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Jane Eyre; ou Les mémoires d'une institutrice

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– Oui. Le parloir nous servait de salle d'étude à tous; il s'asseyait près de la fenêtre, et nous près de la table.

– Étudiait-il beaucoup?

– Oui, beaucoup.

– Et quoi?

– L'hindoustani.

– Et que faisiez-vous pendant ce temps?

– Au commencement, j'apprenais l'allemand.

– Était-ce lui qui vous l'enseignait?

– Non, il ne comprenait pas cette langue.

– Ne vous enseignait-il rien?

– Un peu d'hindoustani.

– Rivers vous enseignait l'hindoustani?

– Oui, monsieur.

– Et à ses soeurs aussi?

– Non.

– Seulement à vous?

– Seulement à moi.

– Le lui aviez-vous demandé?

– Non.

– C'était lui qui le désirait?

– Oui.»

M. Rochester s'arrêta de nouveau.

«Pourquoi le désirait-il? À quoi pouvait vous servir l'hindoustani?

– Il voulait m'emmener avec lui aux Indes.

– Ah! je devine, maintenant; il voulait vous épouser.

– Il m'a demandé, en effet, de devenir sa femme.

– Ce n'est pas vrai; c'est un conte impudent que vous inventez pour me contrarier.

– Je vous demande pardon, c'est la vérité; il me l'a demandé plus d'une fois, et vous-même vous n'auriez jamais pu y mettre plus de persévérance que lui.

– Mademoiselle Eyre, je vous ai dit que vous pouviez me quitter. Combien de fois faudra-t-il répéter la même chose? Pourquoi cet entêtement à rester perchée sur mes genoux, quand je vous dis de vous en aller?

– Parce que j'y suis bien.

– Non, Jane, vous n'êtes pas bien ici, car votre coeur n'est pas avec moi. Il est près de votre cousin Saint-John. Oh! jusqu'à ce moment je croyais que ma petite Jane était toute à moi. Même lorsqu'elle m'abandonna, je croyais qu'elle m'aimait encore. C'était ma seule joie au milieu de mes grandes douleurs. Quoique nous ayons été longtemps loin l'un de l'autre, quoique j'aie versé d'abondantes larmes sur notre séparation, en pleurant ma Jane, je n'ai jamais eu la pensée qu'elle pût en aimer un autre. Mais il est inutile de s'affliger. Jane, laissez-moi; épousez Rivers.

– Alors, monsieur, repoussez-moi loin de vous, car je ne vous quitterai pas librement.

– Jane, j'aime toujours votre voix; elle ranime mon espoir, car elle semble annoncer la fidélité. Quand je l'entends, elle me reporte au passé, et j'oublie que vous avez formé des liens nouveaux; mais je ne suis pas un fou. Partez, Jane.

– Pour aller où, monsieur?

– Pour aller retrouver le mari que vous avez choisi.

– Quel est-il?

– Vous le savez bien, Saint-John Rivers.

– Il n'est pas mon mari et il ne le sera jamais. Je ne l'aime pas et il ne m'aime pas. Il aime (comme il peut aimer, et ce n'est pas ainsi que vous) une belle jeune fille, appelée Rosamonde; il veut m'épouser parce qu'il pense trouver en moi une bonne femme de missionnaire, ce qu'il n'aurait pas trouvé en elle. Il est grand et bon, mais sévère et froid comme de la glace à mon égard. Il ne vous ressemble pas, monsieur. Je ne suis pas heureuse près de lui; il n'a pour moi ni indulgence ni tendresse; il ne voit en moi rien d'attrayant, pas même la jeunesse; il me considère seulement comme utile. Eh bien! monsieur, dois-je vous quitter pour aller avec lui?»

Je frissonnai involontairement, et par un instinct secret je me rapprochai de mon maître aveugle, mais aimé. Il sourit.

«Comment, Jane! est-ce vrai? me dit-il; les choses en sont-elles réellement là entre vous et Rivers?

– Oui, monsieur. Oh! vous n'avez pas besoin d'être jaloux. Je voulais vous irriter un peu pour vous rendre moins triste. Je pensais que la colère vaudrait mieux que la douleur. Vous désirez mon amour; eh bien! si vous pouviez voir combien je vous aime, vous seriez fier et heureux. Tout mon coeur vous appartient, monsieur, et il continuerait à vous appartenir, quand même le destin devrait nous éloigner pour toujours.»

Il m'embrassa de nouveau et semblait accablé par de tristes pensées.

«Oh! ma vue éteinte, mes forces perdues!» murmura-t-il d'un accent douloureux.

Je le caressai pour le sortir de sa rêverie. Je savais à quoi il pensait; j'aurais voulu parler pour lui, mais je n'osais pas. Il se détourna un instant; je vis une larme glisser sous ses paupières closes et le long de ses joues mâles. Mon coeur se gonfla.

«Je ne vaux pas mieux que le vieux marronnier frappé par l'orage dans le verger de Thornfield, dit-il au bout de peu de temps. Cette ruine aurait-elle le droit de demander à un chèvrefeuille en boutons de la recouvrir de ses fraîches fleurs?

– Vous n'êtes pas une ruine, monsieur; vous n'êtes pas un arbre frappé par l'orage: vous êtes jeune et vigoureux. Des plantes pousseront autour de vos racines, sans même que vous le demandiez, car elles se réjouiront de votre riche ombrage; elles s'appuieront sur vous et vous enlaceront, parce que votre force leur sera un soutien sûr.»

Il sourit de nouveau: je venais de le consoler un peu.

«Parlez-vous des amis, Jane? me demanda-t-il.

– Oui,» répondis-je en hésitant.

Je pensais à quelque chose de plus, mais je ne savais quel autre mot employer. Il vint à mon secours.

«Mais, Jane, me dit-il, j'ai besoin d'une femme.

– Vous, monsieur?

– Oui, Est-ce donc nouveau pour vous?

– Vous n'en aviez pas encore parlé.

– Et cette nouvelle n'est pas la bienvenue, n'est-ce pas?

– Cela dépend des circonstances, monsieur; cela dépend de votre choix.

– Vous le ferez pour moi, Jane; j'accepterai votre choix.

– Eh bien monsieur, choisissez celle qui vous aime le plus.

– Je choisirai du moins celle que j'aime le plus. Jane, voulez- vous m'épouser?

– Oui, monsieur.

– Un homme estropié, de vingt ans plus vieux que vous, et qu'il faudra soigner?

– Oui, monsieur.

– Est-ce bien vrai, Jane?

– Très vrai, monsieur.

– Oh! ma bien-aimée, Dieu vous bénisse et vous récompense!

– Monsieur Rochester, si jamais j'ai fait une bonne action dans ma vie, si jamais j'ai eu une bonne pensée, si jamais j'ai prononcé une prière sincère et pure, si jamais j'ai eu un désir noble, je suis récompensée maintenant. Devenir votre femme, c'est pour moi être aussi heureuse que possible sur la terre.

– Parce que vous aimez à vous sacrifier.

– À me sacrifier? Qu'est-ce que je sacrifie? la faim pour la nourriture, l'attente pour la joie. Avoir le droit d'entourer de mes bras celui que j'estime, de presser mes lèvres sur celui que j'aime, de me reposer sur celui en qui j'ai confiance, est-ce lui faire un sacrifice? S'il en est ainsi, certainement j'aime à me sacrifier.

– Mais, Jane, il faudra supporter mes infirmités, voir sans cesse ce qui me manque.

– Tout cela n'est rien pour moi, monsieur. Je vous aime, et plus encore maintenant que je puis vous être utile qu'aux jours de votre orgueil, où vous ne vouliez que donner et protéger.

– Jusqu'ici je n'ai voulu être ni secouru ni conduit; maintenant je n'en souffrirai plus. Je n'aimais pas à mettre ma main dans celle d'une servante, mais il me sera doux de la sentir pressée par les petits doigts de Jane. Je préférais l'entière solitude à la constante surveillance des domestiques; mais le doux ministère de Jane sera une joie perpétuelle. Jane me plaît; est-ce que je lui plais?

– Oh! oui, monsieur, entièrement.

– Eh bien alors, rien au monde ne nous force à attendre; il faudra nous marier immédiatement.»

Son regard et sa parole étaient ardents; il retrouvait son ancienne impétuosité.

«Il faut que nous devenions une seule chair, et sans tarder. Une fois la permission obtenue, nous nous marierons.

– Monsieur Rochester, je viens de m'apercevoir que le soleil se couchait. Pilote est déjà parti dîner; laissez-moi regarder l'heure à votre montre.

– Attachez-la à votre ceinture, Jane, et gardez-la. Je n'en ai plus besoin.

– Il est près de quatre heures, monsieur; n'avez-vous pas faim?

– Dans trois jours, Jane, il faudra nous marier. Peu importent les bijoux et les beaux vêtements; tout cela ne vaut pas une chiquenaude.

– Le soleil a séché toutes les gouttes de pluie, monsieur. La bise ne souffle plus, et il fait bien chaud.

– Savez-vous, Jane, que votre petit collier de perles est dans ce moment-ci attaché sous ma cravate, autour de mon cou bronzé? Depuis le jour où je perdis mon seul trésor, je le porte comme un souvenir.

– Nous retournerons à travers le bois, repris-je, nous y serons plus à l'ombre.»

Mais il ne m'écoutait pas et poursuivait toujours sa pensée.

«Jane, continua-t-il, vous me prenez pour un chien de païen, et pourtant mon coeur est gonflé de reconnaissance envers le Dieu bienfaisant. Lui voit plus clairement que les hommes, il juge plus sagement qu'eux. Grâce à lui, je ne vous ai pas fait de mal. Je voulais flétrir une fleur innocente et souiller sa pureté; le Tout-Puissant me l'a arrachée des mains; je l'ai presque maudit dans ma révolte orgueilleuse. Au lieu de plier le front sous sa volonté, je l'ai défié. La justice divine a poursuivi son cours; les malheurs m'ont accablé; j'ai passé bien près de la mort. Les châtiments du Tout-Puissant sont grands; il m'envoya une épreuve qui me rendit humble pour toujours. Vous savez que j'étais orgueilleux de ma force; mais que suis-je maintenant qu'il faut me laisser guider par un autre, comme un enfant dans sa faiblesse? Il y a peu de temps, Jane, que j'ai reconnu la main de Dieu dans mon destin. Alors je commençai à sentir du remords et du repentir, à désirer de me réconcilier avec mon Créateur; je me mis à prier quelquefois; mes prières étaient courtes, mais sincères.

«Il y a quelque temps, quatre jours, du reste, car c'était lundi soir, je me trouvais dans une singulière disposition: l'égarement avait fait place à la douleur, l'obstination à la tristesse; depuis longtemps je me disais que, puisque je ne pouvais pas vous trouver, vous deviez être morte. Ce soir-là, entre onze heures et minuit, avant de me laisser aller à mon triste sommeil, je suppliai Dieu de me retirer de ce monde et de m'admettre dans cette éternité où j'avais encore espoir de rejoindre Jane.

 

«J'étais dans ma chambre, assis près de la fenêtre ouverte: j'aimais à sentir l'air embaumé de la nuit, bien que je ne pusse voir aucune étoile, et que la présence de la lune ne se révélât pour moi que par une vague lueur. J'aspirais vers toi, Jane; j'aspirais par mon corps et par mon âme. Je demandais à Dieu, avec un coeur humilié et angoissé, si je n'avais pas été assez longtemps désolé, affligé et tourmenté, et si je ne pourrais pas une fois encore goûter au bonheur et à la paix. J'avouais que tout ce que j'endurais était bien mérité, mais je disais aussi que j'aurais peine à supporter plus longtemps cette torture. Malgré moi, mes lèvres exprimèrent les désirs de mon coeur, et je m'écriai: «Jane! Jane! Jane!»

– Avez-vous prononcé ces paroles tout haut?

– Oui, Jane; et si quelqu'un m'avait entendu, il m'aurait cru fou, car je les prononçai avec une énergie égarée.

– Vous dites que c'était lundi dernier, vers minuit?

– Oui; mais peu importe le jour. Écoutez, voilà le plus étrange: vous allez me croire superstitieux. Il est certain que j'ai toujours eu un peu de superstition dans le sang. N'importe, ce que je vais vous dire est vrai; du moins il est vrai que j'ai cru entendre ce que je vais vous raconter. Au moment où je m'écriai: «Jane! Jane! Jane!» une voix, je ne puis dire d'où elle venait, mais je sais bien à qui elle appartenait, me répondit: «Je viens; attendez-moi.» Et, un moment après, j'entendis murmurer dans l'air: «Où êtes-vous?»

«Je vais vous dire, si je le puis, l'effet que me produisirent ces mots; mais c'est difficile à exprimer. Vous voyez que Ferndean est enseveli dans un bois épais où viennent s'éteindre tous les bruits sans qu'aucun résonne jamais. «Où êtes-vous?» semblait avoir été prononcé sur une montagne, car ces mots furent répétés par un écho. À ce moment, une brise plus fraîche vint effleurer mon front. J'aurais pu croire que Jane et moi nous venions de nous rencontrer dans quelque lieu sauvage; et je crois vraiment que nous avons dû nous rencontrer en esprit. Sans doute, Jane, qu'à cette heure vous étiez, plongée dans un sommeil dont vous n'aviez pas conscience; peut-être votre âme quittait son enveloppe terrestre pour venir consoler la mienne car c'était votre voix; je suis bien certain que c'était elle.»

C'était aussi le lundi, vers minuit, que moi j'avais reçu un avertissement mystérieux; c'était bien là ce que j'avais répondu, J'écoutai le récit de M. Rochester, mais sans lui parler de ce qui m'était arrivé. Cette coïncidence me sembla trop inexplicable et trop solennelle pour la communiquer ou la discuter. Si j'en avais parlé à M. Rochester, je l'aurais profondément impressionné, et son esprit, déjà si assombri par ses souffrances passées, n'avait pas besoin d'être encore obscurci par un récit surnaturel. Je gardai donc ces choses ensevelies dans mon coeur et je les méditai.

«Vous ne vous étonnerez plus, continua mon maître, qu'hier soir, lorsque je vous ai vue apparaître si subitement, j'aie eu peine à croire que vous n'étiez pas une vision, une voix qui s'éteindrait comme quelques jours auparavant le murmure de la nuit et l'écho de la montagne; maintenant, je vois que vous n'êtes pas une vision, et je remercie Dieu du fond de mon coeur.»

Après m'avoir fait retirer de ses genoux, il se leva, découvrit respectueusement son front, inclina vers la terre ses yeux sans regard et demeura dans une muette adoration. Je n'entendis que les derniers mots de sa prière:

«Je remercie mon Créateur, dit-il, de s'être souvenu de sa miséricorde à l'heure du châtiment, et je supplie humblement mon Sauveur de me donner les forces nécessaires pour mener à l'avenir une vie plus pure que par le passé.»

Il étendit la main pour me demander de le conduire; je pris cette main chérie et je la tins un moment pressée contre mes lèvres; puis je la passai autour de mon épaule: étant beaucoup plus petite que lui, je pouvais lui servir d'appui et de guide. Nous entrâmes dans le bois et nous retournâmes à la maison.

CHAPITRE XXXVIII
CONCLUSION

J'ai enfin épousé M. Rochester. Notre mariage se fit sans bruit; lui, moi, le ministre et le clerc, étions seuls présents. Quand nous revînmes de l'église, j'entrai dans la cuisine, où Marie préparait le dîner, tandis que John nettoyait les couteaux.

«Marie, dis-je, j'ai été mariée ce matin à M. Rochester.»

La femme de charge et son mari appartenaient à cette classe de gens discrets et réservés auxquels on peut toujours communiquer une nouvelle importante sans crainte d'avoir les oreilles percées par des exclamations aiguës, ni d'avoir à supporter un torrent de surprises. Marie leva les yeux et me regarda. Pendant quelques minutes elle tint suspendue en l'air la cuiller dont elle se servait pour arroser deux poulets qui cuisaient devant le feu, et John cessa de polir ses couteaux. Enfin Marie, se penchant vers son rôti, me dit simplement:

«En vérité, mademoiselle? Eh bien, tant mieux, certainement.» Au bout de quelque temps elle ajouta: «Je vous ai bien vue sortir avec mon maître; mais je ne savais pas que vous alliez à l'église pour vous marier.»

Et elle continua d'arroser son rôti.

Quand je me tournai vers John, je vis qu'il ouvrait la bouche si grande qu'elle menaçait d'aller rejoindre ses oreilles.

«J'avais bien averti Marie que cela arriverait, dit-il. Je savais que M. Édouard (John était un vieux serviteur et avait connu son maître alors qu'il était encore cadet de famille; c'est pourquoi il l'appelait souvent par son nom de baptême), je savais que M. Édouard le ferait, et j'étais persuadé qu'il n'attendrait pas longtemps; je suis sûr qu'il a bien fait.»

En disant ces mots, John tira poliment ses cheveux de devant.

«Merci, John, répondis-je. Tenez, M. Rochester m'a dit de vous donner ceci, à vous et à Marie.» Et je lui remis un billet de cinq livres.

Sans plus attendre je quittai la cuisine. Quelque temps après, en repassant devant la porte, j'entendis les mots suivants: «Elle lui conviendra mieux qu'une grande dame.» Puis: «Il y en a de plus jolies, mais elle est bonne et n'a pas de défauts. Du reste, il est facile de voir qu'elle lui semble bien belle.»

J'écrivis immédiatement à Moor-House, pour annoncer ce que j'avais fait. Je donnai toutes les explications nécessaires dans ma lettre. Diana et Marie m'approuvèrent entièrement. Diana m'annonça qu'elle viendrait me voir après la lune de miel.

«Elle ferait mieux de ne pas attendre jusque-là, Jane, me dit M. Rochester, lorsque je lui lus la lettre; car la lune de miel brillera sur toute notre vie, et ses rayons ne s'éteindront que sur votre tombe ou sur la mienne.»

Je ne sais pas comment Saint-John vécut cette nouvelle; il ne répondit jamais à la lettre que je lui écrivis à cette occasion. Six mois après il m'écrivit, mais sans nommer M. Rochester et sans faire allusion à mon mariage. Sa lettre était calme et même amicale, bien que très sérieuse. Depuis ce temps notre correspondance, sans être très fréquente, fut régulière. Il espère que je suis heureuse, me dit-il, et que le Seigneur ne pourra pas me compter au nombre de ceux qui vivent sans Dieu dans le monde et ne s'inquiètent que des choses de la terre.

Sans doute vous n'avez pas complètement oublié la petite Adèle; quant à moi, je me souviens toujours d'elle. J'obtins bientôt de M. Rochester la permission d'aller la voir à sa pension. Je fus émue par la joie qu'elle témoigna en me revoyant. Elle me parut pâle et maigre, et elle me dit qu'elle n'était point heureuse. Je trouvai le règlement de la maison trop dur et les études trop sévères pour un enfant de son âge. Je l'emmenai avec moi. Je voulais redevenir son institutrice; mais je vis bientôt que c'était impossible: un autre demandait mon temps et mes soins; mon mari en avait absolument besoin. Je cherchai une pension plus douce, et assez voisine pour que je pusse aller la voir souvent et la ramener quelquefois à la maison. Je pris soin qu'elle ne manquât jamais de ce qui pouvait contribuer à son bien-être. Elle s'habitua bientôt à sa nouvelle demeure, redevint heureuse et fit de rapides progrès dans ses études. En grandissant, l'éducation anglaise corrigea en grande partie les défauts de sa nature trop française. Quand elle quitta sa pension, je trouvai en elle une compagne agréable et complaisante; elle était docile, d'un bon naturel, et avait d'excellents principes. Par ses soins reconnaissants pour moi et les miens, elle m'a bien récompensée des petites bontés que j'ai jamais pu avoir pour elle.

Mon récit approche de sa fin. Encore quelques mots sur ma vie de femme et sur le sort de ceux dont les noms ont été si souvent mentionnés ici, et alors j'aurai fini.

Il y a maintenant dix ans que je suis mariée, et je sais ce que c'est que de vivre entièrement avec et pour l'être que j'aime le plus au monde. Je me trouve bien heureuse, plus heureuse que ne peuvent l'exprimer des mots, parce que je suis la vie de mon mari autant qu'il est la mienne; jamais aucune femme n'a été plus liée à son mari que moi; jamais aucune n'a été plus la chair de sa chair, le sang de son sang. Nous ne sommes pas plus fatigués de la présence l'un de l'autre que nous ne sommes las des battements de nos coeurs; nous sommes toujours ensemble, et c'est pour nous le moyen d'être aussi libres que dans la solitude et aussi gais qu'en société. Nous causons tout le jour, et c'est comme si nous méditions d'une manière plus claire et plus animée. Il a toute ma confiance et j'ai toute la sienne. Nos caractères se conviennent; il en résulte un accord parfait.

M. Rochester resta aveugle pendant les deux premières années de notre mariage: c'est peut-être là ce qui nous a tant rapprochés, ce qui a rendu notre union si intime; car j'étais sa vue comme je suis encore sa main droite. J'étais littéralement, ainsi qu'il me le disait souvent, la prunelle de ses yeux; c'était par moi qu'il lisait la nature et les livres. Je n'étais jamais fatiguée de regarder pour lui et de dépeindre les champs, les rivières, les villes, les arbres, les nuages et les rayons de soleil des paysages qui nous environnaient, et de remplacer par mes paroles ce que lui refusaient ses yeux. Je n'étais jamais fatiguée de lire pour lui, de le conduire où il désirait aller, de faire ce qu'il désirait faire; et j'éprouvais une joie infinie à lui rendre ces tristes services parce qu'il me les demandait sans éprouver ni honte douloureuse ni poignante humiliation. Il m'aimait si sincèrement qu'il n'hésitait pas à avoir recours à moi. Je l'aimais si tendrement qu'en le servant je satisfaisais mon désir le plus doux.

Il y avait deux ans que nous étions mariés; un matin que j'écrivais une lettre sous sa dictée; il s'approcha, se pencha vers moi et me dit:

«Jane, avez-vous quelque chose de brillant autour de votre cou?»

J'avais une chaîne d'or; je lui répondis que oui.

«Et avez-vous une robe d'un bleu pâle?»

J'en avais une. Il m'apprit alors que depuis quelque temps il lui avait semblé voir s'éclaircir les ténèbres qui recouvraient l'un de ses yeux, et que maintenant il en était sûr.

Nous nous rendîmes à Londres. Il consulta un oculiste éminent et recouvra enfin la vue d'un de ses yeux. Il ne voit pas très bien: il ne peut ni lire ni écrire longtemps; mais il peut se conduire. La terre n'est plus un chaos pour lui; et quand son premier-né fut placé entre ses bras, il put voir que son fils avait hérité de ses yeux, de ses yeux d'autrefois, si grands, si brillants et si noirs. À cette occasion, il reconnut de nouveau, le coeur rempli d'émotion, que Dieu avait été miséricordieux jusque dans le châtiment.

Mon Édouard et moi nous sommes heureux, et d'autant plus que ceux que nous aimons le sont aussi. Diana et Marie Rivers sont toutes deux mariées; chaque année elles viennent nous voir ou nous allons les voir. Le mari de Diana est un capitaine de marine; c'est un galant officier et un excellent homme. Marie a épousé un ministre, ami de collège de son frère et digne de cette union par ses vertus et ses talents. Le capitaine Fritzjames et M. Warthon aiment sincèrement leurs femmes et en sont aimés.

Quant à Saint-John, il quitta l'Angleterre pour aller aux Indes. Il entreprit la tâche qu'il s'était imposée et il la poursuit encore: jamais pionnier plus infatigable et plus résolu ne se lança au milieu des rochers et des périls; il demeure ferme, fidèle et dévoué. Il travaille pour ses frères avec énergie, zèle et foi; il leur trace le chemin douloureux du perfectionnement. Comme un géant, il abat les préjugés religieux et sociaux qui encombrent la route du Seigneur. Il est peut-être austère, exigeant, ambitieux même; mais son austérité est celle du guerrier. Âme noble, pèlerin généreux qui se tient en garde contre les tentations des impies, son exigence est celle de l'apôtre qui ne parle qu'au nom du Christ quand il dit: «Que celui qui veut être à moi renonce à lui-même, prenne sa croix et me suive.» Son ambition est l'aspiration d'une âme qui veut une place dans les premiers rangs de ceux qui se sont rachetés de leurs fautes, qui se tiennent purs de toute souillure devant le trône de Dieu, partagent la dernière victoire avec l'Agneau sans tache, et sont appelés les élus et les fidèles.

 

Saint-John ne s'est pas marié; il ne se mariera jamais. Jusqu'ici il a pu accomplir sa tâche à lui seul, et elle approche de sa fin. Son glorieux soleil est près du déclin. La dernière lettre que j'ai reçue de lui m'a arraché des larmes humaines, mais a rempli mon coeur d'une joie divine: il pressentait sa récompense et apercevait déjà sa couronne incorruptible. Je sais que la prochaine fois ce sera une main étrangère qui m'écrira pour m'apprendre que le bon et fidèle serviteur a enfin été appelé dans la joie du seigneur. Et pourquoi pleurer?

La dernière heure de Saint-John ne sera pas obscurcie par la crainte de la mort. Aucun nuage ne s'appesantira sur son esprit; son coeur sera intrépide, son espérance sûre, sa foi ferme; ses propres paroles en sont un témoignage.

«Mon maître, dit-il, m'a averti; chaque jour il m'annonce plus clairement ma délivrance. J'avance rapidement, et à chaque heure qui s'écoule, je réponds avec plus d'ardeur; «Amen; venez, Seigneur Jésus!»

FIN
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