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Amitié amoureuse

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LXIV
Denise à Philippe

Nimerck, 15 novembre.

Vous n'avez pas répondu à ma dernière lettre et cela m'a fait un peu de peine. Je devrais pourtant faire grâce à votre paresse… pour ce qui nous doit lier et ce que j'attends de vous, vous êtes bien tel que vous êtes. Je vous demande seulement de ne pas trop m'oublier, vous soupçonnant une tendance à aimer particulièrement, comme le chat, ceux avec qui vous êtes toujours.

Je viens de passer par de grandes inquiétudes à propos d'Hélène, et suis encore toute endolorie des pensées qui m'ont étreint le cerveau ces jours-ci. Je comptais revenir à la fin du mois à Paris; mon départ est reculé, et Dieu sait quand j'y rentrerai maintenant.

Espérez-moi un peu et écrivez afin que ma grande solitude se peuple de souvenirs amis.

N'oubliez pas surtout que je chemine assez tristement dans la vie, et que le moindre signe de vous me causera une grande joie.

LXV
Philippe à Denise

Paris, 16 novembre.

J'ai appris seulement hier, chez votre belle-mère, l'accident arrivé à la chère petite Hélène, et quelles suites fâcheuses il en est résulté.

Cependant, d'après votre belle-sœur madame d'Aulnet, avec laquelle j'ai eu le plaisir de dîner, j'espérais vous revoir cette semaine, l'enfant guérie. Faut-il encore renoncer à cet espoir? Je souhaite que non, et pour moi qui désire vivement revoir mon amie, et pour vous que je sens si attristée de vos préoccupations et de votre solitude. Soyez sûre au moins que dans tous ces ennuis mon amitié ne vous abandonne pas; si même je pouvais aller passer un ou deux jours avec vous, je le ferais avec joie. Mais qu'est-ce que l'on dirait? Ce monde de potins en serait soulevé.

Et puis je ne peux malgré moi plaindre beaucoup les heureux qui sont loin d'ici. C'est vraiment à Paris que les ennuis prennent une couleur grise et enveloppent l'âme d'un brouillard triste où elle s'éteint. Mais la nature, la mer, l'horizon, maintiennent l'esprit dans une santé morale excellente et raniment le courage. Pour ceux qui pensent et qui composent, c'est dans la solitude et le recueillement que leur viennent les meilleures inspirations. Leur personnalité s'y développe, leur talent s'y élargit. Soyez persuadée que si vous êtes maintenant trop abattue pour en profiter, vous ne tarderez pas à en ressentir les heureux effets une fois rentrée ici.

Que veut dire, s'il vous plaît, madame, «pour ce qui doit nous lier et ce que j'attends de vous, vous êtes bien tel que vous êtes».

Voilà une terrible phrase! Je vous prie de me la développer.

Vous avez tort de me soupçonner d'avoir, comme le chat, une tendance à aimer particulièrement ceux avec qui je suis toujours. C'est une idée fausse; je pourrais vous en écrire long là-dessus. Si vous tenez à me comparer à un animal quelconque, prenez plutôt le chien fidèle et bon.

Adieu, chère triste.

LXVI
Denise à Philippe

18 novembre.

Triste?.. Non, je ne le suis pas, seulement un peu alanguie et douloureuse. Si vous étiez là, je vous dirais le pourquoi de cette morbidesse. Cela réside en des riens que je sais analyser et que je ne peux vaincre. Ne vous êtes-vous pas surpris à garder une main un peu plus longtemps qu'il n'eût fallu dans la vôtre sans que votre cœur ou votre esprit y fût pour rien? cela est machinal et il plaît que ce soit ainsi. C'est comme un peu d'effleurement idéal; c'est fugitif, ce n'est rien; pourtant cela trouble et émotionne ainsi qu'une promesse d'amour. Mon état est celui-ci: un peu d'indéfini flottant autour de moi et gravitant vers quoi? je n'en sais rien.

Je me bucolise… l'automne, l'air pur et honnête des champs, la grande solitude, voilà les entraîneurs. Ne vous moquez pas trop de moi, s. v. p.!

Au reste, puisque vous dédaignez d'être chat, c'est au chien fidèle et bon que je fais cette confidence d'une gêne toute morale, et non au monsieur chic, engardénié et très cravaté de blanc.

Oui, oui, ce serait charmant une visite de vous; mais je n'ai pas le droit de prendre votre courage au mot…

Je me dis pourtant que ce pourrait être une chose enchanteresse ce voyage, si vous êtes friand de grand vent, de givre sur les pelouses, de houx aux feuilles luisantes, de mousses qui pleurent les feuilles mortes.

Si les promenades dans la tourmente ne vous déplaisent pas, ni les retours dans la maison close, ni les flâneries devant les grands feux sans autre lumière que la flamme du foyer, à l'heure fugitive et mélancolique du crépuscule, venez. Alors les ombres bizarres des meubles tremblent au vacillement des flammes et s'allongent sur les tapis, rampantes, pleines de mystère, tandis qu'au dehors les couchers de soleil rouges ensanglantent le ciel et font croire à un gigantesque incendie sur la mer.

Peut-être tout cela vous plairait-il infiniment.

Seigneur, où vais-je? Je ne pensais plus à votre brave peur des potins!

LXVII
Philippe à Denise

20 novembre.

Je n'aime pas cette ironie, madame, d'autant qu'elle me semble provenir d'un mal nerveux très inférieur à vos coutumières belles énergies.

Vous savez bien pour qui je crains les potins, n'est-ce pas? Alors trouvez-vous opportuns vos persiflages?

Je suis meilleur que vous, moi; j'ai été trouver Germaine et lui ai suggéré l'idée de partir vous désattrister avant l'arrivée de votre belle-sœur et de votre nièce. Cela a donné lieu à une scène comique entre elle, son mari et moi:

– Elle est triste? j'y cours, s'écrie gentiment Germaine.

– Eh bien et moi? vous m'abandonnez? réplique Paul.

– D'abord vous pouvez me suivre; et puis soyez raisonnable, chéri; vous savez bien que vous êtes dans votre phase chaste, donc je vous manquerai si peu…

– Germaine! s'exclama Paul, sévère.

– Eh bien quoi, mon amour? l'as-tu dit ou ne l'as-tu pas dit, l'autre soir? To be or not to be– et tu es très: Not to be, ces jours-ci.

– Continue, je t'en prie, de me ridiculiser devant Philippe!

– Lui? l'amant-blanc par excellence? Mais, mon amour, Toi, c'est par phases… lui, c'est à la fois quotidien, chronique et aigu. Tu peux me croire: il pèche toujours par omission!

Je pousse quelques: «Oh! oh! oh!» comiques, choqués, vexés, en pouffant, tandis que Paul, interloqué, demande:

– Qu'en sais-tu?

– Avec mon flair d'artilleur, je devine!

– Germaine! voilà de ces propos qui vous font mal juger dans le monde et…

– Voyons, gronde pas, ô mon fol amant!

– Mais moi, je proteste, madame Germaine!

– Qu'est-ce que ça y change? vous êtes un effleureur, mon cher Phil, vous le savez bien, pardi! Figurez-vous, amour de mari, je me souviens qu'il disait aux grandes filles, nos amies, lorsqu'il était petit (et moi encore plus petite) et qu'elles imploraient un baiser: «Je veux bien, mais surtout faites vite, pas fort et sans appuyer…» Une grâce qu'il leur faisait déjà dans ce temps-là, ce bout d'homme!

– Bon! ma chère; comme amant, je m'abandonne à vos sarcasmes – encore que vous parliez un peu sans savoir – mais en amitié, avouez-le, Germaine, on peut risquer le placement, je suis un fonds d'État…

– Parbleu, c'est bien ça: sûr, mais ne rapportant rien!

Là-dessus, nous rions comme trois fous; Paul envoie des regards passionnés à sa femme, et moi je leur donne ma bénédiction.

Ceci reste convenu: Germaine part pour Nimerck d'ici trois ou quatre jours. Son mari vous l'amène et revient à Paris, d'où nous partirons, lui et moi, pour la chasse, chez les Ferdrupt, Germaine ayant de tout temps déclaré qu'elle ne voulait pas mettre les pieds à la campagne de ces gens-là, parce qu'il y fallait trop travailler. Avez-vous su son aventure avec la douairière, morte depuis d'ailleurs, – et pas de çà! – Il était de bon ton, dans cette maison, d'afficher les mœurs extra-patriarcales. Or, Germaine étant venue passer quinze jours au Tilloy dans les premiers mois de son mariage, et n'ayant pas songé à munir sa malle de broderie, tapisserie, crochet, que sais-je? enfin de ces petites choses flottantes, sans forme, douces au toucher et qui se meuvent faiblement entre les doigts effilés des femmes, madame Ferdrupt, un soir, au salon, lui fit désobligeamment, quoique doucereusement, la remarque qu'elle seule était désœuvrée.

Le lendemain, à l'heure de l'ouvroir, devinez ce qu'invente l'enfant terrible? Elle apporte au salon un panier énorme et à l'ébahissement d'un chacun en tire une oie morte et se met à la plumer! Tableau.

Si vous ne souriez pas après une lettre pareille j'y perds mon latin. Allons, vite une belle risette, madame, à l'ami qui tendrement vous aime et qu'il vous faut aimer aussi un peu, dites?

LXVIII
Denise à Philippe

Nimerck, 21 novembre.

Voilà mon sourire, voilà mes mercis. La gentille pensée de m'envoyer Germaine! C'est vous tout entier, cela. Vous êtes un ami délicieux.

Mais quel Philippe votre lettre me révèle, insoupçonné jusqu'ici par moi! Va pour l'amant-blanc. Germaine, la chère enfant terrible, ne sait peut-être pas tout, dites?

LXIX
Denise à Philippe

Nimerck, 28 novembre.

A l'instant je reçois votre envoi de gibier. Merci de cette attention. Les cailles ravissent Hélène, tout à fait bien portante; elle en est très friande, la chérie.

 

Je pense que ces jolies bêtes doivent tenir lieu d'une lettre, cher paresseux; je lis entre leurs petites pattes et leur soyeux plumage, toutes sortes de choses gentilles, des paroles d'affection, de douces moqueries, voire des excuses consolantes. Je ne suis pas bien sûre de n'avoir pas vu aussi un peu d'ironie au bout du bec d'un perdreau; mais je n'ai pas insisté, et veux croire qu'il me souriait avec bonté, tout simplement, sans se ficher de moi le moins du monde, et sans avoir l'air de me dire que mes lettres courent un peu bien après les vôtres.

Je vous écris tandis que Massenet, charmant comme toujours, conte à Germaine, enivrée d'harmonie, un mot amusant qu'une femme de ses amies lui a servi l'autre soir. Il est de passage ici (pas le mot, mais Massenet) et doit assister après-demain à son festival musical à Nantes; ce sera un triomphe. Mon maître y est habitué. Massenet arrivait un peu en retard chez madame X… à un grand dîner qu'elle donnait en son honneur. Il s'excuse en disant que ce qui l'a retardé, c'est qu'on est venu lui annoncer sa nomination de membre de l'Institut de Bologne. «Ah! dit la maîtresse de la maison, Immortadelle, alors!»

Massenet, qui a de l'esprit, a été enchanté du mot.

Peut-être allez-vous croire que vous avez cette lettre à cause des bestioles envoyées? Pas du tout, monsieur, sans gibier vous l'aviez.

Je voudrais vous savoir bien persuadé que je tiens au moins autant que vous à l'amitié qui nous lie; j'en fais toute ma joie, même toute mon espérance.

Vraiment, entre un homme et une femme, l'amitié s'empreint d'une ardeur charmante; cette sorte d'amitié a, je crois, la destinée de ce qui est grand chez l'homme, procédant de son choix, de sa volonté, de sa pensée, et non de son instinct comme l'amour. Ou elle est sublime, ou elle n'est pas. Quand elle existe, elle existe à jamais et va toujours croissant.

Ainsi sera la nôtre, j'espère. Aussi n'ai-je pas trop peur que l'éloignement ne nous détache l'un de l'autre. Ce sentiment-là demeurera entre nous une nécessité heureuse qui tiendra le milieu entre les besoins du corps et ceux de l'âme, une sorte de désir abstrait, doux à savourer. N'a-t-il pas résisté déjà à l'épreuve du feu?

Vous habitez mon cœur, mon ami; tant pis pour vous si vous ne vous y plaisez pas. Mais tout ceci n'est pas une raison pour que vous me laissiez trop longtemps sans nouvelles. Adieu.

LXX
Philippe à Denise

Le Tilloy (Somme), 28 novembre.

Vous avez raison: l'amitié entre un homme et une femme n'est pas un sentiment naturel, et l'on ne peut y arriver qu'après avoir traversé des épreuves et les avoir surmontées par une grande droiture de cœur, un grand effort de volonté; la principale et la plus dangereuse de ces épreuves, c'est l'amour. Je vous ai aimée avec la plus grande force dont j'étais capable; vous m'avez éconduit amicalement, je me suis guéri, et me voilà retombé à ma nonchalance de cœur habituelle. L'amitié que je ressens pour vous est très douce, je m'y abandonne sans réticence; je m'abandonne au plaisir de la subir et de vous le dire et rien au monde ne me pénètre d'un pareil bonheur. J'ai baisé ce «vous habitez mon cœur». Ah! qu'il me soit un cher asile, ce cœur adorable.

Un certain instinct que nous avons tous en nous, nous entraîne par instants vers un idéal informulé, abstrait. Le besoin de pureté dans ce rêve, produit par nos défaillances dans la lutte sociale, m'entraînait autrefois à Dieu et je lui aurais porté cette vague poésie latente, si je n'avais songé à cet autre qui avait pour devise: «Souviens-toi de ne pas croire».

Vous êtes cet idéal, maintenant, madame. Ce moi chercheur de la lumière dans la vie n'est plus errant: il est en vous, béat, chère beauté pure.

Je suis heureux qu'Hélène ait croqué les cailles; je les avais chassées à son intention. Dalvillers et moi sommes partis de Paris le 24 pour le Tilloy. Nous y avons retrouvé une bande de clubmen, ce qui me gâte un peu la joie dont je m'imprègne au contact de la nature. La nécessité misérable d'avoir à revêtir l'habit noir après les longues heures de battue dans les bois, l'obligation plus douloureuse encore de bostonner une partie de la nuit avec toute la féminité du château et des châteaux environnants, me font cruellement sentir l'infériorité de n'avoir point à soi une chasse qu'on ne serait pas obligé de louer – ô pauvreté! – où l'on pourrait vagabonder presque solitaire, un toit plus ou moins pointu où l'on rentrerait s'abriter, se reposer du bon repos, les pieds sur les chenets, la pipe à la bouche, devant une flambée de bois sec. Voilà un rêve peu chic, pas du tout cravaté de blanc; très prosaïquement j'avoue qu'il me hante depuis mon arrivée ici. Je regrette presque la douairière et ses sages travaux à l'aiguille; au moins permettaient-ils aux hommes de somnoler en fumant.

Est-ce bête, mon amie, d'être nerveux au point de souffrir d'une façon physique d'infériorités morales émanant des autres?

La médiocrité intellectuelle des Ferdrupt m'irrite et me rend malade. J'aime mieux la vraie bêtise; au moins parfois elle est drôle. Ah! que Germaine a bien fait de lâcher ces gens! Paul et moi apprécions maintenant à sa juste valeur le coup d'état de l'oie.

J'ai achevé de me gâter chez vous, parmi vos amis remueurs d'idées, livrant de temps en temps «ce coin divin qu'il y a dans l'homme», dont parle Henri Heine.

Ici, je me heurte uniquement aux «idées reliées en cuir de cochon» et c'est bien pénible.

Pour me tirer de douleur, j'ai entrepris la culture d'un petit flirt. Je ne dédaigne point cette ribote de perruquier lorsqu'il s'agit de me sortir d'un ennui grandissant. Je compte sur votre aimable philosophie pour n'en tirer que d'indulgentes déductions sur mon fâcheux caractère. Ce régime – facile à suivre, surtout à la campagne – m'a réussi. J'accepte valse, boston, insuffisance morale de mes hôtes et de leurs hôtes, avec plus de courage, une volonté plus affermie. Cette résignation m'aidera, je l'espère, à supporter avec passivité tous les ennuis que mon mauvais destin me réserve encore durant l'achèvement de mon séjour; je ne puis malheureusement l'écourter ayant eu l'imprudence de m'engager, dès Paris, à accomplir un temps fixe.

Écrivez-moi, dites-moi ce que vous devenez; travaillez-vous beaucoup? Où en êtes-vous de votre air hongrois? Si vous avez composé trois notes nouvelles, envoyez-les-moi. Nimerck est moins désert, paraît-il. Georges Granbaud, arrivé ici depuis hier, m'a donné vaguement de vos nouvelles. Il est très discret sur vous, votre spirituel voisin. Il m'a jeté entre deux bouffées de cigare, que madame votre mère continue de regretter que votre nièce ne soit pas mariée. Pauvres espoirs de madame de Nimerck! je leur souhaite longue vie. Et pourtant miss Suzy vaut bien certaines autres, épousées tous les jours; il ne faudrait peut-être qu'un homme courageux pour la remettre dans le droit sentier.

Granbaud nous a dit, à moitié, le dernier trait de Germaine; donnez-nous toute la scène. Paul est anxieux de savoir le nouvel avatar de son fol esprit, et comment s'est passée l'aventure entre le substitut et la chère incorrigible Saint-Jean-Bouche-d'Or.

Racontez-moi tout: ce que vous pensez, dites, faites; – et surtout donnez-moi des nouvelles de votre délicieuse Hélène.

Respectfully yours.

LXXI
Denise à Philippe

30 novembre.

Voilà une lettre bourrée, ce qui s'appelle bourrée. Vous y sentimentalisez d'une manière des plus sublimes votre amitié, vous y parlez chasse, musique; vous citez vos classiques, vous y dansez, vous y dégringolez dans le flirt, vous y réclamez les mots de Germaine, vous y chiquenaudez Suzanne… ouf! j'en suis essoufflée!

Commençons par la chose gaie: l'autre jour dînaient ici le général Hepper, le colonel de Frégon, l'amiral des Issarts, puis un substitut des environs, neveu de la brave madame Ravelles. Un dîner sérieux, mais charmant grâce aux trois premiers convives. Après dîner, au salon, le jeune Ravelles croit pouvoir briller à son tour et patauge dans des lieux communs qui nous jettent à tous un léger froid. Avec l'esprit fin que vous lui connaissez, le général essaie de le tirer de l'ornière; le colonel vient en vain à la rescousse. Les inepties pleuvaient. L'esprit de la magistrature assise, debout, couchée, mal représenté par M. Ravelles, nous plongeait de stupeur en stupeur.

Habitué, au nom de la loi, à discipliner, à commander, à condamner, à punir, à innocenter, ce garçon loquace, impétueux dans ses affirmations, tranchant de juge à prévenu, menaçait de gâter notre soirée. Ce petit homme, parlant de l'Autorité comme si elle était sa maîtresse, sot à pleurer, mais non pas bête – ce qui est très différent – donnait l'envie folle de rabattre d'un bon coup son impertinent caquet.

– «Il faut secourir ce futur procureur… je n'y tiens plus, je vais m'immiscer dans son joli discours!» me glisse Germaine à l'oreille.

Alors, elle s'ingénie avec bonté à mettre la conversation de ce jeune officiel sur lui-même, pensant: si dépourvu de tact et d'esprit qu'on soit, le peu qu'on en a se développe dès qu'il s'agit de se raconter. Il parle, il parle, requérant comme un ange, et entame la question du mariage:

– Oui, madame, la vie est triste en province; pour s'y faire un centre, il faut se marier; mais voilà: choisir c'est si difficile et si chanceux.

GERMAINE. – Oui, il vous faudrait une jeune fille bien élevée, riche…

LE SUBSTITUT. – Bien entendu; je la voudrais du monde, mais très simple; intelligente, musicienne, spirituelle même; bien de sa personne, enfin charmante comme…

GERMAINE. – Ah! monsieur, je vous arrête! Vous allez me faire un compliment!

Et Germaine, s'étant mise au ton, minaude.

– Oh! madame, ce n'est pas un… vous en méritez mille! Mais pour vivre en province dans une position en quelque sorte officielle, il faudrait que la jeune personne fût plus… moins… comment dirais-je? enfin moins… plus… effacée. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre?

– Mais parfaitement: vous avez raison, monsieur, c'est très juste, car dans la magistrature il ne suffit pas d'être bête, il faut encore avoir de la tenue!

Et cette impertinence fut lancée d'un ton à nous ravir tous.

Puisque vous voilà content et pouffant et bien disposé, laissez-moi vous dire que votre lettre sent, malgré sa forme assez irrévérencieuse, un vague intérêt pour Suzanne. Si j'osais, je vous gronderais. Vous avez jeté la semence légère et féconde au vent, sans vous inquiéter si quelque grain, par hasard, n'allait point germer. Cela est mal.

Depuis l'arrivée de ma nièce, j'ai en vain essayé d'avoir avec elle la conversation projetée. Suzanne se dérobait.

Votre lettre m'a servie, et voici comment les choses se sont passées.

Je venais d'en achever la lecture quand Suzanne entra dans ma chambre. Peut-être avait-elle reconnu votre écriture sur l'enveloppe, en cherchant son courrier dans le plateau où le piéton dépose les lettres.

– Je vous dérange, tante?

– Non, Suzanne.

– Mais vous lisiez, je crois…

– Oui: une lettre de Philippe de Luzy et elle m'a contristée.

– Bah? le cher ironique est de plus en plus triste, désespéré, languide, sans doute? Mais vous êtes la bonne, l'unique consolatrice; vite écrivez, tante Denise, sans quoi votre Werther va courre sus à son pistolet; je vous laisse, je me sauve!

Là-dessus elle se met à rire, de ce rire cassant et bref qui sort de la gorge des femmes quand elles ont du chagrin, un rire qui retient des larmes. J'ai senti l'instant propice, j'ai parlé – comment? Je n'en sais rien, j'étais si émue! Mes vingt-neuf ans me font bien jeune devant la froide expérience de cette fille de vingt ans; j'ai parlé avec la persuasive éloquence des mères: Suzanne, attendrie, a pleuré, la tête posée sur mes genoux…

Elle m'a promis d'être plus réfléchie, plus sérieuse à l'avenir. Mon ami, cette fillette qui semble regarder sans voir, écouter sans entendre, a tout deviné du drame de votre cœur, du cher secret qui nous lie.

Avidement elle me disait: «Je vous ai tout dit, tante, tout; mais vous, dites-moi aussi la vérité pour ma récompense…»

Voilà comme nous sommes, aimant jusqu'à la torture infligée par ceux que nous aimons. Eh bien, grondez-moi si vous voulez, mais devant tant de franchise j'ai avoué. La pauvre petite a eu un mot sublime: «Comment avez-vous pu lui résister? Il vous aimait et il est si séduisant!»

Suzanne m'a remerciée d'avoir brûlé ses lettres.

 

– Tante, moi aussi j'ai gardé les siennes, faut-il les brûler?

– Ce serait plus sage, ma mignonne.

– Oh! comme c'est triste…

Elle s'est levée et, prenant mon bras, m'a entraînée jusqu'à sa chambre. Là, derrière l'amas parfumé de son linge d'été rose, mauve, bleu, sous l'enrubannement soyeux des fraîches batistes, elle a pris «son péché», – elle a dit ça si gentiment avec un sourire si contraint… Que n'étiez-vous là!

Ce péché (qui est bien un peu le vôtre) était cacheté dans une grande enveloppe; ce sceau en faisait déjà une chose finie, morte, une belle espérance juvénile à jamais perdue…

– Tante, permettez-moi de les lire encore une fois?

– Tu vas souffrir plus longtemps; mais lis, mon enfant, si tel est ton désir.

Et, tandis qu'elle lisait, j'allai regarder à la fenêtre. Le bruit imperceptible des feuillets tournés, les gros soupirs, tout ce petit drame se passant derrière moi me rendait triste; involontairement je songeais: les hommes légers sont bien coupables.

Mais elle, n'y tenant plus, s'écria:

– Ah! tante Denise, il faut lire aussi et vous verrez alors si j'étais folle de croire…

J'ai lu. Certes, ces lettres jolies, élégantes, parlant vaguement d'un autre amour, ont pu troubler ma nièce; mon ami, vous avez joué avec ce petit cœur-là; toute votre belle morale tombait parce que vous l'écriviez en cachette et que cette faute commise ensemble vous liait tous les deux du mauvais lien des amitiés malsaines. Avec vos câlineries de langage il faut tenir sa raison bien fort pour ne pas subir l'entraînement.

Philippe, la démarche que je tente est un peu bizarre, mais Suzanne vous aime, voilà mon excuse: pourquoi ne l'épouseriez-vous pas?

Vous l'avez appelée votre «consolante amie…» Laissez-moi mettre cette petite main dans la vôtre. Suzanne est dressable, vous pourrez la guider, la diriger. Allez, il faut se méfier des jeunes filles trop sages. Celles qui cherchent à aimer ne sont-elles pas dans le vrai? Et n'est-ce pas vous et votre égoïsme se dérobant, qui les faites devenir ironiques et coquettes, et les jetez dans la faute et le par-à-côté d'une vie déçue?

La première expérience d'amour d'une jeune fille, lorsqu'elle réussit, ne s'immaculise-t-elle pas par le mariage? De cette première et naïve imprudence naît ce mythe, rêve de toutes, le mariage d'amour.

Allons, cher, quittez le petit flirt, les valses, les coups de fusil, l'insipidité de vos beaux dîners insapides et devenez, à Nimerck, le neveu de votre grande amie.

DENISE.

P. – S.– Tite-Lène a marqué d'un mot cette journée. Comme Suzanne essuyait les dernières larmes que diamantaient les flammes de vos lettres, ma fille entre chez sa cousine. «Tu as du chagrin, Zon? Tu pleures? Pourquoi donc pleure-t-elle, maman? – Elle a de la peine, mon ange. – Ah! pauvre Suzanne! C'est vrai, la vie est triste il y a des jours… et ma poupée est en son… et mon petit oiseau est mort… Je voudrais m'en aller dans une étoile, s'il vous plaît, maman?»

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