, entendez-vous?

Vraiment, ma chère Denise, je vous lance plaisamment cette objurgation et pourtant j'ai peur: ne vous laissez pas envahir par cette mélancolie, ce mal sans objet. Avec votre âme délicate tout est à craindre.

Adieu; je baise vos pâles mains avec une tendresse grandissante.

CLI
Denise à Philippe

30 octobre.

Vos rugissements contre mon mal m'amusent, petit lion jaloux du repos de mon âme délicate. Il y a ainsi dans les plus graves préoccupations qui nous agitent des coins entr'aperçus qui nous font sourire…

Mère a eu hier au soir un mot charmant. Je descendais de la chambre de tite-Lène à qui je venais de donner son baiser de la nuit. J'arrive au salon me traînant, épuisée du souci que je porte en moi, et vais m'affaler sur un fauteuil près du feu. Mère, sous la clarté de la lampe posée sur une petite table, à l'autre coin du foyer, tricotait pour les pauvres.

Au bout d'un instant elle me regarde et me dit, dans une triste intuition:

– Ma Denise, il manque à ta vie quelque chose, mais ce quelque chose n'est pas tant que tu crois; tu es bien incapable de te laisser envahir par de mauvaises pensées, tu y répugnerais. Eh bien, donne-toi l'illusion de l'amour, sans amour. Il te faut une petite lueur pour animer un peu tes jours, rien que cela. Rentrons bientôt à Paris; la solitude, cette année, ne t'est point bonne. Sois mondaine; va au bal, au théâtre; coquette un peu, donne des soirées; je donnerai, moi, des dîners en l'honneur de Gérald. Cela te distraira, te guérira, mon enfant.

»J'ai passé par une crise semblable étant mariée; tu sais quel amour avait pour moi ton père et comme tendrement je l'aimais. Je ne sais comment cette soif mauvaise, sans projet, sans but, cette crise de tourments était entrée en moi; ton père la pressentit. – Ainsi je pressens la tienne – il ne me méprisa pas de la subir, il m'en aima plus tendrement, je crois. Il m'entraîna dans le monde, laissa les hommes me faire la cour; puis, lorsqu'il me vit distraite, mieux, il s'arrangea pour que je devinsse jalouse… Seigneur! combien ce drame lointain de nos cœurs m'émeut encore!.. Enfin, Denise, ton père m'a guérie. Je ne peux veiller ainsi sur toi, ma fille, mais commence au moins ce traitement par la distraction, il m'a réussi. Pour le reste, je suis bien tranquille; il y a un certain orgueil qui est l'estime de soi et qui n'est en rien une vanité: tu as cet orgueil. Tu as aussi Dieu.

Pauvre mère! j'ai été l'embrasser et lui ai promis de chercher à me guérir.

Le joli drame du cœur entr'aperçu dans cette confidence, et quel homme exquis, délicat, fin, était mon père! Un imbécile se fût blessé, fâché, aurait fait des scènes. Lui n'a rien de mieux imaginé que de rendre un peu libre sa femme, et, comptant sur son affection profonde, de la ramener à lui par un brin de jalousie. C'est touchant, n'est-ce pas?

Mon ami, je vous baptise ma petite lueur. Ne vous en étonnez pas outre mesure, et recevez ce baptême sans révolte; il ne vous entraînera à aucun effort, à aucune complication d'existence; vous aurez le droit d'être une petite lueur nonchalante, une petite lueur fuyante, une petite lueur vacillante. Pourvu que vous demeuriez simplement la petite lueur de madame Tanagrette, tout sera bien.

CLII
Philippe à Denise

15 novembre.

Savez-vous bien, ma chère amie, qu'avec la manière que vous prenez vous finirez par m'oublier? Pas moins délicate que l'amour, l'amitié est une fleur ayant besoin de culture, surtout avec une nature comme la vôtre, où l'éclosion des sentiments est violente, sinon rapide.

En vérité, je me défie de vous; je crois votre âme un peu inquiète, chercheuse de nouveau, capable de s'attacher seulement où elle s'intéresse. Je crains de ne vous intéresser plus. Et cependant j'ai pour vous une vraie et profonde affection; je la verrais disparaître avec une grande tristesse: ce serait pour moi un vide et une désillusion amère. Croyez que vous y perdriez aussi.

Ces réflexions me viennent à la suite du silence gardé obstinément par vous à mon égard. Puisque vous restez encore un peu de temps loin de Paris, il faut vous résigner à m'écrire souvent. C'est le lien qui nous unit. Cela m'effraie de ne plus entendre parler de vous; vous n'avez pas l'excuse de la paresse, vous. Il y a donc quelque chose de plus grave?

Qu'est devenue cette crise dont vous me parliez et à propos de laquelle nous nous sommes un peu fâchés? Ne me tiendrez-vous plus au courant de ce qui se passe en votre âme? Rien ne m'intéresse davantage. J'ai aperçu Granbaud hier au cercle; il m'a dit que vous étiez bien. Est-ce vrai?

Je suis revenu à Paris depuis dimanche et m'y ennuie cruellement. Je vais m'arranger pour retourner à la chasse le plus tôt possible. Je suis retenu ici par ma grande affaire; elle traverse une phase palpitante. Tout va bien et mon espoir s'affermit de plus en plus. Je suis, par ce côté-là, assez heureux; mais je souffre de la solitude de votre éloignement. Je n'ai autour de moi aucun de mes amis, ni vous; de cela surtout je souffre.

Vous voyez qu'une lettre me serait d'un grand secours; ne me la faites pas trop attendre.

Au revoir; croyez à ma très grande et très sérieuse amitié.

CLIII
Denise à Philippe

16 novembre.

Mon ami,

Vous doutez-vous du bien que m'a fait votre lettre? Vous vous intéressez donc à moi? J'entre donc pour une parcelle de quelque chose dans votre vie?

Non, non, je ne vous oublierai jamais; mon malaise vient même de ce que je ne vous oublie pas assez, et vous méconnaissez étrangement mon caractère – ce qui est peu de chose – mais mon cœur – ce qui est plus grave – en m'accusant d'être «chercheuse de nouveau».

Mon ami, n'avez-vous donc pas senti à quel point je suis vôtre, uniquement, absolument? rien ne m'intéresse hors vous; toutes mes aspirations, toutes mes croyances, toute ma foi, tout mon être, sont en vous et à vous. La violence de ce sentiment me fait souffrir; il est en moi comme ma vie même. Hélas! rien ne m'en peut distraire; j'use mes forces et ma volonté dans une lutte perpétuelle contre moi-même, et je suis dévorée malgré tout d'une torture dont personne ne se doute, pas même vous.

Il y a des jours de lassitude infinie où je suis brisée, triste, malheureuse sans cause apparente, et où je voudrais mourir parce que ce serait la fin de tout.

Je viens d'être ainsi pendant des jours: hors du monde, hors de la douceur familiale, en tête à tête avec mon mal, en proie à une sorte d'hébétude au point que même le travail m'était impossible et odieux. C'est là toute l'histoire de mon malaise… et puis, j'étais restée un peu endolorie de la rudesse avec laquelle vous l'avez traité quand je vous l'ai laissé apercevoir. Je veux m'en guérir, je m'en guérirai; n'en parlons donc plus.

Je suis désolée de vous savoir aux prises avec les préoccupations et l'ennui. Vous ne pouvez vous imaginer quels vœux je forme pour la réussite de la grande affaire. Peut-être serez-vous alors plus loin de moi, nos vies séparées… l'argent est un tel dissolvant! Vous m'appartenez par vos soucis, les misères, les tristesses de votre cœur; riche, vous ne serez plus solitaire; la richesse nous donne tant d'amis! Je souhaite pourtant la réalisation de vos espoirs, ma tendresse étant faite d'entière abnégation; rien ne me coûte de souffrir pourvu que je vous sache heureux.

CLIV
Philippe à Denise

19 novembre.

Voici une lettre, ma chère vaillante, qui ne vous arrivera pas à temps; j'ai manqué l'heure du courrier et cela sans bonnes raisons, uniquement, je crois, parce que c'était l'heure et que je suis l'inexactitude même.

Je ne le regrette qu'à moitié: je n'ai de plaisir à vous écrire que quand je suis seul avec vous, de même, lorsque je suis auprès de vous, je souffre beaucoup de la présence d'un tiers dans notre conversation. Or, je suis ce soir bien tranquille dans mon «cabinet d'étude, murs tant de fois déserts», près de ma lampe fidèle, et je songe à vous, à notre amitié.

Comme je vous ai peu vue, somme toute, depuis – j'allais écrire: depuis que je vous connais – mais sans exagérer depuis un an. Cette volumineuse correspondance qui est la vôtre en est la preuve. Je viens de la relire, j'en demeure ému et rêveur. Si quelqu'un voulait savoir exactement ce qu'est l'amitié entre homme et femme, il l'apprendrait dans ces lettres en y joignant quelques-unes des miennes. Ne m'avez-vous pas proposé un jour de faire cette confrontation? Je m'en promets un plaisir délicieux.

 

Oui, notre amitié est dans ces lettres; on y voit les nuances, la gradation, et l'on sent combien ce sentiment est difficile à conserver, côtoyant ces deux abîmes: l'indifférence du cœur et l'amour, entre lesquels il n'est qu'un étroit passage.

Vraiment, si cette correspondance ne m'était pas adressée, si je pouvais en parler, surtout en penser avec une liberté que je n'ai pas, je crois que je ferais un chapitre intéressant avec les réflexions qu'elle me suggère. N'aurais-je pas bien des documents pour écrire un roman intitulé: Amitié de femme.

J'ajouterais à vos lettres quelques autres que je possède, des observations prises sur le vif et dont j'ai gardé le souvenir – malheureusement pas écrit – et enfin mes impressions personnelles. C'est là que la chose deviendrait difficile. Je ne sais si j'arriverais, non seulement à être sincère – ce qui me demanderait un grand effort – mais si, l'étant, j'arriverais à me débrouiller au milieu de la contradiction, de la complexité, de la fluidité de mes sentiments. Je me demande même s'il est des mots pour traduire certains états d'âme, et si ce n'est pas fausser certaines nuances de la pensée que de les évoquer seulement?

Vous voudrez bien me dire si vous avez compris ce dernier passage. J'ai peur d'être tombé dans un affreux galimatias. Aussi bien ce que je veux vous dire est-il très difficile à exprimer, et cet essai malheureux vous prouve-t-il que je n'écrirai jamais le roman en question. Au surplus, il me répugnerait infiniment de dévoiler devant le public ces côtés mystérieux et sacrés de mon cœur. Je n'ai pas l'impudeur nécessaire aux gens qui écrivent. Un instinct irrésistible me pousse, quand j'éprouve une émotion très forte, à la cacher. Par combien de gens cette préoccupation constante de dissimuler ne m'a-t-elle pas fait prendre pour sceptique ou moqueur!

Je ne suis rien de tout cela: je ne suis, au fond, qu'une vieille bête sensible.

Je vais m'endormir sur cette idée-là. Bonsoir, mon amie.

CLV
Denise à Philippe

20 novembre.

Vous donnez à certaines heures des joies uniques; la jolie lettre! J'y sens entre chaque ligne la droiture et la ferveur du sentiment qui nous lie.

Amitié, vous dites? Ah! quelle merveilleuse et surabondante tendresse de cœur bien plutôt, qui fait qu'à mesure que nous nous connaissons, nous nous aimons davantage et sentons les liens impalpables qui nous unissent se resserrer et nous étreindre si étroitement… au moins il en est ainsi pour moi, mon ami.

Je voudrais vous voir faire ce livre. De grand cœur je vous abandonne mes lettres, d'autres encore à vous écrites et que je n'ai jamais envoyées, si, autour de ce maigre rameau, doivent et peuvent s'enlacer les lianes fortes et souples de vos pensées. Ce serait une œuvre intéressante et pleine de nuances. Je comprends toute la fluidité, toute la complexité que votre âme y pourrait mettre. A cause de cela l'œuvre serait humaine.

Que parlez-vous de l'impudeur des écrivains? Ceux-là seuls sont impudiques qui nous livrent leurs pensées vulgaires ou les recommencements de leurs petites amours. De ceux-là, Flaubert disait: «Ah! qu'ils sont tous embêtants avec leurs éternelles histoires de couchage!» Mais Saint-Victor, Renan, Michelet et tant d'autres grands, ont-ils jamais fait autre chose que de nous exciter à penser, à agir noblement?

Sérieusement, songez à cela, mon ami, vivez dans cette idée, remuez-la dans votre cerveau, attachez votre imagination à cette conception. Ainsi procédait Guy de Maupassant; il gardait un livre en projet, je dirais presque en espérance, pendant des mois, dans sa tête, et l'œuvre, tout à coup, se dressait faite et sortait de son esprit tout armée, comme Minerve.

C'est vrai… nous nous sommes peu vus depuis que nous nous connaissons. La faute en est plus à vous qu'à moi; ceci n'est pas un reproche et je vais vous confier une chose qui va vous étonner: je ne le regrette pas. Je pense mieux que je n'écris, j'écris mieux que je ne parle. En parlant, un regard, un sourire, une trop grande attention ou une distraction de mon auditeur, me trouble, me gêne, m'annihile, comme aussi la présence des gens qui remuent autour de nous. Ce que je sens de délicat, de fin dans ma pensée m'échappe avec les mots pour le rendre; au lieu d'exprimer ce dont mon esprit est hanté, je n'ai plus à mon service que des réparties, des phrases coupées, ahuries, qui ne deviennent rien. Mais si j'écris, nul ne m'intimide: vous êtes là, pas loin de mon papier, presque au bout de ma plume; votre regard est ce que je veux qu'il soit, bon, indulgent, plein de compréhension pour l'embrouillement de mes idées exprimées. C'est la vieille bête sensible que j'évoque, que j'ai. Alors, à tort, à travers, je jabote à loisir. Ah! je vous en dirais de ces choses, si je n'avais pas peur de vous ennuyer!

Votre muette amie, madame Close, comme vous avez dit si drôlement un soir, vit dans une perpétuelle exaltation de sentiment, dans un raffinement de tendresses pensées qui lui font trouver odieuses les réalités parlées.

Vous le dire? Non – vous l'écrire? pourquoi pas? Vous êtes «mes débauches d'esprit» et je puis bien vous faire confidence de ce dérèglement de ma pensée, puisqu'il ne s'entache d'aucune peine pour vous, d'aucune honte pour moi.

DENISE.

P. – S.– Je retouche ma partition. J'aurais besoin que vous fussiez là pour avoir de bonnes critiques et revoir avec vous ces épreuves dont le travail de correction m'est réellement une épreuve. Dès ce métier de manœuvre achevé, je m'occupe de mes chants hongrois. Voici le dernier pondu; que vous en semble? Rythmez-le bien en le lisant, sans quoi ça fait bouillie. Je vous traduirai l'esprit des paroles quand j'aurai plus de loisir, et vous me ferez des vers s'y rapportant. Moi, j'aime mon Hongrois; mais si peu de personnes entendent, à Paris, cette langue sonore… pour son «petit commerce», l'éditeur réclame du français.

CLVI
Philippe à Denise

22 novembre.

Ma chère intellectuelle,

Un mot en hâte. Je suis ravi du chant hongrois. Il est plein de caractère, de couleur locale. Vous avez du talent, ma mie, et je vous aime.

Mais, vraiment, je vous intimide si fort? Je ne m'étais jamais aperçu de tant de déperdition de vos facultés lorsque vous me parlez.

En ce moment, j'ai près de moi un ami en visite et à la minute Jacques entre… c'est bien autrement troublant! Je ne veux pas manquer le courrier et ne laisse pas d'être inquiet sur la tournure que va prendre ma lettre. Alors je préfère vous quitter tout de suite.

Je vous aime, aimez-moi. Adieu.

CLVII
Denise à Philippe

24 novembre.

Vous m'aimez? Ah! le bon billet que j'ai là, le bon billet!

Puis-je discrètement vous recommander – pour l'avenir – de ne pas précisément choisir l'instant où vous avez le plus de monde autour de vous pour m'écrire? Votre lettre de ce matin a une petite allure maritale tout à fait touchante; mais puisque je n'ai pas les corvées de cette situation ne m'en envoyez pas si sèchement les bénéfices!

Et puis qu'est-ce, ce ton? Vous me jetez: intellectuelle bien ironiquement au nez; serait-ce un monopole pour vous, messieurs, l'intellectualité? Quelques-uns d'entre vous le sont éminemment, intellectuels, sans perdre aucune de leurs séductions; mais, croyez-en l'opinion d'une pauvre petite femme, beaucoup plus pourraient l'être sans inconvénient.

Pourquoi ce domaine de l'esprit nous serait-il interdit?

Les femmes qui s'intéressent à ces choses sans effort, sans feinte, sans imitation, mais par instinct et noble besoin, ne sont déjà pas si nombreuses; on peut les trouver et les compter dans une charretée de foin! A celles qui le font, entraînées par la volonté d'être libres, par le besoin de gagner leur vie, ayant pour but d'être les vraies compagnes de l'homme dans ses travaux, ses aspirations, aussi bien que dans son amour, on devrait leur en savoir gré.

A moins d'être merveilleusement douées, il leur faut tant travailler, tant lutter pour arriver! et c'est si peu dans notre nature ce déploiement de volonté et de persévérance… Nos sentiments, nos réflexions, nos actes sont d'abord et uniquement des sensations. Voilà notre point faible. Nous sentons avant de penser et sommes presque toutes intuitives.

La première chose que nous tentons dans la vie, c'est d'y être heureuses. Être femme, seulement cela! Se laisser bercer, choyer, aimer, vivre d'espoirs et de tendresses, voilà notre unique aspiration. Celles de nous qui versent dans l'intellectualité, ce sont les échouées sur la rive, les malmenées par les événements, celles que le bonheur a fuies.

Pareilles aux autres, j'ai cherché à être heureuse; jusqu'à présent je l'ai mal pu; encore le suis-je comparativement à de certaines; j'ai mon adorable Hélène, et même vous, à me fourrer sous la dent, lorsque, rageuse, il me prend envie de mordre. Malgré elle et vous, j'ai pourtant un peu versé dans l'intellectualité avec ma composition, mais seulement pour m'occuper et me distraire.

Parce que la mission des femmes est de vous servir, de vous adorer sans discussion, d'écarter de vous la peine, le souci, l'ennui, ne le peuvent-elles plus faire quand elles pensent? Certaines de nous me semblent au contraire plus près de votre âme, justement parce qu'elles aspirent à autre chose qu'au rôle de comparses. Ne les sentez-vous pas plus capables de bien vous donner la réplique, et leur jeu ne se fond-il pas mieux dans votre jeu? Pour vous plaire, devons-nous nous contenter d'être passives et soumises? Nos actes ne se peuvent-ils accompagner d'une lueur de réflexion et d'esprit?

Pourquoi nous en vouloir d'essayer de devenir mieux que la compagne vulgaire, bonne aux seules joies de la vanité, aux seules voluptés de l'alcôve, mais l'étoile qui resplendit toute palpitante de sollicitude et d'amour sur votre vie, ne défaut ni ne pâlit, prête toujours à donner le feu qui féconde? Cet effort ne vous est-il pas un hommage discret?

La femme-poupée vous gâte et vous fait nous jeter l'anathème; vous la satisfaites si facilement dans ses appétits de luxe, de vanité, de plaisir, de libertinage! Soyez donc indulgent pour d'autres, noblement ambitieuses d'un vous plus parfait; ne les raillez pas de leur modeste intellectualité: elle vous force à cultiver «le coin divin qu'il y a dans l'homme».

Allez, toute la supériorité des mères sur les maîtresses, c'est de vous aimer en vous obligeant au développement de ce «divin», en le cultivant, en exigeant ce plus que l'homme peut donner.

Il ne faut donc pas en vouloir aux femmes qui cherchent en vous autre chose que le mâle aux appétits exploitables.

Les beaux germes s'atrophient assez vite, ô chercheurs de sensations! Vous appelez avec désinvolture des blagues de sentiment, ce que je baptise la grandeur des pensées, la pureté des actes, le dévouement, l'abnégation dans l'amour.

Non seulement cette question se pose, pour moi, dans les rapports d'homme à femme, mais dans l'humanité; un peu de noble amour pour les déshérités, un peu de souci de leur sort, quelques actes de générosité, la chaleur bienfaisante de cœurs compatissants, ramèneraient bien des cerveaux égarés par les utopies clamées par des indifférents ambitieux.

Si je crie: «Amour!» ainsi que Séverine crie: «Charité!» c'est que l'amour est l'essence même de la générosité; il renferme non la charité seule, mais l'espérance et la foi.

Avant toute autre doctrine, sachant bien qu'elle pouvait être à elle seule la grande philosophie des humains, le Christ a enseigné: «Aimez-vous les uns les autres.»

Bon Dieu! où vais-je? Allez, c'est très triste d'être une femme que ne satisfait pas le papotage des visites, la description d'une robe, la vue d'un chapeau, la lecture de son nom dans un journal à propos d'une réception quelconque, prête à crier: «Néant! néant!» si la certaine fibre un peu délicate qu'elle possède ne vibre de temps en temps sous l'attouchement de pensées hautes conçues par d'autres cœurs épris, comme elle, d'un certain idéal.

Je sens bien l'infériorité où me place cette recherche, et j'envie les heureuses futiles qui se donnent ces maigres buts de mondanité à atteindre et trouvent le moyen d'y étourdir, d'un semblant d'importance et d'activité, leur vide existence.

 

Oui, c'est triste de ne pouvoir regarder les feuilles tomber sans songer aux maux qu'apporte aux pauvres l'hiver; ni la flamme du foyer sans craindre que des misérables ne meurent de froid, ni se mettre à table sans penser qu'il en est qui meurent de faim. Toute joie matérielle en est gâtée; aussi ai-je recours aux joies morales… Celles-là frustent de plus riches que moi, et de si peu encore! Ce que je garde d'eux, en prenant contact, c'est un grain de mil.

Mon ami, la femme qui n'est pas chercheuse, pas curieuse, pas inquiète d'un peu de sublime est stupide, voilà mon sentiment.

Je sais… malgré leur supériorité, la plupart des hommes aiment les êtres inférieurs. Un Jean-Jacques fait ses délices d'une Thérèse, et avant et après lui combien d'autres! Le règne des servantes-maîtresses dure toujours.

Et quant à vous, qui n'êtes nullement Rousseauyen par ce côté, lorsque je pense de quel charme, de quelles vertus affectives il faut que nous soyons pourvues, moi et toutes celles qui vous aiment, pour vous garder comme ami, j'en demeure émerveillée, prête à vous sacrer grand homme de nous avoir animées d'un tel sublime effort! Quelle collaboration inconnue, laborieuse, décevante, de vous donner le meilleur de nos pensées, de nos âmes, enfin de vous aimer à vide, toutes!

Nouvelles Danaïdes, nous emplissons en vain ce cœur nonchalant et sans fond; la chute en lui de tant de douces choses ne l'émeut même pas. Combien vous en faut-il de ces âmes de femmes cueillies en passant, pour vous tresser un souvenir?

Vous vous récriez sur ce toutes? Eh! mais, m'sieur, Germaine, Suzanne, moi et tant d'autres que j'ignore et veux ignorer, le composons, ce toutes.

Adieu; je suis sombre. Voilà mon état d'âme. Je ne sais pas s'il est très intellectuel, je le sens plutôt vaguement désastreux. Avec cela, la campagne ne m'enchante plus; j'ai usé ma veine champêtre annuelle; fâcheux contretemps, pas vrai?

Adio, caro mio.

Купите 3 книги одновременно и выберите четвёртую в подарок!

Чтобы воспользоваться акцией, добавьте нужные книги в корзину. Сделать это можно на странице каждой книги, либо в общем списке:

  1. Нажмите на многоточие
    рядом с книгой
  2. Выберите пункт
    «Добавить в корзину»