Бесплатно

Jane Eyre; ou Les mémoires d'une institutrice

Текст
iOSAndroidWindows Phone
Куда отправить ссылку на приложение?
Не закрывайте это окно, пока не введёте код в мобильном устройстве
ПовторитьСсылка отправлена

По требованию правообладателя эта книга недоступна для скачивания в виде файла.

Однако вы можете читать её в наших мобильных приложениях (даже без подключения к сети интернет) и онлайн на сайте ЛитРес.

Отметить прочитанной
Шрифт:Меньше АаБольше Аа

«Elle pense au passé, me dis-je, mais certes le présent n'est rien pour elle.»

Cette jeune fille était une énigme pour moi; je ne savais si elle était bonne ou mauvaise.

Lorsque cinq heures furent sonnées, on nous servit un nouveau repas, consistant en une tasse de café et un morceau de pain noir; je bus mon café et je dévorai mon pain; mais j'en aurais désiré davantage, j'avais encore faim. Vint ensuite une demi-heure de récréation, puis de nouveau l'étude; enfin, le verre d'eau, le morceau de gâteau d'avoine, la prière, et tout le monde alla se coucher.

C'est ainsi que se passa mon premier jour à Lowood.

CHAPITRE VI

Le jour suivant commença de la même manière que le premier; on se leva et on s'habilla à la lumière; mais ce matin-là nous fumes dispensés de la cérémonie du lavage, car l'eau était gelée dans les bassins. La veille au soir il y avait eu un changement de température; un vent du nord-est, soufflant toute la nuit à travers les crevasses de nos fenêtres, nous avait fait frissonner dans nos lits et avait glacé l'eau.

Avant que l'heure et demie destinée à la prière et à la lecture de la Bible fût écoulée, je me sentis presque morte de froid. Le déjeuner arriva enfin. Ma part me sembla bien petite, et j'en aurais volontiers accepté le double. Ce jour-là, je fus enrôlée dans la quatrième classe, et on me donna des devoirs à faire. Jusque-là je n'avais été que spectatrice à Lowood; j'allais devenir actrice. Comme j'étais peu habituée à apprendre par coeur, les leçons me semblèrent d'abord longues et difficiles; le passage continuel d'une étude à l'autre m'embrouillait: aussi ce fut une vraie joie pour moi lorsque, vers trois heures de l'après-midi, Mlle Smith me remit avec une bande de mousseline, longue de deux mètres, un dé et des aiguilles. Elle m'envoya dans un coin de la chambre, et m'ordonna d'ourler cette bande. Presque tout le monde cousait à cette heure, excepté toutefois quelques élèves qui lisaient tout haut, groupées autour de la chaise de Mlle Scatcherd. La classe était silencieuse, de sorte qu'il était facile d'entendre le sujet de la leçon, de remarquer la manière dont chaque enfant s'en tirait, et d'écouter les reproches ou les louanges adressées par la maîtresse.

On lisait l'histoire d'Angleterre. Parmi les lectrices se trouvait la jeune fille que j'avais rencontrée sous la galerie. Au commencement de la leçon, elle était sur les premiers rangs; mais pour quelque erreur de prononciation, ou pour ne s'être point arrêtée quand elle le devait, elle fut renvoyée au fond de la pièce. Mlle Scatcherd continua jusque dans cette place obscure à la rendre l'objet de ses incessantes observations; elle se tournait continuellement vers elle pour lui dire:

«Burns (car dans ces pensions de charité on appelle les enfants par leur nom de famille, comme cela se pratique dans les écoles de garçons), Burns, vous tenez votre pied de côté; remettez-le droit immédiatement… Burns, vous plissez votre menton de la manière la plus déplaisante; cessez tout de suite… Burns, je vous ai dit de tenir la tête droite; je ne veux pas vous voir devant moi dans une telle attitude.»

Lorsque le chapitre eut été lu deux fois, on ferma les livres et l'interrogation commença.

La leçon comprenait une partie du règne de Charles Ier; il y avait plusieurs questions sur le tonnage, l'impôt et le droit payé par les bateaux. La plupart des élèves étaient incapables de répondre; mais toutes les difficultés étaient immédiatement résolues, dès qu'elles arrivaient à Mlle Burns; elle semblait avoir retenu toute la leçon, et elle avait une réponse prête pour chaque question. Je m'attendais à voir Mlle Scatcherd louer son attention. Je l'entendis, au contraire, s'écrier tout à coup:

«Petite malpropre, vous n'avez pas nettoyé vos ongles ce matin.»

L'enfant ne répondit rien; je m'étonnai de son silence.

«Pourquoi, pensai-je, n'explique-t-elle pas qu'elle n'a pu laver ni ses ongles ni sa figure, parce que l'eau était gelée?»

Mais à ce moment mon attention fut détournée de ce sujet par Mlle Smith, qui me pria de lui tenir un écheveau de fil. Pendant qu'elle le dévidait, elle me parlait de temps en temps, me demandant si j'avais déjà été en pension, si je savais marquer, coudre, tricoter; jusqu'à ce qu'elle eût achevé, je ne pus donc pas continuer à examiner la conduite de Mlle Scatcherd. Quand je retournai à ma place, elle venait de donner un ordre dont je ne saisis pas bien l'importance; mais je vis Burns quitter immédiatement la salle, se diriger vers une petite chambre où l'on serrait les livres, et revenir au bout d'une minute, portant dans ses mains un paquet de verges liées ensemble.

Elle présenta avec respect ce fatal instrument à Mlle Scatcherd; puis alors elle détacha son sarrau tranquillement et sans en avoir reçu l'ordre. La maîtresse la frappa rudement sur les épaules. Pas une larme ne s'échappa des yeux de la jeune fille. J'avais cessé de coudre, car à ce spectacle mes doigts s'étaient mis à trembler et une colère impuissante s'était emparée de moi. Quant à Burns, pas un trait de sa figure pensive ne s'altéra, son expression resta la même.

«Petite endurcie, s'écria Mlle Scatcherd, rien ne peut-il donc vous corriger de votre désordre? Reportez ces verges!»

Burns obéit. Je la regardai furtivement au moment où elle sortit de la chambre: elle remettait son mouchoir dans sa poche, et une larme brillait sur ses joues amaigries.

La récréation du soir était l'heure la plus agréable de toute la journée. Le pain et le café donnés à cinq heures, sans apaiser la faim, ranimaient pourtant la vitalité. La longue contrainte cessait; la salle d'étude était plus chaude que le matin. On laissait le feu brûler activement pour suppléer à la chandelle, qui n'arrivait qu'un peu plus tard. La pâle lueur du foyer, le tumulte permis, le bruit confus de toutes les voix, tout enfin éveillait en nous une douce sensation de liberté.

Le soir de ce jour où j'avais vu Mlle Scatcherd battre son élève, je me promenais, comme d'ordinaire, au milieu des tables et des groupes joyeux, sans une seule compagne, et ne me trouvant pourtant point isolée. Quand je passais devant les fenêtres, je relevais de temps en temps les rideaux et je regardais au dehors. La neige tombait épaisse; il s'en était déjà amoncelé contre le mur. Approchant mon oreille de la fenêtre, je pus distinguer, malgré le bruit intérieur, le triste mugissement du vent. Il est probable que, si j'avais quitté une maison aimée, des parents bons pour moi, à cette heure j'aurais vivement regretté la séparation. Le vent aurait navré mon coeur; cet obscur chaos aurait troublé mon âme: mais dans la situation où j'étais, je ne trouvais dans toutes ces choses qu'une étrange excitation. Insouciante et fiévreuse, je souhaitais que le vent mugît plus fort, que la faible lueur qui m'environnait se changeât en obscurité, que le bruit confus devint une immense clameur.

Sautant par-dessus les bancs, rampant sous les tables, j'arrivai jusqu'au foyer et je m'agenouillai devant le garde-feu. Ici je trouvai Burns absorbée et silencieuse. Étrangère à ce qui se passait dans la salle, elle reportait toute son attention sur un livre qu'elle lisait à la clarté de la flamme.

«Est-ce encore Rasselas? demandai-je en me plaçant derrière elle.

– Oui, me répondit-elle, je l'ai tout à l'heure fini.»

Au bout de cinq minutes, elle ferma en effet le livre; j'en fus bien aise.

«Maintenant, pensai-je, elle voudra peut-être bien causer un peu avec moi.»

Je m'assis près d'elle sur le plancher.

«Quel est votre autre nom que Burns? demandai-je.

– Hélène.

– Venez-vous de loin?

– Je viens d'un pays tout au nord, près de l'Écosse.

– Y retournerez-vous?

– Je l'espère, mais personne n'est sûr de l'avenir.

– Vous devez désirer de quitter Lowood?

– Non; pourquoi le désirerais-je? J'ai été envoyée à Lowood pour mon instruction; à quoi me servirait de m'en aller avant de l'avoir achevée?

– Mais Mlle Scatcherd est si cruelle pour vous!

– Cruelle, pas le moins du monde; elle est sévère; elle déteste mes défauts.

– Si j'étais à votre place, je la détesterais bien elle-même; je lui résisterais; si elle me frappait avec des verges, je les lui arracherais des mains; je les lui briserais à la figure!

– Il est probable que non; mais si vous le faisiez, M. Brockelhurst vous chasserait de l'école, et ce serait un grand chagrin pour vos parents. Il vaut bien mieux supporter patiemment une douleur dont vous souffrez seule que de commettre un acte irréfléchi, dont les fâcheuses conséquences pèseraient sur toute votre famille; et d'ailleurs, la Bible nous ordonne de rendre le bien pour le mal.

– Mais il est dur d'être frappée, d'être envoyée au milieu d'une pièce remplie de monde, surtout à votre âge; je suis beaucoup plus jeune que vous, et je ne pourrais jamais le supporter.

– Et pourtant il serait de votre devoir de vous y résigner, si vous ne pouviez pas l'éviter; ce serait mal et lâche à vous de dire: «Je ne puis pas,» lorsque vous sauriez que cela est dans votre destinée.»

Je l'écoutais avec étonnement, je ne pouvais pas comprendre cette doctrine de résignation, et je pouvais encore moins accepter cette indulgence qu'elle montrait pour ceux qui la châtiaient. Je sentais qu'Hélène Burns considérait toute chose à la lumière d'une flamme invisible pour moi; je pensais qu'elle pouvait bien avoir raison et moi tort; mais je ne me sentais pas disposée à approfondir cette matière.

«Vous dites que vous avez des défauts, Hélène; quels sont-ils?

Vous me semblez bonne.

– Alors apprenez de moi à ne pas juger d'après l'apparence. Comme le dit Mlle Scatcherd, je suis très négligente; je mets rarement les choses en ordre et je ne les y laisse jamais; j'oublie les règles établies; je lis quand je devrais apprendre mes leçons; je n'ai aucune méthode; je dis quelquefois, comme vous, que je ne puis pas supporter d'être soumise à un règlement. Tout cela est très irritant pour Mlle Scatcherd, qui est naturellement propre et exacte.

 

– Et intraitable et cruelle,» ajoutai-je.

Mais Hélène ne voulut pas approuver cette addition; elle demeura silencieuse.

«Mlle Temple est-elle aussi sévère que Mlle Scatcherd?»

En entendant prononcer le nom de Mlle Temple, un doux sourire vint éclairer sa figure sérieuse.

«Mlle Temple, dit-elle, est remplie de bonté; il lui est douloureux d'être sévère, même pour les plus mauvaises élèves; elle voit mes fautes et m'en avertit doucement; si je fais quelque chose digne de louange, elle me récompense libéralement: et une preuve de ma nature défectueuse, c'est que ses reproches si doux, si raisonnables, n'ont pas le pouvoir de me corriger de mes fautes; ses louanges, qui ont tant de valeur pour moi, ne peuvent m'exciter au soin et à la persévérance.

– C'est étonnant, m'écriai-je; il est si facile d'être soigneuse!

– Pour vous, je n'en doute pas. Le matin, pendant la classe, j'ai remarqué que vous étiez attentive; votre pensée ne semblait jamais errer pendant que Mlle Miller expliquait la leçon et vous questionnait, tandis que la mienne s'égare continuellement. Alors que je devrais écouter Mlle Scatcherd et recueillir assidûment tout ce qu'elle dit, je n'entends souvent même plus le son de sa voix. Je tombe dans une sorte de rêve. Je pense quelquefois que je suis dans le Northumberland; je prends le bruit que j'entends autour de moi pour le murmure d'un petit ruisseau qui coulait près de notre maison. Quand vient mon tour, il faut que je sorte de mon rêve; mais comme, pour mieux entendre le ruisseau de ma vision, je n'ai point écouté ce qu'on disait, je n'ai pas de réponse prête.

– Et pourtant comme vous avez bien répondu ce matin!

– C'est un pur hasard; le sujet de la lecture m'intéressait. Au lieu de rêver à mon pays, je m'étonnais de ce qu'un homme qui aimait le bien pût agir aussi injustement, aussi follement que Charles Ier. Je pensais qu'il était triste, avec cette intégrité et cette conscience, de ne rien admettre en dehors de l'autorité. S'il eût seulement été capable de voir en avant, de comprendre où tendait l'esprit du siècle! Et pourtant je l'aime, je le respecte, ce pauvre roi assassiné; ses ennemis furent plus coupables que lui: ils versèrent un sang auquel ils n'avaient pas le droit de toucher. Comment osèrent-ils le frapper?»

Hélène parlait pour elle; elle avait oublié que je n'étais pas à même de la comprendre, que je ne savais rien, ou du moins presque rien à ce sujet; je la ramenai sur mon terrain.

«Et quand Mlle Temple vous donne des leçons, votre pensée continue-t-elle à errer?

– Non certainement; c'est rare du moins. Mlle Temple a presque toujours à me dire quelque chose de plus nouveau que mes propres réflexions; son langage me semble doux, et ce qu'elle m'apprend est justement ce que je désirais savoir.

– Alors avec Mlle Temple vous êtes bonne?

– Oui, c'est-à-dire que je suis bonne passivement; je ne fais point d'efforts; je vais où me guide mon penchant; il n'y a pas de mérite dans une telle bonté.

– Un grand, au contraire; vous êtes bonne pour ceux qui sont bons envers vous; c'est tout ce que j'ai jamais désiré. Si l'on obéissait à ceux qui sont cruels et injustes, les méchants auraient trop de facilité; rien ne les effrayerait plus, et ils ne changeraient pas; au contraire, ils deviendraient de plus en plus mauvais. Quand on nous frappe sans raison, nous devrions aussi frapper rudement, si rudement que la personne qui a été injuste ne fût jamais tentée de recommencer.

«-Quand vous serez plus âgée, j'espère que vous changerez d'idées; vous êtes encore une enfant, et vous ne savez pas.

– Mais je sens, Hélène, que je détesterai toujours ceux qui ne m'aimeront pas, quoi que je fasse pour leur plaire, et que je résisterai à ceux qui me puniront injustement; c'est tout aussi naturel que de chérir ceux qui me montreront de l'affection, et d'accepter un châtiment si je le reconnais mérité.

– Les païens et les tribus sauvages proclament cette doctrine; mais les chrétiens et les nations civilisées la désavouent.

– Comment? Je ne comprends pas.

– Ce n'est pas la violence qui dompte la haine, ni la vengeance qui guérit l'injure.

– Qu'est-ce donc alors?

– Lisez le Nouveau Testament; écoutez ce que dit le Christ, et voyez ce qu'il fait: que sa parole devienne votre règle, et sa conduite votre exemple.

– Et que dit-il?

– Il dit: «Aimez vos ennemis; bénissez ceux qui vous maudissent, et faites du bien à ceux qui vous haïssent et vous traitent avec mépris.»

– Alors il me faudrait aimer Mme Reed? je ne le puis pas. Il faudrait bénir son fils John? c'est impossible!»

À son tour, Hélène me demanda de m'expliquer: je commençai à ma manière le récit de mes souffrances et de mes ressentiments. Quand j'étais excitée, je devenais sauvage et amère; je parlais comme je sentais, sans réserve, sans pitié. Hélène m'écouta patiemment jusqu'à la fin; je m'attendais à quelque remarque, mais elle resta muette.

«Ho bien! m'écriai-je, Mme Reed n'est-elle pas une femme dure et sans coeur?

– Sans doute; elle a manqué de bonté envers vous, parce qu'elle n'aimait pas votre caractère, de même que Mlle Scatcherd n'aime pas le mien. Mais comme vous vous rappelez exactement toutes ses paroles, toutes ses actions! Quelle profonde impression son injustice sembla avoir faite sur votre coeur! Aucun mauvais traitement n'a laissé en moi une trace aussi profonde. Ne seriez- vous pas plus heureuse si vous essayiez d'oublier sa sévérité, ainsi que les émotions passionnées qu'elle a excitées en vous? La vie me semble trop courte pour la passer à nourrir la haine ou à inscrire les torts des autres; ne sommes-nous pas tous chargés de fautes en ce monde? Le temps viendra, bientôt, je l'espère, où nous nous dépouillerons de nos enveloppes corruptibles; alors l'avilissement et le péché nous quitteront en même temps que notre incommode prison de chair; alors il ne restera plus que l'étincelle de l'esprit, le principe impalpable de la vie pure, comme lorsqu'il sortit des mains du Créateur pour animer la créature. Il retournera d'où il vient. Peut-être se communiquera- t-il à quelque esprit plus grand que l'homme; peut-être traversera-t-il des degrés de gloire; peut-être enfin le pâle rayon de l'âme humaine se transformera-t-il en la brillante lumière de l'âme des séraphins. Mais ce qui est certain, c'est que ce principe ne peut pas dégénérer et ne peut être allié à l'esprit du mal; non, je ne puis le croire, ma foi est tout autre. Personne ne me l'a enseignée et j'en parle rarement, mais elle est ma joie et je m'y attache; je ne fais pas de l'espérance le privilège de quelques-uns; je l'étends sur tous; je considère l'éternité comme un repos, comme une demeure lumineuse, non pas comme un abîme et un lieu de terreur; avec cette foi, je ne puis confondre le criminel et son crime; je pardonne sincèrement au premier, et j'abhorre le second; le désir de la vengeance ne peut accabler mon coeur; le vice ne me dégoûte pas assez pour m'éloigner du coupable, et l'injustice ne me fait pas perdre tout courage; je vis calme, les yeux tournés vers la fin de mon existence.»

La tête d'Hélène s'affaissait de plus en plus, à mesure qu'elle parlait; je vis par son regard qu'elle ne désirait plus causer avec moi, mais plutôt s'entretenir avec ses propres pensées.

Cependant on ne lui laissa pas beaucoup de temps pour la méditation; une monitrice, arrivée presque au même moment où nous finissions notre entretien, s'écria avec un fort accent du Cumberland:

«Hélène Burns, si vous ne mettez pas vos tiroirs en ordre et si vous ne pliez pas votre ouvrage, je vais dire à Mlle Scatcherd de venir tout examiner.

Hélène soupira en se voyant contrainte de renoncer à sa rêverie, elle se leva pourtant, et, sans rien répondre, elle obéit immédiatement.

CHAPITRE VII

Les trois premiers mois passés à Lowood me semblèrent un siècle. Ce fut pour moi une lutte fatigante contre toutes sortes de difficultés. Il fallut s'accoutumer à un règlement nouveau, à des tâches dont je n'avais pas l'habitude. La crainte de manquer à quelqu'un de mes devoirs m'épuisait encore plus que les souffrances matérielles, bien que celles-ci ne fussent pas peu de chose. Pendant les mois de janvier, de février et de mars, les neiges épaisses et les dégels avaient rendu les routes impraticables: aussi ne nous obligeait-on pas à sortir, si ce n'est pour aller à l'église; cependant on nous forçait à passer chaque jour une heure en plein air. Nos vêtements étaient insuffisants pour nous protéger contre un froid aussi rude; au lieu de brodequins, nous n'avions que des souliers dans lesquels la neige entrait facilement; nos mains, n'étant pas protégées par des gants, se couvraient d'engelures, ainsi que nos pieds. Je me rappelle encore combien ceux-ci me faisaient souffrir chaque soir, lorsque la chaleur les gonflait, et chaque matin, lorsqu'il fallait me rechausser; en outre, l'insuffisance de nourriture était un vrai supplice. Douées de ces grands appétits des enfants en croissance, nous avions à peine de quoi nous soutenir. Il en résultait un abus dont les plus jeunes avaient seules à se plaindre. Chaque fois qu'elles en trouvaient l'occasion, les grandes, toujours affamées, menaçaient les petites pour obtenir une partie de leur portion; bien des fois j'ai partagé entre deux de ces quêteuses le précieux morceau de pain noir donné avec le café; et, après avoir versé à une troisième la moitié de ma tasse, j'avalais le reste en pleurant de faim tout bas.

En hiver, les dimanches étaient de tristes jours. Nous avions deux milles à faire pour arriver à l'église de Brocklebridge, où officiait notre chef. Nous partions ayant froid; en arrivant, nous avions plus froid encore; et avant la fin de l'office du matin nos membres étaient paralysés. Trop loin pour retourner dîner, nous recevions entre les deux services du pain et de la viande froide, et des parts aussi insuffisantes que dans nos repas ordinaires.

Après l'office du soir, nous nous en retournions par une route escarpée. Le vent du nord soufflait si rudement sur le sommet des montagnes qu'il nous gerçait la peau.

Je me rappellerai toujours Mlle Temple. Elle marchait légèrement et avec rapidité le long des rangs accablés, ramenant sur sa poitrine son manteau qu'écartait un vent glacial; et, par ses préceptes et son exemple, elle encourageait tout le monde à demeurer ferme et à marcher en avant comme de vieux soldats. Quant aux autres maîtresses, pauvres créatures, elles étaient trop abattues elles-mêmes pour tenter d'égayer les élèves!

Combien toutes nous désirions la lumière et la chaleur d'un feu pétillant, lorsque nous arrivions à Lowood! Mais cette douceur était refusée aux petites. Chacun des foyers était immédiatement occupé par un double rang de grandes élèves; et les plus jeunes, se pressant les unes contre les autres, cachaient sous leurs tabliers leurs bras transis.

Une petite jouissance nous était pourtant réservée: à cinq heures, on nous distribuait une double ration de pain et un peu de beurre; c'était le festin hebdomadaire auquel nous pensions d'un dimanche à l'autre. J'essayais, en général, de me réserver la moitié de ce délicieux repas; quant au reste, je me voyais invariablement obligée de le partager.

Le dimanche soir se passait à répéter par coeur le catéchisme, les cinquième, sixième et septième chapitres de saint Matthieu, et à écouter un long sermon que nous lisait Mlle Miller, dont les bâillements impossibles à réprimer attestaient assez la fatigue. Cette lecture était souvent interrompue par une douzaine de petites filles qui, gagnées par le sommeil, se mettaient à jouer le rôle d'Eutychus et tombaient, non pas d'un troisième grenier, mais d'un quatrième banc. On les ramassait à demi mortes, et, pour tout remède, on les forçait à se tenir debout au milieu de la salle, jusqu'à la fin du sermon; quelquefois pourtant leurs jambes fléchissaient, et toutes ensemble elles tombaient à terre; leurs corps étaient alors soutenus par les grandes chaises des monitrices.

Je n'ai pas encore parlé des visites de M. Brockelhurst: il fut absent une partie du premier mois; il avait peut-être prolongé son séjour chez son ami l'archidiacre. Cette absence était un soulagement pour moi; je n'ai pas besoin de dire que j'avais des raisons pour craindre son arrivée. Il revint pourtant.

J'habitais Lowood depuis trois semaines environ. Une après-midi, comme j'étais assise, une ardoise sur mes genoux et très en peine d'achever une longue addition, mes yeux se levèrent avec distraction et se dirigèrent du côté de la fenêtre.

 

Il me sembla voir passer une figure; je la reconnus presque instinctivement, et lorsque, deux minutes après, toute l'école, les professeurs y compris, se leva en masse, je n'eus pas besoin de regarder pour savoir qui l'on venait de saluer ainsi: un long pas retentit en effet dans la salle, et le grand fantôme noir qui avait si désagréablement froncé le sourcil en m'examinant à Gateshead apparut à côté de Mlle Temple; elle aussi s'était levée. Je regardai de côté cette espèce de spectre; je ne m'étais pas trompée, c'était M. Brockelhurst, avec son pardessus boutonné, et l'air plus sombre, plus maigre et plus sévère que jamais.

J'avais mes raisons pour craindre cette apparition; je ne me rappelais que trop bien les dénonciations perfides de Mme Reed, la promesse faite par M. Brockelhurst d'instruire Mlle Temple et les autres maîtresses de ma nature corrompue. Depuis trois semaines je craignais l'accomplissement de cette promesse; chaque jour je regardais si cet homme n'arrivait pas, car ce qu'il allait dire de ma conversation avec lui et de ma vie passée allait me flétrir par avance; et il était là, à côté de Mlle Temple, il lui parlait bas. J'étais convaincue qu'il révélait mes fautes, et j'examinais avec une douloureuse anxiété les yeux de la directrice, m'attendant sans cesse à voir leur noire orbite me lancer un regard d'aversion et de mépris. Je prêtai l'oreille, j'étais assez près d'eux pour entendre presque tout ce qu'ils disaient. Le sujet de leur conversation me délivra momentanément de mes craintes.

«Je suppose, mademoiselle Temple, disait M. Brockelhurst, que le fil acheté à Lowood fera l'affaire. Il me paraît d'une bonne grosseur pour les chemises de calicot. Je me suis aussi procuré des aiguilles qui me semblent convenir très bien au fil. Vous direz à Mlle Smith que j'ai oublié les aiguilles à repriser, mais la semaine prochaine elle en recevra quelques paquets, et, sous aucun prétexte, elle ne doit en donner plus d'une à chaque élève; elles pourraient les perdre, et ce serait une occasion de désordre. Et à propos, madame, je voudrais que les bas de laine fussent mieux entretenus. Lorsque je vins ici la dernière fois, j'examinai, en passant dans le jardin de la cuisine, les vêtements qui séchaient sur les cordes, et je vis une très grande quantité de bas noirs en très mauvais état; la grandeur des trous attestait qu'ils n'avaient point été raccommodés à temps.»

Il s'arrêta.

«Vos ordres seront exécutés, monsieur, reprit Mlle Temple.

– Et puis, madame, continua-t-il, la blanchisseuse m'a dit que quelques-unes des petites filles avaient eu deux collerettes dans une semaine; c'est trop, la règle n'en permet qu'une.

– Je crois pouvoir expliquer ceci, monsieur. Agnès et Catherine Johnstone avaient été invitées à prendre le thé avec quelques amies à Lowton, et je leur ai permis, pour cette occasion, de mettre des collerettes blanches.

M. Brockelhurst secoua la tête.

«Eh bien! pour une fois, cela passera; mais que de semblables faits ne se renouvellent pas trop souvent. Il y a encore une chose qui m'a surpris. En réglant avec la femme de charge, j'ai vu qu'un goûter de pain et de fromage avait été deux fois servi à ces enfants pendant la dernière quinzaine; d'où cela vient-il? J'ai regardé sur le règlement, et je n'ai pas vu que le goûter y fût indiqué. Qui a introduit cette innovation, et de quel droit?

– Je suis responsable de ceci, monsieur, reprit Mlle Temple; le déjeuner était si mal préparé que les élèves n'ont pas pu le manger, et je n'ai pas voulu leur permettre de rester à jeun jusqu'à l'heure du dîner.

– Un instant, madame! Vous savez qu'en élevant ces jeunes filles, mon but n'est pas de les habituer au luxe, mais de les rendre patientes et dures à la souffrance, de leur apprendre à se refuser tout à elles-mêmes. S'il leur arrive par hasard un petit accident, tel qu'un repas gâté, on ne doit pas rendre cette leçon inutile en remplaçant un bien-être perdu par un autre plus grand; pour choyer le corps, vous oubliez le but de cette institution. De tels événements devraient être une cause d'édification pour les élèves; ce serait là le moment de leur prêcher la force d'âme dans les privations de la vie; un petit discours serait bon dans de semblables occasions; là, un maître sage trouverait moyen de rappeler les souffrances des premiers chrétiens, les tourments des martyrs, les exhortations de notre divin Maître lui-même, qui ordonnait à ses disciples de prendre leur croix et de le suivre. On pourrait leur répéter ces mots du Christ: «L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu». Puis aussi cette consolante sentence: «Heureux ceux qui souffrent la faim et la soif pour l'amour de moi!» Ô madame! vous mettez dans la bouche de ces enfants du pain et du fromage au lieu d'une soupe brûlée; je vous le dis, en vérité, vous nourrissez ainsi leur vile enveloppe, mais vous tuez leur âme immortelle.»

M. Brockelhurst s'arrêta de nouveau, comme s'il eût été suffoqué par ses pensées. Mlle Temple avait baissé les yeux lorsqu'il avait commencé à parler, mais alors elle regardait droit devant elle, et sa figure naturellement pâle comme le marbre en avait aussi pris la froideur et la fixité; sa bouche était si bien fermée que l'oiseau du sculpteur eût semblé seul capable de l'ouvrir; peu à peu, son front avait contracté une expression de sévérité immobile.

M. Brockelhurst était debout devant le foyer. Les mains derrière le dos, il surveillait majestueusement toute l'école. Tout à coup il fit un mouvement comme si son regard eût rencontré quelque objet choquant; il se retourna, et s'écria plus vivement qu'il ne l'avait encore fait:

«Mademoiselle Temple! mademoiselle Temple! quelle est cette enfant avec des cheveux frisés, des cheveux rouges, madame, frisés tout autour de la tête?»

Il étendit sa canne vers l'objet de son horreur; sa main tremblait.

«C'est Julia Severn, répondit Mlle Temple très tranquillement.

– Julia Severn, madame; eh bien, pourquoi, au mépris de tous les principes de cette maison, suit-elle aussi ouvertement les lois du monde? Ici, dans un établissement évangélique, porter une telle masse de boucles!

– Les cheveux de Julia frisent naturellement, répondit

Mlle Temple avec plus de calme encore.

– Naturellement, oui; mais nous ne nous conformons pas à la nature; je veux que ces jeunes filles soient les enfants de la grâce! Et pourquoi cette abondance? j'ai dit bien des fois que je désirais voir les cheveux modestement aplatis. Mademoiselle Temple, il faut que les cheveux de cette petite soient entièrement coupés. J'enverrai le perruquier demain; mais j'en vois d'autres qui ont une chevelure beaucoup trop longue et beaucoup trop abondante. Dites à cette grande fille de se tourner vers moi, ou plutôt dites à tout le premier banc de se lever et de regarder du côté de la muraille.»

Mlle Temple passa son manchon sur ses lèvres comme pour réprimer un sourire involontaire; néanmoins elle donna l'ordre, et, quand la première classe eut compris ce qu'on exigeait d'elle, elle obéit. En me penchant sur mon banc, je pus apercevoir les regards et les grimaces avec lesquels elles exécutaient leur manoeuvre. Je regrettais que M. Brockelhurst ne pût pas les voir aussi. Il eût peut-être compris alors que, quelques soins qu'il prît pour l'extérieur, l'intérieur échappait toujours à son influence.

Il examina pendant cinq minutes le revers de ces médailles vivantes, puis il prononça la sentence. Elle retentit à mes oreilles comme le glas d'un arrêt mortel.

«Tous ces cheveux, dit-il, seront coupés»

Купите 3 книги одновременно и выберите четвёртую в подарок!

Чтобы воспользоваться акцией, добавьте нужные книги в корзину. Сделать это можно на странице каждой книги, либо в общем списке:

  1. Нажмите на многоточие
    рядом с книгой
  2. Выберите пункт
    «Добавить в корзину»