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Thérèse Raquin

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Chapitre 9

Un après-midi, comme Laurent allait quitter son bureau pour courir auprès de Thérèse qui l’attendait, son chef le fit appeler et lui signifia qu’à l’avenir il lui défendait de s’absenter. Il avait abusé des congés; l’administrationétait décidée à le renvoyer, s’il sortait une seule fois.

Cloué sur sa chaise, il se désespéra jusqu’au soir. Il devait gagner son pain, il ne pouvait se faire mettre à la porte. Le soir, le visage courroucé de Thérèse fut une torture pour lui. Il ne savait comment expliquer son manque de parole à sa maîtresse. Pendant que Camille fermait la boutique, il s’approcha vivement de la jeune femme:

«Nous ne pouvons plus nous voir, lui dit-ilà voix basse. Mon chef me refuse toute nouvelle permission de sortie.»

Camille rentrait. Laurent dut se retirer sans donner de plus amples explications, laissant Thérèse sous le coup de cette déclaration brutale. Exaspérée, ne voulant pas admettre qu’on pût troubler ses voluptés, elle passa une nuit d’insomnie à bâtir des plans de rendez-vous extravagants. Le jeudi qui suivit, elle causa une minute au plus avec Laurent. Leur anxiétéétait d’autant plus vive qu’ils ne savaient où se rencontrer pour se consulter et s’entendre. La jeune femme donna un nouveau rendez-vous à son amant, qui lui manqua de parole une seconde fois. Dès lors, elle n’eut plus qu’une idée fixe, le voir à tout prix.

Il y avait quinze jours que Laurent ne pouvait approcher de Thérèse. Alors il sentit combien cette femme luiétait devenue nécessaire; l’habitude de la volupté lui avait créé des appétits nouveaux, d’une exigence aiguë. Il n’éprouvait plus aucun malaise dans les embrassements de sa maîtresse, il quêtait ces embrassements avec une obstination d’animal affamé. Une passion de sang avait couvé dans ses muscles; maintenant qu’on lui retirait son amante, cette passionéclatait avec une violence aveugle; il aimait à la rage. Tout semblait inconscient dans cette florissante nature de brute; il obéissait à des instincts, il se laissait conduire par les volontés de son organisme. Il aurait ri auxéclats, un an auparavant, si on lui avait dit qu’il serait l’esclave d’une femme, au point de compromettre ses tranquillités. Le sourd travail des désirs, s’était opéré en lui, à son insu, et avait fini par le jeter, pieds et poings liés, aux caresses fauves de Thérèse. À cette heure, il redoutait d’oublier la prudence, il n’osait venir, le soir, au passage du Pont-Neuf, craignant de commettre quelque folie. Il ne s’appartenait plus; sa maîtresse, avec ses souplesses de chatte, ses flexibilités nerveuses, s’était glissée peu à peu dans chacune des fibres de son corps. Il avait besoin de cette femme pour vivre comme on a besoin de boire et de manger.

Il aurait certainement fait une sottise, s’il n’avait reçu une lettre de Thérèse, qui lui recommandait de rester chez lui le lendemain. Son amante lui promettait de venir le trouver vers les huit heures du soir.

Au sortir du bureau, il se débarrassa de Camille, en disant qu’ilétait fatigué, qu’il allait se coucher tout de suite. Thérèse, après le dîner, jouaégalement son rôle; elle parla d’une cliente qui avait déménagé sans la payer, elle fit la créancière intraitable, elle déclara quelle voulait aller réclamer son argent. La cliente demeurait aux Batignolles. Mme Raquin et Camille trouvèrent la course longue, la démarche hasardeuse; d’ailleurs, ils ne s’étonnèrent pas, ils laissèrent partir Thérèse en toute tranquillité.

La jeune femme courut au Port aux Vins, glissant sur les pavés quiétaient gras, heurtant les passants, ayant hâte d’arriver. Des moiteurs lui montaient au visage; ses mains brûlaient. On aurait dit une femme soûle. Elle gravit rapidement l’escalier de l’hôtel meublé. Au sixième étage, essoufflée, les yeux vagues, elle aperçut Laurent, penché sur la rampe, qui l’attendait.

Elle entra dans le grenier. Ses larges jupes ne pouvaient y tenir, tant l’espace étaitétroit. Elle arracha d’une main son chapeau, et s’appuya contre le lit, défaillante…

La fenêtre à tabatière, ouverte toute grande, versait les fraîcheurs du soir sur la couche brûlante. Les amants restèrent longtemps dans le taudis, comme au fond d’un trou. Tout d’un coup, Thérèse entendit l’horloge de la Pitié sonner dix heures. Elle aurait vouluêtre sourde; elle se leva péniblement et regarda le grenier qu’elle n’avait pas encore vu. Elle chercha son chapeau, noua les rubans, et s’assit en disant d’une voix lente:

«Il faut que je parte.»

Laurentétait venu s’agenouiller devant elle. Il lui prit les mains.

«Au revoir, reprit-elle sans bouger.

– Non pas au revoir, s’écria-t-il, cela est trop vague… Quel jour reviendras-tu?»

Elle le regarda en face.

«Tu veux de la franchise? dit-elle. Eh bien! vrai, je crois que je ne reviendrai plus. Je n’ai pas de prétexte, je ne puis en inventer.

– Alors, il faut nous dire adieu.

– Non, je ne veux pas!»

Elle prononça ces mots avec une colère épouvantée. Elle ajouta plus doucement, sans savoir ce qu’elle disait, sans quitter sa chaise:

«Je vais m’en aller.»

Laurent songeait. Il pensait à Camille.

«Je ne lui en veux pas dit-il enfin sans le nommer; mais vraiment il nous gêne trop… Est-ce que tu ne pourrais pas nous en débarrasser, l’envoyer en voyage, quelque part, bien loin?

– Ah! oui, l’envoyer en voyage! reprit la jeune femme en hochant la tête. Tu crois qu’un homme commeça consent à voyager… Il n’y a qu’un voyage dont on ne revient pas… Mais il nous enterrera tous; ces gens qui n’ont que le souffle ne meurent jamais.»

Il y eut un silence. Laurent se traîna sur les genoux, se serrant contre sa maîtresse, appuyant la tête contre sa poitrine.

«J’avais fait un rêve, dit-il; je voulais passer une nuit entière avec toi, m’endormir dans tes bras et me réveiller le lendemain sous tes baisers… Je voudraisêtre ton mari… Tu comprends?

– Oui, oui», répondit Thérèse, frissonnante.

Et elle se pencha brusquement sur le visage de Laurent, qu’elle couvrit de baisers. Elle égratignait les brides de son chapeau contre la barbe rude du jeune homme; elle ne songeait plus qu’elle était habillée et qu’elle allait froisser ses vêtements. Elle sanglotait, elle prononçait des paroles haletantes au milieu de ses larmes.

«Ne dis pas ces choses, répétait-elle, car je n’aurais pas la force de te quitter, je resterais là… Donne-moi du courage plutôt; dis-moi que nous nous verrons encore… N’est-ce pas que tu as besoin de moi et que nous trouverons bien un jour le moyen de vivre ensemble?

– Alors, reviens, reviens demain, lui répondit Laurent, dont les mains tremblantes montaient le long de sa taille.

– Mais je ne puis revenir… Je te l’ai dit, je n’ai pas de prétexte.»

Elle se tordait les bras. Elle reprit:

«Oh! le scandale ne me fait pas peur. En rentrant, si tu veux, je vais dire à Camille que tu es mon amant, et je reviens coucher ici… C’est pour toi que je tremble; je ne veux pas déranger ta vie, je désire te faire une existence heureuse.»

Les instincts prudents du jeune homme se réveillèrent.

«Tu as raison, dit-il, il ne faut pas agir comme des enfants. Ah! si ton mari mourait…

– Si mon mari mourait…, répéta lentement Thérèse.

– Nous nous marierions ensemble, nous ne craindrions plus rien, nous jouirions largement de nos amours… Quelle bonne et douce vie!»

La jeune femme s’était redressée. Les joues pâles, elle regardait son amant avec des yeux sombres; des battements agitaient ses lèvres.

«Les gens meurent quelquefois, murmura-t-elle enfin. Seulement, c’est dangereux pour ceux qui survivent.»

Laurent ne répondit pas.

«Vois-tu, continua-t-elle, tous les moyens connus sont mauvais.

– Tu ne m’as pas compris, dit-il paisiblement. Je ne suis pas un sot, je veux t’aimer en paix… Je pensais qu’il arrive des accidents tous les jours, que le pied peut glisser, qu’une tuile peut tomber… Tu comprends? Dans ce dernier cas, le vent seul est coupable.»

Il parlait d’une voixétrange. Il eut un sourire et ajouta d’un ton caressant:

«Va, sois tranquille, nous nous aimerons bien, nous vivrons heureux… Puisque tu ne peux venir, j’arrangerai tout cela… Si nous restons plusieurs mois sans nous voir, ne m’oublie pas, songe que je travaille à nos félicités.»

Il saisit dans ses bras Thérèse, qui ouvrait la porte pour partir.

«Tu es à moi, n’est-ce pas? continua-t-il. Tu jures de te livrer entière, à toute heure, quand je voudrai.

– Oui, cria la jeune femme, je t’appartiens, fais de moi ce qu’il te plaira.»

Ils restèrent un moment farouches et muets. Puis Thérèse s’arracha avec brusquerie, et, sans tourner la tête, elle sortit de la mansarde et descendit l’escalier. Laurentécouta le bruit de ses pas qui s’éloignaient.

Quand il n’entendit plus rien, il rentra dans son taudis, il se coucha. Les drapsétaient tièdes. Ilétouffait au fond de ce trouétroit que Thérèse laissait plein des ardeurs de sa passion. Il lui semblait que son souffle respirait encore un peu de la jeune femme; elle avait passé là, répandant desémanations pénétrantes, des odeurs de violette, et maintenant il ne pouvait plus serrer entre ses bras que le fantôme insaisissable de sa maîtresse, traînant autour de lui; il avait la fièvre des amours renaissantes et inassouvies. Il ne ferma pas la fenêtre. Couché sur le dos, les bras nus, les mains ouvertes, cherchant la fraîcheur, il songea, en regardant le carré d’un bleu sombre que le châssis taillait dans le ciel.

Jusqu’au jour, la même idée tourna dans sa tête. Avant la venue de Thérèse, il ne songeait pas au meurtre de Camille; il avait parlé de la mort de cet homme, poussé par les faits, irrité par la pensée qu’il ne reverrait plus son amante. Et c’est ainsi qu’un nouveau coin de sa nature inconsciente venait de se révéler: il s’était mis à rêver l’assassinat dans les emportements de l’adultère.

 

Maintenant, plus calme, seul au milieu de la nuit paisible, ilétudiait le meurtre. L’idée de mort, jetée avec désespoir entre deux baisers, revenait implacable et aiguë. Laurent, secoué par l’insomnie, énervé par les senteursâcres que Thérèse avait laissées derrière elle, dressait des embûches, calculait les mauvaises chances, étalait les avantages qu’il aurait àêtre assassin.

Tous ses intérêts le poussaient au crime. Il se disait que son père, le paysan de Jeufosse, ne se décidait pas à mourir; il lui faudrait peut-être rester encore dix ans employé, mangeant dans les crémeries, vivant sans femme dans un grenier. Cette idée l’exaspérait. Au contraire, Camille mort, ilépousait Thérèse, il héritait de Mme Raquin, il donnait sa démission et flânait au soleil. Alors, il se plut à rêver cette vie de paresseux; il se voyait déjà oisif, mangeant et dormant, attendant avec patience la mort de son père. Et quand la réalité se dressait au milieu de son rêve, il se heurtait contre Camille, il serrait les poings comme pour l’assommer.

Laurent voulait Thérèse, il la voulait à lui tout seul, toujours à portée de sa main. S’il ne faisait pas disparaître le mari, la femme luiéchappait. Elle l’avait dit: elle ne pouvait revenir. Il l’aurait bien enlevée, emportée quelque part, mais alors ils seraient morts de faim tous deux. Il risquait moins en tuant le mari; il ne soulevait aucun scandale, il poussait seulement un homme pour se mettre à sa place. Dans sa logique brutale de paysan, il trouvait ce moyen excellent et naturel. Sa prudence native lui conseillait même cet expédient rapide.

Il se vautrait sur son lit, en sueur, à plat ventre, collant sa face moite dans l’oreiller où avait traîné le chignon de Thérèse. Il prenait la toile entre ses lèvres séchées, il buvait les parfums légers de ce linge, et il restait là, sans haleine, étouffant, voyant passer des barres de feu le long de ses paupières closes. Il se demandait comment il pourrait bien tuer Camille. Puis quand la respiration lui manquait, il se retournait d’un bond, se remettait sur le dos, et, les yeux grands ouverts, recevant en plein visage les souffles froids de la fenêtre, il cherchait dans lesétoiles, dans le carré bleuâtre de ciel, un conseil de meurtre, un plan d’assassinat.

Il ne trouva rien. Comme il l’avait dit à sa maîtresse, il n’était pas un enfant, un sot; il ne voulait ni du poignard ni du poison. Il lui fallait un crime sournois, accompli sans danger, une sorte d’étouffement sinistre, sans cris, sans terreur, une simple disparition. La passion avait beau le secouer et le pousser en avant; tout sonêtre réclamait impérieusement la prudence. Ilétait trop lâche, trop voluptueux, pour risquer sa tranquillité. Il tuait afin de vivre calme et heureux.

Peu à peu le sommeil le prit. L’air froid avait chassé du grenier le fantôme tiède et odorant de Thérèse. Laurent, brisé, apaisé, se laissa envahir par une sorte d’engourdissement doux et vague. En s’endormant, il décida qu’il attendrait une occasion favorable, et sa pensée, de plus en plus fuyante, le berçait en murmurant: «Je le tuerai, je le tuerai.» Cinq minutes plus tard, il reposait, respirant avec une régularité sereine.

Thérèse était rentrée chez elle à onze heures. La tête en feu, la pensée tendue, elle arriva au passage du Pont-Neuf, sans avoir conscience du chemin parcouru. Il lui semblait qu’elle descendait de chez Laurent, tant ses oreillesétaient pleines encore des paroles qu’elle venait d’entendre. Elle trouva Mme Raquin et Camille anxieux et empressés; elle répondit sèchement à leurs questions, en disant qu’elle avait fait une course inutile et qu’elle était restée une heure sur un trottoir à attendre un omnibus.

Lorsqu’elle se mit au lit, elle trouva les draps froids et humides. Ses membres, encore brûlants, eurent des frissons de répugnance. Camille ne tarda pas à s’endormir, et Thérèse regarda longtemps cette face blafarde qui reposait bêtement sur l’oreiller, la bouche ouverte. Elle s’écartait de lui, elle avait des envies d’enfoncer son poing fermé dans cette bouche.

Chapitre 10

Près de trois semaines se passèrent. Laurent revenait à la boutique tous les soirs; il paraissait las, comme malade; un léger cercle bleuâtre entourait ses yeux, ses lèvres pâlissaient et se gerçaient. D’ailleurs, il avait toujours sa tranquillité lourde, il regardait Camille en face, il lui témoignait la même amitié franche. Mme Raquin choyait davantage l’ami de la maison, depuis qu’elle le voyait s’endormir dans une sorte de fièvre sourde.

Thérèse avait repris son visage muet et rechigné. Elle était plus immobile, plus impénétrable, plus paisible que jamais. Il semblait que Laurent n’existât pas pour elle; elle le regardait à peine, lui adressait de rares paroles, le traitait avec une indifférence parfaite. Mme Raquin, dont la bonté souffrait de cette attitude, disait parfois au jeune homme: «Ne faites pas attention à la froideur de ma nièce. Je la connais; son visage paraît froid, mais son cœur est chaud de toutes les tendresses et de tous les dévouements.»

Les deux amants n’avaient plus de rendez-vous. Depuis la soirée de la rue Saint-Victor, ils ne s’étaient plus rencontrés seulà seul. Le soir, lorsqu’ils se trouvaient face à face, en apparence tranquilles etétrangers l’un à l’autre, des orages de passion, d’épouvante et de désir passaient sous la chair calme de leur visage. Et il y avait dans Thérèse des emportements, des lâchetés, des railleries cruelles; il y avait dans Laurent des brutalités sombres, des indécisions poignantes. Eux-mêmes n’osaient regarder au fond de leurêtre, au fond de cette fièvre trouble qui emplissait leur cerveau d’une sorte de vapeurépaisse etâcre.

Quand ils pouvaient, derrière une porte, sans parler, ils se serraient les mains à se les briser, dans une étreinte rude et courte. Ils auraient voulu, mutuellement, emporter des lambeaux de leur chair, collés à leurs doigts. Ils n’avaient plus que ce serrement de mains pour apaiser leurs désirs. Ils y mettaient tout leur corps. Ils ne se demandaient rien autre chose. Ils attendaient.

Un jeudi soir, avant de se mettre au jeu, les invités de la famille Raquin, comme à l’ordinaire, eurent un bout de causerie. Un des grands sujets de conversationétait de parler au vieux Michaud de ses anciennes fonctions, de le questionner sur lesétranges et sinistres aventures auxquelles il avait dûêtre mêlé. Alors Grivet et Camille écoutaient les histoires du commissaire de police avec la face effrayée et béante des petits enfants qui entendent Barbe-Bleue ou le Petit Poucet. Cela les terrifiait et les amusait.

Ce jour-là, Michaud, qui venait de raconter un horrible assassinat dont les détails avaient fait frissonner son auditoire ajouta en hochant la tête.

«Et l’on ne sait pas tout… Que de crimes restent inconnus! que d’assassinséchappent à la justice des hommes!

– Comment! dit Grivetétonné, vous croyez qu’il y a, commeça, dans la rue, des canailles qui ont assassiné et qu’on n’arrête pas?»

Olivier se mit à sourire d’un air de dédain.

«Mon cher monsieur, répondit-il de sa voix cassante, si on ne les arrête pas, c’est qu’on ignore qu’ils ont assassiné.»

Ce raisonnement ne parut pas convaincre Grivet. Camille vint à son secours.

«Moi, je suis de l’avis de M. Grivet, dit-il avec une importance bête… J’ai besoin de croire que la police est bien faite et que je ne coudoierai jamais un meurtrier sur un trottoir.»

Olivier vit une attaque personnelle dans ces paroles.

«Certainement, la police est bien faite, s’écria-t-il d’un ton vexé… Mais nous ne pouvons pourtant pas faire l’impossible. Il y a des scélérats qui ont appris le crime à l’école du diable; ilséchapperaient à Dieu lui-même… N’est-ce pas, mon père?

– Oui, oui, appuya le vieux Michaud… Ainsi, lorsque j’étais à Vernon – vous vous souvenez peut-être de cela, Mme Raquin -, on assassina un roulier sur la grand-route. Le cadavre fut trouvé coupé en morceaux, au fond d’un fossé. Jamais on n’a pu mettre la main sur le coupable… Il vit peut-être encore aujourd’hui, il est peut-être notre voisin, et peut-être M. Grivet va-t-il le rencontrer en rentrant chez lui.»

Grivet devint pâle comme un linge. Il n’osait tourner la tête; il croyait que l’assassin du roulierétait derrière lui. D’ailleurs, ilétait enchanté d’avoir peur.

«Ah bien! non, balbutia-t-il, sans trop savoir ce qu’il disait, ah bien! non, je ne veux pas croire cela… Moi aussi, je sais une histoire: il y avait une fois une servante qui fut mise en prison, pour avoir volé à ses maîtres un couvert d’argent. Deux mois après, comme on abattait un arbre, on trouva le couvert dans un nid de pie. C’était une pie quiétait la voleuse. On relâcha la servante… Vous voyez bien que les coupables sont toujours punis.»

Grivetétait triomphant. Olivier ricanait.

«Alors, dit-il, on a mis la pie en prison.

– Ce n’est pas cela que M. Grivet a voulu dire, reprit Camille, fâché de voir tourner son chef en ridicule… Mère, donne-nous le jeu de dominos.»

Pendant que Mme Raquin allait chercher la boîte, le jeune homme continua, en s’adressant à Michaud:

«Alors, la police est impuissante, vous l’avouez? il y a des meurtriers qui se promènent au soleil?

– Eh! malheureusement oui, répondit le commissaire.

– C’est immoral», conclut Grivet.

Pendant cette conversation, Thérèse et Laurentétaient restés silencieux. Ils n’avaient pas même souri de la sottise de Grivet. Accoudés tous deux sur la table, légèrement pâles, les yeux vagues, ilsécoutaient. Un moment leurs regards s’étaient rencontrés, noirs et ardents. Et de petites gouttes de sueur perlaient à la racine des cheveux de Thérèse, et des souffles froids donnaient des frissons imperceptibles à la peau de Laurent.

Chapitre 11

Parfois, le dimanche, lorsqu’il faisait beau, Camille forçait Thérèse à sortir avec lui, à faire un bout de promenade aux Champs-Élysées. La jeune femme aurait préféré rester dans l’ombre humide de la boutique; elle se fatiguait, elle s’ennuyait au bras de son mari qui la traînait sur les trottoirs, en s’arrêtant aux boutiques, avec desétonnements, des réflexions, des silences d’imbécile. Mais Camille tenait bon; il aimait à montrer sa femme; lorsqu’il rencontrait un de ses collègues, un de ses chefs surtout, ilétait tout fier d’échanger un salut avec lui, en compagnie de Madame. D’ailleurs, il marchait pour marcher, sans presque parler, roide et contrefait dans ses habits du dimanche, traînant les pieds, abruti et vaniteux. Thérèse souffrait d’avoir un pareil homme au bras.

Les jours de promenade, Mme Raquin accompagnait ses enfants jusqu’au bout du passage. Elle les embrassait comme s’ils fussent partis pour un voyage. Et c’étaient des recommandations sans fin, des prières pressantes.

«Surtout, leur disait-elle, prenez garde aux accidents… Il y a tant de voitures dans ce Paris!… Vous me promettez de ne pas aller dans la foule…»

Elle les laissait enfin s’éloigner, les suivant longtemps des yeux. Puis elle rentrait à la boutique. Ses jambes devenaient lourdes et lui interdisaient toute longue marche.

D’autres fois, plus rarement, lesépoux sortaient de Paris: ils allaient à Saint-Ouen ou à Asnières, et mangeaient une friture dans un des restaurants du bord de l’eau. C’étaient des jours de grande débauche, dont on parlait un mois à l’avance. Thérèse acceptait plus volontiers, presque avec joie, ces courses qui la retenaient en plein air jusqu’à dix et onze heures du soir. Saint-Ouen, avec sesîles vertes, lui rappelait Vernon; elle y sentait se réveiller toutes les amitiés sauvages qu’elle avait eues pour la Seine, étant jeune fille. Elle s’asseyait sur les graviers, trempait ses mains dans la rivière, se sentait vivre sous les ardeurs du soleil qui tempérait les souffles frais des ombrages. Tandis qu’elle déchirait et souillait sa robe sur les cailloux et la terre grasse, Camille étalait proprement son mouchoir et s’accroupissait à côté d’elle avec mille précautions. Dans les derniers temps, le jeune couple emmenait presque toujours Laurent, quiégayait la promenade par ses rires et sa force de paysan.

Un dimanche, Camille, Thérèse et Laurent partirent pour Saint-Ouen vers onze heures, après le déjeuner. La partie était projetée depuis longtemps, et devaitêtre la dernière de la saison. L’automne venait, des souffles froids commençaient le soir, à faire frissonner l’air.

Ce matin là, le ciel gardait encore toute sa sérénité bleue. Il faisait chaud au soleil, et l’ombre était tiède. On décida qu’il fallait profiter des derniers rayons.

Les trois promeneurs prirent un fiacre, accompagnés des doléances, des effusions inquiètes de la vieille mercière. Ils traversèrent Paris et quittèrent le fiacre aux fortifications; puis ils gagnèrent Saint-Ouen en suivant la chaussée. Ilétait midi, la route couverte de poussière, largementéclairée par les rayons du soleil, avait des blancheurs aveuglantes de neige. L’air brûlait, épaissi etâcre. Thérèse, au bras de Camille, marchait à petits pas, se cachant sous son ombrelle, tandis que son mari s’éventait la face avec un immense mouchoir. Derrière eux venait Laurent, dont les rayons du soleil mordaient le cou, sans qu’il parût rien sentir; il sifflait, il poussait du pied des cailloux, et, par moments, il regardait avec des yeux fauves les balancements de hanches de sa maîtresse.

 

Quand ils arrivèrent à Saint-Ouen, ils se hâtèrent de trouver un bouquet d’arbres, un tapis d’herbe verte étalée à l’ombre. Ils passèrent dans uneîle et s’enfoncèrent dans un taillis. Les feuilles tombées faisaient à terre une couche rougeâtre qui craquait sous les pieds avec des frémissements secs. Les troncs se dressaient droits, innombrables comme des faisceaux de colonnettes gothiques. Les branches descendaient jusque sur le front des promeneurs, qui avaient ainsi pour toute horizon la voûte cuivrée des feuillages et les fûts blancs et noirs des trembles et des chênes. Ilsétaient au désert, dans un trou mélancolique, dans une étroite clairière silencieuse et fraîche. Tout autour d’eux, ils entendaient la Seine gronder.

Camille avait choisi une place sèche et s’était assis en relevant les pans de sa redingote. Thérèse, avec un grand bruit de jupes froissées, venait de se jeter sur les feuilles; elle disparaissait à moitié au milieu des plis de sa robe qui se relevait autour d’elle, en découvrant une de ses jambes jusqu’au genou. Laurent, couché à plat ventre, le menton dans la terre, regardait cette jambe etécoutait son ami qui se fâchait contre le gouvernement, en déclarant qu’on devrait changer tous lesîlots de la Seine en jardins anglais, avec des bancs, des allées sablées, des arbres taillés, comme aux Tuileries.

Ils restèrent près de trois heures dans la clairière, attendant que le soleil fût moins chaud, pour courir la campagne, avant le dîner. Camille parla de son bureau, il conta des histoires niaises; puis, fatigué, il se laissa aller à la renverse et s’endormit; il avait posé son chapeau sur ses yeux. Depuis longtemps, Thérèse, les paupières closes, feignait de sommeiller.

Alors, Laurent se coula doucement vers la jeune femme; il avança les lèvres et baisa sa bottine et sa cheville. Ce cuir, ce bas blanc qu’il baisait lui brûlaient la bouche. Les senteursâpres de la terre, les parfums légers de Thérèse se mêlaient et le pénétraient, en allumant son sang, en irritant ses nerfs. Depuis un mois, il vivait dans une chasteté pleine de colère. La marche au soleil, sur la chaussée de Saint-Ouen, avait mis des flammes en lui. Maintenant, ilétait là, au fond d’une retraite ignorée, au milieu de la grande volupté de l’ombre et du silence, et il ne pouvait presser contre sa poitrine cette femme qui lui appartenait. Le mari allait peut-être s’éveiller, le voir, déjouer ses calculs de prudence. Toujours cet homme était un obstacle. Et l’amant, aplati sur le sol, se cachant derrière les jupes, frémissant et irrité, collait des baisers silencieux sur la bottine et sur le bas blanc. Thérèse, comme morte, ne faisait pas un mouvement. Laurent crut qu’elle dormait.

Il se leva, le dos brisé, et s’appuya contre un arbre. Alors il vit la jeune femme qui regardait en l’air avec de grands yeux ouverts et luisants. Sa face, posée entre ses bras relevés, avait une pâleur mate, une rigidité froide. Thérèse songeait. Ses yeux fixes semblaient un abîme sombre où l’on ne voyait que de la nuit. Elle ne bougea pas, elle ne tourna pas ses regards vers Laurent, debout derrière elle.

Son amant la contempla, presque effrayé de la voir si immobile et si muette sous ses caresses. Cette tête blanche et morte, noyée dans les plis des jupons, lui donna une sorte d’effroi plein de désirs cuisants. Il aurait voulu se pencher et fermer d’un baiser ces grands yeux ouverts. Mais presque dans les jupons dormait aussi Camille. Le pauvreêtre, le corps déjeté, montrait sa maigreur, ronflait légèrement; sous le chapeau, qui lui couvrait à demi la figure, on apercevait sa bouche, tordue par le sommeil, faisant une grimace bête; de petits poils roussâtres, clairsemés sur son menton grêle, salissaient sa chair blafarde, et, comme il avait la tête renversée en arrière, on voyait son cou maigre, ridé, au milieu duquel le nœud de la gorge, saillant et d’un rouge brique, remontait à chaque ronflement. Camille, ainsi vautré, était exaspérant et ignoble.

Laurent, qui le regardait, leva le talon, d’un mouvement brusque. Il allait, d’un coup, luiécraser la face.

Thérèse retint un cri. Elle pâlit et ferma les yeux. Elle tourna la tête, comme pouréviter leséclaboussures de sang.

Et Laurent, pendant quelques secondes, resta, le talon en l’air, au dessus de Camille endormi. Puis, lentement, il replia la jambe, il s’éloigna de quelques pas. Il s’était dit que ce serait là un assassinat d’imbécile. Cette tête broyée lui aurait mis la police sur les bras. Il voulait se débarrasser de Camille uniquement pourépouser Thérèse; il entendait vivre au soleil, après le crime, comme le meurtrier du roulier, dont le vieux Michaud avait conté l’histoire.

Il alla jusqu’au bord de l’eau, regarda couler la rivière d’un air stupide. Puis, brusquement, il entra dans le taillis; il venait enfin d’arrêter un plan, d’inventer un meurtre commode et sans danger pour lui.

Alors, iléveilla le dormeur en lui chatouillant le nez avec une paille. Camille éternua, se leva, trouva la plaisanterie excellente. Il aimait Laurent pour ses farces qui le faisait rire. Puis il secoua sa femme, qui tenait les yeux fermés; lorsque Thérèse se fut dressée et qu’elle eut secoué ses jupes, fripées et couvertes de feuilles sèches, les trois promeneurs quittèrent la clairière, en cassant des petites branches devant eux.

Ils sortirent de l’île, ils s’en allèrent par les routes, par les sentiers pleins de groupes endimanchés. Entre les haies, couraient des filles en robes claires; une équipe de canotiers passait en chantant; des files de couples bourgeois, de vieilles gens, de commis avec leursépouses, marchaient à petits pas, au bord des fossés. Chaque chemin semblait une rue populeuse et bruyante. Le soleil seul gardait sa tranquillité large; il baissait vers l’horizon et jetait sur les arbres rougis, sur les routes blanches, d’immenses nappes de clarté pâle. Du ciel frissonnant commençait à tomber une fraîcheur pénétrante.

Camille ne donnait plus le bras à Thérèse; il causait avec Laurent, riait des plaisanteries et des tours de force de son ami, qui sautait les fossés et soulevait de grosses pierres. La jeune femme, de l’autre côté de la route, s’avançait, la tête penchée, se courbant parfois pour arracher une herbe. Quand elle était restée en arrière, elle s’arrêtait et regardait de loin son amant et son mari.

«Hé! tu n’as pas faim? finit par lui crier Camille.

– Si, répondit-elle.

– Alors, en route!»

Thérèse n’avait pas faim; seulement elle était lasse et inquiète. Elle ignorait les projets de Laurent, ses jambes tremblaient sous elle d’anxiété.

Les trois promeneurs revinrent au bord de l’eau et cherchèrent un restaurant. Ils s’attablèrent sur une sorte de terrasse en planches, dans une gargote puant la graisse et le vin. La maisonétait pleine de cris, de chansons, de bruits de vaisselle; dans chaque cabinet, dans chaque salon, il y avait des sociétés qui parlaient haut, et les minces cloisons donnaient une sonorité vibrante à tout ce tapage. Les garçons en montant faisaient trembler l’escalier.

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