La Queue Entre les Jambes

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Из серии: Une Enquête de Riley Paige #3
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La Queue Entre les Jambes
La queue entre les jambes
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La queue entre les jambes
La queue entre les jambes
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Читает Elisabeth Lagelee
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Chapitre trois

L’homme était assis dans sa voiture garée sur le parking. Il observait la pute qui marchait sur le trottoir. Elle se faisait appeler « Mousseline ». Sans doute pas son vrai non. Il y avait bien des choses qu’il ne savait pas sur elle.

Je pourrais la faire parler, pensa-t-il. Mais pas ici. Pas maintenant.

Il ne la tuerait pas aujourd’hui. Pas si près de son lieu de travail – la salle de gym. De là où il se tenait, il pouvait apercevoir les vieilles machines de musculation à travers la vitrine. Trois tapis, un rameur et des poids. Rien ne fonctionnait. Pour ce qu’il en savait, personne ne venait là pour faire du sport.

Pas du sport comme on en fait habituellement, pensa-t-il avec un rictus.

Il n’était pas venu souvent – pas depuis qu’il avait tué la brunette qui bossait là quelques années plus tôt. Bien sûr, il ne l’avait pas assassinée ici. Il l’avait attirée dans un motel pour des « petits extras » et avec la promesse de payer grassement.

Ce n’était pas un meurtre prémédité. Il lui avait couvert la tête d’un sac en plastique, mais uniquement par jeu, pour assouvir un fantasme. Quand tout avait été terminé, sa propre satisfaction l’avait pris par surprise. Il avait ressenti un plaisir épicurien. Un plaisir très différent de tout ce qu’il avait connu jusqu’à cet instant.

Depuis, il s’était montré plus prudent pendant ses rendez-vous galants. Du moins, jusqu’à la semaine dernière, quand le même jeu sexuel s’était mal terminé pour son escort… Comment s’appelait-elle, déjà ?

Ah oui. Nanette.

Ce ne devait pas être son vrai nom. Il ne saurait jamais. Au fond de lui, il savait que sa mort n’était pas un accident. Pas vraiment. Il avait fait ce qu’il avait voulu faire. Et sa conscience demeurait sans taches. Il était prêt à recommencer.

Celle qui se faisait appeler Mousseline s’approchait. Vêtue d’un bustier jaune et d’une jupe microscopique, elle trottinait vers la salle de gym sur des talons effroyablement hauts, tout en parlant au téléphone.

Il aurait vraiment aimé savoir si c’était son vrai nom. Leur seule rencontre professionnelle s’était mal passée – à cause d’elle, pas de lui. Quelque chose chez elle l’avait dégoûté.

Elle devait être plus âgée qu’elle ne le prétendait. Il ne le voyait pas seulement à son corps : même les putes de moins de vingt ans avaient des vergetures de grossesse. Et ce n’étaient pas non plus ses rides qui lui donnaient la puce à l’oreille : les putes vieillissaient plus vite que toutes les autres femmes.

Il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus, mais il y avait quelque chose chez elle qui le dérangeait. Ses fausses minauderies de gamine n’étaient pas très professionnelles – même les débutantes n’en faisaient pas autant.

Elle gloussait un peu trop, comme une gosse en train de jouer. Elle était trop impatiente. Le plus étrange, c’était qu’il la soupçonnait d’aimer son travail.

Une pute qui aime baiser, pensa-t-il. Qui a jamais entendu parler d’une chose pareille ?

Franchement, c’était presque un tue-l’amour.

Au moins, ce n’était pas une fliquette sous couverture. Il l’aurait démasquée en un clin d’œil.

Quand elle fut assez près pour le voir, il klaxonna. Elle s’arrêta de parler au téléphone et jeta un regard dans sa direction, en se protégeant les yeux contre le soleil matinal. Quand elle le reconnut, elle sourit et lui adressa un signe. Elle semblait parfaitement sincère.

Elle contourna la salle de gym pour entrer par la porte de service. Elle avait probablement rendez-vous à l’intérieur. Peu importait : il l’embaucherait un autre jour. En attendant, il avait l’embarras du choix.

A la fin de leur premier rendez-vous, elle l’avait rassuré d’une voix enjouée et un peu gênée :

— Reviens quand tu veux, lui avait-elle dit. Ça ira mieux, la prochaine fois. Tout se passera bien. Ce sera très excitant.

— Oh, Mousseline, murmura-t-il. Tu n’as pas idée.

Chapitre quatre

Des coups de feu résonnaient tout autour de Riley. A sa droite, elle entendait surtout le claquement sec des balles de pistolet. A sa gauche, l’armement était plus lourd : des mitrailleuses et des fusils d’assaut.

Au milieu de la clameur sourde, elle tira son Glock de son étui, s’allongea sur le ventre et tira six fois. Elle se redressa pour s’agenouiller et tira trois coups. Elle rechargea avec adresse, puis se leva et tira six coups. Enfin, elle termina son entraînement en tirant trois coups supplémentaires de la main gauche.

Elle rangea son pistolet et s’éloigna de la ligne de tir, tout en retirant ses cache-oreilles et ses lunettes protectrices. La cible se trouvait à une distance de vingt-deux mètres. Même d’ici, Riley vit qu’elle l’avait touchée. Autour d’elle, les étudiants du FBI poursuivaient leur entraînement sous la direction d’un instructeur.

Riley n’avait pas utilisé son arme depuis longtemps, même si elle ne s’en séparait jamais au travail. Elle avait réservé cette ligne de tir pour se dérouiller l’œil. Le recul puissant de son arme lui apportait toujours la même satisfaction.

Une voix l’interpella :

— Un peu vieux jeu, non ?

Elle se retourna et répondit au sourire de l’agent spécial Bill Jeffreys. Quelques années plus tôt, le FBI avait changé les modules de l’entraînement au tir. Savoir tirer en position allongée n’était plus nécessaire. On mettait aujourd’hui l’accent sur le tir à bout portant, sur une distance de trois à six mètres. Le système de réalité virtuelle plongeait les agents dans des scénarios d’altercations rapprochées. Souvent, les étudiants s’entraînaient aussi dans la célèbre Hogan’s Alley – une ville factice où ils combattaient de faux terroristes avec des armes de paint-ball.

— J’aime bien faire les choses à ma façon, dit-elle. Je pourrais en avoir besoin.

De sa propre expérience, Riley savait que les altercations rapprochées, et inattendues, étaient plus fréquentes sur le terrain. Au cours de ses deux dernières affaires, elle avait même été obligée de se battre à mains nues. Elle avait tué l’un en retournant son propre couteau contre lui et l’autre avec un caillou pointu.

— Tu crois qu’ils préparent bien ces gamins pour le terrain ? demanda Bill en lui montrant du menton les étudiants.

— Non, pas vraiment. C’est de la réalité virtuelle. Il n’y a pas de danger immédiat, pas de douleur, pas de fureur à contrôler. Au fond, dans un scénario virtuel, on sait très bien qu’on ne sera pas tué.

— Ouais, dit Bill. Ils apprendront sur le tas, comme on l’a fait il y a des années.

Riley lui jeta un regard en coin.

Comme elle, il avait quarante ans et quelques cheveux gris. Avait-elle le droit de le comparer à son voisin plus mince ?

Comment s’appelait-il ? Ah oui. Blaine.

Blaine était beau, mais elle n’était sûre de le préférer à Bill. Bill était costaud, solide et plutôt attirant.

— Qu’est-ce qui t’amène ? demanda-t-elle.

— J’ai entendu dire que tu étais là.

Riley lui adressa un coup d’œil gêné. Ce n’était sans doute pas une visite de courtoisie. Elle devina à l’expression de son visage qu’il n’était pas pressé de lui expliquer ce qu’il voulait.

Bill dit :

— Si tu veux faire tout l’entraînement, je vais te chronométrer.

— Merci, c’est gentil, dit Riley.

Ils changèrent de salle, loin des tirs perdus des étudiants.

Quand Bill enclencha le chrono, Riley exécuta toutes les étapes de l’entraînement réglementaire : elle tira à trois mètres de distance, puis quatre, puis six, puis douze. La dernière étape, c’était la plus facile : tirer en s’abritant derrière une barricade sur une cible à vingt-deux mètres.

Riley retira son casque. Elle marcha jusqu’aux cibles en compagnie de Bill, pour vérifier son travail. Les impacts se trouvaient au bon endroit.

— Cent pourcent. Un score parfait, dit Bill.

— J’espère bien ! Heureusement que je ne rouille pas.

Bill lui montra du doigt la colline qui servait de barrière de sécurité.

— Un peu surréaliste, non ?

Des daims broutaient au sommet. Ils s’étaient rassemblés pendant que Riley tirait. Elle aurait pu facilement les toucher, si elle l’avait voulu, même avec son petit pistolet. Pourtant, les coups de feu ne les dérangeaient pas du tout.

— Oui, dit-elle. C’est beau.

On voyait fréquemment des daims à cette période de l’année. C’était la saison de la chasse. Pour une raison ou pour une autre, le gibier savait qu’il était en sécurité ici. En fait, le terrain du FBI était même devenu une sorte de havre de paix pour les animaux sauvages, comme les renards, les dindons et les marmottes d’Amérique.

— Il y a quelques jours, un de mes étudiants a vu un ours sur le parking, dit Riley.

Elle fit quelques pas en direction de la colline. Les daims levèrent gracieusement la tête, la dévisagèrent, puis s’éloignèrent en trottant. Ils n’avaient pas peur des coups de feu, mais ils ne voulaient pas que des humains s’approchent.

— Comment ont-ils deviné qu’ils étaient en sécurité ici ? se demanda Bill à voix haute. Un coup de feu, c’est un coup de feu.

Riley secoua la tête. C’était un mystère. Son père l’avait emmenée à la chasse quand elle était petite. Pour lui, les daims constituaient une ressource naturelle : de la nourriture et des fourrures. Cela n’avait pas dérangé Riley de les tuer avec lui, mais les choses avaient changé.

C’était étrange... Elle n’hésitait pas à faire usage de la force sur un être humain quand c’était nécessaire. Elle tuerait un homme en un clin d’œil. Mais tuer un animal qui lui faisait confiance, comme ces daims ? Non, c’était impensable.

 

Riley et Bill rejoignirent l’air de repos et s’assirent sur un banc. Bill n’avait toujours pas l’air prêt à aborder le sujet qui l’avait poussé à venir.

— Comment tu t’en sors, tout seul ? demanda-t-elle d’une voix douce.

C’était une question délicate. Elle le vit grimacer du coin de l’œil. Sa femme l’avait quitté après des années de disputes. Bill avait eu peur de perdre le contact avec ses fils. Maintenant, il vivait dans un appartement dans le centre-ville de Quantico. Il voyait ses enfants le week-end.

— Je ne sais pas, Riley, dit-il. Je ne sais pas si je vais m’y habituer.

Il se sentait seul. Il était déprimé. Elle avait connu ça, après son divorce. Elle savait que tourner la page était le plus difficile. Après des années de relation, même chaotique, il était étrange de se retrouver au milieu d’inconnus, sans trop savoir quoi faire.

Bill lui toucha le bras. D’une voix débordante d’émotion, il dit :

— Parfois, j’ai l’impression que tout ce qui me reste dans la vie, c’est… toi.

L’espace d’un instant, Riley faillit le prendre dans ses bras. Bill était son ancien partenaire. Il lui avait souvent porté secours, physiquement et émotionnellement. Mais elle devait faire attention. Dans un moment comme celui-là, certains font des bêtises qu’ils regrettent. Riley elle-même avait téléphoné à Bill, une nuit, après avoir bu plus que de raison, pour lui proposer une aventure extraconjugale. La situation venait de s’inverser. Au moment où elle se libérait de toutes ces émotions, c’était lui qui devenait plus fragile et vulnérable.

— Nous avons bien travaillé, tous les deux, dit-elle.

Pas terrible, mais elle ne trouva rien de plus intelligent à dire.

Bill prit une longue inspiration.

— C’est ce que je suis venu te demander, avoua-t-il. Meredith m’a dit qu’il t’avait appelée. A propos de Phoenix. Je vais y aller. J’ai besoin d’un partenaire.

Une pointe d’irritation traversa Riley. La visite de Bill prenait des allures de traquenard.

— Je lui ai dit que j’allais y réfléchir, dit-elle.

— Maintenant, c’est moi qui te le demande.

Un bref silence s’installa.

— Et Lucy Vargas ? proposa Riley.

C’était une jeune agente, mais elle avait travaillé avec Bill et Riley sur leur dernière affaire. Ils avaient été impressionnés par son sérieux.

— Sa cheville n’est pas encore guérie, dit Bill. Elle ne retournera pas sur le terrain avant un mois.

Riley se sentit stupide. Quand tous trois avaient pris au piège Eugene Fisk, le « tueur aux chaînes », Lucy avait fait une très mauvaise chute. Elle s’était brisé la cheville et elle avait failli y passer. Bien sûr qu’elle ne retournerait pas sur le terrain avant longtemps…

— Je ne sais pas, Bill, dit Riley. Ce congé me fait beaucoup de bien. J’aimerais bien rester dans l’enseignement, pour le moment. Je vais te dire ce que j’ai dit à Meredith, rien de plus.

— Que tu vas y réfléchir.

— Oui.

Bill poussa un grognement mécontent.

— On pourrait au moins en discuter ? demanda-t-il. Peut-être demain ?

Riley ne répondit pas tout de suite.

— Pas demain, dit-elle. Demain, je vais assister à la mort de quelqu’un.

Chapitre cinq

A travers la vitre teintée, Riley observa la pièce où Derrick Caldwell allait bientôt mourir. Elle était assise à côté de Gail Bassett, la mère de Kelly Sue Bassett, la dernière victime de Caldwell. Il avait tué cinq femmes avant que Riley ne le mette hors d’état de nuire.

Riley avait hésité quand Gail l’avait invitée à assister à l’exécution. Elle n’en avait vu qu’une jusqu’ici, en tant que témoin volontaire, entourée de journalistes, d’avocats, de représentants de la loi, de prêtres et du président du jury. Aujourd’hui, elle était avec Gail et neuf membres des familles des victimes. Tous se pressaient dans un espace confiné, sur des chaises en plastique.

Gail était un petit bout de femme de soixante ans au visage délicat. Elle avait gardé le contact avec Riley pendant toutes ces années. Son mari était mort entre-temps, et elle n’avait plus personne pour l’accompagner pendant ce moment difficile. Riley avait accepté de venir avec elle.

La pièce où se déroulerait l’exécution se trouvait juste de l’autre côté de la vitre. Seule la table en forme de croix se dressait au milieu de l’espace vide. Un rideau de plastique bleu dissimulait le fond de la pièce. Riley savait que les composants chimiques de l’injection létale se trouvaient de l’autre côté.

Un téléphone rouge contre le mur reliait en permanence les personnes présentes au gouvernement. Il pourrait sonner jusqu’à la dernière minute pour gracier le condamné. Personne ne s’attendait à ce que cela arrive aujourd’hui. Une horloge pendue au-dessus de la porte constituait la seule décoration.

En Virginie, les condamnés à mort avaient le droit de choisir entre la chaise électrique et l’injection létale. La deuxième option était la plus populaire. Quand le prisonnier refusait de choisir, c’était même le choix par défaut.

Riley était presque surprise que Caldwell ne préfère pas la chaise électrique. C’était un monstre qui n’avait montré aucun signe de remords et il semblait accueillir la mort avec un étrange aplomb.

Il était huit heures cinquante-cinq quand la porte s’ouvrit. Un murmure indéchiffrable suivit l’équipe et Caldwell dans la pièce. Deux hommes en uniforme tenaient le condamné par les bras. Un autre les escortait. Un homme bien habillé entra le dernier. C’était le directeur de la prison.

Caldwell portait un pantalon bleu, une chemise bleue et des sandales sans chaussettes. Il était menotté. Riley ne l’avait pas revu depuis des années. Elle l’avait connu avec les cheveux longs et une barbe emmêlé – un look bohème qui convenait à son profil d’artiste de rue. Aujourd’hui, il était rasé de près. Il avait l’air banal et ordinaire.

Il ne se débattait pas, mais il paraissait effrayé.

Tant mieux, pensa Riley.

Il se tourna vers la table d’exécution, puis détourna vivement les yeux. Il s’appliqua à ne pas regarder non plus en direction du rideau de plastique bleu. L’espace d’un instant, il fixa des yeux le miroir sans tain. Il parut alors plus calme.

— J’aimerais bien qu’il puisse nous voir, murmura Gail.

Ce n’était pas le cas de Riley. Caldwell l’avait déjà bien trop regardée à son goût. Pour le capturer, elle s’était mise dans la peau d’une touriste en goguette désireuse de se faire tirer le portrait. Tout en dessinant, il l’avait submergée de compliments mielleux, en lui disant qu’il était la plus belle femme qu’il ait eue pour modèle depuis longtemps.

Elle avait compris qu’il comptait faire d’elle sa prochaine victime. Cette nuit-là, elle avait servi d’appât. Elle l’avait laissé la suivre sur la plage. Quand il avait essayé de l’attaquer, des agents l’avaient interpellé.

Sa capture s’était déroulée de façon banale. En revanche, découvrir les corps démembrés de ses victimes dans un congélo… Un des pires moments de la carrière de Riley. Elle avait eu mal pour les familles des victimes, contraintes d’identifier les corps de leurs épouses, filles ou sœurs…

« Trop belles pour vivre », avait-il dit.

Le fait qu’il l’ait identifiée comme une de ces femmes-là glaçait Riley d’horreur. Elle ne s’était jamais crue belle, et les hommes – même son ex-mari, Ryan – la complimentaient rarement. Caldwell était la sinistre exception.

Qu’est-ce que cela signifiait, se demandait-elle, qu’un psychopathe monstrueux la trouve si parfaite ? Avait-il vu quelque chose chez elle d’aussi monstrueux que lui ? Pendant un ou deux ans, dans ses cauchemars, elle l’avait entendu répéter ces sinistres compliments, tout en ouvrant son congélateur rempli de membres humains.

L’équipe installa Caldwell sur la table d’exécution, retira ses menottes et ses sandales, avant de l’attacher : deux ceintures de cuir autour de sa poitrine, deux autour de ses jambes, une par cheville et par poignet. Ses pieds nus étaient tournés vers la vitre et il était difficile d’apercevoir son visage.

Soudain, un rideau se referma sur le miroir sans tain. L’insertion des aiguilles se déroulerait à huis clos, au cas où quelque chose se passait mal – par exemple, si l’équipe ne trouvait pas de veine. Cependant, Riley trouva cela étrange. Les gens étaient venus assister à la mort de Caldwell, mais ils n’avaient pas le droit de voir les aiguilles s’enfoncer dans le bras du condamné. Le rideau dansa, apparemment effleuré par un membre de l’équipe.

Quand le rideau s’ouvrit à nouveau, les intraveineuses étaient en place. Certains membres de l’équipe s’affairaient de l’autre côté du plastique bleu.

Un homme se tenait tout près du téléphone rouge, prêt à recevoir un appel qui ne viendrait sans doute jamais. Un autre parlait à Caldwell. On entendait à peine sa voix sous le grésillement de système sonore. Il demandait à Caldwell s’il avait un dernier mot à dire.

Au contraire, la réponse de Caldwell leur parvint avec une étonnante clarté.

— L’agent Paige est ici ? demanda-t-il.

Riley sursauta.

Son interlocuteur ne répondit pas. Caldwell n’avait pas le droit de le savoir.

Au terme d’un silence tendu, Caldwell prit à nouveau la parole.

— Dites-lui que j’aurais voulu que mon art lui fasse honneur.

Riley ne pouvait pas voir son visage, mais elle l’entendit ricaner.

— C’est tout, dit-il. Je suis prêt.

Un mélange de fureur, d’horreur et d’incompréhension traversa Riley. Elle ne s’était pas préparée à ça. Derrick Caldwell avait choisi de lui consacrer ses derniers instants. Assise derrière cette vitre incassable, elle était impuissante, incapable d’y faire quoi que ce soit.

Elle l’avait rendu à la justice mais, à la fin de leur histoire, il avait eu sa revanche, de la plus écoeurante façon.

La main frêle de Gail saisit la sienne.

Mon Dieu, elle veut me consoler, pensa Riley.

Riley ravala sa nausée.

Caldwell posa une dernière question :

— Je vais sentir quand ça va commencer ?

Encore une fois, il n’y eut pas de réponse. Riley vit le liquide monter dans les tubes de l’intraveineuse. Caldwell prit plusieurs longues inspirations, avant de fermer les yeux comme pour s’endormir. Son pied droit trembla, puis s’immobilisa.

Au bout d’un moment, l’un des gardes pinça ses orteils. Il n’y eut aucune réaction. C’était un geste étrange. Riley comprit qu’il vérifiait que le sédatif avait bien fonctionné et que Caldwell était inconscient.

Le garde s’adressa alors à l’équipe derrière le rideau de plastique bleu. On injecta un autre liquide dans les tubes. Cette fois, le composé chimique arrêterait ses poumons. Dans quelques minutes, ce serait son cœur.

La respiration de Caldwell se mit à ralentir. Riley eut tout le temps de réfléchir à ce qu’elle était en train de regarder. Elle avait déjà fait usage de la violence. Etait-ce vraiment différent ? En service, elle avait tué plusieurs meurtriers.

Non, c’était différent. Cette exécution avait quelque chose d’étrangement clinique et programmé. Ce ne semblait pas correct. Les pensées de Riley défilèrent…

Je n’aurais pas dû laisser faire ça.

Elle savait qu’elle avait tort. Elle avait arrêté Caldwell avec professionnalisme, en suivant toutes les règles. Mais tout de même…

J’aurais dû le tuer moi-même.

Gail ne lui lâcha pas la main pendant dix longues minutes. Enfin, un membre de l’équipe prononça des mots que Riley n’entendit pas.

Un homme sortit de sa cachette derrière le rideau bleu et prit la parole d’une voix claire et forte, pour être entendu de tous les témoins :

— L’exécution s’est terminée avec succès à neuf heures sept du matin.

Le rideau tomba à nouveau devant la vitre. Les témoins avaient vu ce qu’ils étaient venus voir. Des gardiens les invitèrent à quitter la pièce aussi vite que possible.

Gail saisit à nouveau la main de Riley.

— Je suis désolée qu’il ait dit ce qu’il a dit.

Riley sursauta. Comment Gail pouvait-il s’inquiéter de l’état de Riley, dans un moment pareil, alors que la justice venait de rattraper le meurtrier de sa fille ?

— Comment allez-vous, Gail ? demanda-t-elle en se dirigeant d’un pas brusque vers la sortie.

 

Gail ne répondit pas tout de suite. L’expression de son visage était vide.

— C’est fait, dit-elle d’une voix froide. C’est fait.

Elles firent quelques pas dehors. La lumière matinale les éclaboussa. Devant le bâtiment, deux groupes distincts se faisaient entendre, derrière les cordons de sécurité. D’un côté, les gens fêtaient l’exécution de Caldwell en brandissant des pancartes aux slogans haineux, profanes ou obscènes. Ils jubilaient, pour des raisons évidentes. De l’autre côté, on protestait contre la peine de mort. Les militants étaient restés toute la nuit. Ils étaient beaucoup plus calmes.

Riley ne ressentait aucune compassion ou sympathie pour l’un ou l’autre groupe. Ils étaient là pour eux-mêmes, pour montrer leur indignation et leur vertu. Aux yeux de Riley, ils n’avaient rien à faire ici, parmi des gens dont la peine et le chagrin étaient réels.

Une nuée de journalistes les attendait entre les camionnettes de télévision. Une femme se précipita vers Riley, avec un micro et un caméraman.

— Agent Paige ? Vous êtes l’agent Paige ? demanda-t-elle.

Riley ne répondit pas. Elle essaya de contourner la journaliste.

Celle-ci la suivit à la trace.

— Il parait que Caldwell vous a adressé ses derniers mots. Un commentaire ?

D’autres journalistes s’approchèrent avec la même question. Riley serra les dents et se fraya un chemin. Elle réussit à se dégager. En trottinant jusqu’à sa voiture, elle repensa à Meredith et à Bill. Ils l’avaient suppliée de prendre cette nouvelle affaire. Et elle avait évité de leur donner une réponse claire.

Pourquoi ? se demanda-t-elle.

Elle venait de fuir des journalistes. Fuyait-elle Bill et Meredith également ? Fuyait-elle la personne qu’elle était en réalité ? Fuyait-elle ce qu’elle avait à faire ?

*

Riley referma avec soulagement la porte de sa maison. La mort à laquelle elle avait assistée l’avait laissée vide et le retour à Fredericksburg avait été long et fatiguant. Cependant, elle se rendit compte rapidement que quelque chose n’allait pas.

La maison était étrangement silencieuse. April aurait dû être rentrée de l’école. Et où était Gabriela ?

Riley jeta un coup d’œil dans la cuisine. La pièce était vide. Il y avait un mot sur la table.

Me voy a la tienda. Gabriela était partie faire les courses.

Riley se raccrocha au dossier d’une chaise pour ne pas tomber. Une fois, Gabriela était partie faire des courses, et April avait été enlevée devant la maison de son père.

Les ténèbres. Une flamme.

Riley monta quatre à quatre les marches de l’escalier.

— April ! cria-t-elle.

Pas de réponse. Personne dans les chambres. Personne dans le petit bureau.

Le cœur de Riley battit un peu plus fort contre ses côtes. Bien sûr, elle savait qu’elle n’était pas raisonnable, qu’elle n’avait pas les idées claires, mais son corps ne l’écoutait plus.

Elle dévala les escaliers et se précipita sur la terrasse.

— April ! hurla-t-elle.

Personne ne jouait dans le jardin des voisins. Pas un seul gosse en vue.

Riley se retint de crier à nouveau. Elle ne voulait que les voisins pensent qu’elle était folle. Pas tout de suite.

Elle attrapa d’un geste fébrile son téléphone portable dans sa poche et envoya un message à April.

Pas de réponse.

Riley retourna s’asseoir sur le canapé, la tête dans les mains.

Elle était enfermée sous le parquet, allongée par terre, dans l’obscurité.

Une petite lumière dansait vers elle. Elle aperçut sa grimace cruelle derrière le halo aveuglant. Mais venait-il pour elle ou pour April ?

Non, elle devait distinguer ce cauchemar de la réalité.

Peterson est mort, dit-elle avec conviction. Il ne nous fera plus rien, ni à moi, ni à April.

Elle s’obligea à se concentrer. Elle avait une nouvelle maison et une nouvelle vie. Gabriela était partie faire les courses. April ne devait pas être loin.

Sa respiration s’apaisa, mais Riley ne put se résoudre à se lever. Elle eut peur de hurler à nouveau.

Au terme de ce qui lui parut une éternité, Riley entendit la porte d’entrée s’ouvrir.

April entra en chantonnant.

Cette fois, Riley bondit sur ses pieds.

— Mais où tu étais, merde ?

April resta bouche bée.

— C’est quoi, ton problème, Maman ?

— Où tu étais ? Pourquoi tu n’as pas répondu à mon message ?

— Désolée, mon téléphone était en silencieux. Maman, j’étais chez Cécé. De l’autre côté de la rue. Quand on est descendues du bus, sa mère nous a proposé d’aller manger une glace.

— Comment j’étais censée le savoir ?

— Je ne pensais pas que tu rentrerais si tôt.

Riley s’entendit hurler, mais elle ne put se retenir :

— Je me fiche de ce que tu penses ! Tu dois toujours me dire…

Les larmes qui brillèrent dans les yeux de sa fille l’interrompirent.

Riley reprit son souffle. Elle fit un pas en avant et étreignit April. Le corps de sa fille, rigide de colère, se détendit lentement dans ses bras. Riley se rendit compte qu’elle pleurait également.

— Je suis désolée, souffla-t-elle. Je suis désolée. Mais après tout ce qu’on a vécu… toutes ces horreurs…

— Mais c’est fini, dit April. Maman, c’est fini.

Elles s’assirent toutes deux sur le canapé. C’en était un nouveau : elles l’avaient acheté tout spécialement pour la maison et pour démarrer leur nouvelle vie.

— Je sais que c’est fini, dit Riley. Je sais que Peterson est mort. J’essaye de m’y habituer.

— Maman, tout va tellement mieux ! Tu n’as pas besoin de t’inquiéter tout le temps. Et je ne suis pas une gamine débile. J’ai quinze ans.

— Et tu es très intelligente, dit Riley. Je le sais. Je dois juste me le rappeler de temps en temps. Je t’aime, April. C’est pour ça que je suis un peu bizarre, parfois.

— Je t’aime aussi, Maman, dit April, mais arrête de t’inquiéter.

Pour le plus grand plaisir de Riley, April sourit. Elle avait été enlevée, retenue prisonnière et menacée avec un chalumeau. Pourtant, elle était redevenue une adolescente parfaitement normale. C’était sa mère qui avait du mal à lâcher prise.

Riley ne pouvait s’empêcher de se demander si les tristes souvenirs traînaient encore au fond de la mémoire de sa fille, prêts à se faire entendre à tout moment.

Quant à elle, elle comprit qu’elle avait besoin de parler à quelqu’un de ses peurs et de ses cauchemars. Dès que possible.

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