Perdus Pour Toujours

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Je change de chaîne pour mettre Euronews afin de voir s’il y a du nouveau dans l’affaire de Manaus, mais ils n’en parlent même plus. Les sujets abordés sont toujours les mêmes que ceux des derniers jours et me paraissent tous trop déprimants pour leur accorder mon attention à cette heure de la nuit. J’éteins la télévision et m’assieds un peu sur le balcon afin d’apprécier le paysage et passer le temps avant d’aller dormir.

Demain, la baby-sitter arrive à neuf heures et les sessions du séminaire commencent à neuf heures et demie, d’après le programme. Je suppose qu’une demi-heure suffit pour présenter Becca et arriver à temps au palais. Je découvre ensuite les personnes que nous allons écouter demain, deux hommes le matin et deux autres l’après-midi. En premier un certain M. Fischer de Almeida qui va parler de la convergence de la législation dans l’ensemble des pays occidentaux et ses effets sur les centres d’exonération fiscale. Ensuite, ce sera au tour de C. Antonelli, qui traitera de comment les centres d’exonération fiscale peuvent continuer à être au cœur du développement des régions dans le besoin malgré les restrictions récemment imposées. Les deux sujets ont l’air intéressants, encore faut-il que les orateurs ne soient pas trop insipides, ce qui dans ces cas-là est toujours une option à considérer

QUATRE

Quand j’arrive au séminaire, il est presque dix heures du matin. Un énorme embouteillage a fait que le taxi avançait à la vitesse d’un escargot ; même si c’est férié, cela n’a pas d’influence sur la fluidité du trafic. Je passe au secrétariat demander la paperasse et cours en direction de la salle où, bien sûr, je ne trouve une place qu’à l’autre bout de la salle, au dernier rang. L’homme est lancé, détaillant son discours avec des graphiques et des tableaux de comparaison de pourcentages – dans une conférence sur la législation ? Ce n’est pas habituel d’avoir autant de couleurs. Même si cela dure plus d’une heure, l’homme arrive à ne pas la rendre ennuyante.

À onze heures ils font une pause-café et directement à la sortie je tombe sur Neil, comme d’habitude, il est très bien habillé dans un costume de Saville Row. Il est apparemment moins surpris de me voir que ce l’on pourrait imaginer. « Kalle ! Vad gör du här ? J’étais sûr que j’allais voir Gomez. » Commence-t-il en suédois avec un accent abominable mais très drôle, et change vite pour l’anglais, la seule langue qu’il sait réellement parler. Comme d’habitude, sa bonne humeur illumine son visage.

« Oui, il était censé venir, mais il a eu un imprévu. » Il se met à rire. « Un imprévu ? Humm, j’aimerais bien voir ça. Une fête chez une célébrité quelconque, n’est-ce pas ? » Rien ne lui échappe. « Eh bien… Et toi, comment vas-tu ? Janet et les enfants ? » Il hoche la tête, « Tout va bien, tout va bien. Dis-moi, comment as-tu fait pour venir ? Où est Becca ?

Je lui raconte que je l’ai emmenée avec moi et qu’elle est à l’hôtel avec une baby-sitter suédoise, ce qu’il trouve également très drôle. Neil a quinze ans de plus que moi et était ami avec mes parents, il était d’ailleurs plus proche de ma mère étant donné qu’ils se sont connus grâce à mon oncle Kjell, dans un camp de vacances. Quand ils étaient petits, Neil avait l’habitude d’aller passer ses vacances chez mes grands-parents près d’Uppsala. Puis a fini lui aussi par faire des études de droit et a travaillé dans le cabinet pendant quelques temps, avec Meirelles et Gomez en Droit Fiscal. Maintenant, nous sommes en collaborations avec son bureau à Londres. Il a été d’une grande aide à l’époque de l’accident, lui et Janet, qui est médecin, sont venus à la maison pour m’aider à remettre les choses en ordre et prendre de soin de Becca dans les premiers temps. Je leur en suis très reconnaissant.

Nous discutons pendant quelques minutes tous les deux, lorsque nous rejoignent ensuite Georges Bachelet et Javier Roccaforte, je connais le premier d’une université d’été à Bruges, et le deuxième de chez mes grands-parents. Aucun des deux ne s’attendait à me voir, et moi non plus d’ailleurs. Comme cela fait longtemps que nous ne nous sommes pas vus, nous nous racontons les nouvelles et faisons des plans pour le déjeuner. Tout à coup il me semble voir quelqu’un que je connais passer entre deux groupes et disparaître derrière un troisième. Je fais le signe de pause, comme au basket, et je vais à la poursuite de cette personne, qui a déjà disparu à travers la foule de participants.

Je la revois à nouveau à l’entrée de la salle et me dirige directement vers elle. « Allora, questo C. Antonelli sei tu ? » Lui dis-je à l’oreille. Elle se retourne lentement, puis me crie presque en s’accrochant à mon cou : « Kallimero ! Che bello vederti. Que fais-tu ici ? » Au début je reste muet, car, de près, elle est encore plus belle que la dernière fois que je l’ai vu. Je me reprends suffisamment vite pour lui répondre sans perdre mon sang froid. « Je suis venu te voir Cinzia, quoi de plus ? » En vérité je ne suis pas sûr que ce soit elle, la C. Antonelli du programme mais je ne perds rien à bluffer. Entre-temps notre conversation commence à attirer l’attention et elle me tire à l’intérieur de la salle.

« Si tu veux savoir, je suis un peu nerveuse. Je n’ai jamais parlé devant autant de personnes et encore moins en anglais. Je sais que je vais réussir, mais, tu sais, c’est bien le stress d’avant une représentation. »

Cinzia est originaire de Bologne, là où habite mon arrière-grand-père, fille d’un grand ami de ce dernier qui est Commercialiste – un hybride entre gestionnaire et avocat spécialisé en Droit Commercial et des Entreprises – et travaille avec son père. Nous avons plus ou moins le même âge, et nous connaissons de l’époque où, avec Mia, nous passions beaucoup de temps chez mon arrière-grand-père Nebuloni, autour de mes quinze ou seize ans. Elle et ma sœur, qui a toujours paru plus grande que son âge, passaient leur vie en cours de danse et de gym, elles arrivaient même à participer à des spectacles et des compétitions. Mia a ensuite changé pour l’Aïkido mais Cinzia a continué et de ce que je sais elle participe toujours à des compétitions.

Durant les années d’université, nous ne nous sommes pas beaucoup vus, mais avons tout de même continué à nous écrire. Je ne l’ai pas vu depuis plus de deux ans – les dernières fois que je suis allé à Bologne elle n’y était pas – mais, mis à part le fait d’être plus belle, elle n’a pas l’air d’avoir changé. Les mêmes cheveux longs et lisses qui lui arrivent presque au milieu du dos, d’un châtain si foncé qu’ils paraissent presque acajou, attachés en queue de cheval haute ; les mêmes yeux d’un marron chaud, les mêmes longs cils, les mêmes lunettes… Ah non les lunettes semblent différentes. Elle toujours le même sourire, avec sa bouche charnue et ses dents, très blanches sous son petit nez. Et le même visage ovale presque parfait qui fait penser à une poupée en porcelaine avec des lunettes.

« Je suis sûr que tu vas être super. Comment est-ce que tu es arrivée ici ? Et comment cela se fait-il que tu présentes une conférence sur le thème de – je lis le programme – ‘comment les centres d’exonération fiscale peuvent-ils continuer à être au cœur du développement des régions dans le besoin malgré les restriction récemment imposées’ ? » Elle me regarde du haut de son mètre soixante et je ne peux m’arrêter de regarder la vue quand je tombe sur le décolleté de sa chemise. Je me bats contre l’attraction hypnotique qui s’emparent de mes yeux et essaye à tout prix de rester concentrer sur son visage, mais sans grand succès. Je ne sais donc même pas si elle ce c’est aperçu de mes efforts. Au vu de la conversation je ne peux pas savoir.

« Le studio fait partie de l’association qui organise ce séminaire, le thème était libre et j’ai eu envie de venir le présenter. Le sujet m’intéresse et puis c’est toujours un bon moyen de gagner des clients, même si c’est de manière indirecte par les autres professionnels qui viennent ici. » Je ne l’avais jamais entendu parler du travail, on dirait une autre personne. « Allez, je dois aller me préparer, mais on peut se voir au déjeuner ? »

Je lui dis que oui, peut-être sur un ton un tout petit peu plus anxieux que je n’aurais voulu le manifester, sous le coup de la température de mon corps qui est montée tout d’un coup quelques minutes auparavant. Toutefois je me souviens rapidement que j’ai déjà prévu de déjeuner avec les autres et me vois alors forcé de lui dire non, à moins qu’elle ne veuille venir avec nous.

Elle me dit que non, que c’est mieux que les garçons s’amusent sans elle au milieu pour les gêner, et que de toute façon elle se rappelle qu’elle a déjà un rendez-vous de prévu pour le déjeuner avec un client à elle qui se trouve à Madère et l’un de ses collègues.

Je lui propose alors de dîner ensemble, mais elle me dit qu’aujourd’hui elle ne peut pas car elle a un dîner avec l’organisation du séminaire. Nous convenons alors de demain, pour le déjeuner, afin de rattraper le temps perdu. Elle me fait un bisou sur la joue et me murmure « Ciao bello » d’une voix grave à mon oreille. Je reste à la regarder avancer vers l’escalier qui mène à la scène, encore embrumé des vapeurs de son parfum de toujours. Cette fille sait marcher, il est important de le dire. Elle ne fait peut-être qu’un mètre soixante mais on dirait que ses jambes sont interminables, il est vrai que sa jupe courte aide un petit peu. Depuis la scène, elle me fait encore une fois un signe de la tête que je lui renvoie sans encore bien comprendre ce que je viens de ressentir. Je relâche les épaules et retourne avec « les garçons ».

« Et alors, est-ce que ce sont des manières ? Nous laisser en plan pour aller parler à une femme ? » Me lance Georges d’un air fâché. « Et en plus, ce n’est pas n’importe quelle femme. C’est la plus jolie qui a été donné de voir à ce groupe de pauvres malheureux ! » Continue Javier. « Tss, tsss, tsss. » Conclue Neil, qui, peut-être parce qu’il est marié est plus modéré avec ces choses-là. « Je parie que notre déjeuner de midi est déjà tombé aux oubliettes car Don Juan a d’autres plans. » Me jette Javier avec un consentement général.

 

« Eh bien, mon cher Javier, c’est avec un grand regret que je peux t’affirmer que tu te trompes. Les engagements avant tout, ce qui était prévu reste prévu. Elle m’a demandé, a insisté, m’a imploré pour que j’aille manger avec elle, mais je suis resté ferme et lui ai dit à chaque fois non ! D’abord les amis, ensuite les conquêtes » Leur lancé-je avec ma meilleure interprétation théâtrale, cherchant à éloigner la vision qui les offusquait encore. Georges me regarde d’un air incrédule : « De quoi, cette statue, cette ode à la beauté t’invite à déjeuner et toi tu dis que tu dois aller déjeuner avec des amis ? » J’acquiesce. « Cet homme est malade. Et sûrement complétement fou. » Je suis entouré de visages où l’on ne peut observer que de la désapprobation. « Enfin, il vaut mieux quand même aller déjeuner avec lui, ne va-t-il devenir fou quand il réalise l'énormité de son erreur. » Je hausse les épaules et accepte leur soutien, en sachant très bien que quoi qu’il arrive je vais déjeuner avec Cinzia.

La conférence est intéressante en elle-même et m’aide à retrouver mon état normal, tandis que je ne remarque pas le temps passer jusqu’à l’heure du déjeuner. Les déjeuners sont libres et nous choisissons tous les quatre d’aller dans un restaurant, sur la marina, que le secrétariat a conseillé à Georges pour la fraîcheur ainsi que la variété de leurs poissons. Nous parcourons le Jardin de Santa Catarina et traversons ensuite l’Avenue de la Mer, nous passons devant la Maison de la Bière et continuons jusqu’à la marina.

Le restaurant « Peixe Fresco » se situe plus ou moins au centre et semble avoir été récemment inauguré. Nous pouvons y voir des bâches à rayures bleues, des chaises en osier tapissées du même tissu à motifs, des tables en bois clair recouvertes de nappes à carreaux bleu clair ainsi que les traditionnels aquariums et tables d’exposition présentant la pêche du jour – accompagnés de tableaux annonçant le prix de chaque poisson dans huit langues afin de n’offenser aucun client potentiel.

Nous sommes reçus par un employé polyglotte, qui je pense est l’auteur des tableaux, avant que je ne remarque ensuite que tous les employés parlent, ou se débrouillent, dans au moins quatre des huit langues qui annoncent le menu. Nous nous asseyons à une table, à l’intérieur dans un coin, loin de l’agitation des touristes qui occupent les places les plus proches des quais, afin de mieux admirer ce qui s’y passe. Nous demandons un mélange de poissons pour quatre personnes, qui sont en pratique les poissons du jour, de petite taille, grillés au charbon de bois et servis avec des frites à l’ail, du citron et de la salade verte. Sur l’insistance de Neil, qui adore le vin vert, nous commandons deux bouteilles d’Alvarinho Soalheiro, en appuyant sur le fait qu’elles doivent être « trèèès fraîches », car c’est, de cette manière, exceptionnel, selon lui. Enfin moi, j’aurais plutôt pris une bière, mais bon si les autres boivent du vin… Ce séjour à Funchal va véritablement ruiner mon entraînement physique.

Le déjeuner dure pratiquement les deux heures de pause entre la session du matin et celle de l’après-midi. Et après le poisson, arrivent les desserts, et cette fois je n’y résiste pas. Je mange un flan au fruit de la passion, qui doit contenir plus de calories que tout le reste du déjeuner dans son intégralité. Georges paye l’addition, en disant qu’il présentera cela en tant que frais de représentation sans que personne ne l’embête, ainsi tout le monde le remercie et promet de lui payer un verre la prochaine fois.

Nous sortons du restaurant et montons calmement la pente pour retourner au palais des congrès, où nous arrivons alors que le premier orateur de l’après-midi s’apprête à monter les marches de la scène.

Je retourne à ma place et essaye de supporter ce qui semble être la pire conférence possible. Une voix monocorde nous présente les stratégies de planification fiscale en utilisant les centres d’exonération qui ne figurent pas encore sur liste noire. Un bel exemple qui nous montre qu’aucun graphique de couleur ne peut rendre intéressant un sujet. Au moins, ils ont distribué des résumés que je vais pouvoir ramener à Gomez, car je n’ai pris aucune note.

Nouvelle pause d’une demi-heure. Je décide de m’en aller avant la prochaine conférence. Cela semble être une présentation du type de services que l’organisation peut offrir, et ces informations figurent sur la brochure qu’ils m’ont distribué lorsque je suis arrivé. On me confirme ce que je pensais, et me mets donc en chemin du Pearl Bay, suivi de près par une grande partie des autres participants qui ont dû arriver à la même conclusion que moi.

J’arrive à l’hôtel après une promenade agréable et vais voir Becca en compagnie de la baby-sitter, qui s’appelle Sofia et avec je n’ai pratiquement pas parlé ce matin car elle est arrivée en retard. Elles sont à la piscine, en train de barboter toutes les deux dans le petit bassin.

« Hej, Kalle ! Titta, ja’badar. » Bon, je me rends compte qu’elle a passé la journée à parler suédois, ça va être difficile de la faire changer. « Bonjour bébé, tu t’es bien amusée avec Sofia ? » Elle me répond que oui en jetant un regard complice en direction de Sofia, qui lui fait un clin d’œil et fait chut avec le doigt devant la bouche. « Oui nous nous sommes bien amusées. On est allées à la piscine en bas et ap’ès on est venu ici. » Au final ce n’était pas si difficile que ça. J’ouvre à peine la bouche pour lui demander autre chose, qu’elle me coupe.

« Tu sais aujou’d’hui j’ai mangé un g’os poisson. » Je regarde Sofia qui, en silence, forme avec les lèvres les mots « poisson grillé » et montre le bar de la piscine. « Ah oui, et tu as aimé ? » Elle me dit à nouveau oui et continue avec une voix sérieuse, « c’était un poisson très grand, comme ça. » Elle écarte les bras pour montrer que son poisson mesurait presque cinquante centimètres. Elle me regarde à moi puis à Sofia d’un air effronté pour voir si la blague marche, mais comme elle nous voit prêt à éclater de rire, elle se met à rire aussi et essaye de m’attirer dans l’eau, mais comme je la connais bien je me mets hors de sa portée.

« Et bien ma petite, que diriez-vous, avec Sofia, d’allez-vous habiller que l’on aille ensuite prendre le goûter ? » Elle commence à sautiller en mettant de l’eau partout. « Ouii ! Un goûter. Je veux un gâteau ! » C’est ce qu’on va voir, me dis-je. Sofia l’aide à sortir doucement de la piscine, mieux que moi je pense, met un peignoir et l’enveloppe dans une serviette, attrape un sac en toile qui se trouve sur une chaise à côté de la piscine puis se dirigent toutes les deux en direction de l’ascenseur pour aller dans la chambre. Je vais les attendre à la cafétéria.

Elles arrivent vingt minutes après. Becca porte une robe bleu clair à manches trois quart, des sandales beiges que je n’ai jamais réussi à lui faire porter et un bandeau, dont je ne connaissais même pas l’existence, sur ses cheveux encore humides. Elle arrive d’un air satisfait, de quelqu’un qui se sent bien dans ses vêtements. Elle est très jolie et ressemble de plus en plus à ma sœur, qui aurait adoré la voir comme cela.

Sofia a dû se changer avec les vêtements qui se trouvaient dans son sac, car elle ne porte ni les chaussures, le jean ou le tee-shirt en coton à manches longues avec lesquels elle est arrivée ce matin. Elle porte une robe longue en coton vert clair à bretelles, qui arbore un motif fleuri dans les tons de vert foncé et blanc et des sandales en toile avec le talon en bois, qui la hissent presque à ma hauteur. À l’épaule elle porte un sac en maille beige. Il me semble qu’elle s’est maquillée les yeux et la bouche et au lieu de sa queue de cheval de tout à l’heure, elle arbore des boucles couleur acajou qui lui tombent sur les épaules et dans le dos. Son visage est grand et harmonieux, et sous ses sourcils épais dans les tons de roux, elle a des yeux verts, très clairs, en amande, soulignés par de longs cils cramoisis. Son nez est petit et en trompette, typique des scandinaves, mais ses lèvres charnues et sensuelles, ne sont quant à elles pas si caractéristiques. Ses dents sont alignées et bien blanches, signe qu’elle n’a dû jamais louper un rendez-vous chez le dentiste de toute sa vie. Son sourire est charmant et fait ressortir ses pommettes ainsi que le vert de ses yeux qui parait s’intensifier quand elle sourit. Sa peau est couleur crème, parsemée de taches de rousseurs de la tête aux pieds, ce qui lui fait d’une certaine manière ressembler à Pippi aux Grandes Chaussettes et doit par conséquent bien passer avec les enfants. Je ne suis pas grand amateur de rousses, mais je dois dire que ce mélange est très intéressant, la jeune fille est jolie.

Elles s’assoient à côté de moi et Becca commence directement à réclamer un jus de pomme avec un sandwich au jambon, elle a oublié son gâteau entre les allées et venues. Sofia commande un mazagran et moi, me rappelant du déjeuner et de ses deux bouteilles de vin, je commande une eau minérale.

« Så, Sofia, du bor här med dina foräldrer ? », lui dis-je afin d’engager la conversation. « Japp, men alla kalla mig för Fia, och vi kan prata portugisiska om du vill. » Je trouve cela bizarre, je me rappelle que Micaela, la fille de la réception, m’a dit qu’elle parlait mal le portugais. « Ok, si tu veux, alors, pour récapituler, tu vis ici avec tes parents et tu parles portugais, contrairement à ce que dit la réception. » Elle se met à rire, d’un rire cristallin et agréable.

« Je pense que c’est plutôt parce qu’ils ne me comprennent, et non pas le fait que je parle mal portugais. » L’accent est prononcé, du Nord de Porto ou peut-être encore plus au nord, mais en aucun cas je ne dirais qu’elle parle mal. « Oui je vois ce que tu veux dire, » lui dis-je avec un sourire. « Et comment tu es arrivée ici ? » Elle boit une gorgée de mazagran, croise les jambes et arrange sa robe avec de répondre : « Ma mère est professeur invitée de Biologie Maritime à l’université d’ici, ainsi mes parents passent des semestres à Funchal durant l’année universitaire. » Je me dis que ça doit être très intéressant de vivre ainsi entre deux endroits. Je lui demande ce que fait son père pour qu’il arrive à s’arranger pour venir à Funchal avec sa femme et maintenir son emploi. Elle me dit alors qu’il est écrivain, mais poursuit immédiatement en disant qu’il n’est pas connu, je n’en demande donc pas plus. « Et d’où tiens-tu cet accent du Nord ? » À nouveau le rire cristallin. « Eh bien, cela vient sans doute de ma mère ! » Elle rit encore une fois, mais comme elle ne m’en dit pas plus je n’insiste pas. Entre-temps, Becca, lassée de notre conversation, est partie s’amuser dans le jardin. Elle me demande ce que je fais dans la vie, où nous habitons avec Becca et comment se fait-il que nous parlions à la fois portugais et suédois entre nous. Je me retrouve alors à lui raconter l’histoire de ma famille, depuis l’époque où mon arrière-grand-père était aide-de-camp de l’attaché militaire italien à Madrid, comment il s’est marié à mon arrière-grand-mère qui était espagnole et comment il a réussi à rester pendant la guerre. Je lui parle également de mon grand-père, qui est venu au Portugal en visite et qui en est parti marié à ma grand-mère et de comment mon père qui a toujours passé beaucoup de temps avec mon arrière-grand-père maternel ainsi qu’avec mon oncle-grand-père, a fini par devenir avocat au Portugal.

« Tu as une famille plus mixte que la mienne. » Ça c’est sûr, me dis-je, et encore tu ne connais pas le côté de ma mère. « Et comment tes parents se sont-ils connus ? »

Ne voulant pas m’éterniser sur le sujet, je lui dis seulement qu’ils se sont rencontrés à l’Université de Madrid, quand ma mère y est venue passer un semestre d’échange, et que je suis né quelques mois après.

« Bon sang, quelle histoire ! Quel romantisme. Et ils habitent où maintenant ? » la question était inévitable et la réponse doit être donnée, même si c’est difficile.

« Mes parents sont décédés. Ils sont morts dans un accident de voiture avec ma sœur, la mère de Becca. » En un instant, je la vois devenir livide.

« Oh, je suis désolée, je ne savais pas. »

« Ce n’est pas grave. Tu ne pouvais pas savoir. De toute façon, ça s’est passé il y a plus d’un an. C’est juste que nous ne sommes pas encore guéris. »

 

« J’imagine. Cela doit être horrible. Je n’arrive pas à imaginer ce que ça serait de perdre mes parents de cette manière. »

« Ça a été un grand choc. Surtout qu’ils allaient seulement voir une maison pour ma sœur et Becca à côté de Cascais. Ils sont apparemment sortis de la route et sont tombés dans un ravin sans raison apparente. Becca a été la seule survivante, sans une égratignure. Elle a été éjectée, dans son siège auto, hors de la voiture et a atterri sur des arbustes qui ont amorti sa chute. Mes parents et ma sœur n’ont pas eu la même chance, mêmes les ceintures de sécurité n’ont pas pu les sauver.

« Alors, cela s’est passé comme ça, rien de plus ? » J’ai toujours pensé que ça me ferait du mal d’entendre ce type de question, mais non, je me sens étrangement léger, comme si on m’enlevait un poids des épaules.

“Apparemment. Il y a bien eu le témoignage d’un homme qui disait avoir vu un gros 4x4 immatriculé à l’étranger, un Suburban ou quelque chose comme cela, mais il se trouvait trop loin pour en être certaine et le véhicule n’a jamais été retrouvé. De toute façon, l’homme aimait l’alcool et est mort peu de temps après d’une crise cardiaque, et la police n’a jamais retrouvé aucune preuve dans la voiture de mes parents, elle a percuté tellement d’obstacles durant la chute qu’elle a été totalement détruite, et si cela ne suffisait pas, elle a également explosé, effaçant ainsi tous les indices restants. »

« Mon dieu. Je ne sais pas quoi dire. Je suis désolée de t’avoir posé la question, je ne voulais pas te rappeler des choses aussi tragiques, » me dit-elle avec les yeux humides.

« Ce n’est pas grave, et pour te dire toute la vérité, ça me fait du bien d’en parler. J’ai gardé tout cela en moi depuis trop longtemps. Je me préoccupe beaucoup de Becca et je ne pense pas beaucoup à moi. Peut-être fallait-il que je parle de ce qui s’était passé ? » Dis-je d’un air interrogatif.

« Et tes amis ? Ta petite amie ? »

« Eh bien, tu sais, je n’ai jamais été fêtard. Les quelques connaissances que j’avais se sont poliment éloignées après l’accident, afin de me laisser faire le deuil, je suppose, mais ne sont ensuite jamais revenues. Ma petite amie de l’époque a trouvé que Becca était un poids trop lourd pour notre relation et a dit qu’il était mieux pour nous de se séparer. Il me reste quelques amis, mais vu ce qu’il s’est passé avec les autres, je me suis dit qu’il était préférable de les laisser tranquilles et de m’occuper de Becca. Elle était assez mal après l’accident, le choc lui a provoqué des tremblements et des cauchemars, beaucoup de cauchemars. Ça a été très difficile pour elle d’accepter qu’ils étaient morts. Encore aujourd’hui elle fait des cauchemars. »

« Cette fille doit être stupide ! » Dit-elle entre les dents au sujet d’Isabel, rougissant immédiatement en s’apercevant que j’avais entendu. Je lui explique que maintenant je m’en fiche, que c’est peut-être mieux comme cela, car si elle était restée ça n’aurait sûrement pas duré. Elle est d’accord avec moi. Après un petit silence j’enchaîne « Enfin, laissons cela, ce qui est passé est passé, et malheureusement nous ne pouvons rien y changer. Tu veux un autre mazagran ? »

« Non, merci. Pour changer complétement de sujet, j’aimerais savoir comment tu souhaites t’organiser par rapport à Becca. Quand ils m’ont téléphoné, ils sont restés très vagues, ils m’ont dit que quelqu’un qui venait pour un séminaire avait besoin qu’on s’occupe d’une petite fille. Je suppose donc, que tu as besoin de moi la journée, mais aussi le soir, à cause des dîners, n’est-ce pas ? »

« Oui, en principe c’est comme ça, mais pas aujourd’hui. Je n’ai pas envie d’aller au dîner, j’ai assez mangé à midi et je n’ai pas envie de trop manger ce soir. Je voulais dîner avec Becca... et avec toi, si tu veux nous faire de la compagnie ? » Je lui propose cela sans bien savoir quoi dire de plus.

« Non, merci. J’apprécie l’invitation mais je ne peux pas. Cela tombe d’ailleurs plutôt bien que tu n’ailles pas au diner du séminaire ce soir, car aujourd’hui mes parents ont organisé un repas avec des amis à eux qui sont de passage et je n’aurais pas pu rester. Si tu n’étais pas rentré à l’hôtel, j’avais déjà trouvé quelqu’un pour me remplacer. Demain et même après, en revanche, je suis libre et peux rester, donc ne t’inquiètes pas pour Becca.

Je la remercie et lui demande si elle doit partir tout de suite, quand elle me dit que non, j’en profite pour lui demander si elle peut rester une heure de plus afin que je puisse aller à la piscine pour brûler les calories de ce midi. Elle se met encore à rire, je me dis que ça doit être une personne qui est toujours de bonne humeur. Elle dit que c’est bon pour elle mais qu’elle veut venir voir. C’est alors à mon tour de rire. « Tu peux venir, il y a un bar en bas n’est-ce pas ? Toi et Becca pouvait attendre pendant que je m’éreinte à brûler mes graisses. » Elle me regarde avec un air de quelqu’un qui n’a pas compris ce que je suis en train de dire.

Je me lève de ma chaise et me dirige vers l’ascenseur tandis qu’elle me regarde m’éloigner. Je monte dans la chambre, enlève mon costume, enfile un short de bain et un peignoir que je trouve dans la salle de bains, je mets des chaussons qui se trouvaient dans la poche de ce dernier et descends. Je les retrouve en train de m’attendre, nous changeons d’ascenseur et descendons jusqu’au niveau de la mer.

Elles s’asseyent sur une des tables, je fais quelques exercices d’échauffement et descends lentement dans l’eau froide de la piscine d’eau de mer. Pendant l’heure qui suit, je nage le plus que je peux, dans un premier temps pour ne pas geler, passant d’une nage à l’autre afin de ne pas me fatiguer trop vite. Quand je sors finalement de la piscine, j’ai les muscles en bouillie, mais je me sens étrangement bien. Je me dirige vers elles tout dégoulinant et Fia me tend alors une serviette avec une expression curieuse dans le regard dont je ne comprends pas bien la signification. Mais cela ne dure qu’une seconde car Becca lui réclame de l’attention et est ainsi détournée. Je finis de me sécher, mets le peignoir et les chaussons et nous montons tous dans l’ascenseur pour retourner à l’hôtel.

Fia nous dit au revoir et promet d’arriver à l’heure demain matin. Je lui dis que ce n’est pas grave. Nous restons tous les deux devant la porte tandis qu’elle rentre dans la C3 Pluriel, avec laquelle elle est venue et nous lui faisons signe lorsqu’elle remonte la pente.

« Tu sais, Kalle, ze l’aime beaucoup, » me dit Becca dans l’ascenseur pour monter dans la chambre.

« Elle est très sympa, n’est-ce pas ? » lui dis-je à moitié distrait, car je viens de me rappeler que j’ai oublié de téléphoner à Creutzer pour en savoir plus sur Lentz. Il faut que le fasse demain. Cette histoire réveille ma curiosité. Bien qu’elle semble déjà avoir disparu des informations et des journaux, mon expérience me fait dire que cela ne signifie pas qu’elle est terminée. Et Beauchamp, a-t-il déjà reçu ma lettre ? Enfin, si jamais il donne signe de vie, Gabriela m’appellera, il ne faut pas que je m’occupe de ça.

Nous dînons dans la chambre, Becca tombe de sommeil et je commence à sentir les effets de mon heure de natation. Une fois Becca endormie, je téléphone au service de chambre afin qu’ils viennent débarrasser nos repas et vais ensuite sur le balcon, observer les lumières de Funchal en réfléchissant au lieu de mon déjeuner de demain avec Cinzia.

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