Бесплатно

Notre Coeur

Текст
0
Отзывы
iOSAndroidWindows Phone
Куда отправить ссылку на приложение?
Не закрывайте это окно, пока не введёте код в мобильном устройстве
ПовторитьСсылка отправлена

По требованию правообладателя эта книга недоступна для скачивания в виде файла.

Однако вы можете читать её в наших мобильных приложениях (даже без подключения к сети интернет) и онлайн на сайте ЛитРес.

Отметить прочитанной
Шрифт:Меньше АаБольше Аа

IV. Dès qu’André Mariolle eut quitté Mme de Burne, le charme mordant de sa présence s’évanouissant…

Dès qu’André Mariolle eut quitté Mme de Burne, le charme mordant de sa présence s’évanouissant, il sentit en lui et autour de lui, dans sa chair, dans son âme, dans l’air et dans le monde entier une espèce de disparition de ce bonheur de vivre qui le soutenait et l’animait depuis quelque temps.



Que s’était-il passé? Rien, presque rien. Elle avait été charmante pour lui à la fin de cette réunion, lui disant, par un ou deux regards; «Il n’y a que vous ici pour moi». Et pourtant il sentait qu’elle venait de lui faire des révélations qu’il aurait voulu toujours ignorer. Cela aussi n’était rien, presque rien; et il demeurait cependant stupéfait comme un homme qui découvre de sa mère ou de son père une action suspecte, en apprenant que, depuis ces vingt jours, pendant ces vingt jours qu’il avait cru donnés entièrement, voués par elle, comme par lui, minute par minute au sentiment si neuf et si vif de leur tendresse éclose, elle avait repris son existence ancienne, fait tant de visites, de démarches, de projets, recommencé ces odieuses luttes de galanterie, combattu ses rivales, pourchassé des hommes, reçu avec plaisir des compliments, et déployé toutes ses grâces pour d’autres que pour lui.



Déjà! Elle avait fait tout cela, déjà! Oh, plus tard, il n’aurait pas été surpris. Il connaissait le monde, les femmes, les sentiments, il n’aurait jamais eu, étant assez intelligent pour tout comprendre, des exigences excessives, ni des inquiétudes ombrageuses. Elle était belle, née, faite pour plaire, pour recevoir des hommages, et entendre des fadeurs. Parmi tous elle l’avait choisi, s’était donnée hardiment, royalement. Il serait demeuré, il demeurerait quand même le serviteur reconnaissant de ses caprices et le spectateur résigné de sa vie de jolie femme. Mais quelque chose souffrait en lui, dans cette espèce de caverne obscure du fond de l’âme où sont blotties les sensibilités délicates.



Il avait tort sans doute, et il avait toujours eu tort ainsi depuis qu’il se connaissait. Il passait dans le monde avec trop de prudence sentimentale. La peau de son âme était trop tendre. De là l’espèce d’isolement dans lequel il avait vécu, par crainte des contacts et des froissements. Il avait tort, car ces froissements viennent presque toujours de ce qu’on n’admet pas, de ce qu’on ne tolère point chez les autres une nature très différente de la nôtre. Il le savait, l’ayant souvent observé; mais il ne pouvait non plus modifier la vibration spéciale de son être.



Certes il n’avait rien à reprocher à Mme de Burne; car, si elle l’avait tenu éloigné de son salon et caché pendant ces jours de bonheur donné par elle, c’était pour égarer les regards, tromper les surveillances, être à lui plus sûrement ensuite. Pourquoi donc cette peine entrée en son coeur? Ah! pourquoi? C’est qu’il l’avait crue à lui tout entière, et il venait de reconnaître, de deviner qu’il ne pourrait jamais saisir et posséder la si grande surface de cette femme qui appartenait à tout le monde.



Il s’avait d’ailleurs fort bien que toute la vie est faite d’à peu près, et il s’y était jusqu’ici résigné, cachant son mécontentement des satisfactions insuffisantes sous une sauvagerie volontaire. Mais il avait pensé cette fois qu’il allait obtenir enfin le «tout à fait» sans cesse espéré, sans cesse attendu. Le «tout à fait» n’est point de ce monde.



Sa soirée fut mélancolique, et il se consolait par des raisonnements de l’impression pénible qu’il avait éprouvée.



Quand il fut au lit, cette impression, au lieu de diminuer, s’accrut, et, comme il ne laissait en lui rien d’inexploré, il chercha les moindres origines des malaises nouveaux de son coeur. Ils passaient, s’en allaient, revenaient comme de petits souffles de vent glacé, éveillant en son amour une souffrance encore faible, lointaine, mais inquiétante à la façon de ces vagues névralgies que fait naître un courant d’air, menace du mal aux horribles crises.



Il comprit d’abord qu’il était jaloux, non plus seulement comme un amoureux exalté, mais comme un mâle qui possède. Tant qu’il ne l’avait pas revue au milieu des hommes, de ses hommes, il avait ignoré cette sensation, tout en la prévoyant un peu, mais en la supposant différente, très différente de ce qu’elle allait devenir. En retrouvant la maîtresse qu’il supposait occupée de lui seul pendant ces jours de rendez-vous secrets et fréquents, pendant cette période des premières étreintes qui aurait dû être toute d’isolement et d’émotion ardente, en la retrouvant, autant et plus même qu’avant de se donner, amusée et passionnée par toutes ses anciennes et futiles coquetteries, par ce gaspillage de sa personne à tout venant, qui ne devait pas laisser grand’chose d’elle-même au préféré, il se sentit jaloux encore plus par la chair que par l’âme, non pas d’une façon vague, comme d’une fièvre qui couve, mais d’une façon précise, car il douta d’elle.



Il douta d’abord par l’instinct, par une sensation de méfiance glissée en ses veines plus qu’en sa pensée, par ce mécontentement presque physique de l’homme qui n’est pas sûr de sa compagne. Après avoir douté ainsi, il soupçonna.



Qu’était-il pour elle, après tout? Un premier amant, ou le dixième? Le successeur direct du mari, M. de Burne, ou le successeur de Lamarthe, de Massival, de Georges de Maltry, et le prédécesseur du comte de Bernhaus, peut-être? Que savait-il d’elle? Qu’elle était jolie à ravir, élégante plus qu’aucune autre, intelligente, fine, spirituelle, mais changeante, vite lassée, fatiguée, dégoûtée, éprise d’elle-même avant tout et insatiablement coquette. Avait-elle eu un amant – ou des amants avant lui? Si elle n’en avait pas eu, se serait-elle donnée avec cette crânerie? Où aurait-elle pris l’audace d’ouvrir la porte de sa chambre, la nuit, dans une auberge? Serait-elle venue ensuite avec cette facilité dans la maison d’Auteuil? Avant de s’y rendre, elle avait posé seulement quelques questions de femme expérimentée et prudente. Il avait répondu en homme circonspect, accoutumé à ces rencontres; et aussitôt elle avait dit «oui», confiante, rassurée, renseignée probablement par des aventures précédentes.



Comme elle avait frappé avec une autorité discrète, à cette petite porte derrière laquelle il attendait, lui, défaillant, le coeur battant! Comme elle était entrée sans émotion visible, préoccupée uniquement de constater si on ne pouvait pas la reconnaître des maisons voisines! Comme elle s’était sentie chez elle, tout de suite, en ce logis suspect, loué et meublé pour ses abandons! Une femme, même hardie, supérieure aux morales, dédaigneuse des préjugés, aurait-elle gardé cette tranquillité en pénétrant, novice, dans tout l’inconnu du premier rendez-vous?



Le trouble mental, les hésitations physiques, la crainte instinctive des pieds qui ne savent pas où ils vont, n’aurait-elle pas senti tout cela si elle n’était point un peu experte en ces excursions d’amour, et si la pratique de ces choses n’avait usé déjà sa native pudeur?



Enfiévré de cette fièvre irritante, intolérable, que les peines de l’âme éveillent dans la chaleur du lit, Mariolle s’agitait, entraîné comme un homme qui glisse sur une pente par l’enchaînement de ses suppositions. Parfois il essayait d’en arrêter la marche et d’en briser la suite; il cherchait, il trouvait, il savourait des réflexions justes et rassurantes; mais un germe de peur était en lui dont il ne pouvait entraver l’accroît.



Pourtant qu’avait-il à lui reprocher? Rien autre chose que de n’être pas toute pareille à lui, de ne pas comprendre la vie comme lui, et de n’avoir pas dans le coeur un instrument de sensibilité tout à fait d’accord avec le sien.



Dès son réveil le lendemain, le désir de la revoir, de fortifier près d’elle sa confiance en elle grandit en lui comme une faim, et il attendit le moment convenable pour lui faire sa première visite officielle.



En le voyant entrer dans le salon des intimes, où, seule, elle écrivait quelques lettres, elle vint à lui les deux mains tendues:



– Ah! bonjour, cher ami, dit-elle, avec un air de joie si vive et si sincère que tout ce qu’il avait pensé d’odieux, dont l’ombre flottait encore en son esprit, s’évapora sous cet accueil.



Il s’assit près d’elle, et il lui parla tout de suite de la façon dont il l’aimait, car ce n’était plus la même chose qu’avant. Il lui fit comprendre avec tendresse qu’il y a sur la terre deux races d’amoureux: ceux qui désirent comme des fous et dont l’ardeur s’affaiblit au lendemain du triomphe, et ceux que la possession asservit et capture, en qui l’amour sensuel, se mêlant aux immatériels et inexprimables appels que le coeur de l’homme jette parfois vers une femme, fait éclore la grande servitude de l’amour complet et torturant.



Torturant, certes, et toujours, quelque heureux qu’il soit, car rien ne rassasie, même aux heures les plus intimes, le besoin d’Elle que nous portons en nous.



Mme de Burne l’écoutait charmée, reconnaissante, et s’exaltant à l’entendre, s’exaltant comme au théâtre lorsqu’un acteur joue puissamment son rôle, et que ce rôle nous émeut par l’éveil d’un écho, l’écho troublant d’une passion sincère; mais ce n’était pas en elle que criait cette passion. Pourtant elle se sentait si contente d’avoir fait naître ce sentiment-là, si contente que ce fût dans un homme capable de l’exprimer ainsi, dans un homme qui lui plaisait décidément beaucoup, à qui elle s’attachait vraiment, dont elle avait de plus en plus besoin, non pour son corps, non pour sa chair, mais pour son mystérieux être féminin si avide de tendresse, d’hommages, d’asservissement, si contente, qu’elle avait envie de l’embrasser, de lui donner sa bouche, de se donner toute, pour qu’il continuât à l’adorer ainsi.



Elle lui répondit sans feinte et sans pruderie, avec l’adresse profonde dont certaines femmes sont douées, en lui montrant qu’il avait fait aussi, en son coeur à elle, de grands progrès. Et, dans le salon, où par hasard, ce jour-là, personne ne vint jusqu’au crépuscule, ils demeurèrent en tête-à-tête à se parler de la même chose, en se caressant avec des mots qui n’avaient pas le même sens pour leurs âmes.

 



On avait apporté les lampes quand Mme de Bratiane parut. Mariolle se retira, et, comme Mme de Burne l’accompagnait dans le premier salon, il lui demanda:



– Quand vous verrai-je là-bas?



– Voulez-vous vendredi?



– Mais oui. Quelle heure?



– La même. Trois heures.



– À vendredi. Adieu. Je vous adore.



Pendant les deux jours d’attente qui le séparaient de ce rendez-vous, il découvrit, il sentit l’impression du vide qu’il n’avait jamais éprouvée ainsi. Une femme lui manquait, et rien qu’elle n’existait plus. Et, comme cette femme n’était pas loin, était trouvable, que de simples conventions sociales l’empêchaient de la rejoindre à tout instant, même de vivre près d’elle, il s’exaspérait dans sa solitude, dans l’interminable écoulement des moments qui passent parfois si lentement, de cette impossibilité absolue d’une chose si facile.



Il arriva au rendez-vous le vendredi, trois heures trop tôt; mais attendre là où elle viendrait lui plaisait, soulageait son énervement, après avoir tant souffert déjà de l’attendre mentalement en des lieux où elle ne viendrait point.



Il s’installa près de la porte longtemps avant qu’eussent tinté les trois coups tant désirés, et, lorsqu’il les eut entendus, il commença à frémir d’impatience. Le quart sonna. Il regarda dans la ruelle, prudemment, en glissant sa tête entre le battant et le portant. Elle était déserte d’un bout à l’autre. Les minutes devenaient pour lui d’une lenteur torturante. Il tirait sans répit sa montre, et, lorsque l’aiguille eut atteint la demie, il avait dans l’âme l’impression d’être debout à cette place depuis un temps incalculable. Il perçut soudain un brut léger sur les pavés, et les petits coups frappés par le doigt ganté sur le bois, lui faisant oublier son angoisse, l’émurent de reconnaissance pour elle.



Un peu essoufflée, elle demanda:



– Je suis bien en retard?



– Non, pas trop.



– Figurez-vous que j’ai failli ne pas pouvoir venir. Ma maison était pleine, et je ne savais comment m’y prendre pour mettre tout ce monde à la porte. Dites-moi, êtes vous sous votre nom ici?



– Non. Pourquoi cette question?



– Afin de pouvoir vous envoyer une dépêche si j’avais un empêchement invincible.



– Je m’appelle M. Nicolle.



– Très bien. Je ne l’oublierai pas. Dieu! qu’il fait bon dans ce jardin!



Les fleurs, entretenues, renouvelées, multipliées par le jardinier qui voyait son client payer très cher sans résistance, bariolaient le gazon de cinq grandes taches parfumées.



S’arrêtant devant un banc, contre une corbeille d’héliotropes:



– Asseyons-nous un peu ici, dit-elle, je vais vous raconter une histoire très drôle.



Et elle raconta un potin tout chaud dont elle était encore émue. On disait que Mme Massival, l’ancienne maîtresse épousée par l’artiste, exaspérée de jalousie, avait pénétré chez Mme de Bratiane au milieu d’une soirée, pendant que la marquise chantait, accompagnée par le compositeur, et avait fait une scène épouvantable: d’où fureur de l’Italienne, surprise et joie des invités.



Massival, affolé, essaya d’emmener, d’entraîner sa femme qui le frappait au visage, lui arrachait la barbe et les cheveux, le mordait et déchirait ses vêtements. Cramponnée à lui, elle l’immobilisait, tandis que Lamarthe et deux domestiques survenus au bruit s’efforçaient de l’arracher aux griffes et aux dents de cette furie.



Le calme ne se rétablit qu’après le départ du ménage. Depuis ce moment, le musicien était demeuré invisible, tandis que le romancier témoin de cette scène la racontait partout avec une fantaisie très spirituelle et amusante.



Mme de Burne en était fort agitée, tellement préoccupée que rien ne l’en pouvait distraire. Les noms de Massival et de Lamarthe, revenus sans cesse sur ses lèvres, agaçaient Mariolle.



– C’est tout à l’heure que vous avez appris cela? dit-il.



– Mais oui, il y a une heure à peine.



Il pensa avec amertume: «Et voilà pourquoi elle est en retard.»



Puis il demanda:



– Entrons-nous?



Docile et distraite, elle murmura encore:



– Mais oui.



Quand elle l’eut quitté, une heure plus tard, car elle était fort pressée, il retourna seul dans la petite maison solitaire et s’assit sur une chaise basse, dans leur chambre. En tout son être, en toute son âme, l’impression de ne l’avoir pas plus possédée que si elle n’était point venue laissait une sorte de trou noir au fond duquel il regardait. Il n’y voyait rien: il ne comprenait pas; il ne comprenait plus. Si elle n’avait point échappé à son baiser, elle venait du moins d’échapper à l’embrassement de sa tendresse par une absence mystérieuse de la volonté d’être à lui. Elle ne s’était pas refusée, elle ne s’était pas dérobée. Mais il semblait que son coeur ne fût point entré avec elle. Il était resté quelque part, très loin, flânant, distrait par de petites choses.



Il s’aperçut alors clairement qu’il l’aimait déjà avec ses sens autant qu’avec son âme, plus peut-être. La déception de ses caresses inutiles l’agitait d’une frénétique envie de courir derrière elle, de la ramener, de la reprendre. Mais pourquoi? à quoi bon? puisque le souci de cette mobile pensée était ailleurs ce jour-là? Il devrait donc attendre les jours et les heures où viendrait à cette fuyante maîtresse, ainsi que ses autres caprices, le caprice d’être amoureuse.



Il rentra chez lui lentement, très las, à pas pesants, les yeux sur le trottoir, fatigué de vivre. Et il songea qu’ils n’avaient pris aucun rendez-vous prochain, ni chez elle, ni ailleurs.



V. Jusqu’au commencement de l’hiver elle fut à peu près fidèle aux rendez-vous…

Jusqu’au commencement de l’hiver elle fut à peu près fidèle aux rendez-vous. Fidèle, non pas exacte.



Pendant les trois premiers mois, elle y vint avec des retards variant entre trois quarts d’heure et deux heures. Comme les averses d’automne forçait Mariolle à attendre sous un parapluie, derrière la porte du jardin, les pieds dans la boue, en grelottant, il fit édifier une sorte de petit kiosque de bois, de vestibule couvert et fermé, derrière cette porte, afin de ne point s’enrhumer à chacune de leurs rencontres. Les arbres ne portaient plus de verdure. À la place des roses et de toutes les autres plantes, s’étalaient, maintenant, de hautes et larges plates-bandes de chrysanthèmes blancs, roses, violets, pourpres, jaunes, qui répandaient dans l’air humide, chargé de l’odeur mélancolique de la pluie sur les feuilles mortes, leur senteur un peu âcre et balsamique, un peu triste aussi, de grandes fleurs nobles d’arrière-saison. Devant la porte du petit logis, les espèces rares, aux nuances combinées, hypertrophiées par l’Art, formaient une grande croix de Malte aux tons délicats et changeants, invention du jardinier, et Mariolle ne pouvait plus passer devant cette plate-bande, où s’épanouissaient de nouvelles et surprenantes variétés, sans avoir le coeur étreint par la pensée que cette croix fleurie semblait indiquer une tombe.



Il les connaissait à présent les longs séjours dans le petit kiosque, derrière la porte. La pluie tombait sur le chaume dont il l’avait fait couvrir, puis s’égouttait le long de la cloison de planches; et, à chaque station dans cette chapelle de l’Attente, il refaisait les mêmes réflexions, recommençait les mêmes raisonnements, repassait par les mêmes espérances, les mêmes inquiétudes et les mêmes découragements.



C’était pour lui une lutte imprévue, incessante, une lutte morale, acharnée, épuisante, avec une chose insaisissable, avec une chose qui peut-être n’existait pas: la tendresse de coeur de cette femme. Comme ils étaient bizarres, leurs rendez-vous!



Tantôt elle arrivait rieuse, animée d’envie de causer, et s’asseyait sans ôter son chapeau, sans ôter ses gants, sans lever son voile, sans même l’embrasser. Elle n’y pensait pas souvent, ces jours-là, à l’embrasser. Elle avait en tête un tas de préoccupations captivantes, plus captivantes que le désir de tendre ses lèvres au baiser d’un amoureux que rongeait une ardeur désespérée. Il s’asseyait à côté d’elle, le coeur et la bouche pleins de paroles brûlantes qui ne sortaient point; il l’écoutait, il répondait, et, tout en paraissant s’intéresser beaucoup à ce qu’elle lui racontait, il essayait parfois de lui prendre une main, qu’elle abandonnait sans y songer, amicale et le sang calme.



Tantôt elle paraissait plus tendre, plus à lui; mais lui, qui la regardait avec des yeux inquiets, avec des yeux perspicaces, avec des yeux d’amant impuissant à la conquérir tout entière, comprenait, devinait que cette affectuosité relative tenait à ce que sa pensée n’avait été agitée et détournée par personne et par rien, ces jours-là.



Ses constants retards d’ailleurs prouvaient à Mariolle combien peu d’empressement la poussait à ces rencontres. On se hâte vers ce qu’on aime, vers ce qui plaît, vers ce qui attire; mais on arrive toujours trop tôt à ce qui ne séduit guère, et tout sert de prétexte alors pour ralentir et interrompre la marche, retarder l’heure vaguement pénible. Une singulière comparaison avec lui-même lui revenait sans cesse. Pendant l’été, le désir de l’eau froide lui faisait accélérer sa toilette quotidienne et sa sortie matinale vers la douche, tandis que, pendant les grandes gelées, il trouvait tant de petites choses à faire chez lui avant de partir, qu’il arrivait toujours à l’établissement une heure plus tard que d’habitude. Les rendez-vous d’Auteuil ressemblaient pour elle à des douches d’hiver.



Depuis quelque temps d’ailleurs elle espaçait souvent ces rendez-vous, les remettait au lendemain, envoyait des dépêches de la dernière heure, semblait à la recherche de prétextes d’impossibilité, qu’elle découvrait toujours acceptables, mais qui le jetaient en des agitations morales et dans un énervement physique intolérables.



Si elle avait laissé apparaître quelque refroidissement, quelque ennui de cette passion qu’elle voyait, qu’elle sentait toujours s’accroître, il se serait peut-être irrité, puis froissé, puis découragé, puis apaisé. Mais elle se montrait au contraire plus attachée à lui que jamais, plus flattée de son amour, plus désireuse de le conserver, sans y répondre autrement que par des préférences amicales qui commençaient à rendre jaloux tous ses autres admirateurs.



Chez elle, elle ne le voyait jamais assez, et le même télégramme qui annonçait à André un empêchement pour Auteuil le priait toujours avec instance de venir dîner ou passer une heure dans la soirée. Il avait pris d’abord ces invitations-là pour des dédommagements, puis il avait dû comprendre qu’elle aimait beaucoup le voir, plus que tous les autres, qu’elle avait vraiment besoin de lui, de sa parole adoratrice, de son regard amoureux, de son affection enveloppante et proche, de la caresse discrète de sa présence. Elle en avait besoin, comme une idole, pour devenir vrai dieu, a besoin de prière et de foi. Dans la chapelle vide, elle n’est qu’un bois sculpté. Mais si seulement un croyant entre dans le sanctuaire, adore, implore, prosterné, et gémit de ferveur, ivre de sa religion, elle devient l’égale de Brahma, d’Allah ou de Jésus, car tout être aimé est une espèce de dieu.



Plus qu’aucune Mme de Burne se sentait née pour le rôle de fétiche, pour cette mission donnée aux femmes par la nature d’être adorées et poursuivies, de triompher des hommes par la beauté, la grâce, le charme et la coquetterie.



Elle était bien cette sorte de déesse humaine, délicate, dédaigneuse, exigeante et hautaine, que le culte amoureux des mâles enorgueillit et divinise comme un encens.



Cependant son affection pour Mariolle et sa vive prédilection, elle les lui témoignait presque ouvertement, sans souci du qu’en-dira-t-on, et peut-être avec le secret désir d’exaspérer et d’enflammer les autres. On ne pouvait plus guère venir chez elle sans l’y trouver, installé presque toujours dans un grand fauteuil que Lamarthe appelait «la stalle du desservant»; et elle ressentait un sincère plaisir à demeurer seule avec lui pendant des soirées entières, causant et l’écoutant parler.



Elle prenait goût à cette vie intime qu’il lui révélait, à ce contact incessant avec un esprit agréable, éclairé, instruit, et qui lui appartenait, dont elle était aussi bien la maîtresse que des petits bibelots qui traînaient sur sa table. Elle lui abandonnait également peu à peu beaucoup d’elle-même, de sa pensée, de sa secrète personne, en ces confidences affectueuses qui sont aussi douces à faire qu’à recevoir. Elle se sentait avec lui plus libre, plus sincère, plus découverte, plus familière qu’avec les autres, et l’en aimait davantage. Elle éprouvait aussi cette impression chère aux femmes de donner vraiment quelque chose, de confier à quelqu’un tout le disponible d’elle, ce qu’elle n’avait jamais fait.

 



Pour elle c’était beaucoup, mais pour lui c’était peu. Il attendait, il espérait toujours la grande débâcle définitive de l’être qui livre son âme dans ses caresses.



Les caresses, elle semblait les considérer comme inutiles, gênantes, plutôt pénibles. Elle s’y soumettait, non pas insensible, mais vite lassée; et cette lassitude sans doute éveillait en elle de l’ennui.



Les plus légères, les plus insignifiantes, semblaient même la fatiguer et l’énerver. Quand, tout en causant, il s’emparait d’une de ses mains pour baiser ses doigts, qu’il gardait un peu, l’un après l’autre, entre ses lèvres, les attirant par une petite aspiration, comme des bonbons, elle semblait toujours désireuse de les ôter de là, et dans tout son bras il sentait un effort secret de retraite.



Quand, à la fin de ses visites, il déposait sur son cou, entre le col de la robe et les cheveux d’or de la nuque, un long baiser qui cherchait l’arome de son corps sous les plis des étoffes adhérentes à la chair, elle avait toujours un léger mouvement en arrière, puis une imperceptible fuite de sa peau sous cette bouche étrangère.



Il percevait cela comme des coups de couteau, et il s’en allait avec des plaies qui saignaient sans cesse dans la solitude de sa tendresse. Comment n’avait-elle pas eu au moins cette période d’entraînement qui succède chez presque toutes les femmes à l’abandon volontaire et désintéressé de leur corps? Elle est courte souvent, suivie par la fatigue et puis par le dégoût. Mais il est si rare qu’elle n’existe pas du tout, pas une heure, pas un jour! Cette maîtresse avait fait de lui non pas un amant, mais une sorte d’associé intelligent de sa vie.



De quoi se plaignait-il? Celles qui se donnent tout entières ne donnent pas tant peut-être?



Il ne se plaignait pas: il avait peur. Il avait peur de l’autre, de celui qui viendrait tout à coup, rencontré demain ou après-demain, quelconque, artiste, mondain, officier, cabotin, n’importe qui, né pour plaire à ses yeux de femme, et qui plairait sans autre raison, parce qu’il était celui-là, celui qui ferait pénétrer pour la première fois en elle l’impérieuse envie d’ouvrir les bras.



Il était déjà jaloux de l’avenir, comme il avait été, par moments, jaloux du passé inconnu; et tous les intimes de la jeune femme commençaient à devenir jaloux de lui. Ils en jasaient entre eux, et faisaient même devant elle de très discrètes et obscures allusions. Pour les uns, il était son amant. Les autres, suivant l’opinion de Lamarthe, prétendaient qu’elle s’amusait, comme toujours, à l’affoler, lui, pour les énerver et les exaspérer, eux, et rien de plus. Son père s’émut, et lui fit des observations qu’elle reçut avec hauteur; et plus elle voyait la rumeur croître autour d’elle, plus elle s’obstina à témoigner ouvertement ses préférences à Mariolle, par une bizarre contradiction avec toute la prudence de sa vie.



Mais lui s’inquiétait un peu de ces mesures de suspicion. Il lui en parla.



– Que m’importe! dit-elle.



– Au moins si vous m’aimiez d’amour!



– Est-ce que je ne vous aime pas, mon ami?



– Oui, et non. Vous m’aimez bien chez vous, et mal ailleurs. Je préférerais le contraire pour moi, et même aussi pour vous.



Elle se mit à rire, en murmurant:



– On fait ce qu’on peut.



Il reprit:



– Si vous saviez dans quelle agitation me jettent les efforts que je tente pour vous animer. J’ai l’impression tantôt de vouloir enlacer de l’insaisissable, tantôt d’étreindre de la glace, qui me gèle en fondant dans mes bras.



Elle ne répondit point, n’aimant guère ce sujet, et elle prit cet air distrait qu’elle avait souvent à Auteuil.



Il n’osa pas insister. Il la regardait comme on regarde les objets précieux des musées qui tentent si fort les amateurs et qu’on ne peut pas emporter chez soi.



Ses jours, ses nuits, n’avaient plus pour lui que des heures de souffrance, car il vivait avec cette idée fixe, encore plus avec le sentiment qu’avec l’idée qu’elle était à lui sans être à lui, conquise et libre, prise et imprenable. Il vivait autour d’elle, tout près d’elle, sans arriver jusqu’à elle, et il l’aimait avec toutes les convoitises non rassasiées de son âme et de son corps. Comme il avait fait au début de leur liaison, il se remit à lui écrire. Une fois il avait vaincu avec de l’encre la première défense de sa vertu; avec de l’encre il pourrait peut-être emporter encore cette dernière intime et secrète résistance. Espaçant un peu ses visites, il lui répéta en des lettres presque quotidiennes l’inanité de son effort d’amour. De temps en temps, quand il avait été fort éloquent, passionné, douloureux, elle lui répondait. Ses lettres à elle, datées, par chic, de minuit, une heure, deux heures ou trois heures du matin, étaient claires, nettes, bien pensées, dévouées, encourageantes et désolantes. Elle y raisonnait fort bien, y mettait de l’esprit, même de la fantaisie. Mais il avait beau les relire, il avait beau les trouver justes, intelligentes, bien tournées, gracieuses, satisfaisantes pour sa vanité d’homme, elles ne contentaient pas son coeur. Elles ne le contentaient pas plus que les baisers donnés dans la maison d’Auteuil.



Il cherchait pourquoi. Et à force de les apprendre par coeur, il finit par les si bien connaître qu’il en trouva la raison, car c’est par l’écriture toujours qu’on pénètre le mieux les gens. La parole éblouit et trompe, parce qu’elle est mimée par le visage, parce qu’on la voit sortir des lèvres, et que les lèvres plaisent et que les yeux séduisent. Mais les mots noirs sur le papier blanc, c’est l’âme toute nue.



L’homme, par des artifices de rhétorique, par des habiletés professionnelles, par l’habitude d’employer la plume pour traiter toutes les affaires de la vie, parvient souvent à déguiser sa nature propre dans sa prose impersonnelle, utilitaire ou littéraire. Mais la femme n’écrit guère que pour parler d’elle, et elle met un peu d’elle en chaque mot. Elle ne sait point les ruses du style, et elle se livre tout entière dans l’innocence des expressions. Il se rappela les correspondances et les mémoires des femmes célèbres qu’il avait lus. Comme elles apparaissaient nettement, les précieuses, les spirituelles, et les sensibles! Ce qui le frappait le plus dans les lettres de Mme de Burne, c’est qu’aucune sensibilité ne s’y révélait jamais. Cette femme pensait et ne sentait pas. Il se rappela d’autres lettres. Il en avait reçu beaucoup. Une petite bourgeoise rencontrée en voyage, et qui l’aima trois mois, lui avait écrit des billets délicieux et vibrants, pleins de trouvailles et d’imprévu. Il s’était même étonné de la souplesse, de l’élégance colorée et de la variété de sa phrase. D’où lui venait ce don? De ce qu’elle était très sensible, pas autre chose. La femme ne travaille point ses termes: c’est l’émotion directe qui les jette à son esprit; elle ne fouille pas les dictionnaires. Quand elle sent très fort, elle exprime très juste, sans peine et sans recherche, dans la sincérité mobile de sa nature.



C’est la sincérité de la nature de sa maîtresse qu’il s’efforçait de pénétrer à travers les lignes qu’elle lui écrivait. C’était aimable et fin. Mais comment ne trouvait-elle pas autre chose pour lui? Ah! il en avait

Купите 3 книги одновременно и выберите четвёртую в подарок!

Чтобы воспользоваться акцией, добавьте нужные книги в корзину. Сделать это можно на странице каждой книги, либо в общем списке:

  1. Нажмите на многоточие
    рядом с книгой
  2. Выберите пункт
    «Добавить в корзину»