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Les Maîtres sonneurs

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Troisième veillée

Je remontai la côte et pris le chemin que j'avais vu prendre à Joseph. Je m'enquis de lui le long de la route et n'en eus point nouvelles, sinon qu'on l'avait bien vu passer, mais non revenir. Ça me mena jusqu'au droit de la forêt, où j'allai questionner le forestier, dont la maison, qui est une pièce fort ancienne, surmonte un grand morceau de brande couché en pente. C'est un endroit bien triste, malgré qu'on y voie de loin, et où il ne pousse, à la lisière des taillis de chêne, que de la fougère et des ajoncs.

Le garde forestier était, dans ce temps-là, Jarvois, mon parrain, natif de Verneuil. Sitôt qu'il me vit, comme je n'allais pas souvent me promener si loin, il me fit tant de fête et d'amitié qu'il n'y eût pas moyen de s'en aller.

– Ton camarade Joseph est venu céans, il y a tantôt une heure, me dit-il, pour nous demander si les charbonniers étaient dans la forêt; sans doute que son maître lui aura commandé de s'en enquérir. Il n'était ni dérangé en paroles, ni mal porté sur ses jambes, et il a monté jusqu'au gros chêne. Tu n'as donc point à t'en inquiéter, et puisque te voilà, il faut boire une bouteille avec moi et attendre que ma femme revienne de querir ses vaches, car elle serait fâchée si tu partais sans l'avoir vue.

N'ayant plus sujet de me tourmenter, je restai chez mon parrain jusque vers le coucher du soleil. C'était environ la mi-février, et, voyant venir la nuit, je fis mes adieux et pris le chemin d'en sus, afin de gagner Verneuil et de m'en retourner tout droit chez nous par la route aux Anglais, sans repasser par Saint-Chartier où je n'avais plus que faire.

Mon parrain m'expliqua un peu mon chemin, car je n'avais traversé la forêt qu'une ou deux fois en ma vie. Vous savez que, dans le pays d'ici, nous ne courons guère au loin, surtout ceux de nous qui se donnent au travail de la terre, et qui vivent autour des habitations comme des poussins alentour de la mue.

Aussi, malgré que l'on m'avait bien averti, je donnai trop sur ma gauche, et, au lieu de rencontrer la grande allée de chênes, je me trouvai dans les bouleaux, à une bonne demi-lieue du point que j'aurais dû gagner.

La nuit était tout à fait tombée et je n'y voyais plus goutte, car, en ce temps, la forêt de Saint-Chartier était encore une belle forêt, rapport non à son étendue, qui n'a jamais été de conséquence, mais à l'âge des arbres, qui ne laissaient guère passer la clarté entre le ciel et la terre.

Ce qu'elle y gagnait en verdeur et fierté, elle vous le faisait payer du reste. Ce n'était que ronces et fretats, chemins défoncés et ravines d'une bourbe noire et légère, où l'on ne tirait pas trop la semelle, mais où l'on s'enfonçait jusqu'aux genoux quand on s'écartait un peu du tracé. Si bien que, perdu sous la futaie, déchiré et embourbé dans les éclaircies, je commençais à maugréer contre la mauvaise heure et le mauvais endroit.

Après avoir pataugé assez longtemps pour en avoir chaud, malgré que la soirée fût bien fraîche, je me trouvai dans des fougères sèches, si hautes, que j'en avais jusqu'au menton, et en levant les yeux devant moi, je vis, dans le gris de la nuit, comme une grosse masse noire au milieu de la lande.

Je connus que ce devait être le chêne, et que j'étais arrivé au fin bout de la forêt. Je n'avais jamais vu l'arbre, mais j'en avais ouï parler, pour ce qu'il était renommé un des plus anciens du pays, et, par le dire des autres, je savais comment il était fait. Vous n'êtes point sans l'avoir vu. C'est un chêne bourru, étêté de jeunesse par quelque accident, et qui a poussé en épaisseur; son feuillage, tout desséché par l'hiver, tenait encore dru, et il paraissait monter dans le ciel comme une roche.

J'allais tirer de ce côté-là, pensant que j'y trouverais la sente qui coupait le bois en droite ligne, lorsque j'entendis le son d'une musique, qui était approchant celui d'une cornemuse, mais qui menait si grand bruit, qu'on eût dit d'un tonnerre.

Ne me demandez point comment une chose qui aurait dû me rassurer en me marquant le voisinage d'une personne humaine, m'épeura comme un petit enfant. Il faut bien vous dire que, malgré mes dix-neuf ans et une bonne paire de poings que j'avais alors, du moment que je m'étais vu égaré dans le bois, je m'étais senti mal tranquille. Ce n'est pas pour quelques loups qui descendent, de temps on temps, des grands-bois de Saint-Aoust dans cette forêt-là, que j'aurais manqué de cœur, ni pour la rencontre de quelque chrétien malintentionné. J'étais enfroidi de cette sorte de crainte qu'on ne peut pas s'expliquer à soi-même, parce qu'on ne sait pas trop où en est la cause. La nuit, la brume d'hiver, un tas de bruits qu'on entend dans les bois et qui sont autres que ceux de la plaine, un tas de folles histoires qu'on a entendu raconter, et qui vous reviennent dans la tête, enfin, l'idée qu'on est esseulé loin de son endroit; il y a de quoi vous troubler l'esprit quand on est jeune, voire quand on ne l'est plus.

Moquez-vous de moi si vous voulez. Cette musique, dans un lieu si peu fréquenté, me parut endiablée. Elle chantait trop fort pour être naturelle, et surtout elle chantait un air si triste et si singulier, que ça ne ressemblait à aucun air connu sur la terre chrétienne. Je doublai le pas, mais je m'arrêtai, étonné d'un autre bruit. Tandis que la musique braillait d'un côté, une clochette sonnait de l'autre, et ces deux résonnances venaient sur moi, comme pour m'empêcher d'avancer ou de reculer.

Je me jetai de côté en me baissant dans les fougères; mais, au mouvement qui s'ensuivit, quelque chose fit feu des quatre pieds tout auprès de moi, et je vis un grand animal noir, que je ne pus envisager, bondir, prendre sa course et disparaître.

Tout aussitôt, de tous les points de la fougeraie, sautèrent, coururent, trépignèrent une quantité d'animaux pareils, qui me parurent gagner tous vers la clochette et vers la musique, lesquelles s'entendaient alors comme proches l'une de l'autre. Il y avait peut-être bien deux cents de ces bêtes, mais j'en vis au moins trente mille, car la peur me galopait rude, et je commençais à avoir des étincelles et des taches blanches dans la vue, comme la frayeur en donne à ceux qui ne s'en défendent point.

Je ne sais par quelles jambes je fus porté auprès du chêne; je ne sentais plus les miennes. Je me trouvai là, tout étonné d'avoir fait ce bout de chemin comme un tourbillon de vent, et, quand je repris mon souffle, je n'entendis plus rien, au loin ni auprès; je ne vis plus rien, ni sous l'arbre, ni sur la fougeraie; et je ne fus pas bien sûr de n'avoir point rêvé un sabbat de musique folle et de mauvaises bêtes.

Je commençais à me ravoir et à regarder en quel lieu j'étais; La branchure du chêne couvre une grande place herbue, et il y faisait si noir que je ne voyais point mes pieds; si bien que je me heurtai contre une grosse racine et tombai les mains en avant, sur le corps d'un homme qui était allongé là comme mort ou endormi. Je ne sais point ce que la peur me fit dire ou crier, mais ma voix fut reconnue, et tout aussitôt celle de Joset me répondit: – C'est donc toi, Tiennet? Et qu'est-ce que tu viens faire ici à pareille heure?

– Et toi-même, qu'y fais-tu, mon vieux? lui dis-je, bien content et bien consolé de le trouver là. Je t'ai cherché tout le tantôt; ta mère a été en peine de toi, et je te croyais retourné vers elle depuis longtemps.

– J'avais affaire par ici, répondit-il, et, avant de m'en aller, je me reposais là, voilà tout.

– Tu n'as donc pas peur de te trouver comme ça, de nuit, dans un endroit si laid et si triste?

– Peur de quoi, et pourquoi, Tiennet? je ne t'entends point!

J'eus honte de lui confesser combien j'avais été sot. Cependant, je me risquai à lui demander s'il n'avait pas vu du monde et des bêtes dans la clairière.

– Oui, oui, répondit-il; j'ai vu beaucoup de bêtes, et du monde aussi, mais tout ça n'est pas bien méchant, et nous pouvons nous en aller tous deux sans que mal nous en arrive.

Je m'imaginai, à sa voix, qu'il se gaussait un peu de ma frayeur, et je quittai le chêne avec lui; mais quand nous fûmes hors de son ombrage, il me sembla que Joset n'avait ni sa taille ni sa figure des autres fois. Il me paraissait plus grand, portant plus haut la tête, marchant d'un pas plus vif, et parlant avec plus de hardiesse. Ça ne me rassura point, car toutes sortes de folies me traversèrent la remembrance. Ce n'était, point seulement par ma grand'mère que je m'étais laissé conter que les gens qui ont la figure blanche, l'œil vert, l'humeur triste et la parole difficile à comprendre, sont portés à s'accointer avec les mauvais esprits, et, en tout pays, les vieux arbres sont mal famés pour la hantise des sorciers et des autres.

Je n'osai respirer tant que nous fûmes dans la fougeraie, je m'attendais toujours à voir repasser ce qui m'était apparu en songe de l'âme ou en vérité des sens. Tout resta tranquille, et il n'y eut d'autre bruit que celui des branches sèches qui se cassaient à notre passage, ou d'un restant de glace qui craquait sous nos pieds.

Joseph, marchant le premier, ne prit point la grande allée, mais coupa à travers le fourré. On eût dit d'un lièvre au fait de tous les recoins, et il me mena si vite au gué de l'Igneraie, sans traverser le bourg des potiers, que je me crus arrivé par enchantement. Là, il me quitta sans avoir desserré les dents, sinon pour me dire qu'il voulait se faire voir à sa mère, puisqu'elle était en peine de lui, et il reprit le chemin de Saint-Chartier, tandis que je tranchais droit sur ma demeurance par les grands communaux.

Je ne me sentis pas plutôt dans le pays que je connaissais, que mon angoisse me quitta et que j'eus grande honte de ne pas l'avoir surmontée. Sans doute, Joseph m'aurait parlé des choses que je désirais savoir, si je l'eusse questionné; car, pour la première fois, il avait quitté son air endormi, et je lui avais, surpris, pour un moment, comme un rire dans la voix et comme une intention d'assistance dans la conduite.

 

Pourtant, après que j'eus dormi sur l'aventure, mes sens étant bien calmés, je m'assurai de n'avoir point rêvé ce qui s'était passé dans la fougeraie, et je trouvais, dans la quiétise de Joseph, quelque chose de louche. Les bêtes que j'avais vues là, en si grosse quantité, n'étaient point d'une présence ordinaire. Dans nos pays on n'a, par troupeaux, que des ouailles, et ma vision était d'animaux d'une autre couleur et d'une autre mesure. Ce n'était ni chevaux, ni bœufs, ni moutons, ni chèvres; et on ne souffrait, d'ailleurs, aucun bétail paître dans la forêt.

À l'heure où je vous parle, je trouve que j'étais bien sot. Pourtant, il y a bien de l'inconnu dans les affaires de ce monde où l'homme met le nez; à meilleure enseigne, dans celles dont le bon Dieu s'est réservé le secret.

Tant il y a que je n'osai point questionner Joseph, car si l'on peut être curieux des bonnes idées, on ne doit point l'être des mauvaises, et mêmement, on répugne toujours à se fourrer dans les affaires où l'on peut trouver plus qu'on ne cherche.

Quatrième veillée

Une chose me donna encore plus à penser par la suite des jours. C'est que l'on s'aperçut à l'Aulnières que Joset découchait de temps en temps.

On l'en plaisantait, s'imaginant qu'il avait une amourette: mais on eût beau le suivre et l'observer, jamais on ne le vit s'approcher d'un lieu habité, ni rencontrer une personne vivante. Il s'en allait à travers champs et gagnait le large, si vite et si malignement, qu'il n'y avait aucun moyen de surprendre son secret. Il revenait au petit jour et se trouvait à son ouvrage comme les autres, et, au lieu de paraître las, il paraissait plus léger et plus content qu'à son habitude.

Cela fut observé par trois fois dans le courant de l'hiver, qui eut pourtant grande rigueur et longue durée cette année-là. Il n'y eût neige ou bise capable d'empêcher Joset de courir de nuit, quand l'heure était venue pour sa fantaisie. On s'imagina aussi qu'il était de ceux qui marchent ou travaillent dans le sommeil; mais, de tout cela, il n'était rien, comme vous verrez.

Mêmement, la nuit de Noël, comme Véret le sabotier s'en allait faire réveillon chez ses parents à l'Ourouer, il vit sous l'orme Râteau, non pas le géant qu'on dit s'y promener souvent avec son râteau sur l'épaule, mais un grand homme noir qui n'avait pas bonne mine et qui marmottait tout bas quelque chose avec un autre homme moins grand et d'une figure un peu plus chrétienne. Véret n'eut pas absolument peur et passa assez près d'eux pour pouvoir écouter ce qu'ils se disaient. Mais dès que les deux autres l'eurent vu, ils se séparèrent; l'homme noir dévalla on ne sait où, et son camarade, s'approchant de Véret, lui dit d'une voix qui lui parut tout étranglée:

– Où vas-tu donc comme ça, Denis Véret?

Le sabotier commença de s'étonner, et, sachant qu'on ne doit point répondre aux choses de la nuit, surtout à côté des mauvais arbres, il passa son chemin en détournant la tête; mais il fut suivi de celui qu'il jugeait être un esprit, et qui marchait derrière lui, mettant son pas dans le sien.

Quand ils furent en haut de la plaine, le poursuivant tourna à main gauche, disant:

– Bonsoir, Denis Véret!

Et ce ne fut que là que Véret reconnut Joseph et se moqua de lui-même, mais toutefois sans pouvoir s'imaginer pour quel motif et en quelle société il s'était trouvé à l'orme, entre une et deux heures du matin.

Quand cette dernière chose vint à ma connaissance, j'en eus du regret et me fis reproche de n'avoir point détourné Joseph du mauvais chemin qu'il paraissait vouloir prendre. Mais j'avais laissé passer tant de temps là-dessus, que je n'osai y revenir. J'en parlai à Brulette, qui ne fit que s'en moquer, d'où je commençai à croire qu'ils avaient une amour cachée et que j'avais été pris pour dupe, ainsi que les gens qui voulaient y voir de la magie et n'y voyaient que du feu.

J'en fus plus affligé que courroucé; Joseph si toqué et si mou à l'ouvrage, me paraissait pour Brulette une triste compagnie et un pauvre soutien. Je pouvais bien lui dire que, sans parler de moi, elle aurait pu faire un meilleur tri; mais je ne m'en sentais point le courage, craignant de la fâcher et de perdre son amitié, qui me paraissait encore douce, même sans le restant de ses bonnes grâces.

Un soir, revenant à mon logis, je trouvai Joseph assis au bord de la fontaine qu'on appelle la font de Fond. Ma maison, connue alors sous le nom de la croix de Par-Dieu, parce qu'elle se trouvait bâtie auprès d'un carroir de chemins dont on a retranché depuis la moitié, donnait sur cette grande pelouse fine que vous avez vue vendre et dépecer, comme bien communal et terre vague, il n'y a pas longtemps. C'est grand dommage pour le petit monde qui y nourrissait ses bêtes et qui n'a pu y rien acheter. C'était chemin et pâturage bien large, bien vert, et arrosé, à l'aventure, des belles eaux de la source, qui n'étaient point réglées et s'en allaient de ci et de là sur un herbage court, tondu à toute heure par les troupeaux et réjouissant à voir par son étendue.

Je me contentais de dire bonsoir à Joseph, quand il se leva et se mit à marcher à mon côté, cherchant à avoir conversation avec moi, et paraissant si agité que j'en fus inquiet. – Qu'est-ce que tu as donc? lui dis-je enfin, voyant qu'il parlait tout de travers et se tourmentait le corps de soupirs et de contorsions comme s'il eût passé dans une fourmilière.

– Tu me demandes ça? dit-il avec impatience. Ça ne te fait donc rien? Tu es donc sourd?

– Qui? quoi? qu'est-ce que c'est? m'écriai-je, pensant qu'il avait quelque vision, et ne me souciant pas d'en avoir ma part.

Puis j'écoutai, et saisis tout au loin le son d'une musette qui me parut n'avoir rien que de naturel.

– Eh bien, lui dis-je, c'est quelque cornemuseux qui revient d'une noce du côté de la Berthenoux? En quoi est-ce que ça te gêne?

Joseph répondit d'un air assuré: – C'est la musette à Carnat, mais ce n'est point lui qui en joue… C'est quelqu'un qui est encore plus maladroit que lui!

– Maladroit? Tu trouves Carnat maladroit sur la musette?

– Maladroit de ses mains, non pas! mais maladroit de son idée, Tiennet! Oh, le pauvre homme! Il n'est pas digne d'avoir le moyen d'une musette! Et celui qui s'en essaye, à cette heure, mériterait que le bon Dieu lui retire son vent de la poitrine.

– Voilà des choses bien étranges que tu me dis, et je ne sais point où tu les prends. Comment peux-tu connaître que cette musette-là est celle à Carnat? Il me semble, à moi, que musette pour musette, ça braille toujours de la même mode. J'entends bien que celle qui sonne là-bas n'est pas soufflée comme il faut, et que l'air est estropié un si peu; mais ça ne me gêne point, car je n'en saurais pas faire autant. Est-ce que tu crois que tu ferais mieux?

– Je ne sais pas! mais, pour sûr, il y en a qui font mieux que ce cornemuseux-là, et mieux que Carnat, son maître. Il y en a qui sont dans la vérité de la chose.

– Où les as-tu trouvés? Où sont-ils, ces gens dont tu parles?

– Je ne sais pas; mais il y a quelque part une vérité, c'est le tout de la rencontrer, puisqu'on n'a pas le temps et le moyen de la chercher.

– C'est donc, Joset, que tu aurais ton idée tournée à la musiquerie? Voilà qui m'étonnerait bien. Je t'ai toujours connu muet comme une tanche, ne retenant et ne ruminant aucune chanson; car, quand tu t'essayais sur le chalumeau de paille, comme font beaucoup de pâtours, tu changeais tous les airs que tu avais entendus, de telle manière qu'on ne les reconnaissait plus. De ce côté-là, on te jugeait encore plus innocent que tous les enfants innocents qui s'imaginent de cornemuser sur les pipeaux; or, si tu dis que Carnat ne te contente pas, lui qui fait danser si bien en mesure et qui mène ses doigts si subtilement, tu me donnes encore plus à penser que tu n'as pas l'oreille bonne.

– Oui, oui, répondit Joseph, tu as raison de me reprendre, car je dis des sottises, et je parle de ce que je ne sais pas. Or donc, bonne nuit, Tiennet; oublie ce que je t'ai dit, car ça n'est pas ce que j'aurais voulu dire; mais j'y penserai, pour tâcher de te le dire mieux une autre fois.

Et il s'en alla vitement, comme regrettant d'avoir parlé; mais Brulette, qui sortait de chez nous avec ma sœur, l'arrêta, le ramena vers moi, et nous dit: – Il est temps que ces histoires-là finissent. Voilà ma cousine qui s'en est tant laissé dire, qu'elle tient Joset pour un loup-garou, et il faut s'expliquer, à la fin!

– Qu'il soit donc fait selon ton vouloir, répondit Joseph, car je suis fatigué de passer pour sorcier, et j'aime encore mieux passer pour imbécile.

– Non, tu n'es ni imbécile ni fou, reprit Brulette, mais tu es bien obstiné, mon pauvre Joset! Sache donc, Tiennet, que ce gars-là n'a rien de mauvais dans la tête, sinon une fantaisie de musique qui n'est pas si déraisonnable que dangereuse.

– Alors, répondis-je, je comprends ce qu'il me disait tout à l'heure; mais où diable a-t-il pris pareille idée?

– Un petit moment! reprit Brulette; ne le fâchons pas injustement; ne te dépêche pas de dire qu'il est incapable de musiquer; car tu penses peut-être, comme sa mère et comme mon grand-père, qu'il a l'esprit bouché à cela, comme autrefois au catéchisme. Moi, je dirai que c'est toi, et mon grand-père, et la bonne Mariton qui n'y connaissez rien. Joseph ne peut chanter, non qu'il soit court d'haleine, mais parce qu'il ne fait point de son gosier ce qu'il veut; et comme il ne se contente point lui-même, il aime mieux ne jamais faire usage de sa voix, qui lui est rétive. Alors, bien naturellement, il souhaite de musiquer sur un instrument qui ait une voix en place de la sienne, et qui chante tout ce qui vient dans son idée. C'est pour avoir toujours manqué de cette voix d'emprunt, que notre gars a toujours été triste, ou songeur, ou comme ravi en lui-même.

– C'est tout justement comme elle te le dit! m'observa Joseph, qui paraissait soulagé d'entendre cette belle jeunesse le débarrasser de ses pensées en les rendant compréhensibles pour moi. Mais ce qu'elle ne te dit point, c'est qu'elle a une voix en ma place, et une voix si douce, si claire, et qui dit si justement les choses entendues, que je prenais déjà, étant petit enfant, mon plus grand plaisir à l'écouter.

– Mais, poursuivit Brulette, nous avions bien quelquefois maille à partir ensemble à ce sujet-là; J'aimais à imiter toutes les petites filles de campagne, qui ont pour coutume, en gardant leurs bêtes, de crier leurs chansons à pleine tête, pour se faire entendre au loin; et comme en criant comme ça, j'outrepassais ma force, je gâtais tout, et je faisais mal aux oreilles de Joset. Et puis, quand je me suis rangée à chanter raisonnablement, il s'est trouvé que j'avais si bonne mémoire pour retenir toutes choses chantables, celles qui contentent notre gars comme celles qui l'encolèrent, que plus d'une fois je l'ai vu me brûler compagnie tout d'un coup et s'en aller sans rien me dire, encore qu'il m'eût priée de chanter. Pour ce qui est de ça, il n'est pas toujours bien honnête ni gracieux; mais comme c'est lui, j'en ris au lieu de m'en fâcher. Je sais bien qu'il y reviendra, car il n'a pas la souvenance certaine, et quand il a entendu quelque chansonnette qu'il ne juge point trop laide, il accourt me la demander, et il est bien sûr de la trouver dans ma tête.

J'observai à Brulette que Joseph n'ayant pas de souvenance, ne me paraissait point né pour cornemuser.

– Oh dame! c'est là qu'il faut encore retourner ton jugement de l'envers à l'endroit, répondit-elle. Vois-tu, mon pauvre Tiennet, ni toi ni moi ne connaissons la vérité de la chose, comme dit ce gars-là. Mais, à force de vivre avec ses songeries, j'ai fini par comprendre ce qu'il ne sait pas ou n'ose pas dire. La vérité de la chose, c'est que Joset prétend inventer lui-même sa musique, et qu'il l'invente, de vrai. Il a réussi à se faire une flûte d'un roseau, et il chante là-dessus, je ne sais comment, car il n'a jamais voulu se laisser ouïr de moi, ni de personne de chez nous. Quand il veut flûter, il s'en va le dimanche, et mêmement la nuit, dans des endroits non fréquentés où il flûte à sa guise; et quand je lui demande de flûter pour moi, il me répond qu'il ne sait pas encore ce qu'il veut savoir, et qu'il m'en régalera quand ça en vaudra la peine. Voilà pourquoi, depuis qu'il a inventé ce flûteriot, il s'absente tous les dimanches, et quelquefois sur la semaine, pendant la nuit, quand sa musique le tient trop fort.

Tu vois, Tiennet, que toutes ces affaires-là sont bien innocentes; mais c'est à présent qu'il faut nous expliquer tous les trois, mes amis; car voilà Joset qui se met dans la volonté d'employer son premier gage (ayant jusqu'à cette heure tout donné en garde à sa mère) à faire achat d'une musette, et comme il dit qu'il est mince ouvrier, et que son cœur voudrait retirer la Mariton de ses fatigues, il prétendrait se faire cornemuseux de son état, parce que, de vrai, on y gagne gros.

 

– L'idée serait bonne, dit ma sœur, qui nous écoutait, si, pour de vrai, Joseph avait le talent; mais, avant d'acheter la musette, m'est avis qu'il faudrait s'assurer de la manière de s'en servir.

– Ça, c'est affaire de temps et de patience, dit Brulette; mais là n'est point l'empêchement. Est-ce que vous ne savez pas que voilà, depuis un tour de temps, le garçon à Carnat qui s'essaye aussi à cornemuser, à seules fins de garder au pays la place de son père?

– Oui, oui, répondis-je, et je vois ce, qui en résulte. Carnat est vieux, et on aurait pu avoir sa succession; mais son fils, qui la veut, la gardera, parce qu'il est riche et bien appuyé dans le pays; tandis que toi, Joset, tu n'as encore ni argent pour acheter ta musette, ni maître pour t'enseigner, ni amis de ta musique pour te soutenir.

– C'est la vérité, répondit Joset tristement. Je n'ai encore que mon idée, mon roseau et elle!

Ce disant, il désignait Brulette, qui lui prit la main bien amiteusement en lui répondant: – Joset, je crois bien à ce qui est dans ta tête, mais je ne peux pas être assurée de ce qui en sortira. Vouloir et pouvoir sont deux; songer et flûter diffèrent grandement. Je sais que tu as dans les oreilles, ou dans la cervelle, ou dans le cœur, une vraie musique du bon Dieu, parce que j'ai vu ça dans tes yeux quand j'étais petite, et que, plus d'une fois, me prenant sur tes genoux, tu me disais d'un air charmé: – Écoute, ne fais pas de bruit, et tâche de te souvenir. Alors, moi, j'écoutais bien fidèlement, et je n'entendais que le vent qui causait dans les feuillages, ou l'eau qui grelottait au long des cailloux; mais toi, tu entendais autre chose, et tu en étais si assuré, que je l'étais par contre.

Eh bien! mon garçon, conserve dans ton secret ces jolies musiques qui te sont bonnes et douces; mais n'essaye point de faire le ménétrier, car il arrivera ceci ou cela: ou tu ne pourras jamais faire dire à ta musette ce que l'eau et le vent te racontent dans l'oreille; ou bien, si tu deviens musiqueux fin, les autres petits musiqueux du pays te chercheront noise et t'empêcheront de pratiquer. Ils te voudront mal et te causeront des peines, comme ils ont coutume de faire, pour empêcher qu'on n'ait part à leurs profits et à leur renom. Ils y mettent de l'intérêt et de la gloriole aussi. Ils sont ici et aux alentours une douzaine, qui ne s'accordent guère entre eux, mais qui s'entendent et se soutiennent pour ne point laisser pousser de nouvelles graines sur leurs terres. Ta mère, qui entend causer les cornemuseux le dimanche, car ils sont tous gens très-asséchés de soif et coutumiers de boire bien avant dans la nuit après les danses, est très-chagrinée de te voir penser à entrer dans une pareille corporation. Ils sont rudes et méchants, et toujours des premiers exposés dans les querelles et batteries. L'habitude d'être en fête et chômage les rend ivrognes et dépensiers. Enfin, c'est du monde qui ne te ressemble point, et où tu te gâterais, selon elle. Selon moi, c'est du monde jaloux et porté à la vengeance, qui t'écraserait l'esprit et peut-être le corps. Par ainsi, Joset, je te prie de reculer au moins ton dessein et d'ajourner ton envie, et mêmement d'y renoncer tout à fait, si ça n'est pas trop demander à ton amitié pour moi, pour ta mère et pour Tiennet.

Comme je soutenais les raisons de Brulette, qui me paraissaient bonnes, Joset fut bien désolé; mais il reprit courage et nous dit:

– Mes amis, je vous suis obligé de vos conseils, qui sont dans l'intention de mes vrais intérêts, je le sais; mais je vous prie de me donner encore liberté d'esprit pour un bout de temps. Quand j'en serai venu où je crois arriver, je vous prierai de m'entendre flûter ou cornemuser, s'il plaît à Dieu que je puisse acheter une musette. Alors, si vous jugez que je suis bon à quelque chose, ma musique vaudra la peine que je m'en serve, et que je soutienne la guerre pour l'amour d'elle. Sinon, je continuerai à piocher la terre, et à me divertir le dimanche avec mon flûtage, sans en tirer profit ni faire ombrage à personne. Promettez-moi ça, et je patienterai.

Nous lui en fîmes promesse pour le tranquilliser, car il paraissait plus choqué de nos craintes que touché de notre intérêt. Je le regardais dans la nuit, qui était toute semée d'étoiles, et le voyais d'autant mieux que la belle eau de la fontaine était devant nous comme un miroir qui nous renvoyait à la figure la blancheur du ciel. J'observai ses yeux, qui avaient la couleur de l'eau même et qui paraissaient toujours regarder des choses que les autres ne voyaient point.

Un mois environ après ce jour-là, Joseph me vint trouver à la maison. – Le temps est arrivé, me dit-il avec un regard net et une parole sûre, où je veux que les deux seules personnes en qui j'ai confiance connaissent mon flûter. Je veux donc que Brulette vienne ici demain soir, parce que nous y serons tranquilles, tous, les trois. Je sais que tes parents partent le matin pour aller en pèlerinage, rapport à la fièvre de ton frère cadet; tu seras donc seul dans la maison, qui est si bien éloignée dans la campagne que nous ne risquons pas d'être entendus. J'ai averti Brulette, elle est consentante à sortir du bourg à la nuit; je l'attendrai dans le petit chemin, et nous viendrons ici te trouver sans que personne s'en avise. Brulette compte sur toi pour ne jamais parler de ça, et son grand-père, qui veut tout ce qu'elle souhaite, y est consentant aussi, moyennant ta parole, que j'ai donnée d'avance.

À l'heure dite, j'étais devant ma porte, ayant poussé toutes les huisseries pour que les passants (s'il en passait) me crussent couché ou absent, et j'attendais l'arrivée de Brulette et de Joseph. On était alors au printemps, et, comme il avait tonné dans le jour, le ciel était encore chargé de nuages très-épais. Il faisait de bons coups de vent tiède qui apportaient toutes les jolies senteurs du mois de mai. J'écoutais les rossignols qui se répondaient dans la campagne aussi loin que l'ouïe pouvait s'étendre, et je me disais que Joseph aurait grand'peine à flûter aussi finement. Je regardais au loin toutes les petites clartés des maisons s'éteindre une à une dans le bourg; et environ dix minutes après que la dernière fût soufflée, je vis arriver, tout droit devant moi, le jeune couple que j'attendais. Ils avaient marché si doucement sur les herbes nouvelles, et si bien côtoyé les grands buissons du chemin, que je ne les avais vus ni entendus approcher. Je les fis entrer chez nous, où j'avais allumé la lampe, et quand je les vis tous deux, elle toujours si coquettement coiffée et si quiètement fière, lui toujours si froid et si pensif, je me représentai mal deux amoureux enflammés de tendresse.

Pendant que je causais un peu avec Brulette pour lui faire les honneurs de ma demeurance, qui était assez gentille et dont j'aurais souhaité qu'elle prît envie, Joseph, sans me rien dire, s'étais mis en devoir d'accommoder sa flûte. Il trouva que le temps humide l'avait enrhumée, et jeta une poignée de chènevottes dans l'âtre pour l'y réchauffer. Quand les chènevottes s'enflammèrent, elles envoyèrent une grande clarté à son visage penché vers le foyer, et je lui trouvai un air si étrange que j'en fis tout bas l'observation à Brulette.

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