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Aristophane; Traduction nouvelle, tome premier

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Aristophane; Traduction nouvelle, tome premier
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AVANT-PROPOS

L'ancien professeur de rhétorique bien connu et si estimé, auteur de la belle traduction qu'on va lire, M. Talbot, n'est plus. Il est mort plein d'années, entouré de respect et d'affection. Outre la tendresse des siens il goûtait l'attachement de cette grande famille spirituelle, si douce aux vieux maîtres qui ont su se la former dans les lycées par un enseignement solide et paternel prodigué à de nombreuses générations d'élèves. Combien d'entre eux pourraient m'envier l'honneur et le plaisir de présenter son livre au public! Aucun n'y aurait un meilleur titre que moi, si le seul requis était la longue fidélité du commerce amical avec lui, avec ses proches, avec ceux que rallie ou pleure sa noble veuve. Mais, je le confesse, le plus indispensable de tous les titres, l'entière compétence me manque. Une traduction d'Aristophane ne saurait être recommandée à ses lecteurs naturels avec une autorité suffisante que par un helléniste, et je ne le suis pas. Je suis loin de posséder toutes les clefs des auteurs grecs; j'en suis le visiteur, non le familier. Heureusement n'ai-je à remplir ici qu'un rôle de simple exécuteur testamentaire chargé d'expliquer au lecteur les conditions d'un legs littéraire, conditions qui suffisent à en déterminer toute la valeur. Cette valeur n'offre pas seulement la garantie, déjà sûre et incontestée, du savoir et de l'expérience du traducteur, elle a, de plus, rencontré un répondant considérable dans un poète de premier ordre, en relations étroites et constantes avec la poésie grecque, dans Leconte de Lisle. Oui, j'ai la bonne fortune de pouvoir me retrancher derrière ce maître, m'en référer à sa haute appréciation, à son jugement difficile, exempt de toute complaisance. Il connaissait cette traduction, l'admirait, et, certes, on ne doutera pas de sa sincérité quand on saura qu'il l'avait adoptée et que, désireux d'acquérir, à titre de collaborateur, le droit de la joindre à la collection des poètes grecs déjà traduits par lui, il avait offert à M. Talbot de mettre en vers les chœurs interprétés en prose. C'était un accord accepté et conclu, mais les forces épuisées du poète ne lui permirent pas de mettre à exécution son dessein. J'ai sous les yeux la lettre découragée, datée de mars 1891, par laquelle il apprend à M. Talbot que «malade, très fatigué et plein de mille ennuis», il se sent incapable d'accomplir sa promesse. Il ajoute, avec cet accent d'amère défaillance que nous lui connaissions trop: «L'œuvre n'en vaudra que mieux, incontestablement, de toute façon.» Hélas! Il se raillait; l'œuvre y a perdu l'inestimable estampille par laquelle le maître l'eût, en partie, faite sienne. On saura, du moins, et c'est l'important, qu'il avait été dans sa pensée, dans son intention formelle d'y imprimer sa marque. Un pareil témoignage est à l'honneur des deux écrivains. Cette consécration de l'œuvre du prosateur par le concours promis du poète ne demeure pas, en effet, sans retour profitable à celui-ci. Elle suppose une mutuelle adhésion, et, sans doute, en convenant d'associer à son labeur celui de Leconte de Lisle, le digne représentant de l'Université, c'est-à-dire de la gardienne officielle et vigilante de tous les classiques, donnait, au bénéfice de l'interprète marron, un précieux exemple de conciliante humeur. Les traductions de Leconte de Lisle, bien que d'une saveur antique si délectable, avaient à conquérir l'approbation des hellénistes patentés aux scrupules méticuleux, plus préoccupés du lexique et de la grammaire que de la vertu poétique du langage. Leur souci fondamental n'est, certes, pas moins important, mais il est autre que celui d'un interprète qui se trouve être de même essence morale et littéraire que l'auteur original, comme lui poète, comme lui sombre ou railleur par tempérament. Ces deux soucis à la fois se sont rencontrés et conjugués d'une façon remarquable chez M. Talbot pour le succès de son entreprise ardue. Il semble que son intime intelligence du texte unie à la verve naturelle de son alerte esprit l'ait improvisé poète ad hoc au frottement d'Aristophane, et c'est cette rare qualité, sacrée aux yeux de Leconte de Lisle, qui dut inspirer à leurs deux plumes de traducteurs la confraternelle alliance demeurée à l'état de fiançailles intellectuelles.

La part délicate, indéfinissable, réservée au sens de l'artiste dans toute traduction d'ouvrage littéraire, éclate en celle de M. Talbot. Excellent humaniste, pour atteindre à l'exactitude esthétique, il lui a fallu plus que la connaissance approfondie de la langue grecque. La lutte partielle et trop inégale que j'ai tentée dans ma jeunesse avec un antique et formidable athlète suffit pour me permettre d'apprécier, en connaissance de cause, le mérite d'art qui recommande son œuvre. J'avais, il est vrai, affaire à un poète latin, mais, au point de vue où je me place, j'ai eu à combattre des difficultés de même ordre que celles dont il a si heureusement triomphé.

Tout traducteur débute spontanément par une préparation mentale qui est le mot à mot. Il s'agit pour lui d'abord de déterminer le sens relatif de chacun des mots, c'est-à-dire l'acception dans laquelle son rapport aux autres et la nature du sujet traité induisent à le prendre, et, du même coup, de dégager de l'arrangement syntaxique le sens littéral de la phrase. Le travail, jusque-là, ne relève que de la grammaire au service de l'intelligence; il ne vise que la signification purement conventionnelle (unique ou multiple) de chacun des mots et celle qui ressort de leur relation logique, sans rechercher encore la signification non conventionnelle, naturelle du texte, à savoir tout ce qu'ajoutent à la première le mouvement de la phrase, son geste en quelque sorte, et les qualités acoustiques des mots qui la composent, bref sa musique, c'est-à-dire ce qui en constitue, dans la poésie surtout, la plus intime expression. Au premier stade la traduction est donc seulement une ébauche, la matière dégrossie où devra s'accomplir la forme achevée, le sens complet du discours. Il va sans dire que M. Talbot, par le long exercice de sa profession même, excelle dans cette préparation initiale, œuvre de grammairien et de lexicographe; mais il faut lui reconnaître, en outre, un talent bien supérieur à celui-là.

Le mot à mot, ai-je dit, n'est qu'une sorte de canevas, et il ne donne même pas intégralement ce qu'il semble promettre. Il risque toujours d'être, en partie, inexact, si fort que soit le traducteur, car tout vocable et toute locution d'une langue ne trouvent pas nécessairement leurs représentants adéquats dans une autre. Cette rencontre est d'autant plus rare que le génie et l'âge des deux langues les différencient davantage, comme se distinguent par l'esprit et l'ancienneté les deux nations qui les ont élaborées. Ainsi la traduction littérale est le plus souvent défectueuse dans son propre domaine insuffisant déjà, et, en outre, elle laisse hors de ses limites restreintes une lacune considérable à remplir pour la complète interprétation du texte original. C'est ici que l'art entre en jeu et que M. Talbot a fait preuve d'une souplesse de plume et d'une ingéniosité remarquables. Combien ces qualités sont requises pour une pareille tâche! Alors, en effet, se pose un problème tout nouveau. Il s'agit d'abord d'écrire en français, et, par suite, de substituer aux idiotismes, où s'accuse l'irréductible originalité du langage grec, des équivalents français aussi approximatifs que possible. Ce sont des tours de force à accomplir. M. Talbot s'en est tiré si habilement qu'il a su rendre ces formules par des idiotismes français, ou du moins par des trouvailles qu'il a faites dans des formules consacrées du parler populaire. Mais ces spirituelles réussites ne sont pas encore ce qui importe le plus, ce qui exige le plus de sens littéraire; le tact et le goût y ont moins de part que l'adresse. Il y a des idiotismes d'un autre ordre qui affectent, non pas seulement tel passage du texte, mais le texte entier, parce qu'ils expriment et définissent le caractère propre de l'écrivain, sa démarche, en un mot son style, son génie même, qui suppose pour fondement celui de sa race. On ne comprend Aristophane qu'à la condition de se faire Hellène, Athénien, enfin Aristophane lui-même. Pour reproduire, au degré supérieur atteint par M. Talbot, sa verve satirique, le tour et l'accent comiques de son vers, il faut être capable de se les approprier, et la science n'y suffit pas. Une aptitude spéciale est nécessaire qui est le caractère même, le tempérament moral du traducteur. Il doit se sentir dans le monde grec comme dans le sien, dans l'œuvre d'Aristophane comme chez soi. Une traduction, pour être bonne, ne se commande pas; c'est un témoignage de sympathie autant qu'un hommage à l'original. On ne peut communiquer que ce qu'on possède ou qu'on a pu faire sien; comment communiquera-t-on sans trace d'effort à la phrase française la vivacité, l'animation qui est le style même de la phrase grecque, si l'on a l'esprit plus solide que leste, plus grave que joyeux? Qu'un savant helléniste puisse trouver à reprendre dans la traduction d'Eschyle par Leconte de Lisle, je ne suis pas en état de le nier, non plus que de l'affirmer, mais, s'il le pouvait, sa critique, j'ose en répondre, ne porterait pas sur l'essentiel selon les poètes. Il aura beau être plus intimement initié au lexique propre du tragique ancien, je le mets au défi, sans la moindre hésitation, de s'en faire lui-même un écho plus fidèle que notre poète français. Celui-ci avait scruté la condition humaine, reconnu la souveraineté du malheur, l'impuissance affreuse à le vaincre, l'horreur de la vie terrestre; il en couvait une idée atroce, spontanément éclose de ses propres tourments. Aussi les clameurs tragiques retentissaient-elles comme d'elles-mêmes dans les profondeurs douloureuses de son âme jalousement fermée. D'autre part il avait le rire sarcastique, la plaisanterie hautaine et mordante, s'attaquant moins, toutefois, à l'homme misérable qu'à son odieuse destinée. Il associait toujours la force comique au blâme; c'était là son affinité avec Aristophane. Mais, pour en être le parfait interprète, peut-être lui aurait-il manqué la gaieté véritable, saine et vraiment virile, la gaieté grecque où l'on sent toujours plus ou moins, même à travers la caricature, sinon sous la crudité cynique, respirer la grâce, ne demeurât-elle sensible que dans le mouvement aisé du vers.

 

Cette jovialité d'humeur, cette prestesse d'esprit ont précisément trouvé dans le naturel de M. Talbot des similitudes qui l'ont très bien servi. Pour traduire, il n'avait pas à s'oublier soi-même, à se métamorphoser. Il lui suffisait de s'adapter, de grossir et d'acérer tour à tour les traits de sa verve enjouée pour donner à ses lecteurs l'impression que leur donnerait Aristophane en personne ressuscité, mais parlant français. On ne saurait, certes, demander davantage à l'interprétation des anciens: elle ne peut, elle ne doit pas agir sur les contemporains de l'interprète comme le faisait l'auteur original sur les siens, sur les hommes à qui jadis il s'adressait. Aussi faut-il nous résigner à ne pas toujours comprendre et goûter ce qu'ils y prisaient. D'une autre race et d'un autre temps qu'eux, nous ne pouvons épouser toutes leurs manières d'être et de sentir. Il n'est donc pas sûr que notre admiration ait le même principe que la leur, et, à cet égard, une bonne traduction, par son exactitude même, doit nous faire apprécier la divergence irréductible entre le point de vue ancien et le moderne, tout essai de les concilier par des compromis, par des adoucissements et des atténuations est une trahison; là est l'infériorité des traductions d'autrefois. Celles d'aujourd'hui permettent de constater la diversité et les vicissitudes des mœurs et du goût, et par là leur propre valeur et l'estime qu'elles s'acquièrent échappent à ces fluctuations mêmes.

Tel est, à mon avis, le mérite et telle sera, je n'en doute pas, la récompense du présent ouvrage.

SULLY PRUDHOMME.

LES AKHARNIENS

(L'AN 426 AVANT J.-C.)

Cette pièce, composée en vue de ramener la paix, a pour principal personnage un charbonnier du bourg d'Acharnes, nommé Dikæopolis (le bon citoyen), qui, en vertu d'un traité particulier passé avec les Lacédémoniens, est à l'abri, ainsi que sa famille, de tous les maux de la guerre, tandis que les autres Acharniens, égarés par Cléon et Lamachos, sont en proie aux vexations et au pillage.

PERSONNAGES DU DRAME

Dikæopolis.

Un Héraut.

Amphithéos.

Un Prytane.

Envoyés Des Athéniens, revenant d'auprès du roi de Perse.

Pseudartabas.

Théoros.

Chœur de Vieillards Akharniens.

Femme de Dikæopolis.

Fille de Dikæopolis.

Képhisophôn.

Euripidès.

Lamakhos.

Un Mégarien.

Deux Filles du Mégarien.

Un Sykophante.

Un Bœotien.

Nikarkhos.

Un Serviteur de Lamakhos.

Un Laboureur.

Un Paranymphe.

Messagers.

La scène se passe sur l'Agora, puis devant la maison de Dikæopolis.

LES AKHARNIENS

DIKÆOPOLIS

Que de fois j'ai été mordu au cœur! Et de plaisirs bien peu, tout à fait peu! Quatre! Mais de douleurs, un amoncellement de sables à la hauteur des Gargares! Voyons donc: qui m'a été un juste sujet de joie? Oui, je vois pourquoi j'ai eu l'âme réjouie: c'est quand Kléôn a revomi les cinq talents. Quel bonheur j'en ai ressenti! Et j'aime les Chevaliers pour ce service: il fait honneur à la Hellas, mais bientôt j'ai éprouvé une douleur tragique: la bouche béante, j'attendais de l'Æskhylos, quand un homme crie: «Théognis, fais entrer le Chœur!» Comment croyez-vous que ce coup m'ait frappé l'âme? Mais voici pour moi une autre joie, lorsque, concourant pour un veau, Dexithéos s'avança et joua un air bœotien. Cette année-ci, au contraire, je vis que j'étais mort, mis en lambeaux, lorsque Khæris préluda sur le mode orthien. Mais jamais, depuis que je vais aux bains, la paupière ne m'a piqué les sourcils comme aujourd'hui: c'est jour d'assemblée régulière: voici le matin, et la Pnyx est encore déserte. On bavarde sur l'Agora: en haut, en bas, on évite la corde rouge. Les Prytanes mêmes n'arrivent pas: ils arrivent à une heure indue; puis ils se bousculent, vous savez comme, les uns les autres, pour gagner le premier banc, et ils s'y jettent serrés. De la paix à conclure, ils n'ont aucun souci. O la ville, la ville! Pour moi qui viens toujours le premier à l'assemblée, je m'assois, et là, tout seul, je soupire, je bâille, je m'étire, je pète, je ne sais que faire, je trace des dessins, je m'épile, je réfléchis, l'œil sur la campagne, épris de la paix, détestant la ville, regrettant mon dême, qui ne m'a jamais dit: «Achète du charbon, du vinaigre, de l'huile!» Il ne connaissait pas le mot: «Achète», mais il fournissait tout, et il n'y avait pas ce terme, «achète», qui est une scie. Aujourd'hui, je ne viens pas pour rien; je suis tout prêt à crier, à clabauder, à injurier les orateurs, s'il en est qui parlent d'autre chose que de la paix. Mais voici les Prytanes! Il est midi! Ne l'ai-je pas annoncé? C'est bien ce que je disais. Tous ces gens-là se ruent sur le premier siège.

LE HÉRAUT

Avancez sur le devant; avancez, pour être dans l'enceinte purifiée.

AMPHITHÉOS

A-t-on déjà parlé?

LE HÉRAUT

Qui veut prendre la parole?

AMPHITHÉOS

Moi.

LE HÉRAUT

Qui, toi?

AMPHITHÉOS

Amphithéos.

LE HÉRAUT

Pas un homme?

AMPHITHÉOS

Non; mais un immortel. Amphithéos était fils de Dèmètèr et de Triptolémos: de celui-ci naît Kéléos. Kéléos épouse Phænarètè, mon aïeule, de laquelle naît Lykinos. Né de lui, je suis un immortel. A moi seul les dieux ont confié le soin de faire une trêve avec les Lakédæmoniens. Mais tout immortel que je suis, citoyens, je n'ai pas de quoi manger; car les Prytanes ne me donnent rien.

LE HÉRAUT

Archers!

AMPHITHÉOS

O Triptolémos, ô Kéléos, m'abandonnez-vous?

DIKÆOPOLIS

Citoyens Prytanes, vous faites injure à l'assemblée, en expulsant cet homme, qui a voulu nous obtenir une trêve et pendre au clou les boucliers.

LE HÉRAUT

Assis! Silence!

DIKÆOPOLIS

Non, par Apollôn! je ne me tais pas, à moins que les Prytanes ne délibèrent sur la paix.

LE HÉRAUT

Les Envoyés revenant d'auprès du Roi!

DIKÆOPOLIS

De quel roi? J'en ai assez des Envoyés, des paons et des fanfaronnades.

LE HÉRAUT

Silence!

DIKÆOPOLIS

Ah! ah! par Ekbatana, quel équipage!

UN DES ENVOYÉS

Vous nous avez députés vers le Grand Roi, avec une solde de deux drakhmes par jour, sous l'arkhontat d'Euthyménès.

DIKÆOPOLIS

Hélas! nos drakhmes!

L'ENVOYÉ

Certes, nous avons peiné le long des plaines du Kaystros, errants, couchant sous la tente, mollement étendus sur des chariots couverts, mourant de fatigue.

DIKÆOPOLIS

Et moi, j'étais donc bien à l'aise, couché sur la paille, le long du rempart?

L'ENVOYÉ

Bien reçus, on nous forçait à boire, dans des coupes de cristal et d'or, un vin pur et délicieux.

DIKÆOPOLIS

O cité de Kranaos, sens-tu bien la moquerie de tes Envoyés?

L'ENVOYÉ

Les Barbares ne regardent comme des hommes que ceux qui peuvent le plus manger et boire.

DIKÆOPOLIS

Et nous, les prostitués et les débauchés aux complaisances infectes.

L'ENVOYÉ

Au bout de quatre ans, nous arrivons au palais du Roi; mais il était allé à la selle, suivi de son armée, et il chia huit mois dans les monts d'or.

DIKÆOPOLIS

Et combien de temps mit-il à fermer son derrière?

L'ENVOYÉ

Toute la pleine lune; puis il revint chez lui. Il nous reçut alors, et il nous servit des bœufs entiers, sortant du four.

DIKÆOPOLIS

Et qui a jamais vu des bœufs cuits au four? Quelles bourdes!

L'ENVOYÉ

Mais, de par Zeus! il nous fit servir un oiseau trois fois plus gros que Kléonymos, et dont le nom était «le hâbleur».

DIKÆOPOLIS

Est-ce donc pour tes hâbleries que tu touchais deux drakhmes?

L'ENVOYÉ

Et maintenant nous vous annonçons Pseudartabas, l'œil du Roi.

DIKÆOPOLIS

Puisse un corbeau te crever le tien d'un coup de bec, toi, l'Envoyé!

LE HÉRAUT

L'œil du Roi!

DIKÆOPOLIS

Par Hèraklès! Au nom des dieux, dis donc, l'homme, ton œil est fait comme un trou de navire! Est-ce que, doublant le cap, tu regardes par où entrer en rade? Tu as une courroie qui retient ton œil par en bas.

L'ENVOYÉ

Allons, toi, dis ce que le Roi t'a chargé d'annoncer aux Athéniens, Pseudartabas.

PSEUDARTABAS

Iartaman exarxas apissona satra.

L'ENVOYÉ

Avez-vous compris ce qu'il dit?

DIKÆOPOLIS

Par Apollôn! je ne comprends pas.

L'ENVOYÉ

Il dit que le Roi vous enverra de l'or. Allons, toi, prononce plus haut et plus clairement le mot or.

PSEUDARTABAS

Tu n'auras pas d'or, Ionien au derrière élargi; non.

DIKÆOPOLIS

Oh! le maudit homme! C'est on ne peut plus clair.

L'ENVOYÉ

Que dit-il?

DIKÆOPOLIS

Il dit que les Ioniens ont le derrière élargi, s'ils comptent sur l'or des Barbares.

L'ENVOYÉ

Mais non, il parle de larges médimnes d'or.

DIKÆOPOLIS

Quels médimnes? Tu es un grand hâbleur. Mais va-t'en: à moi tout seul, je vais les mettre à l'épreuve. (A Pseudartabas.) Voyons, toi, réponds clairement à l'homme qui te parle; autrement je te baigne dans un bain de teinture de Sardes. Le Grand Roi nous enverra-t-il de l'or? (Pseudartabas fait signe que non.) Alors nous sommes dupés par les Envoyés. (Pseudartabas fait signe que oui.) Mais ces gens-là font des signes à la façon hellénique; il n'y a pas de raison pour qu'ils ne soient pas d'ici. Des deux eunuques, j'en reconnais un: c'est Klisthénès, le fils de Sibyrtios. Oh! son chaud derrière est épilé. Comment, singe que tu es, avec la barbe dont tu t'es affublé, viens-tu nous jouer un rôle d'eunuque? Et l'autre, n'est-ce pas Stratôn?

LE HÉRAUT

Silence! Assis! Le Conseil invite l'œil du Roi à se rendre au Prytanéion.

DIKÆOPOLIS

N'y a-t-il pas là de quoi se pendre? Après cela dois-je donc me morfondre ici? Jamais la porte ne se ferme au nez des étrangers. Mais je vais faire quelque chose de hardi et de grand. Où donc est Amphithéos?

AMPHITHÉOS

Me voici!

DIKÆOPOLIS

Prends-moi ces huit drakhmes, et fais une trêve avec les Lakédæmoniens pour moi seul, mes enfants et ma femme. Vous autres, envoyez des députations, et ouvrez la bouche aux espérances.

LE HÉRAUT

Place à Théoros qui revient de chez Sitalkès.

THÉOROS

Me voici!

DIKÆOPOLIS

Encore un hâbleur appelé par la voix du Héraut.

THÉOROS

Nous ne serions pas restés longtemps en Thrakè…

DIKÆOPOLIS

Non, de par Zeus! si tu n'avais touché un gros salaire.

THÉOROS

S'il n'avait neigé sur toute la Thrakè, et si les fleuves n'eussent gelé vers le temps même où Théognis faisait ici jouer ses drames. Dans ce même temps je buvais avec Sitalkès. En vérité, il est passionné pour Athènes; c'est pour nous un amant véritable, au point qu'il a écrit sur les murs: «Charmants Athéniens!» Son fils, que nous avons fait Athénien, brûlait de manger des andouilles aux Apatouries, et conjurait son père de venir au secours de sa nouvelle patrie. Celui-ci jura sur une coupe de venir à notre secours avec une armée si nombreuse, que les Athéniens s'écrieraient: «Quelle nuée de sauterelles!»

 
DIKÆOPOLIS

Que je meure de male mort, si je crois un mot de ce que tu dis, hormis tes sauterelles!

THÉOROS

Et maintenant il vous envoie la peuplade la plus belliqueuse de la Thrakè.

DIKÆOPOLIS

Voilà, au moins, qui est clair.

LE HÉRAUT

Paraissez, Thrakiens que Théoros amène.

DIKÆOPOLIS

Quel est ce fléau?

THÉOROS

L'armée des Odomantes.

DIKÆOPOLIS

Quels Odomantes? Dis-moi, qu'est-ce que cela signifie? Qui donc a émasculé ces Odomantes?

THÉOROS

Si on leur donne deux drakhmes de solde, ils fondront sur la Bœotia tout entière.

DIKÆOPOLIS

Deux drakhmes à ces châtrés! Gémis, peuple de marins, sauveurs de la ville! Ah! malheureux, c'est fait de moi! Les Odomantes m'ont volé mon ail. N'allez-vous pas me rendre mon ail?

THÉOROS

Malheureux, ne te mesure pas avec des hommes bourrés d'ail.

DIKÆOPOLIS

Vous souffrez, Prytanes, que je sois traité de la sorte dans ma patrie, et cela par des Barbares! Mais je m'oppose à ce que l'assemblée délibère sur la solde à donner aux Thrakiens. Je vous déclare qu'il se produit un signe céleste: une goutte d'eau m'a mouillé.

LE HÉRAUT

Que les Thrakiens se retirent! Ils se présenteront dans trois jours. Les Prytanes lèvent la séance.

DIKÆOPOLIS

Oh! malheur! Que j'ai perdu de hachis. Mais voici Amphithéos, qui revient de Lakédæmôn. Salut, Amphithéos!

AMPHITHÉOS

Non, pas de salut; laisse-moi courir: il faut qu'en fuyant, je fuie les Akharniens.

DIKÆOPOLIS

Qu'est-ce donc?

AMPHITHÉOS

Je me hâtais de t'apporter ici la trêve; mais quelques Akharniens de vieille roche ont flairé la chose, vieillards solides, d'yeuse, durs à cuire, combattants de Marathôn, de bois d'érable. Ils se mettent à crier tous ensemble: «Ah! scélérat! tu apportes une trêve, et on vient de couper nos vignes!» En même temps ils mettent des tas de pierres dans leurs manteaux; moi je m'enfuis; eux me poursuivent en criant.

DIKÆOPOLIS

Eh bien, qu'ils crient! Mais apportes-tu la trêve?

AMPHITHÉOS

Oui, assurément, et j'en ai de trois goûts. En voici une de cinq ans; prends et goûte.

DIKÆOPOLIS

Pouah!

AMPHITHÉOS

Qu'y a-t-il?

DIKÆOPOLIS

Elle ne me plaît pas: cela sent le goudron et l'équipement naval.

AMPHITHÉOS

Eh bien, goûte cette autre, qui a dix ans.

DIKÆOPOLIS

Elle sent, à son tour, le goût aigre des envoyés, qui vont par les villes stimuler la lenteur des alliés.

AMPHITHÉOS

Voici enfin une trêve de trente ans sur terre et sur mer.

DIKÆOPOLIS

O Dionysia! En voilà une qui sent l'ambroisie et le nectar. Elle ne dit pas: «Fais provision de vivres pour trois jours.» Mais elle a à la bouche: «Va où tu veux!» Je l'accepte, je la ratifie, je bois à son honneur, et je souhaite mille joies aux Akharniens. Pour moi, délivré de la guerre et de ses maux, je vais à la campagne fêter les Dionysia.

AMPHITHÉOS

Et moi, j'échappe aux Akharniens.

LE CHŒUR

Par ici! Que chacun suive! Poursuis! Informe-toi de cet homme auprès de tous les passants! Il est de l'intérêt de la ville de se saisir de lui. Ainsi faites-moi savoir si quelqu'un de vous connaît l'endroit par où a passé le porteur de trêve.

Il a fui; il a disparu. Hélas! quel malheur pour mes armées! Il n'en était pas de même dans ma jeunesse, lorsque, chargé de sacs de charbon, je suivais Phayllos à la course: ce porteur de trêve n'aurait pas alors si aisément échappé à ma poursuite; il ne se serait pas dérobé comme un cerf. Mais maintenant que mon jarret est devenu roide, et que la jambe du vieux Lakrasidès s'est alourdie, il a filé.

Il faut courir après. Que jamais il ne nous nargue en disant qu'il a échappé aux vieux Akharniens, celui qui, de par Zeus souverain et de par les dieux, a traité avec les ennemis auxquels je voue pour toujours une haine implacable en raison du mal fait à mes champs. Je ne cesserai pas avant que je m'attache à eux comme une flèche acérée, douloureuse, ou la rame à la main, afin qu'ils ne foulent pas aux pieds mes vignes.

Mais il faut chercher notre homme, avoir l'œil du côté de Pallènè, et le poursuivre de lieu en lieu, jusqu'à ce qu'on le trouve; car je ne saurais m'assouvir de le lapider.

DIKÆOPOLIS

Observez, observez un silence religieux.

LE CHŒUR

Que tout le monde se taise! N'avez-vous pas entendu, vous autres, réclamer le silence religieux? Voilà l'homme même que nous cherchons. Retirez-vous tous par ici; car notre homme semble s'avancer pour offrir un sacrifice.

DIKÆOPOLIS

Observez, observez un silence religieux. Que la kanéphore vienne un peu en avant: Xanthias, mets le phallos droit.

LA FEMME DE DIKÆOPOLIS

Dépose ta corbeille, ma fille, afin que nous commencions.

LA FILLE DE DIKÆOPOLIS

Ma mère, passe-moi la cuillère, pour que je répande de la purée sur le gâteau.

DIKÆOPOLIS

Voilà qui est bien. Souverain Dionysos, c'est avec reconnaissance que je célèbre cette fête en ton honneur, et que je t'offre un sacrifice avec toute ma maison: rends-moi favorables les Dionysia champêtres, à l'abri de la guerre, et fais que je passe au mieux les trente ans de la trêve.

LA FEMME DE DIKÆOPOLIS

Voyons, ma fille, gentille enfant, porte gentiment la corbeille; aie le regard d'une mangeuse de sarriette. Heureux qui t'aura pour femme et qui te fera puer comme une belette, au point du jour! Avance, mais prends bien garde que dans la foule on ne fasse main-basse sur tes bijoux d'or.

DIKÆOPOLIS

Xanthias, à vous deux le soin de tenir le phallos droit derrière la kanéphore. Moi, je suivrai en chantant l'hymne phallique. Toi, femme, regarde la fête de dessus notre toit. Va.

Phalès, ami de Bakkhos, bon compagnon de table, coureur de nuit, adultère, pédéraste, après six ans je te salue, ramené de bon cœur dans mon dême par une trêve, délivré des soucis, des combats et des Lamakhos. Combien est-il plus doux, ô Phalès, Phalès, de surprendre une bûcheronne, dans toute sa fraîcheur, volant du bois dans la forêt du Phelleus, comme qui dirait Thratta, l'esclave de Strymodoros, de la saisir à bras-le-corps, de la jeter par terre et d'en cueillir la fleur. Phalès, Phalès, si tu bois avec nous, demain matin, après l'orgie, tu avaleras un plat en l'honneur de la paix, et mon bouclier sera pendu dans la fumée.

LE CHŒUR

C'est lui, lui-même, lui: jette, jette, jette, jette; frappez tous l'infâme. Allons, lancez, lancez!

DIKÆOPOLIS

Par Hèraklès, qu'est-ce cela? Vous allez casser ma marmite.

LE CHŒUR

C'est donc toi que nous lapiderons, tête infâme!

DIKÆOPOLIS

Et pour quelles fautes, vieillards Akharniens?

LE CHŒUR

Tu le demandes, toi qui n'es qu'un impudent scélérat, traître à la patrie; seul de nous tu as conclu une trêve, et tu oses ensuite me regarder en face!

DIKÆOPOLIS

Mais écoutez donc pourquoi j'ai conclu cette trêve, écoutez!

LE CHŒUR

T'écouter? Tu périras! Nous allons t'écraser sous les pierres.

DIKÆOPOLIS

Non, non; commencez par m'écouter: arrêtez, mes amis.

LE CHŒUR

Je ne m'arrêterai pas. Ne me dis point ce que tu dis. Je te hais encore plus que Kléôn, que je couperai pour en faire des semelles aux Chevaliers. Mais je ne veux rien entendre de tes longs discours, toi qui as traité avec les Lakoniens, mais je te châtierai.

DIKÆOPOLIS

Mes amis, laissez là les Lakoniens; et, quant à mon traité, écoutez si je n'ai pas bien traité.

LE CHŒUR

Comment pourrais-tu dire que tu as bien fait, du moment que tu traites avec des gens qui n'ont ni autel, ni foi, ni serment?

DIKÆOPOLIS

Et je sais, moi, que les Lakoniens, à qui nous en voulons trop, ne sont pas les auteurs de toutes nos misères.

LE CHŒUR

Pas de toutes, scélérat! Tu as le front de nous tenir en face un pareil langage! Et je t'épargnerais!

DIKÆOPOLIS

Non, pas de toutes, pas de toutes! Et moi qui vous parle, je pourrais vous montrer que, maintes fois, c'est à eux qu'on a fait tort.

LE CHŒUR

Voilà un mot imprudent, et fait pour échauffer la bile, que tu oses nous parler ainsi des ennemis!

DIKÆOPOLIS

Et si je ne dis vrai, si le peuple ne m'approuve pas, je veux parler la tête même sur le billot.

LE CHŒUR

Dites-moi, gens du peuple, ne ménageons pas les pierres, et cardons cet homme pour le teindre en pourpre!

DIKÆOPOLIS

Quel noir tison se rallume en vous? Ne m'écouterez-vous pas, ne m'écouterez-vous pas, Akharniens?

LE CHŒUR

Nous ne t'écouterons pas, certainement.

DIKÆOPOLIS

Je vais passer par un cruel moment.

LE CHŒUR

Que je meure, si je t'écoute!

DIKÆOPOLIS

Non, de grâce, Akharniens!

LE CHŒUR

Tu vas mourir à l'instant!

DIKÆOPOLIS

Eh bien, je vais vous mordre: je vais tuer vos plus chers amis: je tiens de vous des otages, je les prends et je les égorge.

LE CHŒUR

Dites-moi, gens du peuple, que signifie cette parole menaçante contre nous les Akharniens? A-t-il en son pouvoir quelque enfant de l'un de nous, qu'il tient enfermé? D'où lui vient cette hardiesse?

DIKÆOPOLIS

Frappez, si vous voulez, je me vengerai sur ceci. (Il montre un panier.) Je saurai sans doute qui de vous a souci des charbons.

LE CHŒUR

Nous sommes perdus. Ce panier est mon concitoyen. Mais tu ne feras pas ce que tu dis: pas du tout, pas du tout.

DIKÆOPOLIS

Je l'égorgerai. Criez! Je ne vous entendrai pas.

LE CHŒUR

Tu vas tuer ce camarade, un ami des charbonniers!

DIKÆOPOLIS

Tout à l'heure, quand je parlais, vous ne m'avez pas écouté.

LE CHŒUR

Eh bien, parle à présent, si bon te semble, de Lakédæmôn et de ce que tu aimes le mieux. Jamais je n'abandonnerai ce petit panier.

DIKÆOPOLIS

Maintenant, commencez par jeter vos pierres à terre.

LE CHŒUR

Les voilà à terre; et toi, à ton tour, dépose ton épée.

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