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Notre Coeur

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Lorsqu’ils eurent rejoint ceux qui les attendaient tourmentés d’inquiétude, M. de Pradon, exaspéré, dit à sa fille:



– Dieu, est-ce niais ce que tu viens de faire!



Elle répondit avec conviction:



– Non, puisque ça a réussi. Rien n’est bête de ce qui réussit, papa.



Il haussa les épaules, et on redescendit. On s’arrêta encore chez le portier pour acheter des photographies, et lorsqu’on revint à l’hôtel, il était presque l’heure du dîner. La patronne conseilla une courte promenade sur les sables, vers le large, afin d’admirer le Mont du côté de la pleine mer, d’où il présentait, disait-elle, son plus magnifique aspect.



Bien que fatiguée la troupe entière repartit et contourna les remparts en s’éloignant un peu dans la dune inquiétante, molle avec des aspects de solidité, où le pied posé sur le beau tapis jaune tendu sous lui, et qui semblait dur, s’enfonçait soudain jusqu’au mollet en des vases trompeuses et dorées.



De là, l’Abbaye, perdant tout à coup l’aspect de cathédrale marine dont elle étonnait de loin la terre ferme, prenait, pour menacer l’Océan, un air belliqueux de manoir féodal, avec sa grande muraille crénelée percée de meurtrières pittoresques et soutenue par des contreforts géants qui venaient souder leur maçonnerie de cyclopes dans le pied de l’étrange montagne. Mais Mme de Burne et André Mariolle ne s’occupaient plus guère de tout cela. Ils ne songeaient qu’à eux-mêmes, enlacés dans le filet qu’ils s’étaient tendu l’un à l’autre, enfermés dans cette prison où l’on ne sait plus rien du monde, où l’on ne voit plus rien qu’un être.



Lorsqu’ils se retrouvèrent assis devant leurs assiettes pleines, sous la gaie lumière des lampes, ils semblèrent se réveiller, et ils s’aperçurent tout de même qu’ils avaient faim.



On resta longtemps à table, et, lorsque le dîner fut fini, on oublia le clair de lune dans le bien-être de la causerie. Personne d’ailleurs n’avait plus envie de sortir, et personne n’en parla. La grande lune pouvait moirer de lueurs poétiques le mince petit flot de la marée montante glissant déjà sur les sables avec son bruit d’eau qui court presque imperceptible et terrifiant; elle pouvait éclairer les remparts serpentant autour du Mont, et, dans le décor unique de la baie illimitée, luisante du frisson des clartés rampantes sur les dunes, illuminer l’ombre romantique de tous les clochetons de l’Abbaye, – on n’avait plus envie de rien voir.



Il n’était même pas dix heures quand Mme Valsaci, accablée de sommeil, parla de s’aller coucher. Et cette proposition fut acceptée sans la moindre résistance. Après des adieux pleins de cordialité, chacun rentra dans sa chambre.



André Mariolle savait bien qu’il ne dormirait point; il alluma ses deux bougies sur sa cheminée, ouvrit sa fenêtre et regarda la nuit.



Tout son corps défaillait sous la torture d’une inutile espérance. Il la savait là, tout près, séparée de lui par deux portes, et il était presque aussi impossible de la rejoindre que d’arrêter ce flot de la mer qui noyait tout le pays. Il avait dans la gorge un besoin de crier, et dans les nerfs un tel supplice d’attente inapaisable et vaine, qu’il se demandait ce qu’il allait faire, ne pouvant plus supporter la solitude de cette soirée de stérile bonheur.



Tous les bruits peu à peu étaient morts dans l’hôtel et dans la rue unique et tortueuse de la ville. Mariolle restait toujours accoudé à sa fenêtre, sachant seulement que le temps passait, regardant la nappe d’argent de la marée haute, et retardant sans cesse l’heure du lit, comme s’il eût subi le pressentiment d’on ne sait quelle providentielle fortune.



Il lui sembla tout à coup qu’une main touchait sa serrure. Il se retourna d’une secousse. Sa porte lentement s’ouvrait. Une femme entra, la tête voilée d’une dentelle blanche et tout le corps enveloppé d’un de ces grands manteaux de chambre qui semblent faits de soie, de duvet et de neige. Elle referma avec soin la porte derrière elle; puis comme si elle ne l’eût pas vu, debout et foudroyé de joie dans le cadre clair de sa fenêtre, elle marcha droit à la cheminée et souffla les deux bougies.



II. Ils allaient se retrouver, pour se dire adieu…

Ils allaient se retrouver, pour se dire adieu, le lendemain matin, devant la porte de l’hôtel. Descendu le premier, André Mariolle attendait qu’elle parût, avec un poignant sentiment d’inquiétude et de bonheur. Que ferait-elle? Que serait-elle? Qu’adviendrait-il d’elle et de lui? En quelle aventure bienheureuse ou terrible venait-il d’entrer? Elle pouvait faire de lui ce qu’elle voudrait, un halluciné pareil aux fumeurs d’opium ou un martyr, à son gré. Il marchait à côté des deux voitures, car ils se séparaient, lui achevant son voyage par Saint-Malo pour continuer son mensonge, eux retournant à Avranches.



Quand la retrouverait-il? Allait-elle abréger sa visite à sa famille ou retarder son retour? Il avait une peur affreuse de son premier regard et de ses premières paroles, car il ne l’avait point vue, et ils ne s’étaient presque rien dit pendant leur courte étreinte de la nuit. Elle s’était offerte résolument, mais avec une réserve pudique, sans s’attarder, sans se complaire à ses caresses; puis elle était partie de son pas léger, en murmurant: «À demain, mon ami!»



Il restait à André Mariolle de cette rapide, de cette bizarre entrevue, l’imperceptible déception de l’homme qui n’a pu cueillir toute la moisson d’amour qu’il croyait mûre et, en même temps, l’enivrement du triomphe, donc l’espérance presque assurée de conquérir bientôt ses derniers abandons.



Il entendit sa voix et tressaillit. Elle parlait haut, irritée assurément contre un désir de son père, et, quand il l’aperçut sur les dernières marches de l’escalier, elle avait aux lèvres le petit pli colère révélateur de ses impatiences.



Mariolle fit deux pas; elle le vit, et se mit à sourire. Dans ses yeux calmés soudain, quelque chose de bienveillant passa qui se répandit sur tout le visage. Puis dans sa main subitement et tendrement tendue il y eut la confirmation, sans contrainte et sans repentir du cadeau d’elle-même qu’elle avait fait.



– Alors nous allons nous séparer? lui dit-elle.



– Hélas! madame, j’en souffre plus que je ne le saurais montrer.



Elle murmura:



– Ce ne sera pas pour longtemps.



Comme M. de Pradon les rejoignait, elle ajouta tout bas:



– Annoncez que vous allez faire un tour en Bretagne d’une dizaine de jours, mais ne le faites pas.



Mme Valsaci très émue accourait.



– Qu’est-ce que me dit ton père? que tu veux partir après-demain? Mais tu devais rester au moins jusqu’à l’autre lundi.



Mme de Burne, un peu assombrie, répliqua:



– Papa n’est qu’un maladroit qui ne sait pas se taire. La mer me donne, comme tous les ans, des névralgies très désagréables, et j’ai en effet parlé de m’en aller pour n’avoir pas à me soigner pendant un mois. Mais ce n’est guère le moment de nous occuper de cela.



Le cocher de Mariolle le pressait de monter en voiture, afin de ne pas manquer le train de Pontorson.



Mme de Burne demanda:



– Et vous, quand rentrez-vous à Paris?



Il eut l’air d’hésiter.



– Mais je ne sais pas trop, je veux voir Saint-Malo, Brest, Douarnenez, la baie des Trépassés, la pointe du Raz, Audierne, Penmarch, le Morbihan, enfin toute cette pointe célèbre du pays breton. Cela me prendra bien…



Après un silence plein de calculs fictifs, il exagéra.



– Quinze ou vingt jours.



– C’est beaucoup, reprit-elle en riant… Moi, si j’ai encore mal aux nerfs comme cette nuit, j’y retournerai avant deux jours.



Suffoqué par l’émotion, il eut envie de crier: «Merci!» Il se contenta de baiser, d’un baiser d’amant, la main qu’elle lui tendait pour la dernière fois.



Et, après mille compliments, remerciements et affirmations de sympathie échangés avec les Valsaci et M. de Pradon un peu rassuré par l’annonce de ce voyage, il monta dans sa voiture, et s’éloigna, la tête tournée vers elle.



Il rentra à Paris sans s’arrêter, et ne vit rien sur sa route. Durant toute la nuit, encoigné dans son wagon, les yeux mi-clos, les bras croisés, l’âme plongée dans un souvenir, il n’eut d’autre pensée que celle de son rêve réalisé. Dès qu’il fut chez lui, dès sa première minute d’arrêt, dans le silence de la bibliothèque où il se tenait d’ordinaire, où il travaillait, où il écrivait, où il se sentait presque toujours calme dans le voisinage amical de ses livres, de son piano et de son violon, commença en lui ce supplice continu de l’impatience qui agite comme une fièvre les coeurs insatiables. Surpris de ne pouvoir s’attacher à rien, s’occuper à rien, de juger insuffisantes, non seulement à absorber sa pensée, mais même à immobiliser son corps, les habitudes ordinaires dont il distrayait sa vie intime, la lecture et la musique, il se demanda ce qu’il allait faire pour apaiser ce trouble nouveau. Un besoin de sortir, de marcher, de remuer semblait entré en lui, physique et inexplicable, cette crise d’agitation inoculée au corps par la pensée, et qui est simplement une instinctive et inapaisable envie de chercher et de retrouver quelqu’un.



Il mit son pardessus, prit son chapeau, ouvrit sa porte, et, en descendant l’escalier, il se demandait: «Où vais-je?» Alors une idée à laquelle il ne s’était point encore arrêté le saisit. – Il lui fallait, pour abriter leurs rencontres, un logis secret, discret et joli.



Il chercha, il marcha, parcourut des avenues après des rues, des boulevards après les avenues, examina avec inquiétude les concierges à sourires complaisants, les loueuses à mines suspectes, les appartements à étoffes douteuses, et il rentra le soir, découragé. Dès neuf heures le lendemain, il se remettait en quête, et il finit par découvrir, à la nuit tombante, dans une ruelle d’Auteuil, au fond d’un jardin ayant trois issues, un pavillon solitaire qu’un tapissier du voisinage promit de garnir en deux jours. Il choisit les étoffes, voulut des meubles très simples, en bois de pin verni, et des tapis fort épais. Ce jardin était sous la garde d’un boulanger qui habitait près d’une des portes. Un arrangement fut conclu avec la femme de ce commerçant pour tous les soins à donner au logis. Un horticulteur du quartier s’engagea aussi à emplir de fleurs les plates-bandes.

 



Toutes les dispositions à prendre le retinrent jusqu’à huit heures, et, quand il rentra chez lui, harassé de fatigue, il vit avec un battement de coeur, une dépêche sur son bureau. L’ayant ouverte:



Je serai chez moi demain soir, disait-elle. Recevrez instructions.



Miche



Il ne lui avait pas encore écrit, par crainte que sa lettre s’égarât, puisqu’elle devait quitter Avranches. Aussitôt qu’il eût dîné, il s’assit à sa table pour lui exprimer ce qu’il sentait en son âme. Ce fut long et difficile, car toutes les expressions, les phrases et les idées elles-mêmes lui semblaient faibles, médiocres, ridicules, pour préciser une si délicate et si passionnée action de grâces.



La lettre qu’il reçut d’elle à son réveil lui confirmait le retour pour le soir même, et le priait de ne se montrer à personne avant quelques jours, afin qu’on crût bien à son voyage. Elle l’invitait aussi à se promener le lendemain, vers dix heures du matin, sur la terrasse du jardin des Tuileries qui domine la Seine



Il y fut une heure trop tôt, et il erra dans le grand jardin, que traversaient seulement des passants matineux, des bureaucrates en retard allant aux ministères de la rive gauche, des employés, des laborieux de toute race. Il savourait un plaisir réfléchi à regarder ces gens au pas hâtif que la nécessité du pain quotidien entraînait à des besognes abrutissantes, et, se comparant à eux, en cette heure où il attendait sa maîtresse, une des reines du monde, il se sentait un être tellement fortuné, privilégié, hors de lutte, qu’il eut envie de remercier le ciel bleu, car la Providence n’était pour lui que des alternances d’azur et de pluies dues au Hasard, maître sournois des jours et des hommes.



Quelques minutes avant dix heures, il monta sur la terrasse et épia son arrivée.



«Elle sera en retard!» pensait-il. Il venait à peine d’entendre tinter les dix coups à une horloge de monument voisin, quand il crut l’apercevoir de très loin, traversant aussi le jardin d’un pas rapide, comme une ouvrière pressée qui se rend à son magasin. Il hésitait.»Est-ce bien elle?» Il reconnaissait sa démarche, mais s’étonnait de son allure changée, si modeste dans une petite toilette sombre. Elle venait cependant vers l’escalier qui monte à la terrasse, en ligne droite, comme si elle l’eût pratiqué depuis longtemps.



«Tiens! se dit-il, elle doit aimer cet endroit et s’y promener quelquefois.» Il la regarda soulever sa robe pour mettre le pied sur la première marche de pierre, puis gravir les autres avec célérité, et, comme il s’avançait vivement pour la rencontrer plus vite, elle lui dit en l’abordant, avec un sourire affable où germait une inquiétude:



– Vous êtes très imprudent. Il ne faut pas vous montrer comme ça! Je vous vois presque depuis la rue de Rivoli. Venez, nous allons nous asseoir sur un banc, là-bas, derrière l’orangerie. C’est là qu’il faudra m’attendre une autre fois.



Il ne peut s’abstenir de demander:



– Vous venez donc souvent ici?



– Oui, j’aime beaucoup cet endroit; et, comme je suis une promeneuse matinale, j’y viens prendre de l’exercice en regardant le paysage, qui est fort joli. Et puis on n’y rencontre jamais personne, tandis que le Bois est impossible. Mais ne révélez pas ce secret.



Il rit:



– Je m’en garderai bien!



Lui prenant une main, discrètement, une petite main cachée et pendante dans les plis de son vêtement, il soupira.



– Comme je vous aime! Je suis malade de vous attendre. Avez-vous reçu ma lettre?



– Oui, merci, j’en ai été fort touchée.



– Et alors vous n’êtes pas encore fâchée contre moi?



– Mais non. Pourquoi le serais-je? Vous êtes tout à fait gentil.



Il cherchait des paroles ardentes, vibrantes de reconnaissance et d’émotion. N’en trouvant pas, et trop ému pour conserver la liberté du choix des mots, il répéta:



– Comme je vous aime!



Elle lui dit:



– Je vous ai fait venir ici parce qu’il y a aussi de l’eau et des bateaux. Ça ne ressemble point à là-bas, cependant ça n’est pas laid.



Ils s’étaient assis sur un banc, près de la balustrade de pierre qui règne le long du fleuve, presque seuls, invisibles de partout. Deux jardiniers et trois bonnes d’enfants étaient, à cette heure, les uniques vivants de la longue terrasse.



Des voitures roulaient sur le quai à leurs pieds, sans qu’ils les vissent. Des pas sonnaient sur le trottoir tout proche, contre le mur qui portait la promenade, et, ne trouvant pas encore ce qu’ils allaient se dire, ils regardaient ensemble ce beau paysage parisien qui va de l’île Saint-Louis et des tours de Notre-Dame, aux coteaux de Meudon. Elle répéta:



– C’est très joli tout de même, ceci.



Mais lui fut tout à coup saisi par le souvenir exaltant de leur voyage dans le ciel, au sommet de la tour de l’Abbaye, et, dévoré du regret de l’émotion enfuie:



– Oh! madame, lui dit-il. Vous rappelez-vous notre envolée du chemin des Fous?



– Oui. Mais j’ai un peu peur, à présent que j’y pense de loin. Dieu! Comme j’aurais le vertige s’il me fallait recommencer! J’étais tout à fait grisée par le grand air, le soleil et la mer. Regardez, mon ami, comme c’est superbe aussi ce que nous avons devant nous. J’aime beaucoup Paris, moi.



Il fut surpris, ayant le confus pressentiment que quelque chose apparu en elle, là-bas, n’y était plus. Il murmura:



– Qu’importe le pays pourvu que je sois près de vous!



Sans répondre, elle serra sa main. Alors, plus pénétré de bonheur par cette légère pression qu’il ne l’eût été peut-être par une tendre parole, le coeur allégé de la gêne qui l’avait oppressé jusqu’ici, il put enfin parler.



Il lui dit lentement, avec des mots presque solennels, qu’il lui avait donné sa vie pour toujours, afin qu’elle en fît ce qu’il lui plairait.



Reconnaissante, mais fille des doutes modernes, captive indélivrable des ironies rongeuses, elle sourit en lui répondant:



– Ne vous engagez pas tant que ça!



Il se tourna vers elle tout à fait, et, en la regardant au fond des yeux, de ce regard pénétrant qui ressemble à un toucher, il répéta ce qu’il venait de lui dire, plus longuement, plus ardemment, plus poétiquement. Tout ce qu’il lui avait écrit en tant de lettres exaltées, il l’exprima avec une telle ferveur de conviction qu’elle l’écoutait comme dans un nuage d’encens. Elle se sentait caressée, en toutes ses fibres de femme, par cette bouche adoratrice, plus et mieux qu’elle ne l’avait jamais été.



Quand il se tut, elle lui répondit simplement:



– Moi aussi, je vous aime bien.



Ils se tenaient la main ainsi que les adolescents qui s’en vont côte à côte par les routes de campagne, et ils regardaient maintenant, d’un oeil vague, glisser sur la rivière les mouches à vapeur. Ils étaient seuls dans Paris, dans la rumeur confuse, immense, rapprochée et lointaine qui flottait sur eux, dans cette ville pleine de toute la vie du monde, plus qu’ils n’avaient été seuls au sommet de la tour aérienne; et pendant quelques secondes ils oublièrent vraiment tout à fait qu’il existait sur la terre autre chose qu’eux.



Ce fut elle qui retrouva la première le sentiment de la réalité, et celle de l’heure qui marchait.



– Voulez-vous nous revoir ici demain? dit-elle.



Il réfléchit quelques secondes, et, troublé par ce qu’il allait demander:



– Oui… oui… certainement… Mais… ne nous verrons-nous jamais ailleurs?… Cet endroit est solitaire… Cependant… tout le monde peut y venir.



Elle hésitait.



– C’est juste… Il faut pourtant aussi que vous ne vous montriez à personne pendant quinze jours au moins, pour faire croire à votre voyage. Ce sera très gentil et très mystère de nous rencontrer sans qu’on vous sache à Paris. Mais je ne puis vous recevoir en ce moment. Alors… je ne vois pas…



Il se sentait rougir, et reprit:



– Je ne peux pas non plus vous prier d’entrer chez moi. N’y aurait-il pas d’autres moyens, d’autres endroits?…



Elle ne fut ni surprise ni choquée, étant une femme de raison pratique, de logique élevée et sans fausse pudeur.



– Mais oui, dit-elle. Seulement il faut le temps d’y songer.



– J’y ai songé.



– Déjà?



– Oui, madame.



– Eh bien?



– Connaissez-vous la rue des Vieux-Champs, à Auteuil?



– Non.



– Elle donne dans la rue Tournemine et dans la rue Jean-de-Saulge.



– Après!



– Dans cette rue, ou plutôt dans cette ruelle, existe un jardin; dans ce jardin, un pavillon ayant sortie également par les deux autres voies que je viens de citer.



– Après!



– Ce pavillon vous attend.



Elle se mit à réfléchir, puis, toujours sans embarras, elle posa deux ou trois questions de prudence féminine. Il donna des explications, satisfaisantes paraît-il, car elle murmura, en se levant:



– Eh bien! j’irai demain.



– Quelle heure?



– Trois heures.



– Je vous attendrai derrière la porte, au numéro 7. N’oubliez pas. Frappez seulement en passant.



– Oui, adieu mon ami, à demain.



– À demain. Adieu. Merci. Je vous adore.



Ils étaient debout.



– Ne m’accompagnez pas, dit-elle; restez ici pendant dix minutes, puis allez vous-en par le quai.



– Adieu.



– Adieu.



Elle partit très vite, avec un air si discret, si modeste, si pressé, qu’elle ressemblait vraiment tout à fait à une de ces fines et laborieuses filles de Paris, qui trottent au matin par les rues, en allant à des besognes honnêtes.



Il se fit conduire à Auteuil, tourmenté par la crainte que le logis ne fût pas prêt le lendemain.



Mais il le trouva plein d’ouvriers. Les murs étaient couverts d’étoffes, les tapis posés sur les parquets. On frappait, on clouait, on lavait partout. Dans le jardin, assez vaste et coquet, débris d’un ancien parc, contenant quelques grands et vieux arbres, des bosquets épais simulant un bois, deux salles vertes, deux gazons et des chemins tournant à travers les massifs, l’horticulteur du voisinage avait déjà planté des rosiers, des oeillets, des géraniums, du réséda, vingt autres sortes de ces plantes dont on hâte ou dont on retarde l’épanouissement avec des soins attentifs, afin de pouvoir faire en un seul jour un parterre fleuri d’un champ inculte.



Mariolle fut joyeux comme s’il venait de remporter un nouveau succès auprès d’elle, et, ayant obtenu le serment du tapissier que tous les meubles seraient en place le lendemain avant midi, il s’en alla, par divers magasins, acheter des bibelots pour fleurir aussi le dedans de cette demeure. Il choisit pour les murs ces admirables photographies qu’on fait aujourd’hui des tableaux célèbres, pour les cheminées et les tables de faïences de Deck et quelques-uns de ces objets familiers que les femmes toujours aiment à trouver sous leur main.



Il dépensa dans sa journée deux mois de son revenu, et il le fit avec un plaisir profond en songeant que depuis dix ans il avait sans cesse économisé, non par amour de l’épargne, mais par absence de besoins, ce qui lui permettait maintenant de se conduire en grand seigneur.



Dès le matin, le jour suivant, il revint à ce pavillon, présida à l’arrivée des meubles, à leur placement, suspendit lui-même les cadres, monta sur des échelles, brûla des parfums, en vaporisa sur les étoffes, en répandit sur le tapis. Dans sa fièvre, dans le ravissement excité de tout son être, il avait l’impression de faire la chose la plus amusante, la plus délicieuse qu’il eût jamais faite. À chaque minute, il regardait l’heure, calculait combien de temps le séparait encore du moment où elle entrerait, et il pressait les ouvriers, s’agitait pour trouver mieux, pour arranger et disposer les objets dans leur ordre le plus heureux.



Par prudence, avant deux heures il congédia tout le monde, et alors, pendant la marche lente des aiguilles parcourant le dernier tour du cadran, dans le silence de cette maison où il attendait le plus grand bonheur qu’il eût espéré, il savoura seul avec son rêve, en allant et venant de la chambre au salon, parlant haut, imaginant, déraisonnant, la plus folle jouissance d’amour qu’il devait jamais goûter.



Puis il sortit au jardin. Les rayons de soleil tombaient sur l’herbe à travers les feuilles, éclairaient surtout d’une façon charmante une corbeille de roses. Le ciel se prêtait donc aussi à parer ce rendez-vous. Puis il s’embusqua contre la porte, qu’il entr’ouvrait par instants, par crainte qu’elle ne se trompât.

 



Trois heures sonnèrent, répétées aussitôt par dix horloges de couvents ou d’usines. Il attendait maintenant, sa montre à la main, et il tressaillit d’étonnement quand deux petits coups furent frappés contre le bois où il tenait collés son oreille, car il n’avait entendu aucun bruit de pas dans la ruelle.



Il ouvrit: c’était elle. Elle regardait, surprise. Elle inspecta d’abord, d’un coup d’oeil inquiet, les maisons les plus voisines, et elle se rassura, car elle ne connaissait certainement personne parmi les bourgeois modestes qui devaient habiter là; ensuite elle examina le jardin avec une curiosité satisfaite; enfin elle posa le dos de ses deux mains, qu’elle venait de déganter, sur la bouche de son amant, puis elle prit son bras.



Elle répétait à chaque pas:



– Dieu! que c’est joli! que c’est inattendu! que c’est séduisant!



Apercevant la plate-bande de roses que le soleil, dans une trouée de branches, illuminait, elle s’écria:



– Mais c’est de la féerie, mon cher ami!



Elle en cueillit une, la baisa et la mit à son corsage. Alors ils entrèrent dans le pavillon; et elle paraissait si contente qu’il avait envie de se mettre à genoux devant elle, bien qu’au fond du coeur il eût senti qu’elle aurait dû peut-être s’occuper plus de lui et moins du lieu. Elle regardait autour d’elle, agitée d’un plaisir de petite fille qui trouve et manie un jouet nouveau, et, sans trouble dans ce joli tombeau de sa vertu de femme, elle en appréciait l’élégance avec une satisfaction de connaisseur dont on a flatté les goûts. Elle avait craint, en venant, le logis banal, aux étoffes ternies, souillé par d’autres rendez-vous. Tout cela, au contraire, était neuf, imprévu, coquet, fait pour elle, et avait dû coûter fort cher. Il était vraiment parfait, cet homme.



Se tournant vers lui, elle souleva ses deux bras, par un ravissant geste d’appel, et ils s’étreignirent dans un de ces baisers aux yeux clos qui donnent l’étrange et double sensation du bonheur et du néant.



Ils eurent, dans l’impénétrable silence de cette retraite, trois heures de face à face, de corps à corps, de bouche à bouche, qui mêlèrent enfin pour André Mariolle l’ivresse des sens à l’ivresse de l’âme.



Avant de se quitter, ils firent un tour dans le jardin et s’assirent en une des salles vertes où on ne pouvait les apercevoir de nulle part. André, plein d’exubérance, lui parlait comme à une idole qui venait de descendre pour lui de son piédestal sacré, et elle l’écoutait, alanguie par une de ces fatigues dont il avait vu souvent se refléter l’ennui dans ses yeux, après les visites trop longues de gens qui l’avaient lassée. Elle demeurait affectueuse pourtant, la figure éclairée d’un sourire tendre, un peu contraint, et tenant sa main, elle la serrait d’une étreinte continue, plus irréfléchie peut-être que volontaire.



Elle ne devait point l’entendre, car elle l’interrompit au milieu d’une phrase pour lui dire:



– Il faut absolument que je m’en aille. Je dois être à six heures chez la marquise de Bratiane, et je vais y arriver fort en retard.



Il la conduisit tout doucement à la porte qu’il lui avait ouverte à son entrée. Ils s’embrassèrent, et, après un coup d’oeil furtif dans la rue, elle partit en rasant le mur.



Dès qu’il fut seul, qu’il sentit ce vide subit laissé en nous, après les étreintes, par la femme disparue, et la bizarre petite déchirure faite au coeur par la fuite des pas qui s’éloignent, il lui sembla qu’il était abandonné et solitaire, comme s’il n’avait rien pris d’elle; et il se mit à marcher par les chemins sablés, en songeant à cette contradiction éternelle de l’espérance et de la réalité.



Il resta là jusqu’à la nuit, se rassérénant peu à peu, et se donnan

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