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La Terre

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Et, comme le misérable, immobilisé, effaré, n'osait plus ni avancer, ni reculer d'une semelle, il le mit en joue.

– Je t'envoie du plomb, si tu ne te dépêches pas… Allons, reprends ton papier, et arrive… Plus près, plus près, mais plus près donc, foutu capon, ou je tire!

Glacé, blême, l'huissier chancelait sur ses courtes jambes. Il implora d'un regard le père Fouan. Celui-ci continuait de fumer tranquillement sa pipe, dans sa rancune féroce contre les frais de justice et l'homme qui les incarne, aux yeux des paysans.

– Ah! nous y sommes enfin, ce n'est pas malheureux. Donne-moi ton papier. Non! pas du bout des doigts, comme à regret. Poliment, nom de Dieu! et de bon coeur… Là! tu es gentil.

Vimeux, paralysé par les ricanements de ce grand bougre, attendait en battant des paupières, sous la menace de la farce, du coup de poing ou de la gifle, qu'il sentait venir.

– Maintenant, retourne-toi.

Il comprit, ne bougea pas, serra les fesses.

– Retourne-toi ou je te retourne!

Il vit bien qu'il fallait se résigner. Lamentable, il se tourna, il présenta de lui-même son pauvre petit derrière de chat maigre. L'autre, alors, prenant son élan, lui planta son pied au bon endroit, si raide, qu'il l'envoya tomber sur le nez, à quatre pas. Et l'huissier, qui se relevait péniblement, se mit à galoper, éperdu, en entendant ce cri:

– Attention! je tire!

Jésus-Christ venait d'épauler. Seulement, il se contenta de lever la cuisse, et, pan! il en fît claquer un, d'une telle sonorité, que, terrifié par la détonation, Vimeux s'étala de nouveau. Cette fois, son chapeau noir avait roulé parmi les cailloux. Il le suivit, le ramassa, courut plus fort. Derrière lui, les coups de feu continuaient, pan! pan! pan! sans un arrêt, une vraie fusillade, au milieu de grands rires, qui achevaient de le rendre imbécile. Lancé sur la pente ainsi qu'un insecte sauteur, il était à cent pas déjà, que les échos du vallon répétaient encore la canonnade de Jésus-Christ. Toute la campagne en était pleine, et il y en eut un dernier, formidable, lorsque l'huissier, rapetissé à la taille d'une fourmi, là-bas, disparut dans Rognes. La Trouille, accourue au bruit, se tenait le ventre, par terre, en gloussant comme une poule. Le père Fouan avait retiré sa pipe de la bouche, afin de rire plus à l'aise. Ah! ce nom de Dieu de Jésus-Christ! quel pas grand'chose! mais bien rigolo tout de même!

La semaine suivante, il fallut cependant que le vieux se décidât à donner sa signature, pour la vente de la terre. M. Baillehache avait un acquéreur, et le plus sage était de suivre son conseil. Il fut donc décidé que le père et le fils iraient à Cloyes, le troisième samedi de septembre, veille de la Saint-Lubin, l'une des deux fêtes de la ville. Justement, le père qui, depuis juillet, avait à toucher chez le percepteur la rente des titres qu'il cachait, comptait profiter du voyage, en égarant son fils au milieu de la fête. On irait et on reviendrait de même, en carrosse dans ses souliers.

Comme Fouan et Jésus-Christ, à la porte de Cloyes, attendaient qu'un train eût passé, debout devant la barrière fermée du passage à niveau, ils furent rejoints par Buteau et Lise, qui arrivaient dans leur carriole. Tout de suite, une querelle éclata entre les deux frères, ils se couvrirent d'injures jusqu'à ce que la barrière fût ouverte; et même, emporté de l'autre côté, à la descente, par son cheval, Buteau se retournait, la blouse gonflée de vent, pour crier encore des choses qui n'étaient pas à dire.

– Va donc, feignant, je nourris ton père! gueula Jésus-Christ de toute sa force, en se faisant un porte-voix de ses deux mains.

Rue Grouaise, chez M. Baillehache, Fouan passa un fichu moment; d'autant plus que l'étude était envahie, tout le monde utilisant le jour du marché, et qu'il dut attendre près de deux heures; Ça lui rappela le samedi où il était venu décider le partage: bien sur que, ce samedi-là, il aurait mieux fait d'aller se pendre. Quand le notaire les reçut enfin et qu'il fallut signer, le vieux chercha ses lunettes, les essuya; mais ses yeux pleins d'eau les brouillaient, sa main tremblait, si bien qu'on fut obligé de lui poser les doigts sur le papier, au bon endroit, pour qu'il y mit son nom, dans un pâté d'encre. Ça lui avait tellement coûté qu'il en suait, hébété, grelottant, regardant autour de lui, comme, après une opération, quand on vous a coupé la jambe et qu'on la cherche. M. Baillehache sermonnait sévèrement Jésus-Christ; et il les renvoya en dissertant sur la loi: la démission de biens était immorale, on arriverait certainement à en élever les droits, pour l'empêcher de se substituer à l'héritage.

Dehors, dans la rue Grande, à la porte du Bon Laboureur, Fouan lâcha Jésus-Christ au milieu du tumulte du marché; et, d'ailleurs, celui-ci, qui ricanait en dessous, y mit de la complaisance, se doutant bien de quelle affaire il s'agissait. Tout de suite, en effet, le vieux fila rue Beaudonnière, où M. Hardy, le percepteur, habitait une petite maison gaie, entre cour et jardin. C'était un gros homme coloré et jovial, à la barbe noire bien peignée, redouté des paysans, qui l'accusaient de les étourdir avec des histoires. Il les recevait dans un étroit bureau, une pièce coupée en deux par une balustrade, lui d'un côté et eux de l'autre. Souvent, il y en avait là une douzaine, debout, serrés, empilés. Pour le moment, il ne s'y trouvait tout juste que Buteau, qui arrivait.

Jamais Buteau ne se décidait à payer ses contributions d'un coup. Lorsqu'il recevait le papier, en mars, c'était de la mauvaise humeur pour huit jours. Il épluchait rageusement le foncier, la taxe personnelle, la taxe mobilière, l'impôt des portes et fenêtres; mais ses grandes colères étaient les centimes additionnels, qui montaient d'année en année, disait-il. Puis, il attendait de recevoir une sommation sans frais. Ça lui faisait toujours gagner une semaine. Il payait ensuite par douzième, chaque mois, en allant au marché; et, chaque mois, la même torture recommençait, il en tombait malade la veille, il apportait son argent comme il aurait apporté son cou à couper. Ah! ce sacré gouvernement! en voilà un qui volait le monde!

– Tiens! c'est vous, dit gaillardement M. Hardy. Vous faites bien de venir, j'allais vous faire des frais.

– Il n'aurait plus manqué que ça! grogna Buteau. Et vous savez que je ne paye pas les six francs dont vous m'avez augmenté le foncier… Non, non, ce n'est pas juste!

Le percepteur se mit à rire.

– Si, chaque mois, vous chantez cet air-là! Je vous ai déjà expliqué que votre revenu avait dû s'accroître avec vos plantations, sur votre ancien pré de l'Aigre. Nous nous basons là-dessus, nous autres!

Mais Buteau se débattit violemment. Ah! oui, son revenu s'accroître! C'était comme son pré, autrefois de soixante-dix ares, qui n'en avait plus que soixante-huit, depuis que la rivière, en se déplaçant, lui en avait mangé deux: eh bien! il payait toujours pour les soixante-dix, est-ce que c'était de la justice, ça? M. Hardy répondit tranquillement que les questions cadastrales ne le regardaient pas, qu'il fallait attendre qu'on refît le cadastre. Et, sous prétexte de reprendre ses explications, il l'accabla de chiffres, de mots techniques auxquels l'autre ne comprenait rien. Puis, de son air goguenard, il conclut:

– Après tout, ne payez pas, je m'en fiche, moi! Je vous enverrai l'huissier.

Effrayé, ahuri, Buteau rentra sa rage. Quand on n'est pas le plus fort, faut bien céder; et sa haine séculaire venait encore de grandir, avec sa peur, contre ce pouvoir obscur et compliqué qu'il sentait au-dessus de lui, l'administration, les tribunaux, ces feignants de bourgeois, comme il disait. Lentement, il sortit sa bourse. Ses gros doigts tremblaient, il avait reçu beaucoup de sous au marché, et il tâtait chaque sou avant de le poser devant lui. Trois fois, il refit son compte, tout en sous, ce qui lui déchirait le coeur davantage, d'avoir à en donner un si gros tas. Enfin, les yeux troubles, il regardait le percepteur encaisser la somme, lorsque le père Fouan parut.

Le vieux n'avait pas reconnu le dos son fils, et il resta saisi, quand celui-ci se retourna.

– Et ça va bien, monsieur Hardy? bégaya-t-il. Je passais, j'ai eu l'idée de vous dire un petit bonjour… On ne se voit quasiment plus…

Buteau ne fut pas dupe. Il salua, s'en alla d'un air pressé; et, cinq minutes plus tard, il rentrait, comme pour demander un renseignement oublié, au beau moment où le percepteur, payant les coupons, étalait devant le vieux un trimestre, soixante-quinze francs, en pièces de cent sous. Son oeil flamba, mais il évita de regarder son père, feignant de ne pas l'avoir vu jeter son mouchoir sur les pièces, puis les pêcher comme dans un coup d'épervier, et les engloutir au fond de sa poche. Cette fois, ils sortirent ensemble, Fouan très perplexe, coulant vers son fils des regards obliques, Buteau de belle humeur, repris d'une brusque affection. Il ne le lâchait plus, voulait le ramener dans sa carriole; et il l'accompagna jusqu'au Bon Laboureur.

Jésus-Christ était là avec le petit Sabot, de Brinqueville, un vigneron, un autre farceur renommé, qui ventait, lui aussi, à faire tourner les moulins. Donc, tous les deux, se rencontrant, venaient de parier dix litres, à qui éteindrait le plus de chandelles. Excités, secoués de gros rires, des amis les avaient accompagnés dans la salle du fond. On faisait cercle, l'un fonctionnait à droite, l'autre à gauche, culotte bas, le derrière braqué, éteignant chacun la sienne, à tous coups. Pourtant, Sabot en était à dix et Jésus-Christ à neuf, ayant une fois manqué d'haleine. Il s'en montrait très vexé, sa réputation était enjeu. Hardi là! est-ce que Rognes se laisserait battre par Brinqueville? Et il souffla comme jamais soufflet de forge n'avait soufflé: neuf! dix! onze! douze! Le tambour de Cloyes, qui rallumait la chandelle, faillit lui-même être emporté. Sabot, péniblement, arrivait à dix, vidé, aplati, lorsque Jésus-Christ, triomphant, en lâcha deux encore, en criant au tambour de les allumer, ceux-là, pour le bouquet. Le tambour les alluma, ils brûlèrent jaune, d'une belle flamme jaune, couleur d'or, qui monta comme un soleil dans sa gloire.

 

– Ah! ce nom de Dieu de Jésus-Christ! Quel boyau! A lui la médaille!

Les amis gueulaient, rigolaient à se fendre les mâchoires. Il y avait de l'admiration et de la jalousie au fond, car tout de même fallait être solidement bâti pour en contenir tant et en pousser à volonté. On but les dix litres, ça dura deux heures, sans qu'on parlât d'autre chose.

Buteau, pendant que son frère se reculottait, lui avait allongé une claque amicale sur la fesse; et la paix semblait se faire, dans cette victoire qui flattait la famille. Rajeuni, le père Fouan contait une histoire de son enfance, du temps où les Cosaques étaient en Beauce: oui, un Cosaque qui s'était endormi, la bouche ouverte, au bord de l'Aigre, et dans la gueule duquel il en avait collé un, à l'empâter jusqu'aux cheveux. Le marché finissait, tous s'en allèrent, très soûls.

Il arriva alors que Buteau ramena dans sa carriole Fouan et Jésus-Christ. Lise, elle aussi, à qui son homme avait causé bas, se montra gentille. On ne se mangeait plus, on choyait le père. Mais l'aîné, qui se dessoûlait, faisait des réflexions: pour que le cadet fût si aimable, c'était donc que le bougre avait découvert le pot aux roses, chez le percepteur? Ah! non, minute! Si, jusque-là, lui, cette fripouille, avait eu la délicatesse de respecter le magot, bien sûr qu'il n'aurait pas la bêtise de le laisser retourner chez les autres. Il mettrait bon ordre à ça, en douceur, sans se fâcher, puisque maintenant la famille était à la réconciliation.

Lorsqu'on fut à Rognes et que le vieux voulut descendre, les deux gaillards se précipitèrent, rivalisant de déférence et de tendresse.

– Père, appuyez-vous sur moi.

– Père, donnez-moi votre main.

Ils le reçurent, ils le déposèrent sur la route. Et lui, entre les deux, restait saisi, frappé au coeur d'une certitude, ne doutant plus désormais.

– Qu'est-ce que vous avez donc, vous autres, à m'aimer tant que ça?

Leurs égards l'épouvantaient. Il les aurait préférés, comme à l'ordinaire, sans respect. Ah! foutu sort! allait-il en avoir des embêtements, maintenant qu'ils lui savaient des sous! Il rentra au Château, désolé.

Justement, Canon, qui n'avait pas paru depuis deux mois, était là, assis sur une pierre, à attendre Jésus-Christ. Dès qu'il l'aperçut, il lui cria:

– Dis donc, ta fille est dans le bois aux Pouillard, et y a un homme dessus.

Du coup, le père manqua crever d'indignation, le sang au visage.

– Salope qui me déshonore!

Et, décrochant le grand fouet de roulier, derrière la porte, il dévala par la pente rocheuse jusqu'au petit bois. Mais les oies de la Trouille la gardaient comme de bons chiens, quand elle était sur le dos. Tout de suite, le jars flaira le père, s'avança, suivi de la bande. Les ailes soulevées, le cou tendu, il sifflait, dans une menace continue et stridente, tandis que les oies, déployées en ligue de bataille, allongeaient des cous pareils, leurs grands becs jaunes ouverts, prêts à mordre. Le fouet claquait, et l'on entendit une fuite de bête sous les feuilles. La Trouille, avertie, avait filé.

Jésus-Christ, lorsqu'il eut raccroché le fouet, sembla envahi d'une grande tristesse philosophique. Peut-être le dévergondage entêté de sa fille lui faisait-il prendre en pitié les passions humaines. Peut-être était-il simplement revenu de la gloire, depuis son triomphe, à Cloyes. Il secoua sa tête inculte de crucifié chapardeur et soûlard, il dit à Canon:

– Tiens! veux-tu savoir? tout ça ne vaut pas un pet.

Et, levant la cuisse, au-dessus de la vallée noyée d'ombre, il en fit un, dédaigneux et puissant, comme pour en écraser la terre.

IV

On était aux premiers jours d'octobre, les vendanges allaient commencer, belle semaine de godaille, où les familles désunies se réconciliaient d'habitude, autour des pots de vin nouveau. Rognes puait le raisin pendant huit jours; on en mangeait tant, que les femmes se troussaient et les hommes posaient culotte, au pied de chaque haie; et les amoureux, barbouillés, se baisaient à pleine bouche, dans les vignes. Ça finissait par des hommes soûls et des filles grosses.

Dès le lendemain de leur retour de Cloyes, Jésus-Christ se mit à chercher le magot; car le vieux ne promenait peut-être pas sur lui son argent et ses titres, il devait les serrer dans quelque trou. Mais la Trouille eut beau aider son père, ils retournèrent la maison sans rien trouver d'abord, malgré leur malice et leur nez fin de maraudeurs; et ce fut seulement la semaine suivante, que le braconnier, par hasard, en descendant d'une planche une vieille marmite fêlée, dont on ne se servait plus, y découvrit, sous des lentilles, un paquet de papiers, enveloppé soigneusement dans la toile gommée d'un fond de chapeau. Du reste, pas un écu. L'argent, sans doute, dormait ailleurs: un fameux tas, puisque le père, depuis cinq ans, ne dépensait rien. C'étaient bien les titres, il y avait trois cents francs de rente, en cinq pour cent. Comme Jésus-Christ les comptait, les flairait, il découvrit une autre feuille, un papier timbré, couvert d'une grosse écriture, dont la lecture le stupéfia. Ah! nom de Dieu! voilà donc où passait l'argent!

Une histoire à crever! Quinze jours après avoir partagé son bien chez le notaire, Fouan était tombé malade, tellement ça lui brouillait le coeur, de n'avoir plus rien à lui, pas même grand comme la main de blé. Non! il ne pouvait vivre ainsi, il y aurait perdu la peau. Et c'était alors qu'il avait fait la bêtise, une vraie bêtise de vieux passionné donnant ses derniers sous pour retourner en secret à la gueuse qui le trompe. Lui, un finaud dans son temps, ne s'était-il pas laissé entortiller par un ami, le père Saucisse! Ça devait le tenir bien fort, ce furieux désir de posséder, qu'ils ont dans les os comme une rage, tous les anciens mâles, usés à engrosser la terre; ça le tenait si fort, qu'il avait signé un papier avec le père Saucisse, par lequel celui-ci, après sa mort, lui cédait un arpent de terre, à la condition qu'il toucherai quinze sous chaque matin, sa vie durant. Un pareil marché, quand on a soixante-seize ans, et que le vendeur en a dix de moins! La vérité était que ce dernier avait eu la gredinerie de se mettre au lit, vers cette époque: il toussait, il rendait l'âme, si bien que l'autre, abêti par son envie, se croyait le malin des deux, pressé de conclure la bonne affaire. N'importe, ça prouve que, lorsqu'on a le feu au derrière, pour une fille ou pour un champ, on ferait mieux de se coucher que de signer des choses; car ça durait depuis cinq ans, les quinze sous chaque matin; et plus il en lâchait, plus il s'enrageait après la terre, plus il la voulait. Dire qu'il s'était débarrassé de tous les embêtements de sa longue vie de travail, qu'il n'avait plus qu'à mourir tranquille, en regardant les autres donner leur chair à la terre ingrate, et qu'il était retourné se faire achever par elle! Ah! les hommes ne sont guère sages, les vieux pas plus que les jeunes!

Un instant, Jésus-Christ eut l'idée de tout prendre, le sous-seing et les titres. Mais le coeur lui manqua: fallait filer, après un coup pareil. Ce n'était pas comme des écus, qu'on rafle, en attendant qu'il en repousse. Et, furieux, il remit les papiers sous les lentilles, au fond de la marmite. Son exaspération devint telle, qu'il ne put tenir sa langue. Dès le lendemain, Rognes connut l'affaire du père Saucisse, les quinze sous par jour pour un arpent de terre médiocre, qui ne valait bien sûr pas trois mille francs; en cinq ans, ça faisait près de quatorze cents francs déjà, et si le vieux coquin vivait cinq années encore, il aurait son champ et la monnaie. On plaisanta le père Fouan, Seulement, lui qu'on ne regardait plus dans les chemins, depuis qu'il n'avait plus que sa peau à traîner au soleil, il fut de nouveau salué et considéré, lorsqu'on le sut rentier et propriétaire.

La famille, surtout, en parut retournée. Fanny, qui vivait très en froid avec son père, blessée de ce qu'il s'était retiré chez son gredin d'aîné, au lieu de se réinstaller chez elle, lui apporta du linge, de vieilles chemises à Delhomme. Mais il fut très dur, il fit allusion au mot dont il saignait toujours: «Papa, il viendra nous demander à genoux de le reprendre!» et il l'accueillit d'un: «C'est donc toi qui viens à genoux pour me ravoir!» qu'elle garda en travers de la gorge. Rentrée, elle en pleura de honte et de rage, elle dont la susceptibilité de paysanne fière se blessait d'un regard. Honnête, travailleuse, riche, elle en arrivait à être fâchée avec tout le pays. Delhomme dut promettre que ce serait lui, désormais, qui remettrait l'argent de la rente au père; car, pour son compte, elle jurait bien qu'elle ne lui adresserait jamais plus la parole.

Quant à Buteau, il les étonna tous, un jour qu'il entra au Château, histoire, disait-il, de faire une petite visite au vieux. Jésus-Christ, ricanant, apporta la bouteille d'eau-de-vie, et l'on trinqua. Mais sa goguenardise devint de la stupeur, lorsqu'il vit son frère tirer dix pièces de cent sous, puis les aligner sur la table, en disant:

– Père, faut pourtant régler nos comptes… Voilà le dernier trimestre de votre rente.

Ah! le nom de Dieu de gueusard! lui qui ne donnait plus un sou au père depuis des années, est-ce qu'il ne venait pas l'empaumer, en lui remontrant la couleur de son argent! Tout de suite, d'ailleurs, il écarta le bras du vieux qui s'avançait, et il ramassa les pièces.

– Attention! c'était pour vous dire que je les ai… Je vous les garde, vous savez où elles vous attendent.

Jésus-Christ commençait à ouvrir l'oeil et à se fâcher.

– Dis donc! si tu veux emmener papa…

Mais Buteau prit la chose gaiement.

– Quoi, t'es jaloux? Et quand j'aurais le père une semaine, et toi une semaine, est-ce que ce ne serait pas dans la nature? Hein! si vous vous coupiez en deux, père?.. A votre santé, en attendant!

Comme il partait, il les invita à venir faire, le lendemain, la vendange dans sa vigne. On se gaverait de raisin, tant que la peau du ventre en tiendrait. Enfin, il fut si gentil, que les deux autres le trouvèrent une fameuse canaille tout de même, mais rigolo, à la condition de ne pas se laisser fiche dedans par lui. Ils l'accompagnèrent un bout de chemin, pour le plaisir.

Justement, au bas de la côte, ils firent la rencontre de M. et de Mme Charles, qui rentraient, avec Élodie, à leur propriété de Roseblanche, après une promenade le long de l'Aigre, Tous les trois étaient en deuil de Mme Estelle, comme on nommait la mère de la petite, morte au mois de juillet, et morte à la peine, car chaque fois que la grand'mère revenait de Chartres, elle le disait bien que sa pauvre fille se tuait, tant elle se donnait du mal pour soutenir la bonne réputation de l'établissement de la rue aux Juifs, dont son fainéant de mari s'occupait de moins en moins. Et quelle émotion pour M. Charles que l'enterrement, où il n'avait point osé conduire Élodie, à qui l'on ne s'était décidé à, apprendre la nouvelle que lorsque sa mère dormait depuis trois jours dans la terre! Quel serrement de coeur pour lui, le matin où, après des années, il avait revu le 19, à l'angle de la rue de la Planche-aux-Carpes, ce 19 badigeonné de jaune, avec ses persiennes vertes, toujours closes, l'oeuvre de sa vie enfin, aujourd'hui tendu de draperies noires, la petite porte ouverte, l'allée barrée par le cercueil, entre quatre cierges! Ce qui le toucha, ce fut la façon dont le quartier s'associa à sa douleur. La cérémonie se passa vraiment très bien. Quand on sortit le cercueil de l'allée et qu'il parut sur le trottoir, toutes les voisines se signèrent. On se rendit à l'église au milieu du recueillement. Les cinq femmes de la maison étaient là, en robe sombre, l'air comme il faut, ainsi que le mot en courut le soir dans Chartres. Une d'elles pleura même au cimetière. Enfin, de ce côté, M. Charles n'eut que de la satisfaction. Mais, le lendemain, comme il souffrit, lorsqu'il questionna son gendre, Hector Vaucogne, et qu'il visita la maison! Elle avait déjà perdu de son éclat, on sentait que la poigne d'un homme y manquait, à toutes sortes de licences, que lui n'aurait jamais tolérées, de son temps. Il constata pourtant avec plaisir que la bonne attitude des cinq femmes, au convoi, les avait fait si avantageusement connaître en ville, que l'établissement ne désemplit pas de la semaine. En quittant le 19, la tête bourrelée d'inquiétudes, il ne le cacha point à Hector: maintenant que la pauvre Estelle n'était plus là pour mener la barque, c'était à lui de se corriger, de mettre sérieusement la main à la pâte, s'il ne voulait pas manger la fortune de sa fille.

 

Tout de suite, Buteau les pria de venir vendanger, eux aussi. Mais ils refusèrent, à cause de leur deuil. Ils avaient des figures mélancoliques, des gestes lents. Tout ce qu'ils acceptèrent, ce fut d'aller goûter au vin nouveau.

– Et c'est pour distraire cette pauvre petite, déclara Mme Charles. Elle a si peu d'amusements ici, depuis que nous l'avons retirée du pensionnat! Que voulez-vous? elle ne peut toujours rester en classe.

Élodie écoutait, les yeux baissés, les joues envahies de rougeur, sans raison. Elle était devenue très grande, très mince, d'une pâleur de lis qui végète à l'ombre.

– Alors, qu'est-ce que vous allez en faire, de cette grande jeunesse-là? demanda Buteau.

Elle rougit davantage, tandis que sa grand'mère répondait:

– Dame! nous ne savons guère… Elle se consultera, nous la laisserons bien libre.

Mais Fouan, qui avait pris M. Charles à part, lui demanda d'un air d'intérêt:

– Ça va-t-il, le commerce?

La mine désolée, il haussa les épaules.

– Ah! ouiche! j'ai vu justement ce matin quelqu'un de Chartres. C'est à cause de ça que nous sommes si ennuyés… Une maison finie! On se bat dans les corridors, on ne paye même plus, tant la surveillance est mal faite!

Il croisa les bras, il respira fortement, pour se soulager de ce qui l'étouffait surtout, un grief nouveau dont il n'avait pas digéré l'énormité depuis le matin.

– Et croyez-vous que le misérable va au café, maintenant!.. Au café! au café! quand on en a un chez soi!

– Foutu alors! dit d'un air convaincu Jésus-Christ, qui écoutait.

Ils se turent, car Mme Charles et Élodie se rapprochaient avec Buteau. A présent, tous trois parlaient de la défunte, la jeune fille disait combien elle était restée triste, de n'avoir pu embrasser sa pauvre maman. Elle ajouta, de son air simple:

– Mais il paraît que le malheur a été si brusque, et qu'on travaillait si fort, à la confiserie…

– Oui, pour des baptêmes, se hâta de dire Mme Charles, en clignant les yeux, tournée vers les autres.

D'ailleurs, pas un n'avait souri, tous compatissaient, d'un branle du menton. Et la petite, dont le regard s'était abaissé sur une bague qu'elle portait, la baisa, pleurante.

– Voilà tout ce qu'on m'a donné d'elle… Grand'mère la lui a prise au doigt, pour la mettre au mien… Elle la portait depuis vingt ans, moi je la garderai toute ma vie.

C'était une vieille alliance d'or, un de ces bijoux de grosse joaillerie commune, si usée, que les guillochures en avaient presque disparu. On sentait que la main où elle s'était élimée ainsi, ne reculait devant aucune besogne, toujours active, dans les vases à laver, dans les lits à refaire, frottant, essuyant, torchonnant, se fourrant partout. Et elle racontait tant de choses, cette bague, elle avait laissé de son or au fond de tant d'affaires, que les hommes la regardaient fixement, les narines élargies, sans un mot.

– Quand tu l'auras usée autant que ta mère, dit M. Charles, étranglé d'une soudaine émotion, tu pourras te reposer… Si elle parlait, elle t'apprendrait comment on gagne de l'argent, par le bon ordre et le travail.

Élodie, en larmes, avait collé de nouveau ses lèvres sur le bijou.

– Tu sais, reprit Mme Charles, je veux que tu te serves de cette alliance, quand nous te marierons.

Mais, à ce dernier mot, à cette idée du mariage, la jeune fille, dans son attendrissement, éprouva une secousse si forte, un tel excès de confusion, qu'elle se jeta, éperdue, sur le sein de sa grand'mère, pour y cacher son visage. Celle-ci la calma, en souriant.

– Voyons, n'aie pas honte, mon petit lapin… Il faut que tu t'habitues, il n'y a point là de vilaines choses… Je ne dirais pas de vilaines choses en ta présence, bien sûr… Ton cousin Buteau demandait tout à l'heure ce que nous allions faire de toi. Nous commencerons par te marier… Voyons, voyons, regarde-nous, ne te frotte pas contre mon châle. Tu vas t'enflammer la peau.

Puis, aux autres, tout bas, d'un air de satisfaction profonde:

– Hein? est-ce élevé? ça ne sait rien de rien!

– Ah! si nous n'avions pas cet ange, conclut M. Charles, nous aurions vraiment trop de chagrin, à cause de ce que je vous ai dit… Avec ça, mes rosiers et mes oeillets ont souffert cette année, et j'ignore ce qui se passe dans ma volière, tous mes oiseaux sont malades. La pêche seule me console un peu, j'ai pris une truite de trois livres, hier… N'est-ce pas? quand on est à la campagne, c'est pour être heureux.

On se quitta. Les Charles répétèrent leur promesse d'aller goûter le vin nouveau. Fouan, Buteau et Jésus-Christ firent quelques pas en silence, puis le vieux résuma leur opinion.

– Un chançard tout de même, le cadet qui l'aura avec la maison, cette gamine!

Le tambour de Rognes avait battu le ban des vendanges; et, le lundi matin, tout le pays fut en l'air, car chaque habitant avait sa vigne, pas une famille n'aurait manqué, ce jour-là, d'aller en besogne sur le coteau de l'Aigre. Mais ce qui achevait d'émotionner le village, c'était que la veille, à la nuit tombée, le curé, un curé dont la commune se donnait enfin le luxe, était débarqué devant l'église. Il faisait déjà si sombre, qu'on l'avait mal vu. Aussi les langues ne tarissaient-elles pas, d'autant plus que l'histoire en valait sûrement la peine.

Après sa brouille avec Rognes, pendant des mois, l'abbé Godard s'était obstiné à ne pas y remettre les pieds. Il baptisait, confessait, mariait ceux qui venaient le trouver à Bazoches-le-Doyen; quant aux morts, ils auraient sans doute séché à l'attendre; mais le point resta obscur, personne ne s'étant avisé de mourir, pendant cette grande querelle. Il avait déclaré à monseigneur qu'il aimait mieux se faire casser que de rapporter le bon Dieu dans un pays d'abomination, où on le recevait, si mal, tous paillards et ivrognes, tous damnés, depuis qu'ils ne croyaient plus au diable; et monseigneur le soutenait évidemment, laissait aller les choses, en attendant la contrition de ce troupeau rebelle. Donc, Rognes était sans prêtre: plus de messe, plus rien, l'état sauvage. D'abord, il y avait eu un peu de surprise; mais, au fond, ma foi! ça ne marchait pas plus mal qu'auparavant. On s'accoutumait, il ne pleuvait ni ne ventait davantage, sans compter que la commune y économisait gros. Alors, puisqu'un prêtre n'était point indispensable, puisque l'expérience prouvait que les récoltes n'y perdaient rien et qu'on n'en mourait pas plus vite, autant valait-il s'en passer toujours. Beaucoup se montraient de cet avis, non seulement les mauvaises têtes comme Lengaigne, mais encore des hommes de bon sens, qui savaient calculer, Delhomme par exemple. Seulement, beaucoup aussi se vexaient de n'avoir pas de curé. Ce n'était point qu'ils fussent plus religieux que les autres: un Dieu de rigolade qui avait cessé de les faire trembler, ils s'en fichaient! Mais pas de curé, ça semblait dire qu'on était trop pauvre ou trop avare pour s'en payer un; enfin, on avait l'air au-dessous de tout, des riens de rien qui n'auraient pas dépensé dix sous à de l'inutile. Ceux de Magnolles, où ils n'étaient que deux cent quatre-vingt-trois, dix de moins qu'à Rognes, nourrissaient un curé, qu'ils jetaient à la tête de leurs voisins, avec une façon de rire si provocante, que ça finirait certainement par des claques. Et puis, les femmes avaient des habitudes, pas une n'aurait consenti bien sûr à être mariée ou enterrée sans prêtre. Les hommes eux-mêmes allaient des fois à l'église, aux grandes fêtes, parce que tout le monde y allait. Bref, il y avait toujours eu des curés, et quitte à s'en foutre, il en fallait un.

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