Бесплатно

Pot-Bouille

Текст
0
Отзывы
iOSAndroidWindows Phone
Куда отправить ссылку на приложение?
Не закрывайте это окно, пока не введёте код в мобильном устройстве
ПовторитьСсылка отправлена

По требованию правообладателя эта книга недоступна для скачивания в виде файла.

Однако вы можете читать её в наших мобильных приложениях (даже без подключения к сети интернет) и онлайн на сайте ЛитРес.

Отметить прочитанной
Шрифт:Меньше АаБольше Аа

– Vous me fuyez, dit-il. Vous êtes donc fâchée contre moi?

– Fâchée? répondit-elle, pourquoi serais-je fâchée?.. Ah! ils peuvent se manger entre eux, s'ils veulent, ça m'est bien égal!

Elle parlait de sa famille. Et, tout de suite, elle soulagea son ancienne rancune contre Berthe, d'abord par des allusions, tâtant le jeune homme; puis, quand elle le sentit sourdement las de sa maîtresse, encore exaspéré du drame de la nuit, elle ne se gêna plus, elle vida son coeur. Dire que cette femme l'avait accusée de se vendre, elle qui n'acceptait jamais un sou, pas même un cadeau! Si pourtant, des fleurs parfois, des bouquets de violettes. Et, maintenant, on savait laquelle des deux se vendait. Elle le lui avait prédit, qu'on verrait un jour ce qu'il faudrait y mettre, pour l'avoir.

– Hein? demanda-t-elle, ça vous a coûté plus cher qu'un bouquet de violettes.

– Oui, oui, murmura-t-il lâchement.

A son tour, il laissa échapper des choses désagréables sur Berthe, la disant méchante, la trouvant même trop grasse, comme s'il se vengeait des ennuis qu'elle lui causait. Toute la journée, il avait attendu les témoins du mari, et il allait rentrer pour s'assurer encore si personne n'était venu: une aventure stupide, un duel qu'elle aurait pu lui éviter. Il finit par conter leur rendez-vous si bête, leur querelle, puis l'arrivée d'Auguste, avant qu'ils se fussent seulement fait une caresse.

– Sur ce que j'ai de plus sacré, dit-il, il n'y avait pas encore eu ça entre nous!

Valérie riait, très animée. Elle glissait à l'intimité tendre de ces confidences, se rapprochait d'Octave comme d'une amie qui savait tout. Par moments, une dévote sortant de l'église, les dérangeait; puis, la porte retombait doucement, et ils se retrouvaient seuls, dans le tambour de drap vert, comme au fond d'un asile discret et religieux.

– J'ignore pourquoi je vis avec ces gens-là, reprit-elle en revenant à sa famille. Oh! sans doute, je ne suis pas sans reproche de mon côté. Mais, franchement, je ne puis avoir de remords, tant ils me touchent peu… Et si je vous avouais pourtant combien l'amour m'ennuie!

– Voyons, pas tant que ça! dit gaiement Octave. On est des fois moins bête que nous, hier… Il y a des moments heureux.

Alors, elle se confessa. Ce n'était point encore la haine de son mari, la continuelle fièvre dont il grelottait, dans une impuissance et une éternelle pleurnicherie de petit garçon, qui l'avait poussée à se mal conduire, six mois après son mariage; non, elle faisait ça sans le vouloir souvent, uniquement parce qu'il lui venait dans la tête des choses dont elle n'aurait pu expliquer le pourquoi. Tout se cassait, elle tombait malade, elle se serait tuée. Alors, comme rien ne la retenait, autant cette culbute-là qu'une autre.

– Bien vrai, jamais de bons moments? demanda de nouveau Octave, que ce point seul semblait intéresser.

– Enfin, jamais ce qu'on raconte, répondit-elle. Je vous le jure!

Il la regarda avec une sympathie pleine d'apitoiement. Pour rien, et sans joie: ça ne valait sûrement pas la peine qu'elle se donnait, dans ses continuelles peurs d'une surprise. Et il éprouvait surtout un soulagement d'amour-propre, car il souffrait toujours au fond de son ancien dédain. Voilà donc pourquoi elle s'était refusée, un soir! Il lui en parla.

– Vous vous rappelez, après une crise?

– Oui. Vous ne me déplaisiez pas, mais j'en avais si peu envie!.. Et, tenez! ça vaut mieux, nous nous détesterions à cette heure.

Elle lui donnait sa petite main gantée. Il la serra, en répétant:

– Vous avez raison, ça vaut mieux… Décidément, on n'aime bien que les femmes qu'on n'a pas eues.

C'était une grande douceur. Ils restèrent un instant la main dans la main, attendris. Puis, sans ajouter une parole, ils poussèrent la porte rembourrée de l'église, où elle avait laissé son fils Camille, à la garde de la loueuse de chaises. L'enfant s'était endormi. Elle le fit agenouiller, s'agenouilla un instant elle-même, la tête entre les mains, comme abîmée au fond d'une ardente prière. Et elle se relevait, lorsque l'abbé Mauduit, qui sortait d'un confessionnal, la salua d'un paternel sourire.

Octave avait traversé simplement l'église. Quand il rentra chez lui, toute la maison fut remuée. Trublot seul, qui rêvait dans le fiacre, ne le vit pas. Des fournisseurs, sur leurs portes, le regardèrent gravement. Le papetier, en face, promenait encore les yeux le long de la façade, comme pour en fouiller les pierres; mais le charbonnier et la fruitière étaient déjà calmés, le quartier retombait à sa dignité froide. Sous la porte, au passage d'Octave, Lisa, en train de bavarder avec Adèle, dut se contenter de le dévisager; et toutes deux se remirent à se plaindre de la cherté de la volaille, sous l'oeil sévère de M. Gourd, qui salua le jeune homme. Enfin, celui-ci montait, lorsque madame Juzeur, aux aguets depuis le matin, entr'ouvrit sa porte, lui saisit les mains, l'attira dans son antichambre, où elle le baisa sur le front, en murmurant:

– Pauvre enfant!.. Allez, je ne vous retiens pas. Revenez causer, quand tout sera fini.

Et il était à peine rentré, que Duveyrier et Bachelard se présentèrent. D'abord, stupéfait de voir l'oncle, il voulut leur donner les noms de deux de ses amis. Mais ces messieurs, sans répondre, parlèrent de leur âge et lui firent un sermon sur son inconduite. Puis, comme, au courant de la conversation, il annonçait son intention de quitter la maison au plus tôt, tous deux déclarèrent solennellement que cette preuve de tact leur suffisait. Il y avait eu assez de scandale, il était temps de faire aux honnêtes gens le sacrifice de ses passions. Duveyrier accepta le congé séance tenante et se retira, taudis que Bachelard, derrière son dos, invitait le jeune homme à dîner pour le soir.

– Hein? je compte sur vous. Nous sommes en noce, Trublot nous attend en bas… Moi, je me fiche d'Éléonore. Mais je ne veux pas la voir et je file devant, pour qu'on ne nous rencontre pas ensemble.

Il descendit. Cinq minutes plus tard, Octave, ravi du dénouement de l'aventure, le rejoignait. Il se glissa dans le fiacre, et le mélancolique cheval qui venait de promener le mari pendant sept heures, les traîna en boitant jusqu'à un restaurant des Halles, où l'on mangeait des tripes étonnantes.

Duveyrier avait retrouvé Théophile au fond du magasin. Valérie rentrait à peine, et tous trois causaient, lorsque Clotilde elle-même arriva, de retour d'un concert. Elle y était d'ailleurs allée bien tranquille, certaine, disait-elle, d'une solution satisfaisante pour tout le monde. Puis, il y eut un silence, un embarras entre les deux ménages. Théophile, du reste, pris d'un accès de toux abominable, crachait ses dents. Comme tous avaient intérêt à se réconcilier, ils finirent par profiter de l'émotion où les jetait les nouveaux ennuis de la famille. Les deux femmes s'embrassèrent, Duveyrier jura à Théophile que la succession du père Vabre le ruinait, et il promit pourtant de l'indemniser, en lui abandonnant ses loyers pendant trois ans.

– Il faut aller rassurer ce pauvre Auguste, fit enfin remarquer le conseiller.

Il montait, lorsque des cris terribles d'animal qu'on égorge partirent de la chambre à coucher. C'était Saturnin qui, armé de son couteau de cuisine, avait pénétré jusqu'à l'alcôve, en étouffant le bruit de ses pas. Et là, les yeux rouges comme des braises, la bouche écumeuse, il venait de se jeter sur Auguste.

– Dis, où l'as-tu fourrée? criait-il. Rends-la-moi, ou je te saigne comme un cochon!

Le mari, tiré en sursaut de sa somnolence douloureuse, voulut fuir. Mais le fou, avec la force de l'idée fixe, l'avait empoigné par un pan de sa chemise; et, le recouchant, lui posant le cou au bord du lit, au-dessus d'une cuvette qui se trouvait là, il le maintenait dans la position d'une bête à l'abattoir.

– Hein? ça y est, cette fois… Je te saigne, je te saigne comme un cochon!

Heureusement, on arrivait et on put dégager la victime. Il fallut enfermer Saturnin, pris de folie furieuse. Deux heures plus tard, le commissaire, averti, le faisait conduire pour la seconde fois à l'asile des Moulineaux, avec le consentement de la famille. Mais le pauvre Auguste restait grelottant. Il disait à Duveyrier, qui lui annonçait l'arrangement pris avec Octave:

– Non, j'aurais mieux aimé me battre. On ne peut pas se défendre contre un fou… Quelle rage a-t-il donc de vouloir me saigner, ce brigand, parce que sa soeur m'a fait cocu! Ah! j'en ai assez, mon ami, j'en ai assez, parole d'honneur!

XVI

Dans la matinée du mercredi, lorsque Marie avait amené Berthe à madame Josserand, celle-ci, suffoquée par une aventure dont elle sentait son orgueil atteint, était restée toute pâle, sans une parole.

Elle prit la main de sa fille avec la brutalité d'une sous-maîtresse qui jette au cabinet noir une élève coupable; et elle la conduisit à la chambre d'Hortense, l'y poussa, en disant enfin:

– Cachez-vous, ne paraissez plus… Vous tueriez votre père.

Hortense, qui se débarbouillait, fut stupéfaite. Rouge de honte, Berthe s'était jetée sur le lit défait, en sanglotant. Elle s'attendait à une explication immédiate et violente; elle avait préparé toute une défense, décidée à crier elle aussi, dès que sa mère irait trop loin; et cette rudesse muette, cette façon de la traiter en petite fille qui a mangé un pot de confiture, la laissait sans force, la ramenait à ses terreurs d'enfant, aux larmes qu'elle répandait jadis dans les coins, avec de grands serments d'obéissance.

– Qu'y a-t-il? qu'as-tu donc fait? demandait sa soeur, dont l'étonnement grandissait, en la voyant couverte d'un vieux châle, prêté par Marie. Est-ce que ce pauvre Auguste est tombé malade à Lyon?

Mais Berthe ne voulait pas répondre. Non, plus tard: c'étaient des choses qu'elle ne pouvait dire; et elle suppliait Hortense de s'en aller, de lui abandonner la chambre, où du moins elle pleurerait en paix. La journée se passa de la sorte. M. Josserand était parti à son bureau, sans se douter de rien; puis, quand il revint le soir, Berthe demeura cachée encore. Comme elle avait refusé toute nourriture, elle finit par manger avidement le petit dîner qu'Adèle lui servit en secret. La bonne était restée à la regarder, et devant son appétit:

 

– Ne vous faites donc pas de bile, prenez des forces… Allez, la maison est bien calme. Tant que de tués et de blessés, il n'y a personne de mort.

– Ah! dit la jeune femme.

Elle interrogea Adèle, qui, longuement, conta la journée entière, le duel manqué, ce qu'avait dit monsieur Auguste, ce qu'avaient fait les Duveyrier et les Vabre. Elle l'écoutait, elle se sentait renaître, dévorant, redemandant du pain. En vérité, elle était trop bête de tant se chagriner, lorsque les autres paraissaient consolés déjà!

Aussi, vers dix heures, comme Hortense venait la rejoindre, l'accueillit-elle gaiement, les yeux secs. Et, étouffant leurs rires, elles s'amusèrent, quand elle voulut essayer un peignoir de sa soeur, qui lui était trop étroit: sa gorge, que le mariage avait gonflée, crevait l'étoffe. N'importe, en tirant sur les boutons, elle le mettrait le lendemain. Toutes deux se croyaient revenues à leur jeunesse, au fond de cette chambre, où elles avaient vécu des années côte à côte. Cela les attendrissait et les rapprochait, dans une affection qu'elles n'éprouvaient plus depuis longtemps. Elles durent coucher ensemble, car madame Josserand s'était débarrassée de l'ancien petit lit de Berthe. Lorsqu'elles furent allongées l'une près de l'autre, la bougie éteinte, les yeux grands ouverts sur les ténèbres, elles causèrent, ne pouvant dormir.

– Alors, tu ne veux pas me raconter? demanda de nouveau Hortense.

– Mais, ma chérie, répondit Berthe, tu n'es pas mariée, je ne peux pas… C'est une explication que j'ai eue avec Auguste. Tu entends, il est revenu…

Et, comme elle s'interrompait, sa soeur reprit avec impatience:

– Va donc! va donc! En voilà des affaires! Mon Dieu! à mon âge, je me doute bien!

Alors, Berthe se confessa; d'abord en cherchant les mots, puis en lâchant tout, parlant d'Octave, parlant d'Auguste. Hortense, sur le dos, dans le noir, l'écoutait, et elle ne jetait plus que de courtes phrases, pour la questionner ou donner son opinion: «Ensuite, qu'est-ce qu'il t'a dit?.. Et toi, qu'est-ce que tu as éprouvé?.. Tiens! c'est drôle, je n'aimerais pas ça!.. Ah! vraiment, ça se passe de la sorte!» Minuit, puis une heure, puis deux heures sonnèrent: elles remuaient toujours cette histoire, les membres peu à peu brûlés par les draps, prises d'insomnie. Berthe, dans cette demi-hallucination, oubliait sa soeur, en arrivait à penser tout haut, soulageant son coeur et sa chair des confidences les plus délicates.

– Oh! moi, avec Verdier, ce sera bien simple, déclara Hortense brusquement.

Je ferai comme il voudra.

Au nom de Verdier, Berthe eut un mouvement de surprise. Elle croyait le mariage rompu, car la femme avec laquelle il habitait depuis quinze années, venait d'avoir un enfant, juste au moment où il était sur le point de la lâcher.

– Tu comptes donc l'épouser quand même? demanda-t-elle.

– Tiens! pourquoi pas?.. J'ai fait la bêtise de trop attendre. Mais l'enfant va mourir. C'est une fille, elle est toute scrofuleuse.

Et, crachant le mot de maîtresse, dans un dégoût, elle montra sa haine d'honnête bourgeoise à marier, contre cette créature qui vivait depuis si longtemps avec un homme. Une manoeuvre, pas davantage, son petit enfant! oui, un prétexte qu'elle avait inventé, lorsqu'elle s'était aperçu que Verdier, après lui avoir acheté des chemises pour ne pas la renvoyer nue, voulait l'habituer à une séparation prochaine, en découchant de plus en plus fréquemment! Enfin, on verrait, on attendrait.

– Pauvre femme! laissa échapper Berthe.

– Comment! pauvre femme! cria Hortense avec aigreur. On voit que tu as des choses à te faire pardonner, toi aussi!

Tout de suite, elle regretta cette cruauté, elle prit sa soeur dans ses bras, l'embrassa, lui jura qu'elle ne l'avait pas dit exprès. Et elles se turent. Mais elles ne dormaient pas, elles continuaient l'histoire, les yeux grands ouverts sur les ténèbres.

Le lendemain matin, M. Josserand éprouva un malaise. Jusqu'à deux heures de la nuit, il s'était encore entêté à faire des bandes, malgré un accablement, une diminution lente de ses forces, dont il se plaignait depuis quelques mois. Il se leva pourtant, s'habilla; mais, au moment de partir pour son bureau, il se sentit si épuisé, qu'il envoya un commissionnaire avec une lettre, voulant prévenir les frères Bernheim de son indisposition.

La famille allait prendre son café au lait. C'était un déjeuner fait sans nappe, dans la salle à manger encore grasse du dîner de la veille. Ces dames venaient en camisole, trempées d'eau, les cheveux simplement relevés. En voyant son mari rester, madame Josserand avait résolu de ne pas cacher Berthe davantage, ennuyée déjà de tout ce mystère, redoutant du reste, à chaque minute, de voir Auguste monter faire une scène.

– Comment! tu déjeunes! qu'y a-t-il donc? dit le père très surpris, quand il aperçut sa fille, les yeux gros de sommeil, la gorge écrasée dans le peignoir trop étroit d'Hortense.

– Mon mari m'a écrit qu'il restait à Lyon, répondit-elle, et j'ai eu l'idée de passer la journée avec vous.

C'était un mensonge arrangé entre les deux soeurs. Madame Josserand, qui gardait sa raideur de sous-maîtresse, ne le démentit pas. Mais le père examinait Berthe, troublé, averti d'un malheur; et, l'histoire lui semblant singulière, il allait demander comment le magasin marcherait sans elle, lorsqu'elle vint l'embrasser sur les deux joues, de son air gai et câlin d'autrefois.

– Bien vrai? tu ne me caches rien? murmura-t-il.

– Quelle idée! pourquoi veux-tu que je te cache quelque chose?

Madame Josserand se permit simplement de hausser les épaules. A quoi bon tant de précautions? pour gagner une heure peut-être, ça ne valait pas la peine: il faudrait toujours que le père reçût le coup. Cependant, le déjeuner fut joyeux. M. Josserand, ravi de se retrouver entre ses deux filles, se croyait encore aux jours anciens, lorsqu'elles l'égayaient, à peine éveillées, avec leurs rêves de gamines. Elles gardaient pour lui leur bonne odeur de jeunesse, les coudes sur la table, trempant leurs tartines, riant la bouche pleine. Et tout le passé achevait de renaître, quand il voyait en face d'elles le visage rigide de leur mère, énorme et débordante dans une vieille robe de soie verte, qu'elle finissait d'user le matin, sans corset.

Mais une scène fâcheuse gâta le déjeuner. Tout d'un coup, madame Josserand interpella la bonne.

– Qu'est-ce que vous mangez donc?

Depuis un instant, elle la surveillait. Adèle, en savates, tournait lourdement autour de la table.

– Rien, madame, répondit-elle.

– Comment! rien!.. Vous mâchez, je ne suis pas aveugle. Tenez! vous en avez encore plein les dents. Oh! vous aurez beau vous creuser les joues, ça se voit tout de même… Et c'est dans votre poche, n'est-ce pas? ce que vous mangez.

Adèle se troubla, voulut reculer. Mais madame Josserand l'avait saisie par la jupe.

– Voilà un quart d'heure que je vous vois sortir des choses de là dedans et vous les fourrer sous le nez, en les cachant dans le creux de votre main… C'est donc bien bon? Montrez un peu.

Elle fouilla à son tour et retira une poignée de pruneaux cuits. Du jus coulait encore.

– Qu'est-ce que c'est que ça? cria-t-elle furieusement.

– Des pruneaux, madame, dit la bonne, qui, se voyant découverte, devenait insolente.

– Ah! vous mangez mes pruneaux! C'est donc ça qu'ils filent si vite et qu'ils ne reparaissent plus sur la table!.. S'il est possible, des pruneaux! dans une poche!

Et elle l'accusa de boire aussi son vinaigre. Tout disparaissait; on ne pouvait laisser traîner une pomme de terre, sans être certain de ne plus la retrouver.

– Vous êtes un gouffre, ma fille.

– Donnez-moi de quoi manger, répliqua carrément Adèle, je ne dirai rien à vos pommes de terre.

Ce fut le comble. Madame Josserand se leva, majestueuse, terrible.

– Taisez-vous, répondeuse!.. Oh! je sais, ce sont les autres bonnes qui vous gâtent. Dès qu'il y a, dans une maison, une bête qui débarque de sa province, il faut que les coquines de tous les étages la mettent au courant d'un tas d'horreurs… Vous n'allez plus à la messe, et vous volez, maintenant!

Adèle, la tête montée en effet par Lisa et par Julie, ne céda pas.

– Quand j'étais une bête, comme vous dites, fallait pas abuser… C'est fini.

– Sortez, je vous chasse! cria madame Josserand, la main tendue vers la porte, dans un geste tragique.

Elle s'assit, secouée, pendant que la bonne, sans se presser, traînait ses savates et avalait encore un pruneau, avant de retourner dans sa cuisine. On la chassait ainsi une fois par semaine; ça ne l'émotionnait plus. Autour de la table, il y eut un silence pénible. Hortense finit par dire que ça n'avançait à rien, de toujours la flanquer dehors, pour toujours la garder ensuite. Sans doute elle volait et elle devenait insolente; mais autant celle-là qu'une autre, car elle consentait à les servir au moins, tandis qu'une autre ne les tolérerait pas huit jours, même avec l'agrément de boire le vinaigre et de fourrer les pruneaux dans sa poche.

Le déjeuner, cependant, s'acheva dans une intimité attendrie. M. Josserand, très ému, parla de ce pauvre Saturnin qui s'était fait reconduire là-bas, la veille, pendant son absence; et il croyait à un accès de folie furieuse, au milieu du magasin, car on lui avait conté cette histoire. Ensuite, comme il se plaignait de ne plus voir Léon, madame Josserand, redevenue muette, déclara sèchement qu'elle l'attendait le jour même; peut-être viendrait-il déjeuner. Depuis une semaine, le jeune homme avait rompu avec madame Dambreville, qui, pour tenir sa promesse, voulait le marier à une veuve, sèche et noire; mais lui entendait épouser une nièce de M. Dambreville, une créole très riche et d'une beauté éclatante, débarquée au mois de septembre chez son oncle, après avoir perdu son père, mort aux Antilles. Et il y avait eu des scènes terribles entre les deux amants, madame Dambreville refusait sa nièce à Léon, brûlée de jalousie, ne pouvant se résigner devant cette fleur adorable de jeunesse.

– Où en est le mariage? demanda M. Josserand avec discrétion.

D'abord, la mère répondit en phrases expurgées, à cause d'Hortense. Maintenant, elle était aux pieds de son fils, un garçon qui réussissait; et même elle le jetait parfois à la face du père, en disant que, Dieu merci! celui-là tenait d'elle et qu'il ne laisserait pas sa femme sans souliers. Peu à peu, elle s'échauffa.

– Enfin, il en a assez! C'est bon un moment, ça ne lui a pas été nuisible. Mais, si la tante ne donne pas la nièce, bonsoir! il lui coupe les vivres… Moi, je l'approuve.

Hortense, par décence, se mit à boire son café, en affectant de disparaître derrière le bol; tandis que Berthe, qui pouvait tout entendre désormais, avait une légère moue de répugnance pour les succès de son frère. La famille allait se lever de table, et M. Josserand, ragaillardi, se sentant beaucoup mieux, parlait de se rendre quand même à son bureau, lorsque Adèle apporta une carte. La personne attendait au salon.

– Comment, c'est elle! à cette heure-ci! s'écria madame Josserand. Et moi qui n'ai pas de corset!.. Tant pis! il faut que je lui dise ses vérités!

C'était justement madame Dambreville. Le père et les deux filles restèrent alors à causer dans la salle à manger, pendant que la mère se dirigeait vers le salon. Devant la porte, avant de la pousser, elle examina d'un oeil inquiet sa vieille robe de soie verte, tâcha de la boutonner, l'éplucha des fils ramassés sur les parquets; et elle fit rentrer d'une tape sa gorge débordante.

– Vous m'excusez, chère madame, dit la visiteuse avec un sourire. Je passais, j'ai voulu avoir de vos nouvelles.

Elle était sanglée, coiffée, collée, dans une toilette d'une correction parfaite, et elle avait l'aisance d'une femme aimable, montée pour donner le bonjour à une amie. Seulement, son sourire tremblait, on sentait derrière ses grâces mondaines une angoisse affreuse, dont frissonnait tout son être. Elle parla d'abord de mille choses, évita de prononcer le nom de Léon, puis sortit lentement de sa poche une lettre de lui, qu'elle venait de recevoir.

– Oh! une lettre, une lettre, murmura-t-elle, la voix changée, gagnée par les larmes. Qu'a-t-il donc contre moi, chère madame? Le voilà qui ne veut plus remettre les pieds chez nous!

 

Et sa main fiévreuse tendait la lettre, qui remuait. Madame Josserand la prit, la lut froidement. C'était une rupture, en trois lignes d'une concision cruelle.

– Mon Dieu! dit-elle en la lui rendant, Léon n'a peut-être pas tort…

Mais, tout de suite, madame Dambreville vanta la veuve, une femme de trente-cinq ans à peine, du plus grand mérite, suffisamment riche, qui ferait un ministre de son mari, tant elle était active. Enfin, elle tenait ses promesses, elle trouvait pour Léon un beau parti: qu'avait-il à se fâcher? Et, sans attendre une réponse, se décidant dans un tressaillement nerveux, elle nomma Raymonde, sa nièce. Vraiment, était-ce possible? une gamine de seize ans, une sauvage qui ne savait rien de l'existence!

– Pourquoi pas? répétait madame Josserand à chaque interrogation, pourquoi pas, s'il l'aime?

Non! non! il ne l'aimait pas, il ne pouvait pas l'aimer! Madame Dambreville se débattait, s'abandonnait.

– Voyons, cria-t-elle, je ne lui demande qu'un peu de gratitude… C'est moi qui l'ai fait, c'est grâce à moi qu'il est auditeur, et il trouvera sa nomination de maître des requêtes dans la corbeille… Madame, je vous en supplie, dites-lui qu'il revienne, dites-lui qu'il me fasse ce plaisir. Je m'adresse à son coeur, à votre coeur de mère, oui, à tout ce que vous avez de noble…

Elle joignit les mains, ses paroles se brisaient. Il y eut un silence, toutes deux restaient face à face. Et, brusquement, elle éclata en gros sanglots, vaincue, emportée, bégayant:

– Pas avec Raymonde, oh! non, pas avec Raymonde!

C'était une rage d'amour, le cri d'une femme qui refuse de vieillir, qui se cramponne au dernier homme, dans la crise ardente du retour d'âge. Elle avait saisi les mains de madame Josserand, elle les trempait de larmes, avouant tout à la mère, s'humiliant devant elle, répétant qu'elle seule pouvait agir sur son fils, jurant un dévouement de servante, si elle le lui rendait. Sans doute, elle n'était pas venue pour dire ces choses; elle se promettait, au contraire, de ne rien laisser deviner; mais son coeur crevait, il n'y avait pas de sa faute.

– Taisez-vous, ma chère, vous me faites honte, répondait madame Josserand, l'air fâché. J'ai des filles qui peuvent vous entendre… Moi, je ne sais rien, je ne veux rien savoir. Si vous avez des affaires avec mon fils, arrangez-vous ensemble. Jamais je n'accepterai un rôle équivoque.

Pourtant, elle l'accabla de conseils. A son âge, on devait se résigner. Dieu lui serait d'un grand secours. Mais il fallait qu'elle livrât sa nièce, si elle voulait offrir au ciel son sacrifice comme une expiation. Du reste, la veuve ne convenait pas du tout à Léon, qui avait besoin d'une femme de visage aimable, pour donner des dîners. Et elle parla de son fils avec admiration, flattée dans son orgueil, le détaillant, le montrant digne des plus jolies personnes.

– Songez donc, chère amie, qu'il n'a pas trente ans. Je serais désolée de vous désobliger, mais vous pourriez être sa mère… Oh! il sait ce qu'il vous doit, et je suis moi-même pénétrée de reconnaissance. Vous resterez son bon ange. Seulement, quand c'est fini, c'est fini. Vous n'espériez peut-être pas le garder toujours!

Et, comme la malheureuse refusait d'entendre raison, voulait le ravoir simplement, tout de suite, la mère se fâcha.

– Eh! madame, allez vous promener à la fin! Je suis trop bonne d'y mettre de la complaisance… Il ne veut plus, cet enfant! ça s'explique. Regardez-vous donc! C'est moi, maintenant, qui le rappellerais au devoir, s'il cédait encore à vos exigences; car, je vous le demande, quel intérêt ça peut-il avoir pour vous deux, désormais?.. Justement, il va venir, et si vous avez compté sur moi…

De toutes ces paroles, madame Dambreville n'entendit que la dernière phrase. Depuis huit jours, elle poursuivait Léon, sans parvenir à le voir. Son visage s'éclaira, elle jeta ce cri de son coeur:

– S'il doit venir, je reste!

Dès lors, elle s'installa, s'alourdit comme une masse dans un fauteuil, les regards fixés sur le vide, ne répondant plus, avec l'obstination d'une bête qui ne cédera pas, même sous les coups. Madame Josserand, désolée d'avoir trop parlé, exaspérée de cette borne tombée dans son salon, et qu'elle n'osait pourtant pousser dehors, finit par la laisser seule. D'ailleurs, un bruit venu de la salle à manger l'inquiétait: elle croyait reconnaître la voix d'Auguste.

– Parole d'honneur! madame, on n'a jamais vu ça! dit-elle en refermant violemment la porte. C'est de la dernière indiscrétion!

En effet, Auguste était monté pour avoir avec les parents de sa femme l'explication dont il méditait les termes depuis la veille. M. Josserand, de plus en plus gaillard, et détourné décidément du bureau par une pensée de débauche, proposait une promenade à ses filles, lorsque Adèle vint annoncer le mari de madame Berthe. Ce fut un effarement. La jeune femme avait pâli.

– Comment! ton mari? dit le père. Mais il était à Lyon!.. Ah! vous mentiez! Il y a un malheur, voilà deux jours que je le sens.

Et, comme elle se levait, il la retint.

– Parle, vous vous êtes encore disputés? pour l'argent, n'est-ce pas? Hein? peut-être à cause de la dot, des dix mille francs que nous ne lui avons pas payés?

– Oui, oui, c'est ça, balbutia Berthe, qui se dégagea et qui s'enfuit.

Hortense, elle aussi, s'était levée. Elle rejoignit sa soeur en courant, toutes deux se réfugièrent dans sa chambre. Leurs jupons envolés avaient laissé un frisson de panique, le père se trouva brusquement seul devant la table, au milieu de la salle à manger silencieuse. Tout son malaise lui remontait au visage, une pâleur terreuse, une lassitude désespérée de la vie. L'heure qu'il redoutait, qu'il attendait avec une honte pleine d'angoisse, était arrivée: son gendre allait parler de l'assurance; et lui, devrait avouer l'expédient de malhonnête homme auquel il avait consenti.

– Entrez, entrez, mon cher Auguste, dit-il la voix étranglée. Berthe vient de m'avouer la querelle. Je ne suis pas très bien portant, et l'on me gâte… Vous me voyez désespéré de ne pouvoir vous donner cet argent. Ma faute a été de promettre, je le sais…

Il continua péniblement, de l'air d'un coupable qui fait des aveux. Auguste l'écoutait, surpris. Il s'était renseigné, il connaissait la cuisine louche de l'assurance; mais il n'aurait point osé réclamer le versement des dix mille francs, de peur que la terrible madame Josserand ne l'envoyât d'abord au tombeau du père Vabre toucher ses dix mille francs, à lui. Toutefois, puisqu'on lui en parlait, il partit de là. C'était un premier grief.

– Oui, monsieur, je sais tout, vous m'avez absolument fichu dedans, avec vos histoires. Ce me serait encore égal, de ne pas avoir l'argent; mais c'est l'hypocrisie qui m'exaspère! Pourquoi cette complication d'une assurance qui n'existait pas? Pourquoi se donner des airs de tendresse et de sensibilité, en offrant d'avancer des sommes que vous disiez ne pouvoir toucher que trois ans plus tard. Et vous n'aviez pas un sou!.. Une telle façon d'agir porte un nom dans tous les pays.

M. Josserand ouvrit la bouche pour crier: «Ce n'est pas moi, ce sont eux!» Mais il gardait une pudeur de la famille, il baissa la tête, acceptant la vilaine action. Auguste continuait:

– D'ailleurs, tout le monde était contre moi, Duveyrier s'est encore conduit là comme un pas grand'chose, avec son gredin de notaire; car je demandais qu'on mît l'assurance dans le contrat, à titre de garantie, et l'on m'a imposé silence… Si j'avais exigé cela, pourtant, vous commettiez un faux. Oui, monsieur, un faux!

Très pâle, le père s'était levé à cette accusation, et il allait répondre, offrir son travail, acheter le bonheur de sa fille de toute l'existence qu'il lui restait à vivre, lorsque madame Josserand, jetée hors d'elle par l'entêtement de madame Dambreville, ne faisant plus attention à sa vieille robe de soie verte dont sa gorge courroucée achevait de crever le corsage, entra comme dans un coup de vent.

Купите 3 книги одновременно и выберите четвёртую в подарок!

Чтобы воспользоваться акцией, добавьте нужные книги в корзину. Сделать это можно на странице каждой книги, либо в общем списке:

  1. Нажмите на многоточие
    рядом с книгой
  2. Выберите пункт
    «Добавить в корзину»