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1.2.3. Travaux à orientation phraséologique

Le cas des prénoms est traité dans quelques études consacrées aux phrasèmes contenant un nom propre. Pour l’allemand, signalons en particulier les travaux de FLEISCHER (1976/1982), KUDINA & STARKE (1978), NASAROV (1978), FÖLDES (1984/85, 1987, 1989, 1990), DANIELS (1994), HÄCKI BUHOFER (1995), NASAROV & BACHRIDDINOVA (2002), GANZER (2008) et FILATKINA & MOULIN (sous presse), pour le français ceux de PALOUKOVA (1982/83), BERNET (1989) et ALBA REINA & MORA MILLAN (1995). La question de la fréquence des phrasèmes à composante onymique est contestée : alors que FÖLDES (1990 : 337, 1996 : 137) leur accorde une place importante dans le système phraséologique de l’allemand, tant du point de vue quantitatif qu’au niveau de leur diversité formelle, HÄCKI BUHOFER (1995 : 495) fait remarquer à juste titre que de nombreux phrasèmes qui figurent dans les dictionnaires ne sont plus employés1. S’ajoute à cela le fait que ce type de phrasèmes peut être défini de manière restreinte et s’appliquer aux seules unités contenant un nom propre au sens étroit (Ich will Emil/Matz/Meier heißen, wenn …), ou de manière plus large, incluant les dérivés (Das kommt mir spanisch vor).

Selon FLEISCHER (1976 : 3), l’emploi phrasémique des noms propres concerne avant tout les noms de personnes, et parmi eux les prénoms plus fréquemment que les noms de famille. Il s’agit de prénoms, presque exclusivement masculins selon l’auteur, qui jouissent ou jouissaient d’une certaine popularité (cf. FLEISCHER 1976 : 5 sq. ; cf. également FÖLDES 1984/85 : 177 et KOSS 1990 : 64). L’auteur (1976 : 4) soulève une question de fond concernant le statut onymique du nom de personne en emploi phrasémique. Pour lui, seuls les noms propres faisant partie d’une structure comparative (wie in Abrahams Schoß ‘en toute sécurité’) et ceux fonctionnant comme noms de personnes (Da will ich Matz heißen, wenn …) conservent un caractère onymique2. Pour KUDINA & STARKE (1978 : 190) en revanche, les noms propres en emploi phrasémique ne sauraient être considérés comme des noms propres à part entière dans la mesure où ils ne remplissent pas leur fonction primaire de référence immédiate à un individu et ne conservent qu’un lien étymologique avec leur porteur initial.

FÖLDES, qui partage l’avis de FLEISCHER au sujet du statut (dé)onymique des noms propres (1984/85 : 177, 1989 : 133), s’intéresse essentiellement aux aspects génétiques et sémantico-stylistiques des phrasèmes à composante onymique. Partant de l’idée que l’origine de la locution peut être élucidée par un examen étymologique approfondi du nom propre en présence (cf. 1984/85 : 175), il propose de classer les phrasèmes selon l’origine du nom propre. Sa classification n’apporte toutefois pas grand-chose de nouveau : les prénoms figurent dans des locutions renvoyant à des personnages historiques (für den alten Fritzen sein) et à des contes et légendes populaires (den schwarzen Peter in der Tasche haben). Elle s’avère même problématique en ce qu’elle repose indistinctement sur le critère du domaine d’utilisation de l’expression (histoire, littérature, etc.) et sur celui du type de nom propre (toponymes, prénoms, noms fictifs tels que Dummsdorf dans aus/von Dummsdorf sein ; 1984/85 : 177). Dans un article ultérieur sur les phrasèmes allemands à composante anthroponymique, FÖLDES (1987 : 5 sq.) s’expose aux mêmes difficultés taxinomiques en retenant comme critères de classification à la fois l’origine du nom de personne (den dicken Wilhelm spielen figure parmi les phrasèmes avec des ‘noms nationaux allemands’, seit Adams Zeiten parmi ceux contenant le nom d’un personnage biblique), l’origine géographique de l’expression (Autriche et Suisse pour dar isch en Joggel ‘c’est un idiot’ ; Angleterre pour John Bull) et le domaine d’utilisation initialement associé au nom propre (l’histoire dans le cas de Potemkische Dörfer). L’auteur (1987 : 11 sqq.) distingue ensuite deux voies de constitution du sens phraséologique (« Wege der Umdeutung »), la métaphore (David und Goliath ‘le grand et le petit’) et la métonymie (blauer Anton ‘bleu de travail’), et identifie trois facteurs influençant le choix du nom propre : la fréquence du nom de personne (Hans), la phonétique (den (heiligen) Ulrich (an)rufen ‘vomir’3) et le jeu de mots (ein Baron von Habenichts ‘sans-le-sou adoptant des allures visant à cacher sa condition’)4. FÖLDES a consacré une autre étude aux différents types de modifications et aux fonctions des phrasèmes à composante onymique dans leur emploi textuel (1996 : 160 sqq.).

DANIELS (1994 : 27) propose une classification morphologique détaillée des phrasèmes, distinguant les noms simples (Frau Raffke), les ensembles ‘prénom +nom’ (Lieschen Müller), les paires (Hinz und Kunz), les ensembles ‘adjectif +nom’ (dummer August), les locutions (Arche Noah), les comparaisons (frech wie Oskar), les syntagmes (den heiligen Ulrich anrufen), les proverbes (Was Hänschen nicht lernt, lernt Hans nimmermehr).

Dans sa thèse intitulée Deutsche Phraseologismen mit Personennamen (2008), GANZER analyse 926 phrasèmes contenant un prénom ou un nom de famille issus essentiellement d’ouvrages de référence5. Sur la base de l’existence ou non d’un individu identifiable associé au nom de personne, l’auteure (2008 : 52 sqq.) distingue les phrasèmes déterminés (« determinierte Phraseologismen », ex. seit Adams Zeiten) des indéterminés (« undeterminierte Phraseologismen », ex. jn zur Minna machen)6 avant de les classer dans les catégories ÊTRES HUMAINS, OBJETS et IDÉES ABSTRAITES. Sur la base de son analyse lexicographique des phrasèmes, GANZER (2008 : 81 sqq.) étudie enfin leur fréquence, selon elle limitée, et leur emploi textuel dans un corpus de presse, mettant en évidence leur intégration syntaxique et sémantique dans le contexte (remotivation expressive : Lafontaine ist frech wie Oskar, modification : Otto Normalverbraucher ‘l’Allemand moyen’ > Iwan Normalverbraucher ‘le Russe moyen’ ; 2008 : 113, 126).

FILATKINA & MOULIN (sous presse) consacrent une étude aux spécificités pragmatiques de l’emploi de noms de famille dans les phrasèmes de l’allemand et du luxembourgeois. Elles soulignent notamment le fait que les noms de famille de personnalités historiques et de personnages de fiction, peu présents dans le stock phrasémique de l’allemand standard (rangehen wie Blücher ‘ne pas avoir froid aux yeux, y aller énergiquement’, Götz von Berlichingen!, injonction de laisser tranquille le locuteur), le sont encore moins en luxembourgeois. Les phrasèmes contenant des noms de famille fréquents sont quant à eux bien représentés dans les deux cas (Mensch Meier!, expression de l’étonnement, beim Webesch Camille goen ‘aller aux toilettes’). Elles s’intéressent enfin aux procédés de formation de noms de famille fictifs, tels que ceux employés dans les expressions Der Wennich und der Hättich sind zwei arme Brüder et Raschmann kommt leicht zu Beulen, qui témoignent de la créativité lexicale dans le domaine de la phraséologie.

La phraséologie (dé)onymique en français a été relativement peu étudiée jusqu’à présent. PALOUKOVA (1982/83 : 35 sq.) s’intéresse aux « locutions phraséologiques onomastiques » qu’elle définit comme l’« expression succincte d’un énoncé se référant à une situation (réelle ou imaginaire) dont elle devient le signe linguistique simple ». Elle fait le point tout d’abord sur les procédés de formation sémantiques7 :

 la métaphore (faire son joseph ‘faire le pudibond, affecter la vertu’8) ;

 la métonymie (couleur isabelle ‘jaune pâle’9) ;

 l’euphémisme (faire jean ‘tromper [son mari]’) ;

stylistiques :

 la périphrase (la perfide Albion ‘l’Angleterre’) ;

 le calembour (aller à Dormillon ‘dormir’) ;

 l’antiphrase (secret de Polichinelle) ;

 l’antithèse (servir Dieu et Mammon) ;

et phonétiques :

 le rythme (Il faut vivre à Rome comme à Rome10) ;

 la rime (rester Gros-Jean comme devant).

avant d’examiner ce qu’elle nomme les « sources de formation », à savoir le domaine auquel renvoie le phrasème : l’histoire (au temps que la reine Berthe filait), la Bible (pleurer comme une Madeleine), la mythologie (la toile de Pénélope), la littérature (fier comme Artaban), les mœurs et croyances populaires (faire sa joséphine). Elle termine par un classement des phrasèmes selon leur provenance linguistique en distinguant ceux d’origine française de ceux incluant un nom d’origine étrangère (gr. riche comme Crésus, lat. Toi aussi, Brutus !, arabe Sésame, ouvre-toi !). BERNET (1989 : 520), dans sa « typologie rapidement esquissée » des emplois du nom propre (y compris dans les phrasèmes), retient le seul critère morphologique. Ainsi, les phrasèmes ne figurent que sous les « emplois sans changements morphologiques », tout comme les « noms communs obtenus par ‘dérivation impropre’ » (un geyser, un guignol). Dans leur classification des proverbes et locutions à composante onymique, ALBA REINA & MORA MILLAN (1995) font appel au critère de la fonction référentielle et distinguent les noms propres « authentiques », qui renvoient à un référent individuel (Il faut rendre à César ce qui appartient à César), les « pseudoauthentiques », pour lesquels il ne semble pas y avoir de référent existant (faire le gilles, faire le jacques), et les « lexicaux », dénués de tout référent réel et contenant plusieurs éléments signifiants (jean-bête, marie-couche-toi-là). Dans le cas des noms propres authentiques et pseudoauthentiques, elles parlent d’un « processus de communisation », lié à la perte référentielle du nom propre, dans celui des noms propres lexicaux, d’un « processus de proprisation » (1995 : 273 sq.), la compréhension étant assurée dans ce cas-là par les éléments non propriaux.

Enfin, l’emploi phrasémique des noms propres est traité également dans le cadre d’études contrastives. Pour l’allemand et l’anglais, on retiendra, outre REINIUS (1903), les travaux de STRAUBINGER (1961) et de NASAROV (1978). Ce dernier note, à l’instar de KUDINA & STARKE (1978), que l’emploi phrasémique de noms de personnes provoque la perte de leur fonction primaire de référence immédiate à un individu (cf. NASAROV 1978 : 34), la dimension métaphorique des phrasèmes à structure comparative tels que wie in Abrahams Schoß sitzen étant dès lors incompatible avec le caractère onymique que leur reconnaît FLEISCHER (1976 ; cf. p. 49). Pour le français et l’anglais, nous renvoyons à VAN HOOF11 (1998) qui étudie l’emploi des prénoms « dans la langue imagée ». L’auteur s’intéresse d’abord à la « nature des prénoms », distinguant les prénoms bibliques (le benjamin/the benjamin), mythologiques (le talon d’achille/the heel of Achilles), usuels (faire son joseph/to play joseph), étrangers (allons-y, Alonzo !, to be on the fritz ‘être en panne, mal fonctionner’) ainsi que les « prénoms fictifs » (faire cléopâtre ‘faire une fellation’, d’après faire une clé au pâtre ; Amy-John ‘lesbienne’, d’après amazon) dont « l’emploi est suggéré par une quelconque attraction paronymique, analogie de sens ou de son, [ces prénoms étant] obtenus par une déformation délibérée ou inconsciente » (1998 : 3). Son approche est essentiellement traductionnelle, en témoignent les indications relatives à l’équivalence, totale (baiser de judas/Judas kiss), partielle (ne connaître ni d’Eve ni d’Adam/not to know from Adam) ou absente (pleurer comme une Madeleine/to cry one’s eyes out). VAN HOOF (1998 : 4 sqq.) traite ensuite les aspects formels, distinguant les prénoms en emploi autonome, les membres de composés et les composantes de phrasèmes. Il termine par une présentation des principales fonctions des prénoms en emploi phrasémique (cf. 1998 : 8 sqq.), à savoir la personnification (Charles le chauve/little davy ‘pénis’), la caractérisation (jean/silly Billy ‘sot’), la formation de doublets populaires pour des termes savants (jean doré12/john dory pour plusieurs sortes de poissons) et la fonction dite « explétive » (à la tienne, Étienne !, as happy as Larry). Le glossaire en annexe (1998 : 273–311) est constitué d’une liste de prénoms en emploi figuré pour chaque langue. Les entrées renseignent sur la date d’apparition et la période d’emploi approximatives et contiennent les définitions dans les deux langues. Signalons également l’ouvrage de BALLARD (2001) qui, dans un chapitre consacré aux changements de catégorie (cf. 186–201), distingue ce qu’il nomme la « métonymie anthroponymique » (jules ‘pot de chambre’, Black Maria ‘panier à salade’), la « symbolique onomastique » (l’oncle Sam/Uncle Sam), l’« intégration dans une expression idiomatique » (pauvre comme Job, not on your Nelly ‘jamais de la vie’) et le « détournement fonctionnel » (Jesus Christ !).

Pour la paire allemand-français, les études linguistiques sur le sujet sont rares. Une exception notable est le travail de GANZER qui discute certains aspects des déonomastiques de manière contrastive (2008 : 219 sqq., 425 sqq.). Les autres travaux contrastifs sur les deux langues abordent cette question essentiellement dans une perspective « pratique », didactique ou traductionnelle. Ainsi, l’étude didactique de HUBER (1981) présente aux enseignants et aux apprenants du français certains aspects de l’appellativisation des noms de personnes en français et en allemand13. L’approche traductionnelle prévaut dans les travaux de GRASS sur les noms propres (2000, 2002 : 33 sq., 147) et leurs dérivés (2008) ainsi que chez SCHMITT (2009), qui étudie les possibilités de transposition en français des constructions allemandes en ‘nom ou verbe +prénom ou nom de famille’ (Filmfritze, Drückeberger). D’autres études contrastives sur les phrasèmes à composante onymique, plus marginales, sont celles de ZARĘBA (1993) sur le français et le polonais, de FÖLDES (1996 : 137 sqq.), essentiellement sur l’allemand et le hongrois, et de MIGLA (2010) sur l’allemand, le russe et le letton.

1.3. Tour d’horizon des approches autres que linguistiques

Le nom propre en général et le prénom en particulier ne constituent pas la chasse gardée des linguistes. C’est ce que souligne d’emblée l’une des spécialistes du nom propre en français dans sa préface à un recueil d’études sur la question :

De tous les objets de langage, les noms propres sont à coup sûr ceux qui ont inspiré le plus d’intérêt dans des domaines variés à l’extérieur de la linguistique : philosophie, logique, anthropologie, onomastique, sémiotique, psychanalyse, … ont pris pour objet le nom propre. (GARY-PRIEUR 1991b : 4)

L’ancrage interdisciplinaire, primordial pour retracer l’évolution des noms propres1, s’impose également pour l’étude de l’appellativisation du prénom dans la mesure où la productivité du phénomène et les raisons du choix du prénom sont souvent liées à des facteurs historiques et culturels affectant sa popularité et/ou sa perception :

L’attribution d’un nom propre est […] un processus socialement déterminé, tout comme l’usage qui en est fait, marqué à la fois par le porteur, socialisé d’une certaine manière, et par la communauté linguistique de la couche sociale dont il est membre. Ainsi, des caractéristiques particulières pourront venir se greffer sur les noms en question et les affubler d’un ‘masque’ à connotation positive ou négative (physionomie du nom), ce qui à son tour aura bien entendu une incidence sur le choix individuel du nom.2

Pour ces raisons, nous avons consulté, outre les travaux précurseurs de BACH (1938, 1943, 1952/53) sur la répartition sociale des noms propres3, des études historiques et sociologiques au sens large (englobant l’histoire des mentalités) consacrées aux pratiques d’attribution des prénoms. Étant donné la quantité de travaux portant sur les époques et régions les plus diverses4, nous signalons uniquement quelques titres particulièrement pertinents pour notre objet d’étude. Pour l’allemand, nous retenons

 parmi les ouvrages historiques, celui de NIED Heiligenverehrung und Namengebung (1924) ; ceux, richement documentés, de MITTERAUER, spécialiste autrichien d’histoire sociale, consacrés aux liens multiples et complexes entre attribution des prénoms, religion, modèles familiaux et liens de parenté à plusieurs époques et dans plusieurs cultures : Ahnen und Heilige. Namengebung in der europäischen Geschichte (1993) et Traditionen der Namengebung. Namenkunde als interdisziplinäres Forschungsgebiet (2011) ; l’ouvrage de WOLFFSOHN & BRECHENMACHER Die Deutschen und ihre Vornamen (1999) qui étudie les tendances politiques de groupes sociaux aux XIXe et XXe siècles sur la base des préférences en matière de prénoms ;

 parmi les ouvrages sociologiques, le recueil Name und Gesellschaft. Soziale und historische Aspekte der Namengebung und Namenentwicklung (EICHHOFF, SEIBICKE & WOLFFSOHN 2001) contenant les contributions de MÜLLER (2001), KOHLHEIM (2001) et WOLFFSOHN (2001) sur les liens entre attribution du prénom et changements sociétaux, et l’étude de GERHARDS (2010) sur l’influence des procédés de sécularisation, de la politique et des liens de parenté sur le choix du prénom durant les 100 dernières années. Le site www.beliebte-vornamen.de offre de précieuses données statistiques sur la popularité des prénoms les plus fréquents en Allemagne de 1890 à nos jours, celui de la Gesellschaft für deutsche Sprache (gfds.de/vornamen/beliebteste-vornamen) sur les prénoms populaires en Allemagne depuis 1977.

Pour le français, nous citons

 parmi les travaux historiques5, ceux de l’historien de la famille BURGUIÈRE (1980, 1984) consacrés aux aspects historiques et sociétaux du choix du nom de baptême dans la France de l’Ancien Régime ; deux ouvrages auxquels a collaboré DUPÂQUIER, spécialiste de l’histoire des populations en France : Le prénom. Mode et histoire (DUPÂQUIER, BIDEAU & DUCREUX 1984) et Le temps des Jules. Les prénoms en France au XIXe siècle (DUPÂQUIER, PÉLISSIER & RÉBAUDO 1986) ;

 parmi les travaux de démographes, ceux de DESPLANQUES (1986) sur les prénoms en France au XXe siècle et son désormais classique La cote des prénoms (BESNARD & DESPLANQUES 1986)6, contenant tous les deux de précieuses statistiques sur la fréquence de certains prénoms7 ;

 parmi les travaux anthropologiques, l’étude fondamentale de LÉVI-STRAUSS La pensée sauvage (1962) qui traite entre autres les fonctions de classification et de signification des anthroponymes et les raisons de leur attribution aux animaux et aux plantes, celles de ZONABEND (1980) sur l’anthroponymie dans le domaine européen, de BROMBERGER (1982), qui plaide pour une analyse anthropologique des noms de personnes, de MÉCHIN (2012), qui étudie le processus de nomination sur la base d’une centaine d’entretiens menés auprès de parents, ainsi que le recueil Nomination et organisation sociale (CHAVE-DARTOEN, LEGUY & MONNERIE 2012), dans lequel les articles théoriques côtoient les études de cas ;

 parmi les travaux sociologiques, ceux de BESNARD (1979), BOZON (1987) et BESNARD & GRANGE (1993) sur la diffusion des goûts en matière de prénomination et celui de COULMONT (2011) qui fait le point sur la recherche des 30 dernières années sur les implications sociales du choix et de l’usage des prénoms.

1.4. Bilan et perspectives

Nous insisterons, en guise de bilan, sur trois aspects de la recherche allemande et française dans le domaine de l’appellativisation du prénom en dégageant un certain nombre de points communs et de divergences.

1 La recherche sur le passage du prénom au nom commun est issue de la tradition historico-philologique telle qu’elle s’est établie en Allemagne et, plus tard, en France. Comme nous l’avons vu, les premiers travaux sur l’emploi nominal d’anthroponymes en Allemagne (LATENDORF 1856, et surtout WACKERNAGEL 1859/60) ont vu le jour deux décennies avant l’apparition timide de remarques sur le phénomène en français (DARMESTETER 1877, LEHMANN 1884). Parmi les études de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, on peut distinguer deux groupes qui diffèrent tant par l’approche que par la place faite aux déonomastiques : 1. les travaux sur le changement sémantique contenant des remarques sur les processus psychologiques à l’œuvre dans le passage du nom propre au nom commun (dont WUNDT 1900, WAAG 1901 pour l’allemand et DARMESTETER 1877/1887, LEHMANN 1884 et NITZSCHE 1898 pour le français) et 2. les travaux plus ou moins épars visant uniquement les déonomastiques et dont l’objectif principal est la classification des données (dont WOSSIDLO 1884, KRUEGER 1891, MEISINGER 1904/1905 pour l’allemand et BAUDISCH 1905/06, KÖLBEL 1907 pour le français). La parution de deux ouvrages consacrés à l’appellativisation du prénom en allemand (MEISINGER 1924, MÜLLER 1929) et en français (DOUTREPONT 1929, PETERSON 1929) témoigne d’un intérêt tout particulier pour la question dans les années 1920.Le tournant structuraliste entraîna une certaine désaffection pour les thèmes de recherche à orientation diachronique et historico-culturelle, ce qui explique la baisse du nombre de publications à partir du milieu du XXe siècle. À l’exception de rares travaux sémantiques (BACH 1943, 1952/53, SORNIG 1975) et phraséologiques (PALOUKOVA 1982/83, GANZER 2008) qui témoignent d’une certaine continuité dans la discontinuité, les déonomastiques issus de noms de personnes ne suscitent plus guère l’intérêt des linguistes, alors que la production de dictionnaires de déonomastiques, souvent l’œuvre de non-spécialistes, est florissante (« florierende Amateurlexikographie » ; BÜCHI 2002 : 249)1. Parmi les auteurs qui se sont intéressés aux déonomastiques de prénoms, certains comme WACKERNAGEL, DARMESTETER, NYROP et MIGLIORINI restent connus jusqu’à nos jours, d’autres comme DOUTREPONT, KÖLBEL, KRUEGER, MÜLLER, MEISINGER et PETERSON sont toujours mentionnés dans les travaux récents (par ex. SCHMITT 2009) ou dans les ouvrages de référence sur l’onomastique (DEBUS 2012, NÜBLING et al. 2012, VAXELAIRE 2005), d’autres enfin sont aujourd’hui tombés dans l’oubli.

2 Les recherches sur l’allemand et le français accordent une importance inégale à la variation dialectale. Pour l’allemand, le nombre de publications portant explicitement sur les dialectes (LATENDORF 1856, MÜNZ 1870, WOSSIDLO 1884, WEISE 1903, KEIPER & ZINK 1910, KUHLMANN 1916/17, MEISEN 1925, MARTIN 1926) est bien plus élevé que pour le français (SCHULTZ 1894), ce qui s’explique par le recul des dialectes dans l’usage quotidien en France, du moins depuis la Première Guerre mondiale2. L’intérêt pour les déonomastiques issus de prénoms est ainsi directement lié, au moins jusqu’au milieu du XXe siècle pour l’allemand, à l’étude de la langue contemporaine de l’époque considérée. En Allemagne, il a été favorisé par ailleurs par le maintien d’une tradition philologique qui faisait la part belle à la dialectologie et l’onomastique3 :Comme l’orientation de la recherche en linguistique allemande, sous l’influence des néogrammairiens, était, jusque dans les années 1960, essentiellement diachronique et que les futurs enseignants, archivistes et bibliothécaires optaient très souvent pour la combinaison allemand-histoire-géographie, un nombre relativement important d’enseignants et d’archivistes a pu s’intéresser à l’onomastique et constituer ainsi, à côté des rares professeurs d’université, un groupe important et qualifié de collectionneurs et de chercheurs.4Par ailleurs, la part dévolue aux variétés dialectales dans les travaux sur l’allemand et le français diffère quant au type de sources dictionnairiques utilisées. La plupart des études consacrées à l’allemand reposent sur le dépouillement de dictionnaires dialectaux, en particulier du haut-allemand (WACKERNAGEL 1859/60, MÜNZ 1870, ALBRECHT 1881a/b, MEISINGER 1904, 1905, 1910, 1924, etc.). Les dictionnaires modernes du bas-allemand sont en revanche peu représentés, d’une part en raison du moindre intérêt pour cette aire dialectale dans les enseignements universitaires durant la première moitié du XXe siècle, de l’autre en raison de difficultés de financement auxquelles les spécialistes non universitaires d’histoire culturelle durent faire face dans le cadre des nombreux projets dictionnairiques qu’ils initièrent5 :Pour les régions du moyen-allemand et de l’allemand supérieur, j’ai pu exploiter le riche matériau disponible dans les dictionnaires dialectaux bien connus. Pour ce qui est du nord de l’Allemagne, les sources se font plus rares. Je n’ai pu exploiter hélas que les premières livraisons du dictionnaire du Schleswig-Holstein de Mensing à paraître et du dictionnaire rhénan de Müller[6]. C’est la raison pour laquelle mon étude sur les noms communs issus de prénoms ne donne qu’une image incomplète du phénomène dans les dialectes de l’ouest et du nord de l’Allemagne.7Pour le français, rares sont les travaux reposant essentiellement sur le dépouillement de dictionnaires dialectaux (PETERSON 1929, CRAMER 1931).Enfin, dans quelques travaux allemands de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, l’intérêt porté aux dialectes est manifestement lié à des considérations idéologiques. Il s’agit pour ces auteurs de ranimer l’‘âme du peuple’ (« Volksseele »), dont certains aspects auraient été pour ainsi dire ‘conservés’ grâce au processus d’appellativisation. Ainsi, pour MEISEN (1925), l’étude des noms communs issus d’anthroponymes est un devoir sacré vis-à-vis de la mère-patrie. L’auteur adopte par moments des accents nationalistes :Car l’objet traité ici est lui aussi important dans le cadre global de la mission civilisationnelle et culturelle puisqu’il s’agit là de caractéristiques profondes du peuple dans lesquelles se révèle son âme, sa manière de penser et de ressentir, son aversion pour l’abstrait, son désir de concret, de ce que l’on peut saisir et concevoir par les sens. Une « mémoire » étonnamment fidèle que la tradition nous a conservée se manifeste à travers les noms dont il sera question ici. […] Toutefois, seul pourra accomplir cette tâche avec profit celui qui ne fait qu’un avec le peuple, qui pense et ressent comme lui, qui, avec son cœur et sa raison, tente de saisir les affections les plus profondes de son âme. L’étranger n’en sera jamais capable ; l’âme populaire lui refuse l’accès à ce qui constitue son essence propre.8

3 Cet état de la recherche a enfin montré que l’étude des déonomastiques a privilégié des objectifs classificatoires, suivant en cela la longue tradition historico-philologique des études anthroponymiques (cf. BROMBERGER 1982 : 103). Dans un premier temps, les chercheurs-collectionneurs se sont intéressés aux différents types de déonomastiques non modifiés formellement sans traiter systématiquement les prénoms comme une catégorie à part. Les premières tentatives de classification font appel au critère sémantique (WACKERNAGEL 1859/60, WOSSIDLO 1884, NEEDON 1896) ou génétique (KRUEGER 1891, BAUDISCH 1905, KÖLBEL 1907). Viennent s’ajouter au début du XXe siècle des classifications qui reposent sur les deux aspects (REINIUS 1903, NYROP 1913). Pour l’allemand, le critère morphologique ne fait son apparition qu’avec les premières études s’intéressant aux mots complexes (MÜLLER 1929, BACH 1943/1952) ; il est en revanche absent des travaux sur le français. Comme nous l’avons constaté à plusieurs reprises, la distinction entre les catégories est souvent insuffisante, ce qui entraîne des difficultés de classement de certains exemples (WOSSIDLO 1884, BAUDISCH 1905, KÖLBEL 1907, NYROP 1913).

Il convient par ailleurs de relever deux caractéristiques propres à la plupart des travaux anciens sur l’allemand et le français, liées selon nous à la perspective essentiellement diachronique de l’époque. Il apparaît d’une part que la réflexion au sujet de la délimitation entre nom propre et nom commun est souvent absente, ce qui explique le manque de précision terminologique, notamment au sujet de « Appellativname », terme ‘flou et ambigu qui n’a pas su s’imposer dans la recherche’9. D’autre part, ces études retiennent pour l’essentiel des exemples de déonomastiques provenant d’œuvres de la littérature classique et de dictionnaires, qui ne reflètent que partiellement les spécificités de leur emploi dans l’usage, notamment dans la langue parlée.

Pour finir, nous noterons que si les noms propres font depuis longtemps l’objet de recherches en linguistique et dans d’autres disciplines, en particulier en logique, histoire, sociologie et anthropologie, le recours à l’approche interdisciplinaire dans la recherche sur les déonomastiques issus de prénoms a été pratiqué jusqu’à présent dans le seul but d’expliquer de manière ponctuelle certaines formations ou types de formations. Le chercheur qui vise à appréhender l’évolution du phénomène devra prendre en considération la dimension interdisciplinaire de manière bien plus systématique.

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