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Pot-Bouille

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XII

Un matin, comme Berthe se trouvait justement chez sa mère, Adèle vint dire d'un air effaré que monsieur Saturnin était là, avec un homme. Le docteur Chassagne, directeur de l'asile des Moulineaux, avait déjà plusieurs fois prévenu les parents qu'il ne pouvait garder leur fils, car il ne jugeait pas chez lui la folie assez caractérisée. Et, tout d'un coup, ayant eu connaissance de la signature arrachée par Berthe à son frère pour les trois mille francs, redoutant d'être compromis, il le renvoyait à la famille.

Ce fut une épouvante. Madame Josserand, qui craignait d'être étranglée, voulut causer avec l'homme. Celui-ci déclara simplement:

– Monsieur le directeur m'a dit de vous dire que lorsqu'on est bon pour donner de l'argent à ses parents, on est bon pour vivre chez eux.

– Mais il est fou, monsieur! il va nous massacrer.

– Il n'est toujours pas fou pour signer! répondit l'homme en s'en allant.

D'ailleurs, Saturnin rentrait d'un air tranquille, les mains dans les poches, comme s'il revenait d'une promenade aux Tuileries. Il n'ouvrit même pas la bouche de son séjour là-bas. Il embrassa son père qui pleurait, donna également de gros baisers à sa mère et à sa soeur Hortense, toutes deux tremblantes. Puis, quand il aperçut Berthe, ce fut un ravissement, il la caressa avec des grâces de petit garçon. Tout de suite, elle profita du trouble attendri où elle le voyait, pour lui apprendre son mariage. Il n'eut aucune révolte, il ne parut point comprendre d'abord, comme s'il avait oublié ses fureurs d'autrefois. Mais, lorsqu'elle voulut redescendre, il se mit à hurler: mariée, ça lui était égal, pourvu qu'elle restât là, toujours avec lui, contre lui. Alors, devant le visage décomposé de sa mère qui courait déjà s'enfermer, Berthe eut l'idée de prendre Saturnin chez elle. On trouverait bien à l'utiliser dans le sous-sol du magasin, quand ce ne serait qu'à ficeler des paquets.

Le soir même, Auguste, malgré son évidente répugnance, se rendit au désir de Berthe. Ils étaient mariés à peine depuis trois mois, et une sourde désunion grandissait entre eux. C'était le heurt de deux tempéraments, de deux éducations différentes, un mari maussade, méticuleux, sans passion, et une femme poussée dans la serre chaude du faux luxe parisien, vive, saccageant l'existence, afin d'en jouir toute seule, en enfant égoïste et gâcheur. Aussi ne comprenait-il pas son besoin de mouvement, ses sorties continuelles pour des visites, des courses, des promenades, son galop à travers les théâtres, les fêtes, les expositions. Deux et trois fois par semaine, madame Josserand venait prendre sa fille, l'emmenait jusqu'au dîner, heureuse de se montrer avec elle, de profiter ainsi de ses toilettes riches, qu'elle ne payait plus. Les grandes rébellions du mari étaient surtout contre ces toilettes trop éclatantes, dont l'utilité lui échappait. Pourquoi s'habiller au-dessus de son rang et de sa fortune? Quelle raison de dépenser de la sorte un argent si nécessaire dans son commerce? Il disait d'ordinaire que, lorsqu'on vend de la soie aux autres femmes, on doit porter de la laine. Mais Berthe avait alors les airs féroces de sa mère, en lui demandant s'il comptait la laisser aller toute nue; et elle le décourageait encore par la propreté douteuse de ses jupons, par son dédain du linge qu'on ne voyait pas, ayant toujours des phrases apprises pour lui fermer la bouche, s'il insistait.

– J'aime mieux faire envie que pitié… L'argent est l'argent, et lorsque j'ai eu vingt sous, j'ai toujours dit que j'en avais quarante.

Berthe prenait, dans le mariage, la carrure de madame Josserand. Elle s'empâtait, lui ressemblait davantage. Ce n'était plus la fille indifférente et souple sous les gifles maternelles; c'était une femme où poussaient des obstinations, la volonté formelle de tout plier à son plaisir. Auguste la regardait parfois, étonné de cette maturité si prompte. D'abord, elle avait goûté une joie vaniteuse à trôner au comptoir, en toilette étudiée, d'une modestie élégante. Puis, elle s'était vite rebutée du commerce, souffrant de l'immobilité, menaçant de tomber malade, se résignant pourtant, mais avec des attitudes de victime qui fait à la prospérité de son ménage le sacrifice de sa vie. Et, dès lors, une lutte de chaque minute avait commencé entre elle et son mari. Elle haussait les épaules derrière le dos de ce dernier, comme sa mère derrière le dos de son père; elle recommençait contre lui toutes les querelles de ménage dont on avait bercé sa jeunesse, le traitait en monsieur simplement chargé de payer, l'accablait de ce mépris de l'homme, qui était comme la base de son éducation.

– Ah! c'est maman qui avait raison! s'écriait-elle, après chacune de leurs disputes.

Auguste s'était cependant efforcé, dans les premiers temps, de la satisfaire. Il aimait la paix, il rêvait un petit intérieur tranquille, maniaque déjà comme un vieillard, plié aux habitudes de sa vie de garçon chaste et économe. Son ancien logement de l'entresol ne pouvant suffire, il avait pris l'appartement du second, sur la cour, où il croyait avoir fait des folies, en dépensant cinq mille francs de meubles. Berthe, d'abord heureuse de sa chambre en thuya et en soie bleue, s'était ensuite montrée pleine de dédain, après une visite chez une amie, qui épousait un banquier. Puis, les premières discussions avaient éclaté, au sujet des bonnes. La jeune femme, accoutumée à un service abêti de pauvres filles auxquelles on coupait leur pain, exigeait d'elles des corvées, dont elles sanglotaient dans leur cuisine, pendant des après-midi entières. Auguste, peu tendre pourtant d'habitude, ayant eu l'imprudence d'aller en consoler une, avait dû la jeter à la porte une heure plus tard, devant les sanglots de madame, qui lui criait furieusement de choisir entre elle et cette créature. Mais, après celle-là, il était venu une gaillarde, qui semblait s'arranger pour rester. Elle se nommait Rachel, devait être juive, le niait et cachait son pays. C'était une fille de vingt-cinq ans, d'un visage dur, au grand nez, aux cheveux très noirs. D'abord, Berthe avait déclaré qu'elle ne la tolérerait pas deux jours; puis, devant son obéissance muette, son air de tout comprendre et de ne rien dire, elle s'était montrée peu à peu contente, comme si elle se fût soumise à son tour, la gardant pour ses mérites et aussi par une sourde peur. Rachel, qui acceptait sans révolte les plus dures besognes, accompagnées de pain sec, prenait possession du ménage, les yeux ouverts, la bouche serrée, en servante de flair attendant l'heure fatale et prévue où madame n'aurait rien à lui refuser.

D'ailleurs, dans la maison, du rez-de-chaussée à l'étage des bonnes, un grand calme avait succédé aux émotions de la mort brusque de M. Vabre. L'escalier retrouvait son recueillement de chapelle bourgeoise; pas un souffle ne sortait des portes d'acajou, toujours closes sur la profonde honnêteté des appartements. Le bruit courait que Duveyrier s'était remis avec sa femme. Quant à Valérie et à Théophile, ils ne parlaient à personne, ils passaient raides et dignes. Jamais la maison n'avait exhalé une sévérité de principes plus rigides. M. Gourd, en pantoufles et en calotte, la parcourait d'un air de bedeau solennel.

Vers onze heures, un soir, Auguste allait à chaque instant sur la porte du magasin, puis allongeait la tête, et jetait un coup d'oeil dans la rue. Une impatience peu à peu grandie l'agitait. Berthe, que sa mère et sa soeur étaient venues chercher pendant le dîner, sans même lui laisser manger du dessert, ne rentrait pas, après une absence de plus de trois heures, et malgré sa promesse formelle d'être là pour la fermeture.

– Ah! mon Dieu! mon Dieu! finit-il par dire, les mains serrées, faisant craquer ses doigts.

Et il s'arrêta devant Octave, qui étiquetait des coupons de soie, sur un comptoir. A cette heure avancée de la soirée, aucun client ne se présentait, dans ce bout écarté de la rue de Choiseul. On laissait ouvert uniquement pour ranger le magasin.

– Vous devez savoir où ces dames sont allées, vous? demanda Auguste au jeune homme.

Celui-ci leva les yeux d'un air surpris et innocent.

– Mais, monsieur, elles vous l'ont dit… A une conférence.

– Une conférence, une conférence, gronda le mari. Elle finissait à dix heures, leur conférence… Est-ce que des femmes honnêtes ne devraient pas être rentrées!

Puis, il reprit sa promenade, en jetant des regards obliques sur le commis, qu'il soupçonnait d'être le complice de ces dames, ou tout au moins de les excuser. Octave, à la dérobée, l'examinait aussi d'un air inquiet. Jamais il ne l'avait vu si nerveux. Que se passait-il donc? Et, comme il tournait la tête, il aperçut, au fond de la boutique, Saturnin qui nettoyait une glace avec une éponge imbibée d'alcool. Peu à peu, dans la famille, on mettait le fou à des travaux de domestique, pour lui faire au moins gagner sa nourriture. Mais, ce soir-là, les yeux de Saturnin luisaient étrangement. Il se coula derrière Octave, il lui dit très bas:

– Faut se méfier… Il a trouvé un papier. Oui, il a un papier, dans sa poche… Attention, si c'est à vous!

Et il retourna lestement frotter sa glace. Octave ne comprit pas. Le fou lui témoignait depuis quelque temps une affection singulière, comme la caresse d'une bête qui céderait à un instinct, à un flair pénétrant les délicatesses lointaines d'un sentiment. Pourquoi lui parlait-il d'un papier? Il n'avait pas écrit de lettre à Berthe, il ne se permettait encore que de la regarder avec des yeux tendres, guettant l'occasion de lui faire un petit cadeau. C'était là une tactique adoptée par lui, après de mûres réflexions.

– Onze heures dix! nom de Dieu de nom de Dieu! cria brusquement Auguste, qui ne jurait jamais.

Mais, au même moment, ces dames rentraient. Berthe avait une délicieuse robe de soie rose, brodée de jais blanc; tandis que sa soeur, toujours en bleu, et sa mère, toujours en mauve, gardaient leurs toilettes voyantes et laborieuses, remaniées à chaque saison. Madame Josserand entra la première, imposante, large, pour clouer du coup au fond de la gorge de son gendre les reproches, que toutes trois venaient de prévoir, dans un conseil tenu au bout de la rue. Elle daigna même expliquer leur retard, par une flânerie aux vitrines des magasins. D'ailleurs, Auguste très pâle, ne lâcha pas une plainte; il répondait d'un ton sec, il se contenait et attendait, visiblement. Un instant encore, la mère, qui sentait l'orage avec sa grande habitude des querelles du traversin, tâcha de l'intimider; puis, elle dut monter, elle se contenta de dire:

 

– Bonsoir, ma fille. Et dors bien, n'est-ce pas? si tu veux vivre longtemps.

Tout de suite, Auguste à bout de force, oubliant la présence d'Octave et de Saturnin, tira de sa poche un papier froissé, qu'il mit sous le nez de Berthe, en bégayant:

– Qu'est-ce que c'est que ça?

Berthe n'avait pas même retiré son chapeau. Elle devint très rouge.

– Ça? dit-elle, eh bien! c'est une facture.

– Oui, une facture! et pour des faux cheveux encore! S'il est permis, pour des cheveux! comme si vous n'en aviez plus sur la tête!.. Mais ce n'est pas ça. Vous l'avez payée, cette facture; dites, avec quoi l'avez-vous payée?

La jeune femme, de plus en plus troublée, finit par répondre:

– Avec mon argent, pardi!

– Votre argent! mais vous n'en avez pas. Il faut qu'on vous en ait donné ou que vous en ayez pris ici… Et puis, tenez! je sais tout, vous faites des dettes… Je tolérerai ce que vous voudrez; mais pas de dettes, entendez-vous, pas de dettes! jamais!

Et il mettait, dans ce cri, son horreur de garçon prudent, son honnêteté commerciale qui consistait à ne rien devoir. Longtemps, il se soulagea, reprochant, à sa femme ses sorties continuelles, ses visites aux quatre coins de Paris, ses toilettes, son luxe qu'il ne pouvait entretenir. Est-ce qu'il était raisonnable, dans leur situation, de rester dehors jusqu'à des onze heures du soir, avec des robes de soie rose, brodées de jais blanc? Quand on avait de ces goûts-là, on apportait cinq cent mille francs de dot. D'ailleurs, il connaissait bien la coupable: c'était la mère imbécile qui élevait ses filles à manger des fortunes, sans avoir seulement de quoi leur coller une chemise sur le dos, le jour de leur mariage.

– Ne dites pas de mal de maman! cria Berthe, relevant la tête, exaspérée à la fin. On n'a rien à lui reprocher, elle a fait son devoir… Et votre famille, elle est propre! Des gens qui ont tué leur père!

Octave s'était plongé dans ses étiquettes, en affectant de ne pas entendre.

Mais, du coin de l'oeil, il suivait la querelle, et guettait surtout Saturnin, qui, frémissant, avait cessé de frotter la glace, les poings serrés, les yeux ardents, près de sauter à la gorge du mari.

– Laissons nos familles, reprit ce dernier. Nous avons assez de notre ménage… Ecoutez, vous allez changer de train, car je ne donnerai plus un sou pour toutes ces bêtises. Oh! c'est une résolution formelle. Votre place est ici, dans votre comptoir, en robe simple, comme les femmes qui se respectent… Et si vous faites des dettes, nous verrons.

Berthe restait suffoquée, devant cette main de mari brutal portée sur ses habitudes, ses plaisirs, ses robes. C'était un arrachement de tout ce qu'elle aimait, de tout ce qu'elle avait rêvé en se mariant. Mais, par une tactique de femme, elle ne montra pas la blessure dont elle saignait, elle donna un prétexte à la colère qui gonflait son visage, et répéta avec plus de violence:

– Je ne souffrirai pas que vous insultiez maman!

Auguste haussait les épaules.

– Votre mère! mais, tenez! vous lui ressemblez, vous devenez laide, quand vous vous mettez dans cet état… Oui, je ne vous reconnais plus, c'est elle qui revient. Ma parole, ça me fait peur!

Du coup, Berthe se calma, et le regardant en face:

– Allez donc dire à maman ce que vous disiez tout à l'heure, pour voir comment elle vous flanquera dehors.

– Ah! elle me flanquera dehors! cria le mari furieux. Eh bien! je monte le lui dire tout de suite.

En effet, il se dirigea vers la porte. Il était temps qu'il sortît, car Saturnin, avec ses yeux de loup, s'avançait traîtreusement pour l'étrangler par derrière. La jeune femme venait de se laisser tomber sur une chaise, où elle murmurait à demi-voix:

– Ah! grand Dieu! en voilà un que je n'épouserais pas, si c'était à refaire!

En haut, M. Josserand, très surpris, vint ouvrir, Adèle étant déjà montée se coucher. Comme il s'installait justement pour passer la nuit à faire des bandes, malgré des malaises dont il se plaignait depuis quelque temps, ce fut avec un embarras, une honte d'être découvert, qu'il introduisit son gendre dans la salle à manger; et il parla d'un travail pressé, une copie du dernier inventaire de la cristallerie Saint-Joseph. Mais, lorsque, nettement, Auguste accusa sa fille, lui reprocha des dettes, raconta toute la querelle amenée par l'histoire des faux cheveux, les mains du bonhomme furent prises d'un tremblement; il bégayait, frappé au coeur, les yeux pleins de larmes. Sa fille endettée, vivant comme il avait vécu lui-même, au milieu de continuelles scènes de ménage! Tout le malheur de sa vie allait donc recommencer dans son enfant! Et une autre crainte le glaçait, il redoutait à chaque minute d'entendre son gendre aborder la question d'argent, réclamer la dot, en le traitant de voleur. Sans doute le jeune homme savait tout, pour tomber ainsi chez eux, à onze heures passées.

– Ma femme se couche, balbutiait-il, la tête perdue. Il est inutile de la réveiller, n'est-ce pas?.. Vraiment, vous m'apprenez des choses! Cette pauvre Berthe n'est pourtant pas méchante, je vous assure. Ayez de l'indulgence. Je lui parlerai… Quant à nous, mon cher Auguste, nous n'avons rien fait, je crois, qui puisse vous mécontenter…

Et il le tâtait du regard, rassuré, voyant qu'il ne devait rien savoir encore, lorsque madame Josserand parut sur le seuil de la chambre à coucher. Elle était en toilette de nuit, toute blanche, terrible. Auguste, très excité pourtant, recula. Sans doute, elle avait écouté à la porte, car elle débuta par un coup droit.

– Ce ne sont pas, je pense, vos dix mille francs que vous réclamez? Plus de deux mois encore nous séparent de l'échéance… Dans deux mois, nous vous les donnerons, monsieur. Nous ne mourons pas, nous autres, pour échapper à nos promesses.

Cet aplomb superbe acheva d'accabler M. Josserand. D'ailleurs, madame Josserand continuait, ahurissait son gendre par des déclarations extraordinaires, sans lui laisser le temps de parler.

– Vous n'êtes pas fort, monsieur. Lorsque vous aurez rendu Berthe malade, il faudra appeler le docteur, ça coûtera de l'argent chez le pharmacien, et c'est encore vous qui serez le dindon… Tout à l'heure, je me suis en allée, quand je vous ai vu décidé à commettre une sottise. A votre aise! battez votre femme, mon coeur de mère est tranquille, car Dieu veille, et la punition ne se fait jamais attendre!

Enfin, Auguste put expliquer ses griefs. Il revint sur les sorties continuelles, les toilettes, s'enhardit même jusqu'à condamner l'éducation donnée à Berthe. Madame Josserand l'écoutait d'un air d'absolu mépris. Puis, quand il eut terminé:

– Ça ne mérite pas de réponse, tant c'est bête, mon cher. J'ai ma conscience pour moi, ça me suffit… Un homme à qui j'ai confié un ange! Je ne me mêle plus de rien, puisqu'on m'insulte. Arrangez-vous.

– Mais votre fille finira par me tromper, madame! s'écria Auguste, repris de colère.

Madame Josserand qui partait, se retourna, le regarda en face.

– Monsieur, vous faites tout ce qu'il faut pour ça!

Et elle rentra dans sa chambre, avec une dignité de Cérès colossale, aux triples mamelles, et drapée de blanc.

Le père garda Auguste quelques minutes encore. Il fut conciliant, laissa entendre qu'avec les femmes il valait mieux tout supporter, finit par le renvoyer calmé, résolu au pardon. Mais, quand il se retrouva seul dans la salle à manger, devant sa petite lampe, le bonhomme se mit à pleurer. C'était fini, il n'y avait plus de bonheur, jamais il ne trouverait le temps de faire assez de bandes, la nuit, pour aider sa fille en cachette. L'idée que cette enfant pouvait s'endetter, l'accablait comme d'une honte personnelle. Et il se sentait malade, il venait de recevoir un nouveau coup, la force lui manquerait un de ces soirs. Enfin, péniblement, renfonçant ses larmes, il travailla.

En bas, dans la boutique, Berthe était demeurée un instant immobile, le visage entre les mains. Un garçon, après avoir mis les volets, venait de redescendre dans le sous-sol. Alors, Octave crut devoir s'approcher de la jeune femme. Dès le départ du mari, Saturnin lui avait fait de grands gestes, par-dessus la tête de sa soeur, comme pour l'inviter à la consoler. Maintenant, il rayonnait, il multipliait les clins d'yeux; et, craignant de ne pas être compris, il accentuait ses conseils en envoyant des baisers dans le vide, avec une effusion débordante d'enfant.

– Comment! tu veux que je l'embrasse? demanda Octave par signes.

– Oui, oui, répondit le fou, d'un hochement de menton enthousiaste.

Et, lorsqu'il vit le jeune homme souriant devant sa soeur, qui ne s'était aperçu de rien, il s'assit par terre, derrière un comptoir, ne voulant pas les gêner, se cachant. Les becs de gaz brûlaient encore, la flamme haute, dans le grand silence du magasin fermé. C'était une paix morte, un étouffement où les pièces de soie mettaient l'odeur fade de leur apprêt.

– Madame, je vous en prie, ne vous faites pas tant de peine, dit Octave, de sa voix caressante.

Elle eut un tressaillement, en le trouvant si près d'elle.

– Je vous demande pardon, monsieur Octave. Ce n'est pas ma faute, si vous avez assisté à cette explication pénible. Et je vous prie d'excuser mon mari, car il devait être malade, ce soir… Vous savez, dans tous les ménages, il y a de petites contrariétés…

Des sanglots l'étranglèrent. La seule idée d'atténuer les torts de son mari pour le monde, avait déterminé une crise de larmes abondantes, qui la détendait. Saturnin montra sa tête inquiète au ras du comptoir; mais il replongea aussitôt, quand il vit Octave se décider à prendre la main de sa soeur.

– Je vous en prie, madame, un peu de courage, disait ce dernier.

– Non, c'est plus fort que moi, balbutia-t-elle. Vous étiez là, vous avez entendu… Pour quatre-vingt-quinze francs de cheveux! Comme si toutes les femmes n'en portaient pas, des cheveux, aujourd'hui!.. Mais lui ne sait rien, ne comprend rien. Il ne connaît pas plus les femmes que le grand Turc, il n'en a jamais eu, non jamais, monsieur Octave!.. Ah! je suis bien malheureuse!

Elle disait tout, dans la fièvre de sa rancune. Un homme qu'elle prétendait avoir épousé par amour, et qui bientôt lui refuserait des chemises! Est-ce qu'elle ne remplissait pas ses devoirs? est-ce qu'il trouvait seulement une négligence à lui reprocher? Certes, s'il ne s'était pas mis en colère, le jour où elle lui avait demandé des cheveux, elle n'aurait jamais été réduite à en acheter sur sa bourse! Et, pour les plus petites bêtises, la même histoire recommençait: elle ne pouvait témoigner une envie, souhaiter le moindre objet de toilette, sans se heurter contre des maussaderies féroces. Naturellement, elle avait sa fierté, elle ne demandait plus rien, aimait mieux manquer du nécessaire que de s'humilier sans résultat. Ainsi, elle désirait follement, depuis quinze jours, une parure de fantaisie, vue avec sa mère à la vitrine d'un bijoutier du Palais-Royal.

– Vous savez, trois étoiles de strass pour être piquées dans les cheveux… Oh! une babiole, cent francs, je crois… Eh bien! j'ai eu beau en parler du matin au soir, si vous croyez que mon mari a compris!

Octave n'aurait osé compter sur une pareille occasion. Il brusqua les choses.

– Oui, oui, je sais. Vous en avez parlé plusieurs fois devant moi… Et, mon Dieu! madame, vos parents m'ont si bien reçu, vous m'avez accueilli vous-même avec tant d'obligeance, que j'ai cru pouvoir me permettre…

En parlant, il sortait de sa poche une boîte longue, où les trois étoiles luisaient sur un morceau d'ouate. Berthe s'était levée, très émue.

– Mais c'est impossible! monsieur. Je ne veux pas… Vous avez eu le plus grand tort.

Lui, se montrait naïf, inventait des prétextes. Dans le Midi, ça se faisait parfaitement. Et puis, des bijoux sans aucune valeur. Elle, toute rose, ne pleurait plus, les yeux sur la boite, rallumés aux étincelles des pierres fausses.

– Je vous en prie, madame… Un bon mouvement pour me prouver que vous êtes contente de mon travail.

 

– Non, vraiment, monsieur Octave, n'insistez pas… Vous me faites de la peine.

Saturnin avait reparu; et, en extase, comme devant un reliquaire, il regardait les bijoux. Mais sa fine oreille entendit les pas d'Auguste, qui revenait. Il avertit Berthe d'un léger claquement de langue. Alors, celle-ci se décida, juste au moment où son mari entrait.

– Eh bien! écoutez, murmura-t-elle rapidement en fourrant la boîte dans sa poche, je dirai que c'est ma soeur Hortense qui m'en a fait cadeau.

Auguste donna l'ordre d'éteindre le gaz, puis il monta avec elle se coucher, sans ajouter un mot sur la querelle, heureux au fond de la trouver remise, très gaie, comme s'il ne s'était rien passé entre eux. Le magasin tombait à une nuit profonde; et, au moment où Octave se retirait aussi, il sentit dans l'obscurité des mains brûlantes serrer les siennes, à les briser. C'était Saturnin, qui couchait au fond du sous-sol.

– Ami … ami … ami, répétait le fou, avec un élan de sauvage tendresse.

Déconcerté dans ses calculs, Octave, peu à peu, se prenait pour Berthe d'un jeune et ardent désir. S'il avait d'abord suivi son plan ancien de séduction, sa volonté d'arriver par les femmes, maintenant il ne voyait plus seulement en elle la patronne, celle dont la possession devait mettre la maison à sa merci; il voulait avant tout la Parisienne, cette jolie créature de luxe et de grâce, dans laquelle il n'avait jamais mordu, à Marseille; il éprouvait comme une fringale de ses petites mains gantées, de ses petits pieds chaussés de bottines à hauts talons, de sa gorge délicate noyée de fanfreluches, même des dessous douteux, de la cuisine qu'il flairait sous ses toilettes trop riches; et ce coup brusque de passion allait jusqu'à attendrir la sécheresse de sa nature économe, au point de lui faire jeter en cadeaux, en dépenses de toutes sortes, les cinq mille francs apportés du Midi, doublés déjà par des opérations financières, dont il ne parlait à personne.

Mais ce qui le dévoyait surtout, c'était d'être devenu timide, en tombant amoureux. Il n'avait plus sa décision, sa hâte d'aller au but, goûtant au contraire des joies paresseuses à ne rien brusquer. Du reste, dans cette défaillance passagère de son esprit si pratique, il finissait par considérer la conquête de Berthe comme une campagne d'une difficulté extrême, qui demandait des lenteurs, des ménagements de haute diplomatie. Sans doute ses deux insuccès, auprès de Valérie et de madame Hédouin, l'emplissaient de la terreur d'échouer, une fois encore. Mais il y avait, en outre, au fond de son trouble plein d'hésitation, une peur de la femme adorée, une croyance absolue à l'honnêteté de Berthe, tout cet aveuglement de l'amour que le désir paralyse et qui désespère.

Le lendemain de la querelle du ménage, Octave, heureux d'avoir fait accepter son cadeau à la jeune femme, songea qu'il serait adroit de se mettre bien avec le mari. Alors, comme il mangeait à la table de son patron, celui-ci ayant l'habitude de nourrir ses employés, pour les garder sous la main, il lui témoigna une complaisance sans bornes, l'écouta au dessert, approuva bruyamment ses idées. Même, en particulier, il parut épouser son mécontentement contre sa femme, au point de feindre de la surveiller et de le renseigner ensuite par de petits rapports. Auguste fut très touché; il avoua un soir au jeune homme qu'il avait failli un instant le renvoyer, car il le croyait de connivence avec sa belle-mère. Octave, glacé, manifesta aussitôt de l'horreur pour madame Josserand, ce qui acheva de les rapprocher dans une complète communauté d'opinions. Du reste, le mari était un bon homme au fond, simplement désagréable, mais volontiers résigné, tant qu'on ne le jetait pas hors de lui, en dépensant son argent ou en touchant à sa morale. Il jurait même de ne plus se mettre en colère, car il avait eu, après la querelle, une migraine abominable, dont il était resté idiot pendant trois jours.

– Vous me comprenez, vous! disait-il au jeune homme. Je veux ma tranquillité… En dehors de ça, je me fiche de tout, la vertu mise à part bien entendu, et pourvu que ma femme n'emporte pas la caisse. Hein? je suis raisonnable, je n'exige pas d'elle des choses extraordinaires?

Et Octave exaltait sa sagesse, et ils célébraient ensemble les douceurs de la vie plate, des années toujours semblables, passées à métrer de la soie. Même, pour lui plaire, le commis abandonnait ses idées de grand commerce. Un soir, il l'avait effaré, en reprenant son rêve de vastes bazars modernes, et en lui conseillant, comme à madame Hédouin, d'acheter la maison voisine, afin d'élargir sa boutique. Auguste, dont la tête éclatait déjà au milieu de ses quatre comptoirs, le regardait avec une telle épouvante de commerçant habitué à couper les liards en quatre, qu'il s'était hâté de retirer sa proposition et de s'extasier sur la sécurité honnête du petit négoce.

Les jours coulaient, Octave faisait son trou dans la maison, comme un trou de duvet où il avait chaud. Le mari l'estimait, madame Josserand elle-même, à laquelle il évitait pourtant de témoigner trop de politesse, le regardait d'un air encourageant. Quant à Berthe, elle devenait avec lui d'une familiarité charmante. Mais son grand ami était Saturnin, dont il voyait s'accroître l'affection muette, le dévouement de chien fidèle, à mesure que lui-même désirait plus violemment la jeune femme. Pour tout autre, le fou montrait une jalousie sombre; un homme ne pouvait approcher sa soeur, sans qu'il fût aussitôt inquiet, les lèvres retroussées, prêt à mordre. Et si, au contraire, Octave se penchait vers elle librement, la faisait rire du rire tendre et mouillé d'une amante heureuse, il riait d'aise lui-même, son visage reflétait un peu de leur joie sensuelle. Le pauvre être semblait goûter l'amour dans cette chair de femme, qu'il sentait sienne, sous la poussée de l'instinct; et l'on eût dit qu'il éprouvait pour l'amant choisi la reconnaissance pâmée du bonheur. Dans tous les coins, il arrêtait celui-ci, jetait autour d'eux des regards méfiants, puis s'ils étaient seuls, lui parlait d'elle, répétait toujours les mêmes histoires, en phrases heurtées.

– Quand elle était petite, elle avait des petits membres gros comme ça; et déjà grasse, et toute rose, et très gaie… Alors, elle gigotait par terre. Moi, ça m'amusait, je la regardais, je me mettais à genoux… Alors, pan! pan! pan! elle me donnait des coups de pied dans l'estomac… Alors, ça me faisait plaisir, oh! ça me faisait plaisir!

Octave sut ainsi l'enfance entière de Berthe, l'enfance avec ses bobos, ses joujoux, sa croissance de joli animal indompté. Le cerveau vide de Saturnin gardait religieusement des faits sans importance, dont lui seul se souvenait: un jour où elle s'était piquée et où il avait sucé le sang; un matin où elle lui était restée dans les bras, en voulant monter sur la table. Mais il retombait toujours au grand drame, à la maladie de la jeune fille.

– Ah! si vous l'aviez vue!.. La nuit, j'étais tout seul près d'elle. On me battait pour m'envoyer me coucher. Et je revenais, les pieds nus… Tout seul. Ça me faisait pleurer, parce qu'elle était blanche. Je tâtais voir si elle devenait froide… Puis, ils m'ont laissé. Je la soignais mieux qu'eux, je savais les remèdes, elle prenait ce que je lui donnais… Des fois, quand elle se plaignait trop, je lui mettais la tête sur moi. Nous étions gentils… Ensuite, elle a été guérie, et je voulais revenir, et ils m'ont encore battu.

Ses yeux s'allumaient, il riait, il pleurait, comme si les faits dataient de la veille. De ses paroles entrecoupées, se dégageait l'histoire de cette tendresse étrange: son dévouement de pauvre d'esprit au chevet de la petite malade, abandonnée des médecins; son coeur et son corps donnés à la chère mourante, qu'il soignait dans sa nudité, avec des délicatesses de mère; son affection et ses désirs d'homme arrêtés là, atrophiés, fixés à jamais par ce drame de la souffrance dont l'ébranlement persistait; et, dès lors, malgré l'ingratitude après la guérison, Berthe restait tout pour lui, une maîtresse devant laquelle il tremblait, une fille et une soeur qu'il avait sauvée de la mort, une idole qu'il adorait d'un culte jaloux. Aussi poursuivait-il le mari d'une haine furieuse d'amant contrarié, ne tarissant pas en paroles méchantes, se soulageant avec Octave.

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