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Kourroglou

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DEUXIÈME RENCONTRE

Nous avons traduit textuellement la première rencontre pour donner au lecteur une idée juste de la forme de ce récit. M. Chodzko déclare dans sa préface, en qualité d'étranger, qu'il n'a point prétendu faire de sa transcription une oeuvre de style pour la langue anglaise. Nous ne possédons pas assez cette langue pour adresser des critiques à M. Chodzko; mais nous la lisons assez pour espérer n'avoir point fait de contre-sens, et pour nous être assuré que les rapsodies des Kourroglou-Khans ne pouvaient pas nous être transmises avec plus de concision, de franchise et de simplicité. Nous ne savons pas non plus si le style de M. Chodzko a la véritable couleur orientale; mais on a pu voir par ce qui précède (rendu mot à mot autant que possible) que c'est une couleur nette, hardie, sans recherche, sans affectation, sans aucune coquetterie déplacée pour chercher à flatter le goût européen. C'était, je crois, la vraie manière et la seule bonne.

La seconde rencontre est consacrée à faire rencontrer en effet, Kourroglou et le terrible bandit Daly-Hassan. Ce dernier prétend avoir le monopole du pillage et du meurtre. Il rit de pitié en voyant un ennemi si jeune venir tout seul pour le défier, au milieu de quarante de ses meilleurs garnements. «Le monde entier retentit de ma gloire, s'écrie Daly-Hassan, qui ne se pique pas de Modestie.

«Et le pauvre diable ose me barrer le chemin? – Misérable! lui répond Kourroglou; tu ne t'es jamais battu qu'avec des agneaux: tu ne sais pas encore ce que c'est qu'un bélier.»

Le bélier est apparemment chez cette race de pasteurs le type du courage et de la force; car Kourroglou, qui n'est pas modeste non plus, se compare de préférence à cet animal dans ses fréquentes vanteries, et quand il a dit: «Je suis Kourroglou le bélier,» il a tout dit.

Daly-Hassan ne se presse pas d'entamer le combat. Les bravades de son ennemi l'amusent, et il lui permet d'improviser et de chanter les stances qui lui viennent à l'esprit, comme dit Kourroglou en semblable occasion. Ces stances sont toujours belles d'énergie sauvage, et le refrain de celles-ci est un cri d'impatience, «Ne combattrons-nous donc pas aujourd'hui?» En voici une qui ne manque pas de caractère:

«Montre-moi un homme qui puisse tendre mon arc! Montre-moi un homme qui, comme un bélier, vienne frapper sa tête contre mon bouclier! Je puis broyer l'acier entre mes dents et le cracher contre le ciel. Oh! ne combattrons-nous donc pas aujourd'hui?»

Pendant que Kourroglou chante ses trophées, Daly-Hassan examine Kyrat, l'incomparable Kyrat, le fils de l'étalon-spectre, le coursier fidèle, l'ami, le porte-bonheur de Kourroglou, et il en devient épris. «Fais-moi présent de ton cheval, dit-il, et je m'abstiendrai de verser ton sang.» Kourroglou répond par de nouvelles provocations, et le combat s'engage. En un clin d'oeil vingt des compagnons de Daly-Hassan sont expédiés aux enfers, les vingt autres prennent la fuite à travers le désert. Daly-Hassan reste seul; dévoré de rage, il se précipite sur son ennemi; mais Kourroglou lui fait mordre la poussière, pousse un cri comme celui d'un aigle, descend de cheval, et s'asseyant sur sa poitrine, tire tranquillement son khandjar pour lui couper la tête. Daly-Hassan se prend à pleurer. «Misérable bâtard! lui dit Kourroglou, es-tu donc celui qui depuis sept ans faisait l'effroi de ces contrées? Tu n'es qu'une femme pusillanime. Lâche! tu verses des larmes pour une cuillerée de sang!»

«Guerrier invincible, lui répond Daly-Hassan, j'ai juré à Dieu et à moi-même de servir fidèlement l'homme qui pourrait me renverser sur le dos. Prends-moi pour ton esclave, et dis-moi le nom de mon maître.»

Kourroglou est ému de pitié. Il se lève, rengaine son poignard, et suit Daly-Hassan dans une caverne où celui-ci le rend maître des richesses immenses qu'il a amassées durant les sept années de son brigandage. A partir de ce jour, il est le serviteur et l'ami de Kourroglou. Ils demeurent ensemble plusieurs mois dans la caverne, et n'en sortent que pour augmenter leur trésor en détroussant les voyageurs, et pour enrôler des bandits sous leurs ordres.

Quand ils ont réussi à se composer une bande de 77 hommes, ils chargent leur butin sur des chameaux et sur des mules, et, poursuivant leur voyage vers la province d'Aberdaïdjan, ils atteignent bientôt les montagnes de Kaflankhou, y laissent leurs hommes et s'en vont tous deux à la découverte pour s'assurer d'une retraite sûre. Ils trouvent dans le district de Karadag une magnifique prairie où ils s'installent avec leurs richesses et leurs compagnons. Leurs exploits répandent bientôt la terreur dans le pays, et tout homme courageux vient s'enrôler sous leur bannière.

«Il traitait ses gens comme un père, et la paie qu'il leur faisait était si libérale, qu'elle pouvait remplir le creux du bouclier de chacun d'eux.»

En peu de temps, Kourroglou se voit à la tête de 777 hommes, nombre sacré qu'il n'eût dépassé vraisemblablement que pour celui de 7777, s'il lui eût été possible dès lors d'y atteindre.

Cependant le gouverneur de la province commence à s'alarmer du voisinage de Kourroglou. Il lui dépêche un envoyé qui, sans fleur de rhétorique, lui parle ainsi:

«Qui es-tu? Pourquoi es-tu venu ici? Si tu désires parler au souverain d'Iran, va le trouver; mais ne demeure pas ici plus longtemps. Si tu as quelque chose à me dire, je t'écouterai afin de savoir ce que c'est.»

Kourroglou trouve le discours de l'ambassadeur un peu familier; mais il se ressouvient de la défense que son père lui a faite, en mourant, de se révolter contre le schah de Perse. Il traite donc l'envoyé fort honnêtement, et lui promet d'évacuer le pays sous peu de jours.

Il rassemble ses hommes et leur chante ceci:

«L'heure du départ est arrivée. Que quiconque veut me suivre dans le Kurdistan se tienne prêt! Qu'il me suive, celui dont les lèvres veulent boire dans la coupe de la valeur! – Qu'il me suive, celui qui veut mettre en pièces le linceul de la mort!»

Les 777 brigands répondirent: «O Kourroglou, nous ne craignons pas la mort; là où tu iras, nous irons.» Ils partent; ils arrivent dans la vallée de Gazly-Gull, située dans le voisinage de Khoï, et débutent par l'extermination et le pillage d'une caravane. Le gouverneur d'Erivan, Hussein-Ali-Khan, se met en route à la tête de quinze cents cavaliers pour aller réprimer ces brigandages. «Ne craignez rien, ô mes âmes! ô mes fous (Dalcelar)!» C'est le nom d'amitié que Kourroglou donne à ses compagnons, c'est le titre glorieux que le postérité leur conserve: «Ne craignez rien, je les disperserai en moins d'une heure.» Kourroglou dit, et revêtu de sa cotte de mailles, armé de toutes pièces, il attend, appuyé tranquillement sur sa lance, l'envoyé d'Hussein. Aux interrogations et aux menaces de l'envoyé, Kourroglou répond comme de coutume par une chanson: «Serdar, lui dit-il, j'ai l'habitude de chanter quelques vers avant de combattre. – Chante, si tu y es disposé, répond le serdar, amateur de poésie comme tous les Orientaux.» Kourroglou chante ici une fort belle strophe:

«Voici la vérité des vérités! Écoute-la bien, mon serdar. Je suis l'ange de la mort. Regarde; je suis Azraïl. Mes yeux aiment la couleur du sang. Oui, je suis venu pour arracher les âmes des corps; je suis le véritable Azraïl. Nous verrons bientôt quelles entrailles, quels crânes seront fouillée les premiers par la pointe de mon poignard. Ce jour même, tu quitteras ce mondé; me voici. Comme un véritable Azraïl, je viens arracher les âmes.»

.........................

«Maintenant, j'enseignerai à rire à tes ennemis, et à tes amis à se lamenter. Contemple en moi Azraïl, l'exterminateur des âmes».»

Kourroglou s'élance au plus épais de la mêlée. Il tue tout ce qui est digne d'être tué, il pille tout ce qui vaut la peine d'être pris.

«Kourroglou cependant ne resta pas davantage à Gazly-Gull, il vint se fixer définitivement à Chamly-Bill; sa gloire se répandit bientôt dans les contrées environnantes, et de toutes parts on lui envoyait de l'or et des présents.»

TROISIÈME RENCONTRE

Kourroglou se prit de goût pour Chamly-Bill, et y bâtit une forteresse5. Tous ceux qui entendirent parler de lui, de sa valeur et de sa libéralité, s'empressèrent de se joindre à sa bande. En peu de temps la forteresse devint une ville contenant huit mille familles. Ce fut là que Kourroglou fit connaissance avec le marchand Khoya-Yakub, qu'il adopta, plus tard, pour son frère. Cet homme avait voyagé dans tous les pays du monde, el il amusait souvent Kourroglou par la description de ce qu'il avait vu.

Le marchand Khoya-Yakub, allant un jour à la ville d'Orfah, vit une grande foule rassemblée sur la place du marché. Il s'avança et vit un jeune garçon, tel que le dépeint le poète:

«Mon coeur aime un jeune homme dont les sourcils sont bien arqués. Sa ceinture est étroite; ses lèvres ressemblent à un bouton, à une rose souriantes. Jeune homme, sacrifie ton âme à la beauté! contemple en moi son esclave. Parcourez le monde entier: vous ne trouverez pas un enfant de plus belle espérance. Son nom est Ayvaz-Bally. C'est la prairie du huitième ciel! Son père est boucher de son état; le fils est une mine de pierres précieuses.»

Khoya-Yakub demanda: «De quel jardin est cette rose? de quelle prairie est cette plante?» Quelqu'un répondit: «Son père est boucher du pacha de cette ville; Ayvaz-Bally est son nom.» Le marchand pensa lors en lui-même: «Kourroglou n'a pas d'enfants; pourquoi n'adopterait-il pas un si beau garçon pour son fils? Mais que dois-je faire? Si, à mon retour à Chamly-Bill, j'essaie de lui dépeindre ce que j'ai vu, il ne me croira pas.» Il trouva alors un peintre dans Orfah, et lui paya un bon prix pour faire le portrait d'Ayvaz.

 

Après un voyage de quelques jours, il revint à la forteresse de Chamly-Bill. Il fut dit à Kourroglou que son frère Khoya-Yakub était revenu. Il ordonna aussitôt à ses hommes d'aller à sa rencontre, et de l'amener dans la ville avec les honneurs qui lui étaient dus. Dès qu'il fut descendu de cheval, Kourroglou le baisa sur la joue, et le fit asseoir à ses côtés, tandis que Khoya-Yakub lui baisait les deux mains, comme à son supérieur. «Hourra! mes enfants, du vin! cria Kourroglou; buvons en l'honneur de l'arrivée de notre frère.» Et ils s'assirent, et ils burent au point que Khoya-Yakub commença à devenir gris, et sentit sa tête s'allumer. Kourroglou lui demanda d'où il venait. Il répondit: «D'Orfah! – Tu n'as pas vu, par hasard, a Orfah, un plus beau cheval que mon Kyrat? – Je n'en ai pas vu. – Dis, as-tu vu là, des hommes plus beaux et plus braves que mes compagnons? – Je n'en ai pas vu. – As-tu vu, dis moi, une fête plus joyeuse que la mienne? – Je n'en ai pas vu. – As-tu vu des échansons plus beaux et plus richement vêtus que les miens? – Frère guerrier, j'ai vu là un jeune garçon que les mains de tous vos jeunes gens ne sont pas dignes de laver. Voilà que tu deviens vieux, et que tu n'as pas d'enfants: pourquoi ne le prendrais-tu pas pour ton fils, afin de faire de lui, quand le temps en sera venu, un guerrier digne de te servir et de te succéder lorsque tu seras mort, aussi bien qu'un appui et un fils tant que tu vivras?» Il commença alors à vanter la beauté d'Ayvaz et sa mâle physionomie. Kourroglou dit: «Eh quoi! marchand qui n'es bon à rien! ne pouvais-tu dépenser quelques tumans pour payer un peintre et m'apporter sa ressemblance?» Le marchand sortit une miniature de son habit et la tendit à Kourroglou. Kourroglou la prit; et quand il l'eut examinée, les rênes de sa volonté échappèrent des mains de sa patience, et il s'écria: «Daly-Hassan, qu'on apprête une chaîne et des fers.» Le marchand, étonné, demanda ce que signifiait un ordre semblable. «Je vais te faire enchaîner, misérable!» Pour quelle raison, et quel est mon crime? Est-ce donc la récompense que tu me donnes pour t'avoir trouvé un fils? – C'est pour le mensonge que tu as dit. Homme, écoute-moi; je vais partir pour Orfah à l'instant même; et tu attendras mon retour, enchaîné dans un cachot. Si le jeune garçon justifie réellement tes louanges, que mon nom ne soit pas Kourroglou si je ne couvre pas ta tête d'une pluie d'or et ne t'exalte pas au-dessus de la voûte des cieux. Mais malheur à toi, si Ayvaz est indigne de tes éloges; car j'arracherai la racine de ton existence du sol de la vie; et ton châtiment servira d'exemple aux menteurs impudents comme toi. Tu ne dois pas mentir à tes supérieurs.»

Cela dit, il donna ordre d'enchaîner le marchand par le cou et par une jambe, et de le jeter ensuite en prison.

«Daly-Hassan! que l'on selle Kyrat.» Daly-Hassan mit lui-même la selle et le coussin sur le cheval de son maître, et les attacha sept fois avec la sangle. «Je pars pour Orfah, dit Kourroglou. Que personne ne de vous ne se hasarde de boire de façon à s'enivrer jusqu'à ce que je sois de retour. Malheur a celui dont la demeure retentira des sons de la musique ou du tambourin. Souvenez-vous de cette défense, ou je vous arracherai de la terre, et vous jetterai au vent, comme un chardon nuisible. Je pars seul pour chercher mon futur enfant, pour chercher Ayvaz. Je mourrai ou je reviendrai avec lui. Écoutez ma chanson.

Improvisation.– «J'adopterai pour mon fils le jeune Ayvaz-Bally. Attendez le jour d'adoption jusqu'à mon retour. Demandez-le en Turquie et en Syrie jusqu'à mon retour. Un homme brave monte l'arabe gris ou le bai, et galope tout le long du chemin, sur le cheval de bataille aux pieds légers. Tuez des veaux, égorgez des moutons, et nourrissez-vous de mes troupeaux jusqu'à mon retour. Kourroglou dit: le diable emporte l'ennemi; les braves galopent sur des chevaux arabes: allez et buvez jusqu'à mon retour.»

Ayant dit cela, Kourroglou prit congé de ses frères, monta sur Kyrat et marcha seul, jour et nuit, de bourgade en bourgade, vers la ville d'Orfah. Il n'en était plus qu'à un fersakh de distance, quand il se sentit une faim extrême; et, voyant un berger qui gardait son troupeau sur la pente d'une colline, il se dit: «Le proverbe est bon: si tu as faim, va au berger; si tu es las, au chamelier. Maintenant réfléchissons un peu de quelle façon j'attraperai à déjeuner.» Alors il s'approcha, et s'écria: «Que Dieu te bénisse, berger! ne peux-tu me donner à déjeuner?» Le berger leva la tête; et, voyant un guerrier dont l'armure, à elle seule, aurait pu acheter son troupeau et lui-même par-dessus le marché, il répondit: «Jeune homme, je n'ai point de mets digne de toi; mais si tu peux t'accommoder de lait de brebis, je vais t'en chercher.» Kourroglou dit: «Dans ce désert une goutte de lait vaut le monde entier: vas-en chercher, et me l'apporte.» Le berger était d'une haute stature et taillé carrément; il tenait dans sa main une énorme massue, dont la tête était armée de clous, de vieux fers de lance, de fers de chevaux cassés et de tout ce qu'il avait pu se procurer de tranchant; elle pesait un men et demi6; une courroie, passée dans un trou, la suspendait à son poignet. Le berger leva la massue: et, à ce signal, toutes les brebis se réunirent autour de lui. Il avait aussi avec lui une écuelle de bois que les Kurdes appellent moudah et qui pouvait contenir trois mena de lait7. L'ayant rempli jusqu'aux bords, il la mit devant Kourroglou, et lui donna une grande cuiller de bois pour qu'il pût manger, Kourroglou en eut à peine bu quelques cuillerées qu'il se sentit très-faible, et dit: «Berger, n'as-tu pas une croûte de pain? – J'en ai, dit le berger; mais il n'est pas un fils d'homme qui puisse le manger.» Kourroglou reprit: «Il porte un nom mangeable; et pour peu qu'il soit moins dur que la pierre, donne-le-moi.» Le berger dit: «C'est du pain fait d'orge et de millet; je l'ai pétri pour mes chiens.» Kourroglou dit: «N'importe, apporte-le tel qu'il est.» Le berger répliqua: «Le soleil l'a séché; il est devenu tout à fait dur et moisi: tu te rompras les dents.» Kourroglou dit: «Ne, crains rien, mon garçon, et donne-le-moi promptement.» Un sac de peau était suspendu au dos du berger; il l'en ôta, et le mit devant Kourroglou. Ce dernier était si prodigieusement affamé, qu'il plongea ses deux mains dans le sac, et, arrachant tout ce qui se trouvait sous sa main, le rompit en morceaux, et le jeta dans le lait. Le berger le regardait faire; et voyant que son hôte, qui avait déjà préparé de la nourriture pour quinze personnes n'interrompait pas sa besogne, il se dit à lui-même: «La faim l'a rendu fou; car assurément nul fils d'Adam ne pourrait avaler tout cela; quand il aura mangé cinq ou six cuillerées, il jettera le reste; avec ce qu'il a apprêté pour lui, je pourrais nourrir une semaine entière, toute la meute de chiens qui gardent mon troupeau.» Pendant ce temps, Kourroglou émiettait le pain, et en remplissait l'écuelle. A la fin, enfonçant la cuiller, qui resta, sans remuer, dans la position verticale, il leva les yeux, et vit le berger qui était debout, en contemplation devant lui. Il lui dit: «Assieds-toi, berger, et mangeons ensemble.» Le berger répliqua: «Beg, tu as préparé toi-même le repas, mange-le tout seul, car je ne puis t'aider.»

Alors, Kourroglou prit la cuiller et ce mit à l'oeuvre; ses énormes et rudes moustaches gênaient le passage; et le pain lui sortait de la bouche tandis que le lait coulait dans sa poitrine. Kourroglou, en colère, jeta la cuiller, et relevant ses moustaches qui allaient par-delà ses oreilles, il ouvrit une bouche semblable à l'entrée d'une caverne, et, prenant l'écuelle de ses deux mains, il avala le contenu jusqu'à la dernière goutte. Le berger le regardait avec stupeur, si disait en lui-même: Par le saint nom d'Allah! ce ne peut être là un homme, car aucun être humain ne pourrait avaler une telle quantité de nourriture. Encore une fois, je le répète, voyons, au nom d'Allah! ce qui va arriver. S'il s'enfuit maintenant, ce sera la vampire du désert8, ou Satan lui-même; s'il reste, c'est un fils des hommes. On dit que la famine incarnée est arrivée sur la terre; c'est là sûrement la famine, il vient de manger tout le lait de mes brebis; mais au bout d'une heure, il aura faim de nouveau, et alors il me dévorera moi-même.» Kourroglou pensait en lui-même: «Comment vais-je faire pour me rendre à Orfah et voir Ayvaz? Si je me montre sous ce costume, et monté sur ce cheval, mon nom et ma gloire sont trop bien connus en tous pays pour que je ne sois pas découvert. Prenons plutôt les habits du berger, et entrons ainsi dans la ville.» Il dit donc au berger: «Viens là, et faisons l'échange de nos habits» Le berger se mit à rire et lui dit: «Pourquoi me railler ainsi sur ma pauvreté? Le châle seul qui est sur ta tête, ou celui qui entoure tes reins, ou bien encore le poignard qui est passé dedans, seraient chacun suffisant pour racheter mon sang9 et mon troupeau avec. Pourquoi te moquer ainsi de moi?» Cela dit, il cracha dans la paume de ses mains, saisit sa massue, et, la brandissant d'une façon menaçante, il dit à Kourroglou: «Toi, si confiant dans la largeur de tes épaules, regarde aussi la largeur de mon cou.» Kourroglou sourit et lui dit «Berger, je te jure devant Dieu que je ne me ris pas de toi; il y a dans cette ville un marchand qui me doit quinze cents tumans10. Si je parais devant lui sur ce cheval et dans ce costume, il m'échappera. Je suis venu pour une raison importante; faisons vite notre échange. Si je reviens, je te rendrai tes habits et reprendrai les miens; si je ne reviens pas, tu pourras conduire ce cheval au bazar et le vendre. Son prix est de deux mille tumans; profites-en, et ne m'oublie pas dans tes prières. Tu garderas aussi les autres choses qui m'appartiennent.» Le berger dit: «A coup sûr cet homme est fou; je ne puis expliquer autrement tout ce que j'entends. Allons, Beg, déshabille-toi.» Kourroglou détacha sa ceinture et ôta tous ses habits. Le berger en lit autant de son côté, et mit les vêtements de Kourroglou, auquel il donna son manteau de feutre grossier. Kourroglou le jeta sur ses épaules, et ayant mis aussi le bonnet de feutre du berger, il lui dit: «Maintenant donne-moi ta massue;» car il voyait qu'en cas de besoin elle pourrait lui être aussi utile qu'un sabre. La prenant à sa main, il dit: «Berger! ton âme et l'âme de mon cheval.11»

 

Le berger répondit: «Je jure par la foi de Dieu! Que ton coeur soit en paix; tu peux te fier à moi.» Et il disait en lui-même: «Dieu veuille que cet homme ne revienne jamais; alors adieu la pauvreté; le cheval et les vêtements me suffiront aussi longtemps que je vivrai.»

Kourroglou prit congé du berger, et continua son voyage à pied; le manteau du berger était sur ses épaules, la massue dans sa main, Il aperçut bientôt là ville d'Orfah, et marcha jusqu'aux portes. Ayant prononcé le mot Bismillah (au nom de Dieu), il entra, et il passait dans une rue, quand il vit un Turc portant un okha de viande. Il la regardait avec amour, priant et soupirant en même temps. Kourroglou lui demanda en langue turque: «Quelle viande portes-tu là, que tu la convoites ainsi, et sembles soupirer après?» Le Turc répondit: «Es-tu donc étranger, seigneur, ou viens-tu de quelque contrée éloignée?» Kourroglou dit: «Oui, je viens de loin.» Le Turc lui dit alors: «Ne sais-tu pas que dans les autres pays le pain est cher, tandis que dans celui-ci, c'est la viande qui est chère? J'ai une personne malade chez moi, à laquelle le médecin a prescrit la viande; je vais chaque jour au bazar, mais je regarde en vain, je ne puis en trouver; aujourd'hui, enfin, j'ai trouvé de la viande dans la boutique d'Ayvaz, fils d'Ibrahim le boucher; j'ai été obligé de payer un okha deux piastres, et c'est là ce qui me fait soupirer.» Kourroglou demanda: «Se peut-il que la viande soit aussi chère? – Oui, en vérité, dit le Turc, deux piastres pour un okha, c'est énormément cher.» Kourroglou dit en lui-même: «Bonnes nouvelles pour mon berger! Attends seulement un peu, maudit; aujourd'hui même je vendrai tes moutons.» De là Kourroglou s'en fut vers la boutique d'Ayvaz, devant laquelle il aperçut une foule de gens, mêlés ensemble comme les plis d'un manteau froissé: les hommes venaient là pour acheter de la viande, les femmes pour admirer la beauté d'Ayvaz. Kourroglou désireux de le voir aussi, regardait par-dessus les épaules de ceux qui étaient devant lui. Les Turcs, le jugeant d'après son costume, le prirent pour un berger et commencèrent à le frapper sur la tête. Alors Kourroglou se baissa dans l'intention de regarder à travers leurs jambes, mais il s'exposa ainsi à de plus graves insultes. «Je ne puis dompter ces Turcs grossiers, dit-il; comment puis-je espérer d'enlever Ayvaz?» Il se mit à coudoyer de droite et de gauche, et, crachant dans ses mains, il leva sa massue en l'air, dans l'intention de se frayer un passage, en poussant et frappant coup sur coup. Celui qui eut la tête frappée eut le crâne brisé; celui qui reçut le coup sur la jambe eut la jambe cassée; celui qui le reçut sur les épaules resta sur la place.

De cette manière il chassa tout le monde de la boutique d'Ayvaz, quand il l'aperçut assis et tenant tristement sa tête dans sa main. Kourroglou dit dans son coeur: «Un vrai looty 12 possède six tours; cinq d'adresse et un de force. Je ne crois pas pouvoir effrayer cet enfant.» Il s'approcha alors d'Ayvaz, mit la main dans sa poche, et, prenant une piastre, il la jeta devant Ayvaz en lui disant: «Frère, pèse-moi un okha de viande, et rends-moi le reste en monnaie de cuivre. Seulement sois prompt, mes compagnons sont partis, et il faut que je coure les rejoindre.» Ayvaz se dit: «Voilà une bonne pratique pour moi; je vends un okha de viande deux francs, il ne m'en donne qu'un, et me demande son reste en monnaie, et cela promptement, parce que, dit-il, ses amis sont partis.» Ayvaz était orgueilleux à cause de sa beauté, et il dit avec aigreur: «Viens ici, approche-toi plus près, maître niais? Que veux-tu dire?» Kourroglou s'approcha d'Ayvaz, et celui-ci ayant plié un de ses doigts, lui donna un bon coup sur la joue avec les quatre autres. Kourroglou dit: «Jeune espiègle, pourquoi me frappes-tu?» Mais il était joyeux dans son coeur, et il ne ressentait aucune colère de cette preuve de courage. Ayvaz repartit: «Drôle, tu veux déprécier ma marchandise; en présence de tant de pratiques, tu veux acheter un okha de viande pour un sou, et avoir encore du retour, tandis que je vends un okha deux livres.» Kourroglou dit: «Tu es un enfant; ce n'est pas pour acheter de la viande mais pour en vendre, que je suis venu ici. – Que veux-tu dire, demanda Ayvaz? – Sot que tu es, répliqua Kourroglou, j'ai neuf cents moutons à vendre, et je venais ici pour connaître le prix réel de la viande, savoir si elle est chère ou bon marché.» On dit, avec vérité, que la raison abandonne la tête d'un boucher quand il entend le bêlement d'un troupeau. Ayvaz n'eut pas plus tôt entendu parler de neuf cents moutons, qu'il dit: «Mon oncle, je ne savais pas que tu étais un maître berger; j'ai été grossier dans mon langage; tu es en droit de me couper la langue. Je t'ai frappé, coupe-moi la main, pardonne seulement ma faute.»

Kourroglou fit l'improvisation suivante:

Improvisation. – «Tu frapperas l'ennemi armé, fût-il enveloppé dans un feuillet du Coran! Mon futur enfant! lumière de mes yeux! je ne me fâche pas de semblables bagatelles.» Ayvaz dit alors: – «Pour l'amour de Dieu! mon cher seigneur, que personne ne sache que tu as amené neuf cents moutons. Notre ville a cinquante bouchers; ils vont tous te persécuter, et tu seras obligé de diviser ton troupeau entre eux tous; de sorte qu'il n'y en aura pas plus de vingt pour ma part. Tu feras bien mieux d'attendre ici et de t'asseoir, tandis que je vais aller chercher mon père. Nous achèterons à nous seuls tout ton troupeau, et nous seuls te donnerons l'argent.» Kourroglou répondit: «Va donc, je t'attendrai ici. – Reste, dit Ayvaz. Tu vois ici douze quartiers de viande; s'il vient quelques pratiques, tu leur vendras un okha deux piastres si elles ne veulent pas attendre que je sois revenu pour fixer le prix moi-même.» Kourroglou répliqua: «Va, et repose-toi sur moi; j'ai été boucher dix-sept ans, et je connais mon état; je vendrai bien à ta place.» Ayvaz laissa la boutique à la garde de Kourroglou, et courut chercher son père. Bientôt après, un Turc, qui venait pour acheter de la viande, vit Kourroglou, et pensa en lui-même: «Comment acheter d'un pareil monstre! Je suis vraiment effrayé de lui.» Ainsi ruminant, il allait de long en large.

Kourroglou le vit et lui dit: «Tu vas et viens comme si tu étais malade; de quoi as-tu besoin?» Le Turc prit une piastre dans sa poche, et demanda un demi-okha de viande. Kourroglou lui dit de mettre l'argent sur l'étal et d'entrer dans la boutique. Ayant choisi une tranche de la meilleure viande: «Prends-la toute!» lui dit-il. Le Turc, pensant qu'il y avait quelque tricherie là-dessous, ou bien qu'on voulait se moquer de lui, répondit: «Tout ce que j'ai à recevoir, c'est un demi-okha de mouton, et je n'en prendrai pas davantage.» Kourroglou leva sa massue sur lui, et s'écria: «Es-tu sourd ou stupide? Je te dis de prendre tout.» Le Turc dit dans son âme: «Il faut toujours profiter de l'occasion; je vais essayer de prendre tout. S'il ne me dit rien, il aura évidemment perdu le sens; si c'est le contraire, je jetterai la viande par terre, et je me sauverai.» Il entra dans la boutique lentement, et avec timidité prit la viande, la mit sur son épaule, ayant, pendant tout ce temps les yeux fixés sur Kourroglou; ensuite il quitta la boutique et commença à courir, et, tout en fuyant, il regardait souvent derrière lui; mais personne ne le suivait. Il avait toujours quelque appréhension, et il courait aussi fort que la vitesse de ses jambes le lui permettait. Il n'était pas loin de sa maison quand il rencontra quelques amis, qui lui demandèrent la raison de cette hâte. «Oh! puisse votre maison ne tomber jamais en ruine! Un fou est assis dans la boutique d'Ayvaz; pour une piastre, il m'a donné toute une épaule de mouton; quel beau trafic! Il y a encore onze quartiers dans la boutique; allez vite, et il vous les donnera sûrement.» Pendant que Kourroglou vendait ainsi toute la viande d'Ayvaz pour douze piastres, ce dernier arrivait à la maison de son père transporté de joie, et il dit: «Il est venu à notre boutique un berger qui a neuf cents moutons; je l'ai retenu, et nous achèterons son troupeau.» Son père, Mir-Ibrahim, le boucher, se rendit promptement à la boutique, et dès qu'il vit Kourroglou, il lui jeta ses bras autour du cou, et l'accueillit avec de grands embrassements, l'appelant beg, et ami, et frère en même temps. Kourroglou pensa en son coeur: «Je t'entends, coquin, tu veux m'attraper.» Mir-Ibrahim dit: «Beg, votre nom a échappé de ma mémoire; tout ce que je sais, c'est que vous aviez coutume de m'honorer de votre présence quand vous nous ameniez des moutons. Il y a longtemps que nous ne nous sommes vus; mes yeux vous cherchaient et vous désiraient.» Kourroglou pensait dans son coeur: «Fripon! tu achètes le pain du boulanger, et puis tu le lui revends ensuite13.» Et alors il dit: «Mon nom est Roushan.» Il ne disait pas un mensonge, car tel était vraiment son nom. Le boucher sur cela commença à se plaindre: «Comment! nous aviez-vous oublié? et pourquoi être resté si longtemps sans voir votre ami et votre frère?» Kourroglou répondit: «Les moutons que j'avais coutume d'amener ici venaient tous de la Perse; maintenant Kourroglou demeure sur les frontières, à Chamly-Bill. La crainte de ce voleur m'a retenu; mais, grâce à Dieu! Kourroglou étant mort, je te fournirai désormais autant de moutons que tu peux désirer.» Mir-Ibrahim, le boucher, demanda: «Est-il donc vrai que Kourroglou soit mort? – Mort et enterré! J'ai moi-même assisté à ses funérailles.» Le boucher dit: «Dieu soit loué! car vous saurez que notre pacha, ayant entendu parler de ce bandit, a défendu à mon Ayvaz de sortir de la ville, de peur que Kourroglou ne l'enlève et ne le couvre d'infamie. Depuis sept ans, Ayvaz n'est jamais sorti de la forteresse.» Kourroglou disait en lui-même: «Voyez cette sale tête; il m'a enterré vivant, mais je l'aurai bientôt moi-même mis au tombeau; de sorte que chacun se moquera de lui jusqu'à la fin du monde.»

5Un fort, Kalka en Perse, village entouré de murs, avec des tours et des meurtrières dans les angles. On voit encore aujourd'hui les ruines du fort de Kourroglou à Chamly-Bill.
6Environ vingt-deux livres anglaises.
7Men, en turc balma, poids employé commumnément en Perse.
8Le fantôme du desert, «Guli-Beiaban,» le vampire bien connu des contes orientaux.
9Racheter mon sang. Allusion au «jus tallionis» du Coran. Le meurtrier doit payer les parents de la victime avec sa vie ou avec de l'argent.
10Le tuman est une monnaie perse qui vaut environ douze francs.
11Phrase proverbiale très usitée chez les Persans, elle signifie: Prends soin de mon cheval comme tu voudrais qu'ont prit soin de toi-même.
12Looty, nom fameux en Perse. Il tient le milieu entre le brave vénitien et l'aventurier français.
13expression proverbiale pour dire: tu mens, tu m'as trompé.
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