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Pot-Bouille

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XVII

Des mois se passèrent, le printemps était venu. On parlait, rue de Choiseul, du prochain mariage d'Octave avec madame Hédouin.

Les choses, pourtant, n'allaient pas si vite. Octave, au Bonheur des Dames, avait repris sa situation, qui chaque jour s'élargissait. Madame Hédouin, depuis la mort de son mari, ne pouvait suffire aux affaires sans cesse croissantes; son oncle, le vieux Deleuze, cloué sur un fauteuil par des rhumatismes, ne s'occupait de rien; et, naturellement, le jeune homme, très actif, travaillé de son besoin de grand commerce, était arrivé en peu de temps à prendre dans la maison une importance décisive. Du reste, encore irrité de ses amours imbéciles avec Berthe, il ne rêvait plus d'utiliser les femmes, il les redoutait même. Le mieux lui semblait de devenir tranquillement l'associé de madame Hédouin, puis de commencer la danse des millions. Aussi, se rappelant son échec ridicule auprès d'elle, la traitait-il en homme, comme elle désirait être traitée.

Dès lors, leurs rapports devinrent très intimes. Ils s'enfermaient pendant des heures, dans le cabinet du fond. Autrefois, quand il s'était juré de la séduire, il avait suivi là toute une tactique, tâchant d'abuser de ses tendresses commerciales, lui effleurant le cou de chiffres murmurés, guettant les recettes heureuses pour profiter de ses abandons. Maintenant, il restait bonhomme, sans calcul, tout à son affaire. Il ne la désirait même plus, bien qu'il gardât le souvenir de son frisson léger, la nuit des noces de Berthe, lorsqu'elle valsait sur sa poitrine. Peut-être l'avait-elle aimé. En tous cas, il valait mieux rester comme ils étaient; car elle le disait avec justesse, la maison demandait beaucoup d'ordre, c'était inepte d'y vouloir des choses qui les auraient dérangés du matin au soir.

Assis tous deux devant l'étroit bureau, ils s'oubliaient souvent, après avoir revu les livres et décidé les commandes. Lui, revenait alors à ses rêves d'agrandissement. Il avait sondé le propriétaire de la maison voisine, qui vendrait volontiers; on donnerait congé au bimbelotier et au marchand d'ombrelles, on établirait un comptoir spécial de soierie. Elle, très grave, écoutait, n'osait se lancer encore. Mais elle concevait pour les facultés commerciales d'Octave une sympathie grandissante, en retrouvant chez lui sa propre volonté, son goût des affaires, le fond sérieux et pratique de son caractère, sous les dehors galants d'un aimable vendeur. Et il montrait, en outre, une flamme, une audace qui lui manquait et qui l'emplissait d'une émotion. C'était la fantaisie dans le commerce, la seule fantaisie qui l'eût jamais troublée. Il devenait son maître.

Enfin, un soir, comme ils demeuraient côte à côte devant des factures, sous la flambée ardente d'un bec de gaz, elle dit lentement:

– Monsieur Octave, j'ai parlé à mon oncle. Il consent, nous achèterons la maison. Seulement…

Il l'interrompit pour crier avec gaieté:

– Les Vabre sont coulés alors!

Elle eut un sourire, elle murmura d'un ton de reproche:

– Vous les détestez donc? Ce n'est pas bien, vous êtes le dernier qui devriez leur souhaiter du mal.

Jamais elle ne lui avait parlé de ses amours avec Berthe. Cette brusque allusion le gêna beaucoup, sans qu'il sût pourquoi. Il rougissait, il balbutiait des explications.

– Non, non, ça ne me regarde pas, reprit-elle toujours souriante et très calme. Pardonnez-moi, ça m'a échappé, je m'étais promis de ne jamais vous en ouvrir la bouche… Vous êtes jeune. Tant pis pour celles qui veulent bien, n'est-ce pas? C'est aux maris à garder leurs femmes, quand celles-ci ne peuvent se garder toutes seules.

Il éprouva un soulagement, en comprenant qu'elle n'était pas fâchée. Souvent, il avait redouté une froideur de sa part, si elle venait à savoir son ancienne liaison.

– Vous m'avez interrompue, monsieur Octave, recommença-t-elle gravement. J'allais ajouter que, si j'achète la maison voisine et que je double ainsi l'importance de mes affaires, il m'est impossible de rester seule… Je vais être forcée de me remarier.

Octave resta saisi. Comment! elle avait déjà un mari en vue, et il l'ignorait! Tout de suite, il sentit sa position compromise.

– Mon oncle, continuait-elle, me l'a dit lui-même… Oh! rien ne presse en ce moment. Je suis en deuil de huit mois, j'attendrai l'automne. Seulement, dans le commerce, il faut bien mettre le coeur de côté et songer aux nécessités de sa situation… Un homme est absolument nécessaire ici.

Elle discutait cela posément, comme une affaire, et il la regardait, d'une beauté régulière et saine, le visage très blanc sous les ondes correctes de ses bandeaux noirs. Alors, il regretta de ne pas avoir, depuis son veuvage, essayé encore de devenir son amant.

– C'est toujours grave, balbutia-t-il, ça demande réflexion.

Sans doute, elle était de cet avis. Et elle parla de son âge.

– Je suis vieille déjà, j'ai cinq ans de plus que vous, monsieur Octave…

Il l'interrompit, bouleversé, croyant comprendre, lui saisissant les mains, répétant:

– Oh! madame!.. oh! madame!

Mais elle s'était levée, elle se dégageait. Puis, elle baissa le gaz.

– Non, c'est assez, aujourd'hui… Vous avez de très bonnes idées, et il est naturel que je songe à vous pour les mettre à exécution. Seulement, il y a des ennuis, il faut creuser le projet… Je vous sais très sérieux, au fond. Étudiez ça de votre côté, je l'étudierai du mien. Voilà pourquoi je vous en ai parlé. Nous en recauserons plus tard.

Et les choses en restèrent là, pendant des semaines. Le magasin reprit son train habituel. Comme madame Hédouin gardait près de lui sa paix souriante, sans une allusion à une tendresse possible, il affecta d'abord une tranquillité pareille, il finit par être à son exemple d'une santé heureuse, confiant dans la logique des choses. Elle répétait volontiers que les choses raisonnables arrivaient toutes seules. Aussi n'avait-elle jamais de hâte. Les commérages qui commençaient à circuler sur son intimité avec le jeune homme, ne la touchaient même pas. Ils attendaient.

Rue de Choiseul, la maison entière jurait donc que le mariage était fait. Octave avait quitté sa chambre, pour aller se loger rue Neuve-Saint-Augustin, près du Bonheur des Dames. Il ne fréquentait plus personne, ni les Campardon, ni les Duveyrier, qui étaient outrés du scandale de ses amours. M. Gourd lui-même, quand il le voyait, affectait de ne pas le reconnaître, afin de ne pas avoir à le saluer. Seules, Marie et madame Juzeur, les matins où elles le rencontraient dans le quartier, entraient causer un instant sous une porte: madame Juzeur, qui l'interrogeait passionnément au sujet de madame Hédouin, aurait voulu le décider à venir chez elle, pour parler de ça, gentiment; Marie, désolée, se plaignant d'être de nouveau enceinte, lui disait la stupéfaction de Jules et la colère terrible de ses parents. Puis, quand le bruit de son mariage devint sérieux, Octave fut surpris de recevoir un grand salut de M. Gourd. Campardon, sans se remettre encore, lui envoya à travers la rue un signe de tête cordial; tandis que Duveyrier, en allant un soir acheter des gants, se montra fort aimable. Toute la maison commençait à pardonner.

D'ailleurs, la maison avait retrouvé le train de son honnêteté bourgeoise. Derrière les portes d'acajou, de nouveaux abîmes de vertus se creusaient; le monsieur du troisième venait travailler une nuit par semaine, l'autre madame Campardon passait avec la rigidité de ses principes, les bonnes étalaient des tabliers éclatants de blancheur; et, dans le silence tiède de l'escalier, les pianos seuls, à tous les étages, mettaient les mêmes valses, une musique lointaine et comme religieuse.

Cependant, le malaise de l'adultère persistait, insensible pour les gens sans éducation, mais désagréable aux personnes d'une moralité raffinée. Auguste s'obstinait à ne pas reprendre sa femme, et tant que Berthe demeurerait chez ses parents, le scandale ne serait pas effacé, il en resterait une trace matérielle. Aucun locataire, du reste, ne racontait publiquement la véritable histoire, qui aurait gêné tout le monde; d'un commun accord, sans même s'être entendu on avait décidé que les difficultés entre Auguste et Berthe venaient des dix mille francs, d'une simple querelle d'argent: c'était beaucoup plus propre. On pouvait, dès lors, en parler devant les demoiselles. Les parents paieraient-ils ou ne paieraient-ils pas? et le drame devenait tout simple, car pas un habitant du quartier ne s'étonnait ni ne s'indignait, à l'idée qu'une question d'argent pût déchaîner des gifles dans un ménage. Au fond, il est vrai, cette convention de bonne compagnie n'empêchait pas les choses d'être; et la maison, malgré son calme devant le malheur, souffrait cruellement dans sa dignité.

C'était Duveyrier surtout, comme propriétaire, qui portait le poids de cette infortune imméritée et persistante. Depuis quelque temps, Clarisse le torturait à un tel point, qu'il revenait parfois pleurer chez sa femme. Mais le scandale de l'adultère l'avait aussi frappé au coeur; il voyait, disait-il, les passants regarder sa maison de haut en bas, cette maison que son beau-père et lui s'étaient plu à orner de toutes les vertus domestiques; et ça ne pouvait durer, il parlait de purifier l'immeuble, pour son honneur personnel. Aussi, au nom de la décence publique, poussait-il Auguste à une réconciliation. Malheureusement, celui-ci résistait, entretenu dans sa rage par Théophile et Valérie, qui s'installaient définitivement à la caisse, enchantés de la débâcle. Alors, comme les affaires de Lyon tournaient mal, et que le magasin de soierie périclitait faute d'avances, Duveyrier avait conçu une idée pratique. Les Josserand devaient souhaiter ardemment se débarrasser de leur fille: il fallait offrir de la reprendre, mais à la condition qu'ils paieraient la dot de cinquante mille francs. Peut-être, sur leurs instances, l'oncle Bachelard finirait-il par donner la somme. Auguste, d'abord, avait refusé violemment d'entrer dans cette combinaison; à cent mille francs, il serait encore volé. Puis, très inquiet pour ses échéances d'avril, il s'était rendu aux raisons du conseiller, qui plaidait la cause de la morale et qui parlait uniquement d'une bonne action à faire.

 

Lorsqu'on fut d'accord, Clotilde choisit l'abbé Mauduit comme négociateur. C'était délicat, un prêtre pouvait seul intervenir, sans se compromettre. L'abbé, justement, éprouvait un grand chagrin des catastrophes déplorables qui s'abattaient sur une des maisons les plus intéressantes de sa paroisse; et il avait déjà offert ses conseils, son expérience, son autorité, pour mettre fin à un scandale dont les ennemis de la religion auraient pu se réjouir. Cependant, lorsque Clotilde lui parla de la dot, en le priant d'aller porter les conditions d'Auguste aux Josserand, il baissa la tête, il garda un silence douloureux.

– C'est de l'argent dû que mon frère réclame, répétait la jeune femme. Comprenez bien que ce n'est pas un marché… D'ailleurs, mon frère s'obstine.

– Il le faut, j'irai, dit enfin le prêtre.

Chez les Josserand, on attendait de jour en jour la proposition. Sans doute, Valérie avait parlé, les locataires discutaient le cas: étaient-ils dans la gêne au point de garder leur fille? trouveraient-ils les cinquante mille francs pour s'en débarrasser? Depuis que la question se posait, madame Josserand ne dérageait plus. Eh quoi! après avoir eu tant de peine à marier une première fois Berthe, voilà qu'il fallait la marier encore! Rien n'était fait, on redemandait une dot, les ennuis d'argent allaient recommencer! Jamais une mère n'avait eu à renouveler ainsi de pareils travaux. Et tout cela par la faute de cette grande cruche, qui poussait la stupidité jusqu'à oublier ses devoirs! La maison devenait un enfer, Berthe y endurait une continuelle torture, car sa soeur Hortense elle-même, furieuse de ne plus coucher seule, ne prononçait pas une phrase, sans y glisser une allusion blessante. On en arrivait à lui reprocher ses repas. Quand on avait un mari quelque part, c'était drôle tout de même de rogner les plats de ses parents, déjà trop petits. Alors, la jeune femme, désespérée, sanglotait dans les coins, se traitant de lâche, ne se trouvant pas le courage de descendre se jeter aux pieds d'Auguste et de lui crier: «Tiens! bats-moi, je ne puis pas être plus malheureuse!» M. Josserand seul se montrait tendre pour sa fille. Mais il se mourait des fautes et des larmes de cette enfant, il agonisait des cruautés de la famille, en congé illimité, presque toujours au lit. Le docteur Juillerat qui le soignait, parlait d'une décomposition de sang: c'était une usure de l'être entier, où tous les organes se prenaient, les uns après les autres.

– Lorsque tu auras fait mourir ton père de chagrin, tu seras contente, n'est-ce pas? criait la mère.

Et Berthe n'osait même plus entrer dans la chambre du malade. Dès que le père et la fille se voyaient, ils pleuraient tous les deux, ils se faisaient du mal.

Enfin, madame Josserand prit un grand parti: elle invita l'oncle Bachelard, résignée à s'humilier une fois encore. Elle aurait donné les cinquante mille francs de sa poche, si elle les avait eus, pour ne pas garder cette grande fille mariée, dont la présence déshonorait ses mardis. Puis elle venait d'apprendre des choses monstrueuses sur l'oncle, et s'il n'était pas gentil, elle voulait lui dire une bonne fois sa façon de penser.

Bachelard, à table, se conduisit d'une façon particulièrement malpropre. Il était arrivé dans un état d'ivresse avancé; car, depuis la perte de Fifi, il tombait aux écarts des grandes passions. Heureusement, madame Josserand n'avait invité personne, par crainte d'être déconsidérée. Au dessert, il s'endormit en racontant des histoires embrouillées de noceur gâteux, et il fallut le réveiller pour le mener dans la chambre de M. Josserand. Toute une mise en scène y était préparée, afin d'agir sur sa sensibilité de vieil ivrogne: devant le lit du père, se trouvaient deux fauteuils, l'un pour la mère, l'autre pour l'oncle. Berthe et Hortense se tiendraient debout. On verrait un peu si l'oncle oserait mentir une fois encore à ses promesses, en face d'un mourant, dans une chambre si triste, qu'une lampe fumeuse éclairait mal.

– Narcisse, dit madame Josserand, la situation est grave…

Et, d'une voix lente et solennelle, elle expliqua cette situation, le malheur regrettable de sa fille, la vénalité révoltante du mari, la résolution pénible où elle était de donner les cinquante mille francs, pour faire cesser le scandale qui couvrait la famille de honte. Puis, sévèrement:

– Souviens-toi de ce que tu as promis, Narcisse… Le soir du contrat, tu t'es encore frappé la poitrine, en jurant que Berthe pouvait compter sur le coeur de son oncle. Eh bien! où est-il, ce coeur? le moment est venu de le montrer… Monsieur Josserand, joignez-vous à moi, indiquez-lui son devoir, si votre état de faiblesse vous le permet.

Malgré sa profonde répugnance, le père murmura, par tendresse pour sa fille:

– C'est la vérité, vous avez promis, Bachelard. Voyons, avant que je m'en aille, faites-moi donc le plaisir de vous conduire proprement.

Mais, Berthe et Hortense, dans l'espérance d'attendrir l'oncle, lui avaient versé trop souvent à boire. Il était dans un tel état, qu'on ne pouvait même plus abuser de lui.

– Hein? quoi? bégaya-t-il, sans avoir besoin d'exagérer son ivresse. Jamais promettre… Comprends pas du tout. Répète un peu, Éléonore.

Celle-ci recommença, le fit embrasser par Berthe qui pleurait, le supplia au nom de la santé de son mari, lui prouva qu'en donnant les cinquante mille francs, il remplissait un devoir sacré. Puis, comme il se rendormait, sans avoir l'air d'être affecté le moins du monde par la vue du malade et de cette chambre douloureuse, elle éclata brusquement en paroles violentes.

– Tiens! Narcisse, il y a trop longtemps que ça dure, tu es une canaille!.. Je connais toutes tes cochonneries. Tu viens de marier ta maîtresse à Gueulin, et tu leur as donné cinquante mille francs, juste la somme que tu nous avais promise… Ah! c'est propre, le petit Gueulin joue là dedans un joli rôle! Et toi, tu es plus sale encore, tu nous retires le pain de la bouche, tu prostitues ta fortune, oui! tu la prostitues, en nous volant pour cette catin un argent qui nous appartenait!

Jamais elle ne s'était soulagée à ce point. Hortense, gênée, dut s'occuper de la potion de son père, afin d'avoir un maintien. Celui-ci, dont cette scène enfiévrait le mal, s'agitait sur l'oreiller, répétait d'une voix tremblante:

– Je t'en prie, Éléonore, tais-toi, il ne donnera rien… Si tu veux lui dire des choses, emmène-le, pour que je ne vous entende pas.

Berthe de son côté, pleurait plus fort, se joignait à son père.

– Assez, maman, fais plaisir à papa… Mon Dieu! suis-je malheureuse d'être la cause de toutes ces disputes! J'aime mieux m'en aller, j'irai mourir quelque part.

Alors, madame Josserand posa carrément la question à l'oncle.

– Veux-tu, oui ou non, donner les cinquante mille francs, pour que ta nièce marche le front haut?

Effaré, il s'attardait dans des explications.

– Écoute un peu, j'ai trouvé Gueulin et Fifi ensemble. Quoi faire? il a bien fallu les marier… Ce n'est pas ma faute.

– Veux-tu, oui ou non, donner la dot que tu as promise? répéta-t-elle furieusement.

Il vacillait, son ivresse s'aggravait au point qu'il ne trouvait plus les mots.

– Peux pas, parole d'honneur!.. Ruiné complètement. Autrement, tout de suite… Le coeur sur la main, tu le sais…

Elle l'interrompit d'un geste terrible, elle déclara:

– C'est bon, je vais réunir un conseil de famille et te faire interdire.

Quand les oncles deviennent gâteux, on les met à l'hôpital.

Du coup, l'oncle fut pris d'une grosse émotion. Il regarda la chambre, la trouva sinistre, avec sa maigre lampe; il regarda le mourant qui, soutenu par ses filles, avalait une cuillerée d'un liquide noirâtre; et son coeur creva, il sanglota en accusant sa soeur de ne l'avoir jamais compris. Pourtant, il était déjà bien assez malheureux de la trahison de Gueulin. On le savait très sensible, on avait tort de l'inviter à dîner, pour l'attrister ensuite. Enfin, à la place des cinquante mille francs, il offrit tout le sang de ses veines.

Madame Josserand, épuisée, l'abandonnait, lorsque la bonne annonça le docteur Juillerat et l'abbé Mauduit. Ils s'étaient rencontrés sur le palier, ils entrèrent ensemble. Le docteur trouva M. Josserand beaucoup plus mal, encore sous le coup de la scène où il avait dû jouer un rôle. Lorsque, de son côté, l'abbé voulut emmener madame Josserand dans le salon, ayant, disait-il, une communication à lui faire, celle-ci flaira de quelle part il venait et répondit avec majesté qu'elle était en famille et qu'elle pouvait tout entendre; le docteur lui-même ne serait pas de trop, car un médecin était, lui aussi, un confesseur.

– Madame, dit alors le prêtre avec une douceur un peu gênée, voyez dans ma démarche l'ardent désir de réconcilier deux familles…

Il parla du pardon de Dieu, appuya sur la joie qu'il éprouverait à rassurer les coeurs honnêtes, en faisant cesser une situation intolérable. Il appelait Berthe malheureuse enfant, ce qui la mit de nouveau en larmes; et tout cela avec une telle paternité, en termes si choisis, qu'Hortense n'eut pas besoin de sortir. Cependant, il dut en arriver aux cinquante mille francs: les époux semblaient ne plus avoir qu'à s'embrasser, lorsqu'il posa la condition formelle de la dot.

– Monsieur l'abbé, permettez-moi de vous interrompre, dit madame Josserand. Nous sommes très touchés de vos efforts. Mais jamais, entendez-vous! jamais, nous ne trafiquerons avec l'honneur de notre fille… Des gens qui se sont déjà réconciliés sur le dos de cette enfant! Oh! je sais tout, ils étaient à couteaux tirés, et maintenant ils ne se quittent plus, ils nous mangent du matin au soir… Non, monsieur l'abbé, un marché serait une honte…

– Il me semble pourtant, madame… hasarda le prêtre.

Elle lui couvrit la voix, elle continua superbement:

– Tenez! mon frère est là. Vous pouvez l'interroger… il me répétait encore tout à l'heure: «Éléonore, je t'apporte les cinquante mille francs, arrange ce fâcheux malentendu.» Eh bien! monsieur l'abbé, demandez-lui quelle a été ma réponse… Lève-toi, Narcisse. Dis la vérité.

L'oncle s'était déjà rendormi sur un fauteuil, au fond de la chambre. Il se remua, il lâcha des mots sans suite. Puis, comme sa soeur insistait, il mit la main sur son coeur, en bégayant:

– Quand le devoir parle, on doit marcher… La famille avant tout.

– Vous l'entendez! cria madame Josserand, d'un air de triomphe. Pas d'argent, c'est ignoble!.. Répétez bien à ces gens que nous ne mourons pas, nous autres, pour éviter de payer. La dot est ici, nous l'aurions donnée; mais, du moment qu'on l'exige comme le rachat de notre fille, c'est trop sale… Qu'Auguste reprenne Berthe d'abord, nous verrons plus tard.

Elle avait élevé la voix, et le docteur qui examinait le malade, dut la faire taire.

– Plus bas, madame! dit-il. Votre mari souffre.

Alors, l'abbé Mauduit, dont la gêne augmentait, s'approcha du lit, trouva de bonnes paroles. Et il se retira, sans revenir sur l'affaire, cachant la confusion d'avoir échoué, sous son aimable sourire, avec un pli de dégoût et de douleur aux lèvres. Comme le docteur s'en allait à son tour, il apprit rudement à madame Josserand que le malade était perdu: les plus grandes précautions devenaient nécessaires, car la moindre émotion pouvait l'emporter. Elle resta saisie, elle passa dans la salle à manger, où ses deux filles et l'oncle rentraient, pour laisser reposer M. Josserand, qui semblait vouloir dormir.

– Berthe, murmura-t-elle, tu viens d'achever ton père. C'est le docteur qui l'a dit.

Et toutes trois s'affligèrent autour de la table, pendant que Bachelard, gagné lui aussi par les larmes, se confectionnait un grog.

Lorsqu'on eut fait connaître à Auguste la réponse des Josserand, il fut repris de fureur contre sa femme, jurant qu'il la repousserait à coups de botte, le jour où elle viendrait demander grâce. Au fond, elle lui manquait, il souffrait d'un vide, il était comme dépaysé, dans les nouveaux ennuis de son abandon, aussi graves que les ennuis du ménage. Rachel, qu'il avait gardée pour blesser Berthe, le volait et le querellait maintenant, avec la tranquille impudence d'une épouse; et il finissait par regretter les petits bénéfices de la vie à deux, les soirées passées à s'ennuyer ensemble, puis les réconciliations coûteuses dans la chaleur des draps. Mais il avait surtout assez de Théophile et de Valérie, installés en bas, occupant le magasin de leur importance. Même il les soupçonnait de s'approprier parfois la monnaie, sans aucune délicatesse. Valérie n'était pas comme Berthe, elle aimait trôner sur la banquette de la caisse; seulement, il crut s'apercevoir qu'elle attirait des hommes, à la face de son imbécile de mari, dont le rhume persistant voilait les yeux de continuelles larmes. Autant Berthe alors. Au moins, elle n'avait jamais fait passer la rue à travers les comptoirs. Enfin, une dernière inquiétude le travaillait: le Bonheur des Dames prospérait, devenait une menace pour sa maison, dont le chiffre d'affaires diminuait de jour en jour. Certes, il ne regrettait pas ce misérable Octave, et cependant il était juste, il lui reconnaissait des facultés hors ligne. Comme tout aurait marché, si l'on s'était mieux entendu! Des regrets attendris le prenaient, il y avait des heures où, malade de solitude, sentant la vie crouler sous lui, il serait monté chez les Josserand leur redemander Berthe, pour rien.

 

D'ailleurs, Duveyrier ne se décourageait pas, le poussait toujours à une réconciliation, de plus en plus navré de la défaveur morale qu'une telle histoire jetait sur son immeuble. Il affectait même de croire aux paroles de madame Josserand, rapportées par le prêtre: si Auguste reprenait sa femme sans condition, on lui compterait certainement la dot, le lendemain. Puis, comme celui-ci redevenait enragé, devant une affirmation pareille, le conseiller faisait surtout appel à son coeur. Il l'emmenait le long des quais, lorsqu'il se rendait au Palais de Justice; il lui enseignait le pardon des injures d'une voix trempée de larmes, le nourrissait d'une philosophie désolée et lâche, où la seule félicité possible était d'endurer la femme, puisqu'on ne pouvait pas s'en passer.

Duveyrier baissait, inquiétait la rue de Choiseul par la tristesse de sa démarche et la pâleur de son visage, où les taches rouges s'élargissaient, irritées. Un malheur inavouable semblait s'abattre sur lui. C'était Clarisse qui engraissait toujours, qui débordait et le torturait. A mesure qu'elle éclatait d'un embonpoint bourgeois, il la trouvait plus insupportable de belle éducation, de rigorisme distingué. Maintenant, elle lui défendait de la tutoyer en présence de sa famille; et, devant lui, elle se pendait au cou de son maître de piano, se lâchait dans des familiarités, dont il sanglotait. Deux fois, il l'avait surprise avec Théodore, s'était emporté, puis avait demandé son pardon à genoux, acceptant tous les partages. D'ailleurs, continuellement, pour le tenir humble et soumis, elle parlait avec répugnance de ses boutons; même l'idée lui était venue de le passer à une de ses cuisinières, grosse fille accoutumée aux basses besognes; mais la cuisinière n'avait pas voulu de monsieur. Chaque jour, la vie devenait ainsi plus cruelle pour Duveyrier, chez cette maîtresse où il retrouvait son ménage, tombé dans un enfer. La tribu des camelots, la mère, le grand voyou de frère, les deux petites soeurs, jusqu'à la tante infirme, le volaient avec impudence, vivaient de lui ouvertement, au point de vider ses poches la nuit, quand il couchait. Sa situation s'aggravait d'autre part: il était à bout d'argent, il tremblait d'être compromis sur son siège de magistrat; certes, on ne pouvait le destituer; seulement, les jeunes avocats le regardaient d'un air polisson, ce qui le gênait pour rendre la justice. Et, lorsque, chassé par la saleté et le vacarme, pris du dégoût de lui-même, il s'échappait de la rue d'Assas et se réfugiait rue de Choiseul, la froideur haineuse de sa femme achevait de l'accabler. Alors, il perdait la tête, il regardait la Seine en se rendant à l'audience, avec l'idée de s'y jeter, le soir où une dernière souffrance lui en donnerait le courage.

Clotilde avait bien remarqué les attendrissements de son mari, inquiète, courroucée contre cette maîtresse qui n'arrivait même pas à faire le bonheur d'un homme, dans son inconduite. Mais elle était, de son côté, très ennuyée d'une aventure déplorable, dont les conséquences révolutionnaient la maison. Clémence, en remontant un matin chercher un mouchoir, venait de surprendre Hippolyte avec cet avorton de Louise, sur son propre lit; et, depuis lors, elle le giflait dans la cuisine au moindre mot, ce qui détraquait le service. Le pis était que madame ne pouvait fermer les yeux davantage sur la situation illégale de sa femme de chambre et de son maître d'hôtel: les autres bonnes riaient, le scandale se répandait chez les fournisseurs, il fallait absolument les marier ensemble, si elle désirait les garder; et, comme elle continuait à être très contente de Clémence, elle ne songeait plus qu'à ce mariage. La négociation lui semblait si délicate, avec des amoureux qui se rouaient de coups, qu'elle résolut d'en charger encore l'abbé Mauduit, dont le rôle moralisateur paraissait tout indiqué dans la circonstance. Du reste, ses domestiques lui donnaient beaucoup de mal, depuis quelque temps. A la campagne, elle s'était aperçu de la liaison de son grand galopin de Gustave avec Julie; un instant, elle avait voulu renvoyer cette dernière, à regret, car elle aimait sa cuisine; puis, après de sages réflexions, elle l'avait gardée, préférant que le galopin eût une maîtresse chez elle, une fille propre qui ne serait jamais un embarras. Au dehors, on ne sait pas ce qu'un jeune homme peut empoigner, quand il commence trop jeune. Elle les surveillait donc, sans rien dire; et il fallait, maintenant, que les deux autres vinssent l'occuper de leur histoire!

Justement, un matin, madame Duveyrier allait se rendre chez l'abbé Mauduit, lorsque Clémence lui annonça que le prêtre montait l'extrême-onction à M. Josserand. La femme de chambre, après s'être trouvée dans l'escalier, sur le passage du bon Dieu, était rentrée à la cuisine, en s'écriant:

– Je disais bien qu'il reviendrait cette année!

Et, faisant allusion aux catastrophes dont la maison souffrait, elle avait ajouté:

– Ça nous a porté malheur à tous.

Cette fois, le bon Dieu n'arriva pas en retard: c'était un signe excellent pour l'avenir. Madame Duveyrier se hâta d'aller à Saint-Roch, où elle attendit le retour de l'abbé. Il l'écouta, garda un silence triste, puis ne put refuser d'éclairer la femme de chambre et le maître d'hôtel sur l'immoralité de leur situation. D'ailleurs, l'autre histoire l'aurait fait retourner prochainement rue de Choiseul, car le pauvre M. Josserand ne passerait sans doute pas la nuit; et il donna à entendre qu'il voyait là une circonstance cruelle, mais heureuse, pour réconcilier Auguste et Berthe. On tâcherait d'arranger les deux affaires à la fois. Il était grand temps que le ciel voulût bien bénir leurs efforts.

– J'ai prié, madame, dit le prêtre. Dieu triomphera.

En effet, le soir, à sept heures, l'agonie de M. Josserand commençait. Toute la famille se trouvait réunie, sauf l'oncle Bachelard qu'on avait inutilement cherché dans les cafés, et Saturnin qui était toujours enfermé à l'asile des Moulineaux. Léon, dont la maladie de son père retardait fâcheusement le mariage, montrait une douleur digne. Madame Josserand et Hortense avaient du courage. Seule, Berthe sanglotait si fort, que, pour ne pas affecter le malade, elle s'était réfugiée au fond de la cuisine, où Adèle, profitant du désarroi, buvait du vin chaud. D'ailleurs, M. Josserand mourut avec simplicité. Son honnêteté l'étouffait. Il avait passé inutile, il s'en allait, en brave homme las des vilaines choses de la vie, étranglé par la tranquille inconscience des seules créatures qu'il eût aimées. A huit heures, il bégaya le nom de Saturnin, se tourna contre le mur, et s'éteignit.

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