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Le marchand de Venise

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Le marchand de Venise
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NOTICE
SUR LE MARCHAND DE VENISE

Le fond de l'aventure qui fait le sujet du Marchand de Venise se retrouve dans les chroniques ou dans la littérature de tous les pays, tantôt en entier, tantôt dépouillé de l'épisode très-piquant qu'y ajoutent les amours de Bassanio et de Portia. Un jugement pareil à celui de Portia a été attribué à Sixte V qui, plus sévère, condamna, dit-on, à l'amende les deux contractants, pour les punir de l'immoralité d'un pareil marché. En cette occasion il s'agissait d'un pari, et le juif était le perdant. Un recueil de nouvelles françaises, intitulé Roger-Bontemps en belle humeur, raconte la même aventure, mais à l'avantage du chrétien, et c'est le sultan Saladin qui est le juge. Dans un manuscrit persan qui rapporte le même fait, il s'agit d'un pauvre musulman de Syrie avec qui un riche juif fait ce marché pour avoir les moyens de le perdre et parvenir ainsi à posséder sa femme dont il est amoureux; le cas est décidé par un cadi d'Émèse. Mais l'aventure tout entière se trouve consignée, avec quelques différences, dans un très-ancien ouvrage écrit en latin et intitulé: Gesta Romanorum, et dans le Pecorone de ser Giovanni, recueil de nouvelles composé avant la fin du quatorzième siècle et par conséquent très-antérieur à Sixte V, ce qui rend tout à fait improbable l'anecdote rapportée sur ce pape par Grégoire Léti.

Dans la nouvelle de ser Giovanni, la dame de Belmont n'est point une jeune fille forcée de soumettre son choix aux conditions prescrites par le singulier testament de son père, mais une jeune veuve qui, de sa propre volonté, impose une condition beaucoup plus singulière à ceux que le hasard ou le choix fait aborder dans son port. Obligés de partager le lit de la dame, s'ils savent profiter des avantages que leur offre une pareille situation, ils obtiendront avec la possession de la veuve sa main et tous ses biens. Dans le cas contraire, ils perdent leur vaisseau et son chargement, et repartent sur-le-champ avec un cheval et une somme d'argent qu'on leur fournit pour retourner chez eux. Peu effrayés d'une pareille épreuve, beaucoup ont tenté l'aventure, tous ont succombé; car, à peine dans le lit, ils s'endorment d'un profond sommeil, d'où ils ne se réveillent que pour apprendre le lendemain que la dame plus matinale a déjà fait décharger le navire, et préparer la monture qui doit reconduire chez lui le malencontreux prétendant. Aucun n'a été tenté de renouveler une entreprise si chère, et dont le mauvais succès a découragé les plus vifs aspirants. Le seul Gianetto (c'est dans la nouvelle le nom du jeune Vénitien) s'est obstiné, et après deux premières déconvenues, il veut risquer une troisième aventure: son parrain Ansaldo, sans s'inquiéter de la perte des deux premiers vaisseaux dont il ignore la cause, lui en équipe un troisième, avec lequel Gianetto lui promet de réparer leurs malheurs. Mais épuisé par les précédentes entreprises, il est obligé pour celle-là d'emprunter à un juif la somme de dix mille ducats, aux mêmes conditions que celles qu'impose Shylock à Antonio. Gianetto arrive, et, averti par une suivante de ne pas boire le vin qu'on lui présentera avant de se mettre au lit, il surprend à son tour la dame qui, fort troublée d'abord de le trouver éveillé, se résigne cependant à son sort, et s'estime heureuse de le nommer le lendemain son époux. Gianetto, enivré de son bonheur, oublie le pauvre Ansaldo jusqu'au jour fatal de l'échéance du billet. Un hasard le lui rappelle alors; il part en diligence pour Venise, et le reste de l'histoire se passe comme l'a représenté Shakspeare.

On conçoit aisément la raison et la nécessité des divers changements qu'il a fait subir à cette aventure; elle n'était cependant pas tellement impossible à représenter de son temps sur le théâtre qu'on ne puisse croire qu'il a été induit à ces changements par le besoin de donner plus de moralité à ses personnages et plus d'intérêt à son action. Aussi la situation du généreux Antonio, la peinture de son caractère si dévoué, courageux et mélancolique à la fois, ne sont-elles pas l'unique source du charme qui règne si puissamment dans tout l'ouvrage. Les lacunes que laisse cette situation sont du moins si heureusement remplies qu'on ne s'aperçoit d'aucun vide, tant l'âme est doucement occupée des sentiments qui en naissent naturellement. Il semble que Shakspeare ait voulu peindre ici, sous leurs différents points de vue, les premiers beaux jours d'un heureux mariage. Le discours de Portia à Bassanio, au moment où le sort vient de décider en sa faveur, et où elle se regarde déjà comme son heureuse épouse, est rempli d'un abandon si pur, d'une soumission conjugale si touchante et si noble à la fois, que son caractère en acquiert un charme inexprimable, et que Bassanio, prenant dès cet instant la situation supérieure qui lui convient, n'a plus à craindre d'être rabaissé par l'esprit et le courage de sa femme, quelque décidé que soit le parti qu'elle va prendre l'instant d'après; on sait maintenant que, le moment de la nécessité passé, tout rentrera dans l'ordre, et que les grandes qualités qu'elle saura soumettre à son devoir de femme ne feront qu'ajouter au bonheur de son mari.

Dans une classe subordonnée, Lorenzo et Jessica nous donnent le spectacle de ce tendre badinage de deux jeunes époux si remplis de leur bonheur qu'ils le répandent sur les choses les plus étrangères à eux-mêmes et jouissent des pensées et des actions les plus indifférentes, comme d'autant de portions d'une existence que le bonheur envahit tout entière. Cet entretien de Lorenzo et de Jessica, ce jardin, ce clair de lune, cette musique qui prépare le retour de Portia, de Bassanio, et l'arrivée d'Antonio, disposent l'âme à toutes les douces impressions que fera naître l'image d'une félicité complète, dans la réunion de Portia et de Bassanio au milieu de tous les amis qui vont jouir de leurs soins et de leurs bienfaits. Shakspeare est presque le seul poëte dramatique qui n'ait pas craint de s'arrêter sur le tableau du bonheur; il sentait qu'il avait de quoi le remplir.

L'invention des trois coffres, dont l'original se trouve aussi en plusieurs endroits, existe, à peu près telle que l'a employée Shakspeare, dans une autre aventure des Gesta Romanorum, si ce n'est que la personne soumise à l'épreuve est la fille d'un roi de la Pouille qui, par la sagesse de son choix, est jugée digne d'épouser le fils de l'empereur de Rome. On voit par là que ces Gesta Romanorum ne remontent pas précisément aux temps antiques.

Le caractère du juif Shylock est justement célèbre en Angleterre.

Cette pièce a été représentée avant 1598. C'est ce qu'on sait de plus certain sur sa date. Plusieurs pièces sur le même sujet avaient déjà été mises au théâtre; il avait été aussi le fond de plusieurs ballades.

En 1701, M. Grandville, depuis lord Lansdowne, remit au théâtre le Marchand de Venise, avec des changements considérables, sous le titre du Juif de Venise. On l'a joué longtemps sous cette nouvelle forme.

LE MARCHAND DE VENISE

PERSONNAGES

LE DUC DE VENISE,} amoureux de

LE PRINCE DE MAROC,} Portia.

LE PRINCE D'ARAGON, }

ANTONIO, marchand de Venise.

BASSANIO, son ami.

SALANIO,} amis d'Antonio et de

GRATIANO,} Bassanio.

SALARINO,}

LORENZO, amant de Jessica.

SHYLOCK, juif.

TUBAL, autre juif, ami de Shylock.

LANCELOT GOBBO, jeune lourdaud, domestique de Shylock.

LE VIEUX GOBBO, père de Lancelot.

LÉONARDO, domestique de Bassanio.

BALTHASAR, domestiques de Portia.

STEPHANO, " " "

UN VALET.

PORTIA, riche héritière.

NÉRISSA, suivante de Portia.

JESSICA, fille de Shylock.

Sénateurs de Venise, officiers de la cour de justice, un geôlier, valets et autres personne de suite
La scène est tantôt à Venise, tantôt à Belmont, château de Portia

ACTE PREMIER

SCÈNE I

Dans une rue de Venise
Entrent ANTONIO, SALARINO et SALANIO

ANTONIO. – De bonne foi, je ne sais pourquoi je suis triste. J'en suis fatigué: vous dites que vous en êtes fatigués aussi; mais comment j'ai pris ce chagrin, où je l'ai trouvé, rencontré, de quoi il est fait, d'où il est sorti, je suis encore à l'apprendre. – La tristesse me rend si stupide que j'ai peine à me reconnaître moi-même.

SALANIO. – Votre âme est agitée sur l'Océan; là où, sous leurs voiles majestueuses, vos larges vaisseaux, seigneurs et riches bourgeois des flots, dominent sur le peuple des petits navires marchands qui les saluent, inclinant, lorsqu'ils passent près d'eux, le tissu de leurs ailes.

SALARINO. – Croyez-moi, monsieur, si j'avais une pareille mise dehors, la plus grande partie de mes affections serait en voyage à la suite de mes espérances. Je serais toujours à arracher des brins d'herbe pour savoir de quel côté souffle le vent; à chercher sur les cartes les ports, les môles et les routes; et chaque objet qui pourrait me faire craindre un malheur pour ma cargaison ne manquerait certainement pas de me rendre triste.

SALANIO. – En soufflant sur mon bouillon pour le refroidir, mon haleine me donnerait un frisson, je songerais à tout le mal qu'un trop grand vent pourrait causer sur la mer. Je ne pourrais voir un sablier s'écouler que je ne songeasse aux bancs de sable, aux bas-fonds, où je verrais mon riche André1 engravé, abaissant son grand mât plus bas que ses flancs pour baiser son tombeau. Pourrais-je aller à l'église et voir les pierres de l'édifice sacré, sans me rappeler aussitôt les rochers dangereux qui, en effleurant seulement les côtés de mon cher vaisseau, disperseraient toutes mes épices sur les flots, et habilleraient de mes soies les vagues en fureur; en un mot, sans penser que riche de tout cela en cet instant, je puis l'instant d'après n'avoir plus rien? Puis-je songer à tous ces hasards et ne pas songer en même temps qu'un pareil malheur, s'il m'arrivait, me rendrait triste? – Tenez, ne m'en dites pas davantage: je suis sûr qu'Antonio est triste, parce qu'il songe à ses marchandises.

 

ANTONIO. – Non, croyez-moi. J'en rends grâces au sort; toutes mes espérances ne sont pas aventurées sur une seule chance, ni réunies en un même lieu; et ma fortune entière ne dépend pas des événements de cette année. Ce ne sont donc pas mes marchandises qui m'attristent.

SALARINO. – Il faut alors que vous soyez amoureux.

ANTONIO. – Fi donc!

SALARINO. – Vous n'êtes pas amoureux non plus? En ce cas, souffrez qu'on vous dise que vous êtes triste, parce que vous n'êtes pas gai; et il vous serait tout aussi aisé de rire, de danser, et de dire que vous êtes gai, parce que vous n'êtes pas triste. Par Janus au double visage, la nature forme quelquefois d'étranges personnages; les uns ne laissant jamais qu'entrevoir leurs yeux à travers leurs paupières à demi fermées et riant comme des perroquets, à la vue d'un joueur de cornemuse; et d'autres, d'une mine si renfrognée, qu'ils ne montreraient pas seulement leurs dents en façon de sourire, quand Nestor en personne jurerait que la plaisanterie est de nature à faire rire.

(Entrent Bassanio, Lorenzo, Gratiano.)

SALANIO-Voici Bassanio, votre noble allié, avec Gratiano et Lorenzo. Adieu, nous vous laissons en meilleure compagnie.

SALARINO. – Je serais volontiers resté jusqu'à ce que je vous eusse rendu joyeux, si de plus dignes ne m'avaient prévenu.

ANTONIO. – Vous avez une grande place dans mon affection; mais je suppose que vos affaires vous appellent, et que vous saisissez l'occasion de nous quitter.

SALARINO. – Bonjour, mes bons seigneurs.

BASSANIO. – Dites-moi tous deux, mes bons seigneurs, quand rirons-nous? Répondez: quand? Vous devenez excessivement rares. Cela durera-t-il?

SALARINO. – Nous nous ferons un plaisir de prendre votre temps.

(Salanio et Salarino sortent.)

LORENZO. – Seigneur Bassanio, puisque vous voilà avec Antonio, nous allons vous laisser ensemble. Mais à l'heure du dîner, souvenez-vous, je vous prie, du lieu de notre rendez-vous.

BASSANIO. – Je n'y manquerai pas.

GRATIANO. – Vous n'avez pas bon visage, seigneur Antonio. Tenez, vous avez trop d'affaires en ce monde; c'est en perdre les avantages que de les acheter par trop de soins. Vous êtes étonnamment changé; croyez-moi.

ANTONIO. – Je prends le monde pour ce qu'il est, Gratiano: un théâtre où chacun doit jouer son rôle; le mien est d'être triste.

GRATIANO. – Le mien sera donc celui du fou. Que les rides de la vieillesse viennent au milieu de la joie et du rire, que le vin échauffe, s'il le faut, mon foie, mais que d'affaiblissants soupirs ne viennent point glacer mon coeur. Pourquoi un homme qui a du sang chaud dans les veines demeurerait-il immobile comme son grand-père taillé en albâtre? pourquoi dormir quand on veille, et se donner la jaunisse à force de mauvaise humeur? Je te le dirai, Antonio; je t'aime, et c'est mon amitié qui parle; il y a une espèce de gens dont le visage se boursoufle au dehors et s'enveloppe comme l'eau dormante d'un étang, et qui se tiennent dans une immobilité volontaire pour se parer d'une réputation de sagesse, de gravité, de profondeur d'esprit, et qui semblent vous dire: «Monsieur, je suis un oracle; quand j'ouvre la bouche, empêchez qu'un chien n'aboie.» O mon cher Antonio, je connais de ces gens-là qui ne doivent qu'à leur silence leur réputation de sagesse, et qui, j'en suis sûr, s'ils parlaient, seraient capables de damner plus d'une oreille, car en les écoutant, bien des gens traiteraient leurs frères de fous. Je t'en dirai plus long une autre fois. Mais ne va pas te servir de l'appât de la mélancolie, pour pêcher ce goujon des sots, la réputation. – Allons, viens, cher Lorenzo. (A Antonio.) – Adieu pour un moment; je finirai mon sermon après dîner.

LORENZO, à Antonio. – Oui, nous allons vous laisser jusqu'à l'heure du dîner. – Il faudra que je devienne un de ces sages muets, car Gratiano ne me laisse jamais le temps de parler.

GRATIANO. – C'est bon, tiens-moi encore compagnie deux ans, et tu ne connaîtras plus le son de ta voix.

ANTONIO. – Adieu, il me rendrait bavard.

GRATIANO. – Tant mieux, ma foi, car le silence ne convient qu'à une langue de boeuf fumé, et à une fille qui n'est pas de défaite.

(Gratiano et Lorenzo sortent.)

ANTONIO. – Est-ce là dire quelque chose?

BASSANIO. – Gratiano est l'homme de Venise qui débite le plus de riens. Ce qu'il y a de bon dans tous ses discours est comme deux grains de blé cachés dans deux boisseaux de son. On les cherche un jour entier avant de les trouver, et quand on les a, ils ne valent pas la peine qu'on a prise.

ANTONIO. – Fort bien. Dites-moi: quelle est donc cette dame auprès de laquelle vous avez juré de faire un secret pèlerinage, et que vous m'avez promis de me nommer aujourd'hui?

BASSANIO. – Vous n'ignorez pas, Antonio, dans quel délabrement j'ai mis mes affaires, en voulant faire une plus haute figure que ne pouvait me le permettre longtemps ma médiocre fortune; je ne m'afflige pas maintenant d'être privé des moyens de soutenir ce noble état; mais mon premier souci est de me tirer avec honneur des dettes considérables que j'ai contractées par un peu trop de prodigalité. C'est à vous, Antonio, que je dois le plus, tant en argent qu'en amitié; et c'est de votre amitié que j'attends avec confiance les moyens d'accomplir tous mes desseins, et les plans que je forme pour payer tout ce que je dois.

ANTONIO. – Je vous prie, mon cher Bassanio, de me les faire connaître; et, s'ils se renferment comme vous le faites vous-même dans les limites de l'honneur, soyez sûr que ma bourse, ma personne et tout ce que j'ai de ressources en ce monde sont à votre service.

BASSANIO. – Lorsque j'étais écolier, dès que j'avais perdu une de mes flèches, j'en décochais une autre dans la même direction, mettant plus d'attention à suivre son vol, afin de retrouver l'autre; et, en risquant de perdre les deux, je les retrouvais toutes deux. Je vous cite cet exemple de mon enfance, parce que je vais vous parler le langage de la candeur. Je vous dois beaucoup: et comme il arrive à un jeune homme livré à ses fantaisies, ce que je vous dois est perdu. Mais si vous voulez risquer une autre flèche du même côté où vous avez lancé la première, je ne doute pas que, par ma vigilance à observer sa chute, je ne retrouve les deux, ou du moins que je ne vous rapporte celle que vous aurez hasardée la dernière, en demeurant avec reconnaissance votre débiteur pour l'autre.

ANTONIO. – Vous me connaissez; c'est donc perdre le temps que de tourner ainsi autour de mon amitié par des circonlocutions. Vous me faites certainement plus de tort en doutant de mes sentiments, que si vous aviez dissipé tout ce que je possède. Dites-moi donc ce qu'il faut que je fasse pour vous, et tout ce que vous me croyez possible; je suis prêt à le faire: parlez donc.

BASSANIO. – Il est dans Belmont une riche héritière; elle est belle, plus belle que ce mot, et douée de rares vertus. J'ai quelquefois reçu de ses yeux de doux messages muets. Son nom est Portia. Elle n'est pas moins estimée que la fille de Caton, la Portia de Brutus. L'univers entier connaît son mérite; car les quatre vents lui amènent de toutes les côtes d'illustres adorateurs. Ses cheveux, dorés comme les rayons du soleil, tombent en boucles sur ses tempes comme une toison d'or: ce qui fait de sa demeure de Belmont un rivage de Colchos, où plus d'un Jason se rend pour la conquérir: ô mon Antonio, si j'avais seulement le moyen d'entrer en concurrence avec eux, j'ai dans mon âme de tels présages de succès, qu'il est hors de doute que je l'emporterais.

ANTONIO. – Tu sais que toute ma fortune est sur la mer, que je n'ai point d'argent, ni la possibilité de rassembler une forte somme. Va donc essayer ce que peut mon crédit dans Venise. Je l'épuiserai jusqu'au bout, pour te donner les moyens de paraître à Belmont, et d'obtenir la belle Portia. Va, informe-toi où il y a de l'argent. J'en ferai autant de mon côté, et je ne doute point que je n'en trouve par mon crédit ou par le désir qu'on aura de m'obliger.

(Ils sortent.)

SCÈNE II

A Belmont. – Un appartement de la maison de Portia
Entrent PORTIA et NÉRISSA

PORTIA. – En vérité, Nérissa, mon petit individu est bien las de ce grand univers.

NÉRISSA. – Cela serait bon, ma chère madame, si vos misères étaient en aussi grand nombre que le sont vos prospérités: cependant, à ce que je vois, on est aussi malade d'indigestion que de disette. Ce n'est donc pas un médiocre bonheur que d'être placé dans la médiocrité: superflu blanchit de bonne heure, suffisance vit longtemps.

PORTIA. – Voilà de belles sentences, et très-bien débitées.

NÉRISSA. – Elles seraient encore meilleures mises en pratique.

PORTIA. – S'il était aussi aisé de faire qu'il l'est de connaître ce qui est bon à faire, les chapelles seraient des églises, et les cabanes des pauvres gens des palais de princes. C'est un bon prédicateur que celui qui se conforme à ses sermons. J'apprendrais plutôt à vingt personnes ce qu'il est à propos de faire, que je ne serais une des vingt à suivre mes instructions. Le cerveau peut imaginer des lois pour le sang, mais un tempérament ardent saute par-dessus une froide loi; c'est un tel lièvre que la folle jeunesse pour s'élancer par-dessus les filets du bon sens! Mais cette manière de raisonner n'est pas trop de saison lorsqu'il s'agit de choisir un époux. Choisir! hélas! quel mot! Je ne puis ni choisir celui que je voudrais, ni refuser celui qui me déplairait. Et ainsi il faut que la volonté d'une fille vivante se plie aux volontés d'un père mort. N'est-il pas bien dur, Nérissa, de ne pouvoir ni choisir ni refuser personne?

NÉRISSA. – Votre père fut toujours vertueux, et les saints personnages ont à leur mort de bonnes inspirations. Ainsi, dans cette loterie qu'il a imaginée, et au moyen de laquelle vous devez être le partage de celui qui, entre trois coffres d'or, d'argent et de plomb, choisira selon son intention, vous pouvez être sûr que le bon choix sera fait par un homme que vous pourrez aimer en bonne conscience. Mais quelle chaleur d'affection sentez-vous pour tous ces brillants adorateurs qui sont déjà arrivés?

PORTIA. – Je t'en prie, dis-moi leurs noms: à mesure que tu les nommeras je ferai leur portrait, et tu devineras mes sentiments par ma description.

NÉRISSA. – D'abord il y a le prince de Naples.

PORTIA. – Eh! c'est un véritable animal2. Il ne sait parler que de son cheval, et se targue comme d'un mérite singulier de la science qu'il possède de le ferrer lui-même. J'ai bien peur que madame sa mère ne se soit oubliée avec un forgeron.

NÉRISSA. – Vient ensuite le comte Palatin.

PORTIA. – Il est toujours refrogné, comme s'il vous disait: Si vous ne voulez pas de moi, décidez-vous. Il écoute des contes plaisants sans un sourire. Je crains que dans sa vieillesse il ne devienne le philosophe larmoyant, puisque jeune encore il est d'une si maussade tristesse. J'aime mieux épouser une tête de mort la bouche garnie d'un os, qu'un de ces deux hommes-là. Dieu me préserve de tous les deux!

NÉRISSA. – Que dites-vous du seigneur français, monsieur le Bon?

PORTIA. – Dieu l'a fait; ainsi je consens qu'il passe pour un homme. Je sais bien que c'est un péché de se moquer de son prochain; mais lui! Comment! il a un meilleur cheval que le Napolitain! Il possède à un plus haut degré que le comte Palatin la mauvaise habitude de froncer le sourcil. Il est tous les hommes ensemble, sans en être un. Si un merle chante, il fait aussitôt la cabriole. Il va se battre contre son ombre. En l'épousant, j'épouserais en lui seul vingt maris; s'il vient à me mépriser je lui pardonnerai: car, m'aimât-il à la folie, je ne le payerai jamais de retour.

 

NÉRISSA. – Que dites-vous de Fauconbridge, le jeune baron anglais?

PORTIA. – Vous savez que je ne lui dis rien; car nous ne nous entendons ni l'un ni l'autre; il ne sait ni latin, ni français, ni italien: et vous pouvez bien jurer en justice que je ne sais pas pour deux sous d'anglais. C'est la peinture d'un joli homme. Mais, hélas! qui peut s'entretenir avec un tableau muet? Qu'il est mis singulièrement! Je crois qu'il a acheté son pourpoint en Italie, ses hauts-de-chausses circulaires en France, son bonnet en Allemagne, et ses manières par tout pays.

NÉRISSA. – Que pensez-vous du seigneur écossais son voisin?

PORTIA. – Qu'il est plein de charité pour son voisin, car il a emprunté un soufflet de l'Anglais, et a juré de le lui rendre quand il pourrait. Je crois que le Français s'est rendu sa caution, et s'est engagé pour un second.

NÉRISSA. – Comment trouvez-vous le jeune Allemand, le neveu du comte de Saxe?

PORTIA. – Fort déplaisant le matin quand il est à jeun, et bien plus déplaisant encore le soir quand il est ivre. Lorsqu'il est au mieux il est un peu plus mal qu'un homme, et quand il est le plus mal il est tant soit peu mieux qu'une bête. Et m'arrivât-il du pis qui puisse arriver, j'espère trouver le moyen de me défaire de lui.

NÉRISSA. – S'il se présentait pour choisir, et qu'il prît le bon coffre, ce serait refuser d'accomplir les volontés de votre père, que de refuser sa main.

PORTIA. – De crainte que ce malheur extrême n'arrive, mets, je te prie, sur le coffre opposé un grand verre de vin du Rhin; car si le diable était dedans, et cette tentation au dehors, je suis sûre qu'il le choisirait. Je ferai tout au monde, Nérissa, plutôt que d'épouser une éponge.

NÉRISSA. – Vous ne devez plus craindre d'avoir aucun de ces messieurs; ils m'ont fait part de leurs résolutions, c'est de s'en retourner chez eux, et de ne plus vous importuner de leur recherche, à moins qu'ils ne puissent vous obtenir par quelque autre moyen que celui qu'a imposé votre père, et qui dépend du choix des coffres.

PORTIA. – Dussé-je vivre aussi vieille que la Sibylle, je mourrai aussi chaste que Diane, à moins qu'on ne m'obtienne dans la forme prescrite par mon père. Je suis ravie que cette cargaison d'amoureux se montre si raisonnable; car il n'en est pas un parmi eux qui ne me fasse soupirer après son absence et prier Dieu de lui accorder un heureux départ.

NÉRISSA. – Ne vous rappelez-vous pas, madame, que du vivant de votre père, il vint ici, à la suite du marquis de Montferrat, un Vénitien instruit et brave militaire?

PORTIA. – Oui, oui, c'était Bassanio; c'est ainsi, je crois, qu'on le nommait.

NÉRISSA. – Cela est vrai, madame; et de tous les hommes sur qui se soient jamais arrêtés mes yeux peu capables d'en juger, il m'a paru le plus digne d'une belle femme.

PORTIA. – Je m'en souviens bien, et je me souviens aussi qu'il mérite tes éloges. – (Entre un valet.) Qu'est-ce? Quelles nouvelles?

LE VALET. – Les quatre étrangers vous cherchent, madame, pour prendre congé de vous, et il vient d'arriver un courrier qui en devance un cinquième, le prince de Maroc; il dit que le prince son maître sera ici ce soir.

PORTIA. – Si je pouvais accueillir celui-ci d'aussi bon coeur que je vois partir les autres, je serais charmée de son arrivée. S'il se trouve avoir les qualités d'un saint et le teint d'un diable, je l'aimerais mieux pour confesseur que pour épouseur. Allons, Nérissa; et toi (au valet), marche devant. Tandis que nous mettons un amant dehors, un autre frappe à la porte.

(Ils sortent.)
1C'était apparemment le nom d'un des plus gros vaisseaux d'Antonio.
2A colt. Colt signifie un jeune cheval qui n'est pas encore dressé, et aussi un étourdi sans éducation. On ne pouvait rendre en français le double sens de l'expression, il a fallu choisir celui qui allait le mieux au reste de la phrase.
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