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Derniers essais de littérature et d'esthétique: août 1887-1890

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Le dernier livre de M. William Morris 45

Le dernier livre de M. Morris est, d'un bout à l'autre, une pure œuvre d'art, et la distance même qui sépare son style du commun langage et des intérêts terre à terre de notre temps, donne à tout le récit une étrange beauté, un charme qui n'a rien de familier.

Il est écrit dans un mélange de prose et de vers, comme le «cante fable» du moyen âge et nous conte l'histoire de la maison des Wolfings dans ses luttes contre les légionnaires de Rome qui pénétraient alors dans la Germanie du Nord.

C'est une sorte de Saga, et le langage dans lequel est écrite cette épopée populaire, comme nous pourrions la nommer, rappelle la dignité, la franchise antique de notre langue anglaise d'il y a quatre siècles.

A un point de vue artistique, on peut la qualifier un essai pour se replacer par un effort conscient dans le milieu d'un siècle plus ancien, qui aurait plus de fraîcheur.

Les tentatives de ce genre ne sont point chose rare dans l'histoire de l'art.

C'est d'un sentiment analogue que sont sortis le mouvement préraphaélite de nos jours et la tendance archaïque de la sculpture grecque à son époque postérieure.

Quand le résultat est beau, le procédé est justifié. Les cris aigus, de ceux qui s'obstinent à réclamer une absolue modernité comme une prétendue nécessité, ne sauraient prévaloir contre la valeur d'une œuvre qui possède l'incomparable excellence du style.

Il est certain que l'œuvre de M. Morris possède cette excellence.

Ses belles harmonies, ses riches cadences créent chez le lecteur cet esprit sans lequel son esprit ne peut être interprété, éveillent en lui quelque chose du caractère romanesque, et le tirant de son propre siècle le placent dans un rapport meilleur et plus vivant avec les grands chefs-d'œuvre de tous les temps.

C'est chose mauvaise pour un siècle que de regarder sans cesse dans l'art pour y trouver son image.

Il est bon que de temps à autre, on nous donne une œuvre noblement imaginative en sa méthode et purement artistique dans son but.

En lisant le récit de M. Morris avec ses belles alternances de vers et de prose, avec sa façon merveilleuse de traiter les sujets de roman et d'aventures, nous ne pouvons nous soustraire à la sensation d'être transportés aussi loin de la fiction ignoble que nous le sommes des faits ignobles de notre temps.

Nous respirons un air plus pur, nous avons des rêves d'une époque où la vie avait quelque chose de poétique qui lui était propre, où elle était simple, imposante et complète.

L'intérêt tragique de La Maison des Wolfings se concentre autour de Thiodolf, le grand héros de la tribu.

La déesse, dont il est aimé, lui donne, au moment où il va livrer bataille aux Romains, un haubert magique auquel est attaché un étrange destin: celui qui le portera sera invulnérable, mais il causera la perte de son pays.

Thiodolf découvre ce secret et rapporte le haubert à Soleil des Bois, – ainsi se nomme-t-elle, – et préfère sa propre mort à la ruine de sa cause.

Ainsi finit l'histoire.

Mais M. Morris a toujours mieux aimé le roman que la tragédie, et place le développement de l'action au-dessus de la concentration de la passion.

Son récit est semblable à une vieille et splendide tapisserie toute pleine de personnages imposants et enrichie de détails délicats et charmants.

L'impression, qu'elle laisse en nous, n'est point celle d'une figure centrale qui domine l'ensemble, mais plutôt d'un magnifique dessin, auquel tout est subordonné, et par lequel tout acquiert une signification durable.

C'est le tableau d'ensemble de la vie primitive, qui exerce une réelle fascination.

Ce qui, entre d'autres mains n'aurait été que de l'archéologie est transformé ici par un instinct artistique vivant, nous est présenté sous un aspect merveilleux, mais humain, et plein d'un intérêt élevé.

Il semble que le monde ancien revient à la vie pour nous charmer.

Il est difficile de donner par la simple citation une idée adéquate d'une œuvre aussi considérable, achevée avec autant de perfection qu'elle a été conçue.

Cependant, voici un passage qui peut servir comme spécimen de sa valeur narrative.

C'est la description de la visite faite par Thiodolf au Soleil des Bois.

La lumière de la lune s'épandait à grands flots sur le gazon découvert, et la rosée tombait, en cette heure la plus froide de la nuit, et la terre exhalait un doux parfum: toute la demeure était alors endormie. En aucun des bruits ne se reconnaissait le bruit d'une créature, si ce n'est que de la prairie lointaine arrivait le mugissement d'une vache qui avait perdu son veau, et qu'une chouette blanche voletait près des rebords du toit, jetant son cri sauvage, pareil à la raillerie d'un éclat de rire maintenant silencieux.

Thiodolf se dirigea vers le bois et marcha sans s'arrêter à travers les noisetiers clairsemés, passa de là dans la masse dense des bouleaux, dont le tronc se dressait lisse et argenté, haut, compacte. En allant ainsi, il avait l'air de quelqu'un qui suit un sentier familier, bien qu'aucun sentier ne fût marqué, jusqu'à ce que la lumière lunaire fût entièrement éteinte par le toit serré du feuillage; et cependant aucun homme n'était capable d'aller par là malgré l'obscurité, sans s'apercevoir qu'il avait au-dessus de lui une voûte verte.

Il avançait toujours en dépit des ténèbres et vit enfin devant lui une faible lueur, qui devint de plus en plus brillante. Il parvint alors à une petite clairière où reparaissait le gazon, un gazon bien peu épais, parce que bien peu de lumière du soleil y arrivait, tant étaient serrés les hauts arbres des alentours.

Thiodolf ne leva pas un instant les yeux vers le ciel, ni vers les arbres, en parcourant le sol semé de cosses, que formait la pelouse, mais ses yeux regardaient droit devant lui, vers le point qui formait le centre de la pelouse.

Il n'y avait rien d'étonnant à cela, car là, sur un siège de pierre, une femme était assise, d'une extrême beauté, vêtue d'un vêtement scintillant, dont la chevelure s'épandait aussi pâle à la lumière de la lune sur la terre grise que les plaines couvertes d'orge, en une nuit d'août, avant que les faucilles recourbées y passent.

Elle était assise là comme dans l'attente de quelqu'un. Il ne suspendit point sa marche, il ne s'arrêta point, il alla droit à elle, la prit dans ses bras, lui baisa la bouche et les yeux. Elle lui rendit ses caresses. Alors il s'assit à côté d'elle.

Comme exemple de la beauté du vers, nous donnerions ce passage du chant de Soleil des Bois.

Il montre au moins, avec quelle perfection la poésie s'harmonise avec la prose, et combien est naturelle la transition de l'une à l'autre.

 
«En maints endroits habite la Destinée, qui ne dort ni jour ni nuit.
Elle baise le bord de la coupe et porte le flambeau à la flamme vacillante
quand les rois des hommes quittent la table, heureux, pour le lit nuptial.
C'est peu de dire qu'elle émousse le tranchant de l'épée aiguisée,
lorsqu'elle erre pendant bien des jours par la maison à demi construite.
Elle balaie du rivage le navire, et sur la route accoutumée,
le chasseur montagnard va là où son pied ne glissa jamais.
Elle est là où la haute falaise s'émiette enfin sur le bord du fleuve;
C'est elle qui aiguise la faux du faucheur, qui plonge le berger dans le sommeil,
là où le mortel serpent veille parmi les moutons à l'abandon.
Or, nous qui appartenons à la race divine, nous connaissons ses projets,
mais nous ne savons rien de sa Volonté sur la vie des mortels et leur fin.
Ainsi donc je t'enjoins de ne rien craindre pour toi de la Destinée et de ses actes,
mais de les craindre pour moi, et je t'enjoins de prêter une oreille secourable à mon danger.
Sans cela… Es-tu heureux dans la vie, ou te plaît-il de mourir
à la fleur de tes jours, quand ta gloire et tes souhaits auraient atteint leur épanouissement?
 

Le dernier chapitre du livre, où nous est décrite la grande fête en l'honneur des morts est si belle de style que nous ne pouvons nous empêcher de citer ce passage.

«Or les ténèbres tombaient sur la terre, mais la salle était resplendissante à l'intérieur, tout ainsi que l'avait promis le Soleil de la Salle. Là s'étalait le trésor des Wolfings. De belles draperies étaient tendues sur les murs: des vêtements finement brodés suspendus aux colonnes, de superbes vases de bronze, des coffres aux belles sculptures étaient rangés dans les angles, où les gens pouvaient bien les voir, des vases d'or et d'argent étaient disposés çà et là sur la table du festin. Les colonnes étaient aussi parées de fleurs et des guirlandes fleuries pendaient aux murs sur les tapisseries précieuses. Des résines aromatiques et des parfums brûlaient dans des encensoirs de bronze d'un beau travail. Tant de lumières étaient allumées sous le toit, qu'il paraissait embrasé d'une flamme moins vive le jour où les Romains y avaient brûlé des fagots pour le détruire par le feu, dans la hâte du matin de la bataille.

«Alors commença le festin, dans la montée de leur retour, où ils rapportaient dans leurs mains la victoire, et les corps inanimés de Thiodolf et d'Otter, vêtus d'habits étincelants et précieux, les contemplaient du siège élevé. Les parents qui leur rendaient hommage étaient joyeux, et l'on but la coupe devant eux et d'autres, que ce fussent des Dieux ou des hommes.

 

En des jours de réalisme lourdaud et d'imitation sans imagination, c'est avec un plaisir intense qu'on souhaite la bienvenue à des œuvres de ce genre.

C'est là un livre que tous les amis de la littérature seront certainement enchantés de lire.

Adam Lindsay Gordon 46

Un critique a fait remarquer récemment à propos d'Adam Lindsay Gordon47, que grâce à lui l'Australie avait trouvé sa première expression en beaux vers.

Mais c'est là une erreur bienveillante.

Il y a fort peu d'Australie dans la poésie de Gordon.

Son cœur, son esprit, son imagination étaient toujours préoccupés de souvenirs et de rêves anglais, et de la culture telle qu'il l'avait reçue de l'Angleterre.

Il ne dut rien à son pays d'adoption.

S'il était resté dans la terre natale, il aurait fait de bien plus belles choses.

En quelques pièces telles que le Stockrider48 malade, De l'Épave, Loup et Chien de chasse, il y a des indices d'influences australiennes, et ces stances dans le genre de Swinburne tirées des Ballades de la Brousse méritent d'être citées, bien qu'elles contiennent une promesse qui n'a jamais été réalisée.

 
Ce sont là des rimes qui se suivent, reliées moins par le son que par le sens,
en des pays où de brillantes fleurs sont dépourvues de parfum,
où de brillants oiseaux sont dépourvus de chant,
où, le feu et l'ardente sécheresse dans ses tresses, l'insatiable été opprime
les tardives forêts, les mélancoliques déserts, les troupeaux et les animaux défaillants.
 
 
D'où viennent-elles? Le vaste grésillement de la sauterelle
peut fournir une mesure.
Le tintement d'une rouelle, d'un éperon le choc d'une vague,
le coassement de la grenouille parmi les joncs,
qui réveille les échos entre les pauses, les silences
de la nuit tombante, du torrent qui se précipite,
de la tempête en délire.
 
 
Pendant que s'épaissit là-haut l'obscurité
dans l'intervalle de calme et de silence,
quand rougissent d'une teinte de flamme les arbres de la forêt,
sur les pentes de la montagne,
quand les Eucalyptus aux troncs rabougris et difformes
semblent porter, pareils à d'étranges colonnes égyptiennes
des dessins curieux, de bizarres inscriptions,
des sortes d'hiéroglyphes;
 
 
Au printemps, lorsque l'acacia frissonne
entre l'ombre et la lumière,
quand chaque bouffée d'air chargée de rosée ressemble
à une longue gorgée de vin,
quand la ligne bleue de l'horizon offre une résistance
qui donne plus de profondeur à la distance la plus vague,
Une sorte de chant s'éveille dans tous les cœurs;
Et ces chants-là, ce furent les miens.
 

Mais en général, Gordon est franchement Anglais, et les paysages qu'il décrit sont toujours les paysages de notre pays.

Il chante les seigneurs et les dames du moyen-âge dans ses Rimes de joyeuse garde, les Cavaliers et les Têtes-Rondes dans son Roman de Britomarte.

Astaroth, sa pièce la plus longue et la plus ambitieuse, a pour sujet les aventures des barons normands et des chevaliers danois du temps jadis.

Imprégné de Swinburne et passionné de Browning, il s'évertue à reproduire la merveilleuse mélodie du premier et la vigueur dramatique, l'âpre énergie du second.

De l'Épave est en quelque sorte une édition australienne de la Chevauchée à Gand.

Voici les trois premières stances d'une des soi-disant Ballades de la Brousse.

 
Aux cieux tranquilles et semés d'étoiles
s'accrochent des lustres blancs,
et des éclairs d'un gris écarlate
et des éclairs rouge et or.
Et les gloires du soleil couvrent
la rose, au-dessus de laquelle elles se déversent;
comme amant et maîtresse
ils flambent et se déploient.
 
 
Fleurissement muet dans le jardin,
carré vert de pelouse, d'un vert frais,
alors que les pâturages se durcissent,
et que baillent les fissures de la sécheresse,
et que des feuilles tombent en grand nombre,
que les pétales de rose tombent pour vous,
feuilles emperlées de rosée,
et or que frappe l'aurore.
 
 
La pelouse se souviendra
d'avoir été foulée par vos pieds
en la cendre chaude d'automne,
quand la sécheresse se ligue avec la chaleur,
quand la dernière des roses
se ferme désespérée
en ce sommeil qui repose,
avant que le vent d'orage prenne son vol.
 

Et les vers suivants d'Astaroth montrent que le baron normand a lu Dolorès juste une fois de trop:

 
Prêtres défunts d'Osiris, et d'Isis
et d'Apis! cette doctrine mystique
pareille à un cauchemar, conçue dans une crise
de fièvre, n'est plus étudiée.
Mage mort, cette troupe d'étoiles qui raye
la voûte de ce firmament, là-haut
regarde, calme, comme une armée d'anges blancs
la sèche poussière d'adorateurs disparus.
 
 
Sur des mers inexplorées, le navire peut-il esquiver
les rochers à fleur d'eau? L'homme peut-il suivre les enchaînements de la vie,
passée ou future, que n'ont point résolus les Égyptiens,
les Thébains, dont le sphinx n'a rien dit?
L'énigme s'offre encore toujours enchevêtrée,
aux chercheurs qui consument l'huile nocturne.
O terre, nous avons peiné, nous avons travaillé:
Combien de temps resterons-nous à la peine, au labeur?
 

Les classiques exercèrent toujours une grande fascination sur Gordon. Il aimait ce qu'il appelle: «le rouleau à la fois divin et grec» bien qu'il ne soit pas sûr de ses quantités, qu'il fasse rimer «Polyxena» et «Athéna», «Aphrodite» et «Light» et que parfois il émette des assertions très hasardées, par exemple quand il représente Léonidas criant aux Trois-Cents des Thermopyles:

 
Ho! camarades, dinons gaîment:
Ce soir nous souperons avec Platon!
 

A moins qu'il n'y ait là, ainsi que nous l'espérons, une faute d'impression.

Ce que les Australiens aimaient le plus, c'étaient ses poésies de courses de chevaux, de chasse, pièces qui avaient de l'entrain, avec quelque rudesse.

Et même il ne se décida à sortir de l'anonymat, à se montrer dans le rôle franchement accepté d'écrivain en vers, que quand il s'aperçut que «Comment nous avons battu le favori» était dans la bouche de tous.

Jusqu'à ce jour là, il avait produit ses pièces en cachette, les griffonnant sur des bouts de papier, et les envoyant non signés aux Magazines.

Le fait est que l'atmosphère sociale de Melbourne n'était point favorable aux poètes, que les braves colons paraissent avoir douté, avec Aubrey, que la poésie fût une chose véritablement honnête.

Ce fut seulement lorsque Gordon eut gagné la Coupe du steeple-chase pour le major Baker, en 1868 qu'il devint vraiment populaire, et il y eut probablement bien des gens qui trouvèrent que diriger Babillard vers le poteau gagnant était un plus beau tour de force que de «babiller sur la verdure des prés.»

En somme, on ne saurait que regretter l'émigration de Gordon.

On ne peut lui refuser de la valeur littéraire, mais elle fut paralysée par un milieu défavorable, et gachée par la rude existence qu'il fut obligé de mener.

L'Australie a transformé un bon nombre de nos ratés en médiocrités prospères et admirables, mais elle nous a sûrement gâté un de nos poètes.

Ovide à Tomi n'est pas plus tragique que Gordon menant des bêtes à cornes ou exploitant une improductive ferme à moutons.

Mais l'Australie fera quelque jour amende honorable en produisant un poète qui soit bien à elle, nous n'en doutons pas, et pour lui il y aura de nouveaux accents à faire entendre, de nouvelles merveilles à nous conter.

La description, que donne dans la préface de ce volume M. Marcus Clarke, de l'aspect et de l'esprit de la Nature en Australie est des plus curieuses et des plus suggestive.

«Les forêts australiennes», nous dit-il, sont funèbres et sévères, et paraissent «étouffer, dans leurs gorges noires, une histoire de morne désespoir».

Pas de chute des feuilles, «mais le mélancolique gommier laisse pendre de son tronc des bandes sonores d'écorce blanche.

«De grands kangourous qui bondissent sans bruit sur une herbe grossière, des vols de Kakatoès passent, en jetant des cris d'âmes en peine.

«Le soleil disparaît brusquement, et les mopokes, lâchent d'horribles éclats de rire à demi-humain.

«Les indigènes prétendent que, la nuit venue, des profondeurs insondables d'une lagune monte un monstre informe, qui traîne sur la vase un long corps répugnant.

«D'un coin de la forêt part un chant plein de tristesse, et autour d'un feu les indigènes dansent, peints en squelette49.

«Tout inspire la crainte, tout est sombre.»

Point de brillante fantaisie autour des souvenirs qui s'attachent aux montagnes. Des explorateurs à bout d'espoir leur ont donné les noms de leurs souffrances: Mont Misère, Mont de la Terreur, Mont du Désespoir.

«C'est justement en Australie, dit M. Clarke, qu'on trouvera le grotesque, l'étrange, les mystérieux gribouillages de la Nature qui apprend à écrire. Mais l'homme qui habite le désert en arrive à trouver un charme subtil à ce fantastique pays de monstruosités.

«Il devient familier avec la beauté de la solitude.

«Prêtant l'oreille aux murmures des myriades de voix de la solitude, il apprend le langage de la stérilité, du difforme, il arrive à lire les hiéroglyphes des gommiers hagards, éclatés en formes étranges, tordus par des vents furieux, ou recroquevillés par les froides nuits, lorsque la Croix du Sud se gèle au milieu d'un ciel sans nuage, d'un bleu de glace.

«La fantasmagorie de cette sauvage terre de rêve, qu'on nomme la Brousse, s'interprète d'elle même, et le poète de notre désolation commence à comprendre pourquoi Esaü aimait son héritage de désert mieux que toute la plantureuse richesse de l'Égypte».

Il y a certainement là une matière nouvelle pour le poète, il y a là une terre qui attend son chanteur.

Ce chanteur-là, ce ne fut point Gordon: il resta profondément Anglais, et le mieux que nous puissions dire de lui, c'est qu'il écrivit d'une manière imparfaite en Australie ces poèmes qu'il aurait pu porter à la perfection en Angleterre.

Le Livre Bleu de M. Froude 50

Les Livres Bleus sont généralement d'une lecture pénible, mais les Livres Bleus sur l'Irlande ont toujours été intéressants.

Ils sont le récit d'une des grandes tragédies de l'Europe moderne.

 

En eux, l'Angleterre a écrit elle-même son propre acte d'accusation et a donné à l'univers l'histoire de sa honte.

Si, dans le siècle dernier, elle tenta de gouverner l'Irlande avec une insolence qu'intensifiait le préjugé de race et de religion, elle a cherché en ce siècle-ci à la gouverner avec une stupidité qui fut aggravée par de bonnes intentions.

Toutefois, le dernier de ces Livres Bleus, un lourd roman de M. Froude51, a paru un peu trop tard.

La société, qu'il décrit, a disparu depuis longtemps.

Un facteur entièrement nouveau s'est montré dans le développement social du pays, et ce facteur, c'est l'Irlandais-Américain, et son influence.

Pour mûrir ses facultés, concentrer ses actes, apprendre le secret de sa propre force, et de la faiblesse de l'Angleterre, l'intellect celtique a dû traverser l'Atlantique.

Chez lui, il n'avait appris que la touchante faiblesse de la nationalité; à l'étranger, il a pris conscience des forces indomptables que possède la nationalité.

Ce que fut pour les Juifs la captivité, l'exil l'a été pour les Irlandais.

L'Amérique et l'influence américaine ont fait leur éducation.

Leur premier chef pratique est un Irlandais américain.

Mais si le livre de M. Froude n'a point de relation pratique avec la politique irlandaise moderne et ne présente point de solution de la question présente, il a une certaine valeur historique.

C'est un vivant tableau de l'Irlande dans la dernière moitié du dix-huitième siècle, tableau où les lumières sont souvent fausses, les ombres exagérées, mais ce n'en est pas moins un tableau.

M. Froude avoue le martyre de l'Irlande, mais il regrette que le martyre n'ait point été poussé jusqu'au bout.

Le reproche, qu'il fait au bourreau, n'est point d'exercer son métier, mais de le bousiller.

Il ne reproche point à l'épée d'être cruelle, mais d'être émoussée.

Un gouvernement résolu, ce Shibboleth superficiel de ceux qui ne comprennent pas quelle chose compliquée c'est que l'art du gouvernement, voilà sa panacée posthume pour les maux passés.

Son héros, le Colonel Goring, a toujours sur les lèvres les mots: Ordre, loi. Il entend par le premier l'application violente d'une législation injuste; le second signifie pour lui la suppression de toute noble aspiration nationale.

Un gouvernement qui impose l'iniquité, et des gouvernés qui s'y soumettent, voilà ce qui paraît à M. Froude, et ce qui est certainement pour bien d'autres, le vrai idéal de la science politique.

Ainsi que la plupart des hommes de plume, il exagère le pouvoir de l'épée.

Partout où l'Angleterre a dû lutter, elle a été prudente.

Partout où elle a eu, comme en Irlande, la force matérielle de son côté, elle s'est vue paralysée par cette force.

Ses mains vigoureuses lui ont fermé les yeux.

Elle a eu de la force et n'a point eu de direction.

Naturellement il y a une histoire dans le roman de M. Froude. Ce n'est pas une simple thèse politique.

L'intérêt du récit, tel quel, se concentre autour de deux hommes, le Colonel Goring et Morty Sullivan, l'homme de Cromwell et le Celte.

Ces deux hommes sont ennemis par la race, par la religion, par le sentiment.

Le premier représente le remède de M. Froude pour l'Irlande. Il est résolument anglais, avec de fortes tendances non-conformistes. Il établit une colonie industrielle sur la côte de Kerry, et il a des objections profondément enracinées contre le commerce de contrebande avec la France, qui, au siècle dernier, était le seul moyen qu'eut le peuple irlandais pour payer ses fermages à des propriétaires absentéistes.

Le Colonel Goring regrette amèrement que les lois pénales contre les Catholiques ne soient pas rigoureusement appliquées.

C'est un homme de la Police «à tout prix».

«Et c'est ce que vous appelez gouverner l'Irlande! dit Goring avec mépris. Suspendre la loi comme un épouvantail à corbeaux dans le jardin, jusqu'à ce que tous les moineaux aient appris à s'en faire un jeu. Vos lois contre le Papisme! Bon, vous les avez empruntées à la France. Les Catholiques français n'ont point jugé à propos de garder les Huguenots chez eux, et ils ont révoqué l'Édit de Nantes. Vous dites dans tout l'univers que vous traiterez les Papistes comme ils ont traité les Huguenots. Vous avez emprunté à la France jusqu'au langage de vos statuts, mais les Français ne craignent pas d'imposer leur loi, et vous, vous avez peur d'appliquer la vôtre. Vous laissez le peuple s'en rire, et en lui accordant le mépris d'une loi, vous lui enseignez à mépriser toutes les lois, celles de Dieu, celles de l'homme pareillement. Je ne saurais dire comment cela finira, mais ce que je puis vous dire, c'est que vous formez, vous élevez une race, qui en viendra un jour à étonner l'humanité par l'éducation que vous lui donnez».

Le résumé, que M. Froude écrit de l'histoire de l'Irlande, ne manque pas de force, bien qu'il soit fort éloigné de l'exactitude.

«L'Irlandais, nous dit-il, a répudié les réalités de la vie, et les réalités de la vie se sont montrées les plus fortes».

Les Anglais, incapables de tolérer l'anarchie aussi près de leurs côtes, ont consulté le Pape. Le Pape leur a donné l'autorisation d'intervenir, et le Pape a gagné au marché. Car l'anglais l'a introduit ici, et l'Irlandais… l'y a maintenu».

Les premiers colons d'Angleterre étaient des nobles normands; ils sont devenus plus Irlandais que les Irlandais, et l'Angleterre s'est trouvé en présence de la difficulté que voici:

L'abandon de l'Irlande serait un discrédit pour elle; la gouverner comme une province serait contraire aux traditions anglaises.

Alors elle a «cherché à gouverner par la division», elle a échoué.

Le Pape était trop fort pour elle.

A la fin, elle a fait cette grande découverte politique: Ce qu'il fallait à l'Irlande, c'était évidemment d'avoir une population entièrement nouvelle «de la même race et de la religion que la population de l'Angleterre».

Le nouveau système a été mis partiellement à exécution.

«Elisabeth d'abord, puis Jacques, ensuite Cromwell, repeuplèrent l'Irlande, en introduisant des Anglais, des Écossais, des Huguenots, des Flamands, des dizaines de mille de familles de vigoureux et sérieux protestants, qui apportèrent avec eux leurs industries.

Deux fois les Irlandais… tentèrent d'expulser ce nouvel élément… ils échouèrent…

Mais l'Angleterre avait à peine accompli sa longue tâche qu'elle se mit à la gâter elle-même.

Elle détruisit les industries de ses colons par ses lois commerciales. Elle employa les Évêques pour leur ôter leur religion…

Et quant à la noblesse, l'objet qui avait déterminé à l'introduire en Irlande resta inachevé. Ce n'étaient plus que des étrangers, des intrus, qui ne faisaient rien, qu'on laissait ne rien faire.

Le temps devait venir où une population exaspérée demanderait que la terre lui fût rendue, et alors, peut-être, l'Angleterre abandonnerait la noblesse aux loups, dans l'espoir d'une paix passagère.

Mais son tour viendrait ensuite.

Elle se verrait face à face avec l'ancien problème, ou de faire une nouvelle conquête, ou de se retirer avec déshonneur.

Ce genre de thèses politiques, de prophéties après coup, se retrouve à chaque instant dans le livre de M. Froude, et presque toutes les deux pages, nous rencontrons des aphorismes sur le caractère irlandais, sur les leçons que donne l'histoire d'Irlande, et sur l'essence du système gouvernemental de l'Angleterre.

Quelques-uns d'entre eux expriment les vues personnelles de M. Froude, les autres sont entièrement dramatiques, introduits pour marquer les traits caractéristiques.

Nous en reproduisons quelques spécimens. En tant qu'épigrammes, ils ne sont pas très heureux, mais à certains points de vue, ils offrent de l'intérêt.

«La société irlandaise s'est développée au milieu d'une heureuse insouciance. L'insécurité en rendait la jouissance plus piquante.

«Nous autres Irlandais, nous devons rire ou pleurer. Si nous prenions le part des pleurs, nous nous pendrions tous.

«Un rapport trop intime avec les Irlandais a produit une déchéance à la fois dans le caractère et dans la religion partout où les Anglais se sont établis.

«Avec le whiskey et les têtes cassées, nous vieillissons vite en Irlande.

«Les leaders irlandais ne peuvent combattre. Ils peuvent rendre le pays ingouvernable et occuper une armée anglaise exclusivement à les surveiller.

«Aucune nation ne peut conquérir, autrement que par les armes sur le champ de bataille, une liberté qui ne soit point un fléau pour elle.

«Dès le berceau on enseigne (aux Irlandais) que le gouvernement par l'Angleterre est la cause de toutes leurs misères. Ils étaient tout aussi malheureux sous leurs propres chefs, mais ils supporteraient de la part de leurs leaders naturels ce qu'ils ne supporteraient point de la nôtre, et si nous n'avons point empiré leur sort, nous ne l'avons pas non plus rendu meilleur.

«Patriotisme? Oui, patriotisme dans le genre Hibernois. Le pays a été mal traité: il est pauvre et misérable. C'est le fond de commerce du patriote. Tient-il à ce qu'on y porte remède? Oh! que non pas. Il n'aurait plus d'occupation.

«La corruption irlandaise est la sœur jumelle de l'éloquence irlandaise.

«L'Angleterre ne veut pas nous laisser casser la tête à nos coquins: elle ne veut pas les casser elle-même. Nous sommes un pays libre, et nous devons en accepter les conséquences.

«Les fonctions du Gouvernement Anglo-Irlandais consistèrent à faire ce qui ne devait point être fait, et à ne point faire ce qu'il fallait faire.

«La race irlandaise a toujours été bruyante, inutile, incapable de résultats. Elle n'a rien produit, elle n'a rien fait qui puisse être admiré. Ce qu'elle est, elle le fut toujours et le seul espoir qui leur reste c'est que leur ridicule nationalité irlandaise soit ensevelie et oubliée.

«Les Irlandais sont les meilleurs acteurs du monde.

«L'ordre est une plante exotique en Irlande: il a été importé d'Angleterre, mais il ne peut s'enraciner. Il ne s'accommode ni au sol, ni au climat. Si les Anglais tenaient à avoir de l'ordre en Irlande, ils ne laisseraient pas un de nous vivant.

«Quand les pouvoirs gouvernants sont injustes, la nature reprend ses droits.

«L'anarchie elle-même a ses avantages.

«La nature tient exactement ses comptes… Plus on tarde à payer un billet, plus lourds sont les intérêts accumulés.

«Vous ne sauriez vivre en Irlande sans enfreindre les lois dans un sens ou dans l'autre. Donc: pecca fortiter… comme disait Luther.

«La vitalité animale de l'Irlandais a survécu quand tout le reste avait disparu, et s'ils vivent sans avoir de but, ils jouissent du moins de l'existence.

«Les paysans irlandais savent rendre la vie dans le pays impossible à un gentleman protestant, mais ils ne sont pas capables d'autre chose.»

Ainsi que nous l'avons dit, si M. Froude se proposait par son livre d'aider le gouvernement Tory à résoudre la question irlandaise, il a absolument manqué son but.

L'Irlande, dont il parle, a disparu.

Toutefois, comme témoignage de l'incapacité d'un peuple teutonique à gouverner un peuple celtique contre le gré de celui-ci, son livre n'est pas sans valeur.

45Pall Mall Gazette, 2 mars 1889. A propos du Récit sur la maison des Wolfings et toutes les familles de la Marche.
46Pall Mall Gazette, 23 mars 1889.
47Voir l'étude sur les Poètes Australiens, page 171.
48Le gardien, berger à cheval, comme les cowboys et les gardians de la Camargue.
49Voir les illustrations du curieux volume Les débuts de Botany Bay, souvenirs d'un convict, publiés par Albert Savine (1911).
50Pall Mall Gazette, 13 avril 1889.
51Les Deux Chefs de Dunboy.
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