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Ivanhoe. 2. Le retour du croisé

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CHAPITRE XVIII

«Partons! notre voyage doit avoir lieu à travers le vallon et les broussailles, où le daim joyeux bondit près de sa mère timide, où le grand chêne, interceptant par ses rameaux les rayons du soleil, dessine une sorte de marqueterie en échiquier dans l'avenue tracée sur la verte pelouse. Levons-nous et partons, car ces sentiers sont agréables à fouler quand le soleil dans toute sa force est monté sur son trône; ils sont moins rians et moins sûrs quand l'astre de Phoebé, de sa lueur douteuse, éclaire l'obscurité de la forêt.»

La Forêt d'Ettrick.

Quand Cedric le Saxon vit son fils tomber sans connaissance dans l'arène à Ashby, son premier mouvement fut d'ordonner aux gens de sa suite de prendre soin de lui; mais les mots s'arrêtèrent heurtés dans son gosier et expirèrent sur ses lèvres. Il ne put prendre sur lui de reconnaître, en présence d'une telle assemblée, le fils qu'il avait renié et déshérité. Il commanda cependant à Oswald de ne pas le perdre de vue, et de prendre avec lui deux de ses serfs pour transporter Ivanhoe à Ashby dès que la foule se serait écoulée. Oswald fut devancé dans ce bon office; la multitude se dispersa en effet, mais il ne trouva plus le chevalier. Ce fut en vain que l'échanson de Cedric chercha partout son jeune maître: il vit les traces du sang qui venait de s'échapper de ses blessures, mais le jeune héros n'était plus dans sa tente; il semblait que des fées l'eussent enlevé du champ de bataille. Oswald eût pu, car les Saxons étaient superstitieux, adopter cette hypothèse pour expliquer la disparition d'Ivanhoe, s'il n'avait pas tout à coup jeté les yeux sur un homme accoutré en espèce d'écuyer, dans lequel il reconnut les traits de Gurth, son camarade. Inquiet sur le destin de son maître et désolé de sa soudaine disparition, le gardeur de pourceaux déguisé le cherchait partout, et avait même négligé en agissant ainsi le soin de sa propre sûreté. Oswald crut de son devoir d'arrêter Gurth comme un déserteur sur le sort duquel son maître avait à prononcer.

Renouvelant ses recherches sur le destin d'Ivanhoe, l'unique renseignement que l'échanson put recueillir fut que le chevalier avait été placé par des valets bien vêtus dans la litière d'une dame qui se trouvait parmi les spectateurs, et avait été immédiatement transporté hors de l'arène. Oswald, en recevant cet avis, résolut de retourner auprès de son maître, pour de plus amples instructions, emmenant avec lui le gardeur de pourceaux, qu'il regardait comme un transfuge évadé du service de Cedric.

Celui-ci avait été dans les plus vives alarmes à l'égard de son fils jusqu'au retour de l'échanson, car la nature en lui avait repris ses droits, en dépit du stoïcisme patriotique le plus prononcé. Mais dès qu'il sut qu'Ivanhoe se trouvait sous la sauve-garde de mains probablement amies, l'amour paternel, qu'avait éveillé l'incertitude de son sort, fut réprimé et remplacé par l'instinct dominant de l'orgueil blessé, et le ressentiment qu'avait produit la désobéissance filiale. «Qu'il erre où il voudra, dit-il, que ceux pour l'amour desquels il a couru tant de périls prennent soin de ses blessures! Il est plus fait pour se signaler dans les tours de jongleurs de la chevalerie normande que pour soutenir l'honneur et la réputation de ses ancêtres saxons avec le glaive et la hache, vieilles et bonnes armes de son pays.»

Si, pour soutenir la gloire de ses aïeux, dit Rowena qui se trouvait présente, il suffit d'être sage au conseil et brave au combat, d'être le plus courageux parmi les courageux, et le plus doux et le plus aimable entre les plus galans, je ne connais que le suffrage de son père qui puisse…» – «Silence! lady Rowena, ce sujet est le seul sur lequel je ne vous écouterai pas. Préparez-vous pour le banquet du prince. Nous avons été invités avec une si flatteuse courtoisie, avec des égards tels, que les Normands hautains en usent rarement envers nous depuis la fatale journée d'Hastings. Je m'y trouverai, ne fût-ce que pour montrer à ces fiers étrangers combien peu le destin d'un fils qui a vaincu leurs plus vaillans guerriers peut troubler le coeur d'un Saxon.» – «Et moi je n'irai pas, dit Rowena. Prenez garde que ce que vous prenez pour du courage et de la fermeté ne soit au fond que de la dureté de coeur.» – «Reste donc, femme ingrate, dit Cedric, c'est le tien qui est dur, puisque tu sacrifies les intérêts d'une nation opprimée à un frivole et illégitime attachement, et je me rendrai avec lui au festin du prince Jean d'Anjou.»

Ils partirent en effet pour assister à ce banquet dont nous avons déjà mentionné les principales circonstances. Dès qu'ils furent sortis du château, les deux thanes ou nobles saxons avec leur suite, montèrent à cheval, et ce fut pendant le tumulte occasionné par ce départ, que Cedric, pour la première fois, porta les yeux sur le fugitif gardeur de pourceaux. Le noble Saxon était revenu, comme nous l'avons vu, de très mauvaise humeur, et il n'avait besoin que d'un prétexte pour décharger sa colère sur quelqu'un. «Des fers! dit-il, des fers! qu'on le garrotte! Oswald! Hundibert! misérables! Comment osez-vous laisser en liberté ce coquin de valet?» Les compagnons de ce dernier se gardant bien de hasarder la moindre remontrance en sa faveur, lui attachèrent les mains derrière le dos avec la première corde venue. Il se soumit sans murmurer à ce traitement rigoureux; seulement il lança un regard de reproches à son maître et lui dit: «Cela vient de ce que j'aime votre sang plus que le mien.» – «À cheval, et en avant!» s'écria Cedric. – «Il en est bien temps, dit le noble Athelstane, car, si nous ne hâtons notre marche, les préparatifs du digne abbé de Waltheoff pour un arrière-souper36 se gâteront.»

Nos voyageurs firent cependant assez de diligence pour atteindre le couvent de Saint-Withold, avant qu'un malheur pût arriver. L'abbé, issu lui-même d'une ancienne famille saxonne, reçut ses deux compatriotes avec toute l'hospitalité prodigue dont cette nation était jalouse. On demeura à table fort avant dans la nuit, ou pour mieux dire, jusqu'au point du jour, et l'on ne prit congé de l'abbé qu'après avoir partagé avec lui un copieux déjeuner.

Au moment où la cavalcade sortait de la cour du monastère, il arriva un incident un peu alarmant pour des Saxons, qui, de tous les peuples de l'Europe, ajoutaient le plus de foi à l'observation superstitieuse des augures, et aux opinions desquels il faut reporter les singuliers usages dont parlent nos chroniques populaires. Les Normands, étant une race mêlée et plus avancée alors en civilisation, avaient perdu la plupart des préjugés que leurs ancêtres avaient importés de la Scandinavie, et se piquaient de penser plus sainement sur de pareils sujets. Dans le cas actuel, l'appréhension de quelque malheur prochain fut inspirée par un prophète non moins respectable, sans doute: un gros chien noir et maigre, qui, assis sur ses deux pattes de derrière, hurla d'une façon lamentable, quand les premiers cavaliers franchirent la porte, et par ses aboiemens sauvages et ses trépignemens dans tous les sens, paraissait témoigner une extrême envie de suivre la cavalcade.

«Je n'aime pas cette musique, mon père,» dit le noble Athelstane à Cedric; car il le nommait souvent ainsi par respect pour son âge. «Je ne l'aime pas non plus, notre oncle,» lui dit Wamba; «je crains beaucoup que nous n'ayons à payer le musicien.» – «Selon moi,» répliqua Athelstane, sur le cerveau duquel la bonne bière de l'abbé, déjà fameuse à cette époque, avait produit une impression favorable; «selon moi, nous ferions mieux de retourner sur nos pas et de rester avec l'abbé jusqu'à l'après-dînée. Cela porte malheur de voyager lorsque le chemin est traversé par un moine, un lièvre, ou un chien hurlant, avant que d'avoir fait un second repas.» – «Allons, cria Cedric impatienté, le temps n'est déjà que trop court pour accomplir notre voyage! quant au chien, je le connais; c'est celui de ce fripon de Gurth, et un fuyard inutile comme son maître.»

En parlant ainsi et en se dressant sur ses étriers, Cedric, tout irrité de ce retard, lança une javeline contre le pauvre Fangs; car c'était Fangs qui, ayant suivi les traces de son maître dans son expédition de maraude, l'avait perdu ici, et témoignait de cette manière sa joie de l'avoir retrouvé. La javeline blessa à l'épaule le dogue fidèle, si avant, qu'il faillit d'être cloué à la terre; et Fangs se sauva de la présence du thane courroucé en poussant des cris de douleur. L'âme du gardeur de pourceaux se gonfla de colère; car il fut plus sensible au meurtre prémédité de son chien qu'au mauvais traitement qu'il avait reçu lui-même. Ayant essayé vainement de porter la main à ses yeux, il dit à Wamba, qui, témoin de la mauvaise humeur de son maître, s'était prudemment tenu à l'écart: «Je t'en prie, rends-moi le service de m'essuyer les yeux avec le pan de ton manteau; la poussière me fait mal, et ces liens, qui me retiennent, ne me permettent d'agir ni d'une manière ni de l'autre.»

Wamba fit ce qu'il demandait; et quelque temps ils marchèrent côte à côte en silence. Gurth à la fin ne put retenir son émotion plus long-temps. «Ami Wamba, dit-il, de tous ceux qui sont assez fous pour servir Cedric, tu as seul le talent de lui rendre ta folie agréable. Va donc le trouver, et dis-lui que, ni par affection ni par crainte, Gurth ne le servira plus davantage. Il peut me flageller, me charger de fers, me trancher la tête; mais il n'est pas en son pouvoir de me forcer à l'aimer et à lui obéir. Va donc lui dire que Gurth, fils de Beowulph, ne veut plus le servir.» – «Assurément, dit Wamba, tout fou que je suis, je ne remplirai pas cet imprudent message. Cedric a une autre javeline fixée à sa ceinture, et tu sais qu'il ne manque pas toujours son but.»

 

«Peu m'importe, dit Gurth, il peut en faire un de moi. Hier il laissa son fils Wilfrid, mon jeune maître, baigné dans son sang; aujourd'hui il a voulu tuer en ma présence la seule autre créature qui m'ait toujours exprimé de l'attachement. Par saint Edmond, saint Dunstan, saint Withold, saint Édouard le confesseur, et tous les autres saints du calendrier saxon (car Cedric ne jurait jamais par aucun saint qui ne fût d'origine saxonne, et tous ses gens faisaient de même), je ne lui pardonnerai jamais.»

«Cependant, à ce que je crois,» dit le bouffon, qui jouait fréquemment le rôle de conciliateur dans la famille, «notre maître n'avait point le projet de faire du mal à Fangs, il ne voulait que l'effrayer; car, si vous l'avez remarqué, il s'est dressé sur ses étriers comme pour viser au dessus du but, et cette direction eût rempli son attente sans un malheureux saut du chien, qui a reçu de la sorte une telle égratignure, qu'il me sera facile de guérir avec un emplâtre de poix de la largeur d'un sou37.» – «Si cela était vrai, dit Gurth, si je pouvais le croire! mais non, j'ai vu la javeline bien dirigée, je l'ai entendue siffler en l'air, avec toute la méchanceté pleine de rage de celui qui l'avait lancée, et après avoir été violemment fixée au sol, elle frémissait encore, comme si elle eût regretté d'avoir manqué son but. Par le pourceau chéri de saint Antoine, je ne veux plus le servir.» À ces mots, le courroucé gardien de pourceaux se renferma dans un silence morne et tellement profond, que toutes les pasquinades du jovial Wamba ne purent le rompre de long-temps.

Cedric et Athelstane, qui précédaient la troupe, causaient alors ensemble sur l'état du pays, sur les dissensions de la famille royale, les querelles féodales de la noblesse normande, et sur la chance qui s'offrait aux Savons opprimés de secouer le joug de l'étranger, ou du moins d'acquérir durant ces convulsions intestines l'indépendance qui en pouvait résulter à leur profit, sujet pour lequel Cedric était rempli d'enthousiasme. Le rétablissement, les franchises de sa race, étaient devenus en effet la permanente utopie de son coeur, et il y eût sans peine immolé son bonheur domestique, avec les propres intérêts de son fils. Mais afin d'accomplir cette grande révolution en faveur des Anglais indigènes, il fallait que parmi eux il régnât une complète harmonie et qu'ils agissent de concert sous un chef reconnu. La nécessité de prendre ce chef dans les Saxons du sang royal était non seulement évidente, mais elle était une condition formelle de ceux à qui Cedric avait confié ses secrets desseins et ses plus chères espérances. Athelstane avait au moins ce titre, à défaut d'autres avantages; et, quoiqu'il possédât peu de talens pour se recommander comme chef de parti, il offrait un extérieur imposant, ne manquait point de bravoure, avait été accoutumé aux exercices militaires, et paraissait disposé à déférer aux avis de conseillers plus expérimentés. Par dessus tout, il était connu pour libéral, hospitalier et doué d'un bon naturel. Mais quelles que fussent les prétentions qu'Athelstane pût mettre en avant pour mériter d'être le chef de la confédération saxonne, bien des gens de cette nation penchaient pour lady Rowena, qui descendait en ligne directe d'Alfred-le-Grand, et dont le père avait été un guerrier renommé par sa prudence, son courage, sa générosité, et de qui la mémoire était toujours chère à ses compatriotes opprimés.

Il n'eût pas été difficile à Cedric, s'il l'eût voulu, de se mettre lui-même à la tête d'un troisième parti, non moins redoutable que les autres. S'il n'était pas du sang royal, il avait du courage, de l'activité de l'énergie, et, par dessus tout, ce dévouement sans bornes à la cause nationale, qui lui avait valu l'épithète de Saxon; et d'ailleurs sa naissance ne le cédait à aucune autre qu'à celles d'Athelstane et de Rowena. Pourtant ces qualités ne s'accordaient guère avec son désintéressement; et au lieu de chercher à diviser encore sa nation affaiblie en créant une faction à son profit, son plan favori était d'éteindre les factions qui existaient déjà, en négociant le mariage d'Athelstane avec lady Rowena. L'attachement mutuel de celle-ci et de son fils Ivanhoe mettait obstacle à une telle union, et il avait été la cause du bannissement de Wilfrid du toit paternel.

Cedric avait pris cette rigoureuse détermination dans l'espoir que l'absence de son fils porterait Rowena à oublier la préférence qu'elle lui marquait; il se trompa dans son calcul, désappointement que, du reste, on aurait pu attribuer en partie à la manière dont sa pupille avait été élevée. Cedric, pour qui le nom d'Alfred était comme celui d'une divinité, avait soigné l'unique rejeton de ce grand roi, avec des égards tels qu'on en aurait à peine accordé de semblables à une princesse reconnue. La volonté de Rowena dans presque toutes les occasions avait été une loi pour la maison de Cedric, et lui-même, comme s'il eût voulu que la souveraineté de cette tige royale fût pratiquée dans son petit cercle, se faisait gloire publiquement de lui obéir, comme s'il n'avait été que le premier de ses sujets. Accoutumée ainsi à l'exercice non seulement d'une volonté libre, mais d'une autorité sans contradiction, Rowena n'était pas disposée, par suite de cette même éducation, à céder aux tentatives qui auraient pour but de contrôler ses affections, et de l'obliger à une alliance opposée à son inclination; elle aurait au contraire défendu son indépendance en un point où la plupart des personnes de son sexe qui ont été élevées à l'obéissance et à la soumission apportent souvent de la résistance à l'autorité de leurs parens ou tuteurs. Tout ce qu'elle sentait vivement, elle l'exprimait sans gêne et avec franchise, et Cedric, non désaccoutumé de la déférence qu'il avait pour les opinions invariables de sa pupille, ne savait trop comment s'y prendre pour faire prédominer son pouvoir de tuteur.

Ce fut en vain qu'il essaya d'éblouir sa pupille avec la perspective d'un trône imaginaire. Douée d'un jugement sain, elle regardait le projet de Cedric comme d'une exécution non seulement impossible, mais encore très peu désirable. Du moins en ce qui la concernait personnellement, il n'aurait pu s'achever. Sans chercher à dissimuler la préférence ouverte qu'elle accordait à Wilfrid d'Ivanhoe, elle déclara que, si même ce chevalier favorisé venait hors de question, elle se réfugierait dans un couvent plutôt que de partager un trône avec Athelstane, qu'elle avait toujours méprisé, et que maintenant elle commençait à détester, à cause des peines et des désagrémens qu'elle avait ressentis à son sujet.

Néanmoins Cedric, dont l'opinion sur la constance des femmes était loin d'être favorable, persistait à user de toute son influence pour faire réussir le mariage projeté, croyant par là qu'il rendait un éminent service à la cause des Saxons. La soudaine et romanesque apparition de son fils lui avait paru avec raison porter un coup mortel à ses hautes espérances. Son affection paternelle, il est vrai, avait quelques instans remporté la victoire sur son orgueil outré et son ardent patriotisme; mais ces deux sentimens avaient repris tout leur empire, et Cedric était résolu de tenter un dernier effort pour l'union de sa pupille et d'Athelstane, en prenant d'ailleurs les mesures propres à hâter l'affranchissement de sa patrie.

C'était de ce dernier sujet qu'il s'entretenait maintenant avec son compagnon de route, non sans avoir de temps en temps raison de se plaindre, comme Hotspur, de ce qu'il avait mis en avant un pareil être pour une action si honorable; c'était, pour ainsi dire, comme s'il eût présenté une jatte de lait écrèmé à un palais délicat et sensuel38. Athelstane, il est vrai, était assez vain, et il aimait à avoir les oreilles chatouillées par les récits de sa haute origine et de son droit héréditaire aux hommages et à la souveraineté. Mais cette petite vanité se trouvait satisfaite par le salut de main39 de ses vassaux et des Saxons qui l'approchaient. Il avait bien le courage de braver le danger, mais il lui répugnait de se donner la peine d'aller le chercher; et pendant qu'il tombait d'accord avec Cedric sur les droits des Saxons à recouvrer leur indépendance, il était plus encore aisément convaincu de son titre pour régner sur eux, quand cette indépendance aurait été conquise; et même alors qu'il s'agissait de prouver la légitimité de ses prétentions il redevenait Athelstane l'indolent, se montrait irrésolu, temporiseur et sans rien entreprendre. Les énergiques exhortations de Cedric n'avaient pas plus d'effet sur son âme impassible, que des boulets rouges déposés dans l'eau, lesquels y occasionnent un peu de bruit et de fumée, et s'éteignent sur-le-champ.

Si, renonçant de ce côté à sa tâche, qu'on pourrait comparer à un cavalier serrant de l'éperon une haridelle épuisée de fatigue, ou à un forgeron qui battrait un fer froid, Cedric passait à sa pupille, il n'en recevait guère plus de satisfaction. En effet, comme sa présence interrompait les causeries de Rowena et de sa favorite, sur la valeur et le destin de Wilfrid, la suivante Elgitha ne manquait pas de se venger, elle et sa maîtresse, en rappelant la manière dont le noble Athelstane avait été désarçonné dans la lice, sujet le plus désagréable qui pût résonner à l'oreille de Cedric. Pendant toute la journée, le voyage du quinteux Saxon fut semé de déplaisirs et de contre-temps, à tel point que plus d'une fois il maudit intérieurement le tournoi, ceux qui l'avaient conçu, et sa propre folie qui l'y avait amené.

Vers midi, sur la proposition d'Athelstane, les voyageurs s'arrêtèrent près d'une fontaine, sur la lisière d'un bois, pour faire reposer leurs chevaux et se restaurer eux-mêmes avec les provisions dont le généreux abbé de saint Withold avait pour eux chargé une mule. Cette halte, qui fut un peu longue, et plusieurs autres, ne laissaient plus aux voyageurs l'espérance d'arriver à Rotherwood que de nuit, ce qui les obligea de hâter davantage le pas de leurs montures.

CHAPITRE XIX

«Une troupe d'hommes armés, escortant quelque noble dame, comme leurs paroles diffuses l'annonçaient tandis qu'inaperçu je me tenais derrière eux, marchent très près les uns des autres, et se disposent à passer la nuit dans le château voisin.»

JOANNA BAILLIE, Orra, tragédie.

Nos voyageurs étaient arrivés sur la lisière d'un bois, et ils étaient sur le point d'en traverser le labyrinthe, ce qui était dangereux dans ce temps-là, vu le nombre d'outlaws ou proscrits que l'oppression et la misère avaient poussés au désespoir, et qui occupaient les forets en bandes assez nombreuses pour défier aisément la faible police de l'époque. Cependant, malgré l'heure avancée, Cedric et Athelstane croyaient pouvoir ne rien craindre de ces maraudeurs, vu qu'ils étaient accompagnés de dix serviteurs d'armes, outre Wamba et Gurth, dont le secours était pour ainsi dire nul, l'un ayant les bras liés, l'autre n'étant qu'un bouffon. On peut ajouter qu'en traversant ainsi la forêt durant les ténèbres de la nuit, Cedric et Athelstane ne comptaient pas moins sur les égards que l'on avait pour eux que sur leur caractère et leur propre courage. Les outlaws, que la sévérité des lois sur les forêts avaient réduits à cet état de vagabondage désespéré, étaient, la plupart, des yeomen ou archers d'origine saxonne, et l'on pensait généralement qu'ils respectaient les personnes et les biens de leurs compatriotes.

 

Comme ils poursuivaient leur route, ils furent tout-à-coup alarmés par les cris répétés d'individus qui appelaient au secours. Ils se rendirent au lieu d'où venaient ces cris, et à leur grande surprise, ils trouvèrent une litière fermée, près de laquelle se tenait une jeune fille richement vêtue à la mode juive, et un vieillard que sa toque jaune faisait reconnaître pour un juif, lequel allait et venait d'un air désespéré, et se tordant les mains, comme si un grand désastre l'avait frappé.

Athelstane et Cedric demandèrent au vieil Israélite comment il se trouvait dans ces lieux en pareille compagnie; mais pendant quelque temps ils n'obtinrent pour toute réponse que des invocations à tous les patriarches de l'ancien Testament, en même temps qu'il maudissait les fils d'Ismaël qui venaient pour les frapper. Enfin, revenu à lui-même, Isaac d'York, car c'était notre vieil ami, expliqua aux deux Saxons qu'il avait loué à Ashby une garde de six hommes, avec des mules pour conduire jusqu'à Doncaster un jeune malade. Ils étaient arrivés jusque là en sûreté; mais, informés par un bûcheron qu'une bande nombreuse d'outlaws étaient en embuscade dans la forêt devant eux, les mercenaires loués par Isaac avaient non seulement pris la fuite, mais encore emmené avec eux les chevaux qui portaient la litière, et laissé le juif et sa fille sans aucun moyen de défense ou de retraite, exposés à être pillés et probablement assassinés par les bandits qui allaient fondre dans un moment sur eux. «Plairait-il à vos vaillantes seigneuries, ajouta Isaac du ton de la plus profonde humilité, de permettre à de pauvres juifs de voyager sous votre sauve-garde? Je jure par les tables de Moïse, que jamais faveur accordée à un enfant d'Israël depuis les jours de la captivité n'aura été reçue avec plus de gratitude.»

«Chien de juif! dit Athelstane, dont la mémoire se rappelait les plus légères bagatelles, et surtout les plus petites offenses, ne te souvient-il pas comment tu t'es conduit envers nous dans la galerie, au tournoi? Fuis ou combats les outlaws, ou compose avec eux, et n'attends de nous ni aide, ni secours, de nous et de nos compagnons de route. Si les outlaws ne dévalisaient que des gens comme toi, qui volent tout le monde, je les regarderais, pour ma part, comme les personnes les plus honnêtes.» Cedric n'approuva point la sévérité de cette réponse. «Nous ferons mieux, dit-il à son compagnon, de leur laisser deux de nos hommes et deux de nos chevaux, pour les mettre en état de retourner au village voisin; cela diminuera un peu nos forces, mais avec votre vigoureuse épée, noble Athelstane, et l'aide de celles qui nous restent, il nous sera aisé de faire face à trente de ces renégats.»

Rowena, quelque peu alarmée en apprenant que les outlaws étaient peu éloignés, appuya fortement l'avis de son tuteur. Mais Rébecca, quittant soudain sa place et accourant vers le palefroi de la belle Saxonne, plia le genou devant elle, et, à la manière orientale, baisant le pan de la robe de Rowena, se relevant enfin et rejetant son voile en arrière, elle la supplia au nom du dieu qu'elles adoraient toutes deux, et par cette révélation de la loi du Sinaï, à laquelle toutes deux croyaient, d'avoir pitié de leur détresse, et de leur permettre de voyager sous la sauve-garde d'une aussi digne protectrice. «Ce n'est pas pour moi que j'implore cette faveur, ajouta-t-elle, ni même pour ce vieillard, qui est mon père. Je sais que dépouiller et maltraiter les gens de ma nation est une peccadille, si ce n'est pas un mérite pour des chrétiens; et qu'importe à nos yeux que ce soit dans une ville, dans les champs, ou dans un désert? Mais c'est au nom de quelqu'un chéri d'un grand nombre et de vous-même, que je vous supplie de permettre que nous le transportions sans danger sous votre aile; car s'il lui arrivait malheur, les derniers jours de votre vie seraient empoisonnés par le regret d'un tel refus.» L'air noble et solennel avec lequel Rébecca fit cette prière émut vivement la belle Saxonne. «Cet homme est vieux et affaibli, dit-elle à son tuteur; la fille est jeune et belle; leur ami est malade et en danger: tout juifs qu'ils sont, nous ne pouvons pas, en qualité de chrétiens, les laisser dans cette extrémité. Il faudrait décharger deux de nos mules, et répartir le bagage entre les vassaux de notre suite. Alors, les deux mules porteront la litière, et nous donnerons deux chevaux pour le vieillard et sa fille.

Cedric y consentit aussitôt, et Athelstane ajouta seulement la condition que ces nouveaux compagnons se tiendraient à l'arrière-garde, «où Wamba, dit-il, a toujours, je le présume, son bouclier de jambon pour se tenir à l'abri de leur contact.» – «Je l'ai laissé au tournoi, répondit le bouffon, et beaucoup de chevaliers ont été dans le même cas.»

Athelstane rougit sans oser répliquer, car il avait aussi perdu son bouclier dans la lice de la veille; et lady Rowena, qui n'était point fâchée de cette plaisanterie sur le courage de son brutal adorateur, permit à Rébecca de cheminer à côté d'elle. «Il ne me siérait pas d'agir ainsi, reprit la juive avec une noble humilité, puisque ma compagnie pourrait attirer quelque disgrâce à ma digne protectrice.» Pendant ce temps on déchargeait le bagage avec promptitude, car le seul nom d'Outlaws rendait tout le monde alerte, et l'obscurité de la nuit faisait résonner ce mot d'une manière encore plus sensible. Au milieu du fracas, le gardeur de pourceaux fut mis bas de son cheval, opération pendant laquelle il se plaignit à son bouffon que les cordes dont ses bras étaient garrottés lui faisaient mal. Wamba consentit à les relâcher; mais, soit par négligence ou avec intention, il les rattacha avec si peu de précaution, que l'ami Gurth trouva bientôt moyen de s'en débarrasser; et, se glissant alors dans l'épaisseur du bois, il disparut de la troupe.

Le bruit avait été considérable et on fut quelque temps avant de s'apercevoir de l'évasion de Gurth, car il avait été placé, pour le reste du voyage, sous la garde d'un autre domestique et en croupe derrière lui, et chacun pensant qu'il se trouvait avec un autre ne remarqua point sa disparition. D'ailleurs, au moment où l'on chuchota sur l'absence du gardeur d'animaux engraissés de glands, on s'attendait à une attaque des outlaws, et ce n'était plus le cas de faire attention à une pareille circonstance.

Le sentier que suivaient nos voyageurs devint si étroit qu'il était impossible à plus de deux cavaliers d'y passer de front, et il commençait à descendre dans un vallon, traversé par un ruisseau dont les bords étaient crevassés, marécageux et couverts de petits saules. Cedric et Athelstane qui marchaient à la tête de la troupe appréhendèrent le danger d'être attaqués en cet endroit; mais ils n'avaient d'autre moyen pour éviter le péril que de doubler le pas, ce qui était difficile sur un terrain où les chevaux marquaient des traces profondes. Ils avançaient un peu en désordre, et ils avaient franchi le ruisseau avec une partie de leur suite, lorsqu'ils furent assaillis de front, par le flanc et par derrière à la fois, avec une telle impétuosité qu'il leur fut impossible d'opposer aucune résistance efficace. Les cris de «Dragon blanc! Dragon blanc! Saint-Georges et l'Angleterre!» adoptés par les assaillans comme appartenant à leurs caractères empruntés d'outlaws saxons, se firent entendre de tous côtés; et de toutes parts aussi accouraient des ennemis avec une telle rapidité, qu'ils semblaient multiplier leur nombre.

Les chefs saxons furent tous les deux faits prisonniers en même temps, et chacun avec des circonstances convenables à son caractère. Cedric, à l'approche de l'ennemi, avait lancé sa dernière javeline, qui, mieux dirigée que celle qui avait fait hurler le pauvre chien, cloua contre un chêne l'individu qui se trouvait devant lui. Il fondit sur un second en tirant son épée et le frappa avec une furie si grande et si aveugle que son arme se brisa contre une énorme branche et qu'il fut désarmé par la violence du coup. Il fut ainsi fait prisonnier, et arraché de son cheval par deux ou trois des brigands qui l'environnaient. Pour Athelstane, il partagea le même destin, car la bride de son cheval fut saisie et lui-même démonté long-temps avant qu'il pût tirer son épée et prendre une attitude convenable de défense. Les valets, embarrassés au milieu du bagage, surpris et effrayés en voyant le sort de leurs maîtres, devinrent à leur tour la proie des assaillans; tandis que Rowena, au centre de la cavalcade, et le juif avec sa fille à l'arrière-garde, subirent le même destin.

Aucun n'échappa à la captivité, si ce n'est Wamba qui montra dans cette occasion beaucoup plus de courage que ceux qui prétendaient avoir plus de bon sens. Il s'était emparé de l'épée d'un des domestiques, et il en fit usage avec une telle vigueur, qu'il repoussa plusieurs attaques, et voulut à diverses reprises secourir son maître; mais n'étant pas en force, le bouffon se laissa glisser de cheval, et, à la faveur des ténèbres et de la confusion, il s'évada du champ de bataille.

36L'expression anglaise a rere-supper, arrière-souper, était un repas de nuit; elle signifie une collation que l'on servait à une heure avancée et après le souper ordinaire.A. M.
37Le texte, dit un penny, monnaie de cuivre britannique, de la valeur de dix centimes.A. M.
38Hotspur, mot qui veut dire éperon chaud, est un des personnages dramatiques de Shakspeare; c'était le fils du duc de Northumberland. Murat, chez nous, fut un Hotspur. On ne retrouve pas ce mot pittoresque dans la version de mon prédécesseur, ni la comparaison qui vient à la suite. En général, le romancier anglais se plaît à donner aux noms de ses interlocuteurs des significations caractéristiques; c'est ainsi qu'il dédie son ouvrage au docteur Dryasdust, expression formée des trois mots dry, sec; as, comme; et dust, poussière. Le docteur Dryasdust équivaut donc à sec comme la poussière; ce qui s'applique merveilleusement à un antiquaire ou érudit qui se dessèche sur ses bouquins chargés de poudre: de même qu'ici hotspur caractérise fort bien un courageux guerrier.
39On sait que les Anglais ne s'ôtent point le chapeau pour se saluer, mais se font réciproquement un geste de la main droite en avant.A. M.
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